• 1 C’est le titre d’un ouvrage édité par R. Bessel et R. Jensen, Grenzen der Diktatur. Staat und Gesel (...)

1Le titre de l’ouvrage de Sandrine Kott résume bien l’objectif qu’elle s’est fixé : faire l’histoire sociale d’une dictature politique et analyser « la réalité quotidienne de la domination politique » en RDA. Elle revient dans son introduction sur l’historiographie de la RDA. En se plaçant dans la continuité de travaux qui s’interrogent sur le fonctionnement et les expériences de la dictature, elle étudie la domination politique comme pratique sociale, et pose ainsi la question des « limites de la dictature »1. Il s’agit donc de se pencher sur les arrangements informels qui existaient en RDA, sans pour autant nier la réalité des mécanismes de domination. Bien au contraire, S. Kott fait l’hypothèse que ces arrangements ont contribué à la stabilité du régime est-allemand et elle préfère donc parler de « dictature des limites » pour désigner ce « jeu aux et avec les limites ». L’entreprise industrielle, « zone de contact entre l’appareil d’État et la société », lui apparaît dès lors comme le lieu idéal pour observer les interactions entre le pouvoir et les individus. Étudiée à la fois comme organisation et comme institution centrale, l’entreprise prend en charge la vie sociale, culturelle et politique de ses salariés, servant ainsi de vitrine au régime qui, en retour, entend bien la contrôler étroitement.

• 2 Sozialistische Einheitspartei Deutschlands : Parti socialiste unifié.

2À travers l’étude des archives de plusieurs entreprises est-allemandes, S. Kott nous propose donc une analyse du socialisme comme expérience quotidienne. Son ouvrage se divise en huit chapitres, qu’elle organise autour de quatre thématiques : la présence du pouvoir dans l’entreprise ; la communauté et la distance conflictuelle comme principes concurrents d’organisation du lien social ; l’étude des deux groupes cibles que sont pour le régime est-allemand les jeunes et les femmes et enfin un retour sur les valeurs et les rituels qui ont au moins en partie fondé la légitimité de la domination politique du SED2. Cette architecture d’ensemble permet à S. Kott de développer sa problématique en se focalisant sur différents éléments du quotidien des salariés est-allemands. Certains thèmes sont attendus (la culture, la justice, les organisations de masse…), d’autres sont plus originaux (le chapitre sur les femmes ou celui sur le rapport au temps sont passionnants). La cohérence de l’ouvrage émerge progressivement, au fil de la lecture. Des phases se dessinent dans l’histoire du régime (l’activisme des années 1950 s’oppose à la stabilisation puis à la stagnation qui caractérisent les dernières années de la RDA). Les tensions qui se jouent dans l’articulation de l’intérêt individuel, de l’intérêt collectif et de l’intérêt général prennent consistance et s’incarnent dans le récit d’expériences concrètes. Peu à peu sont ainsi révélées les différentes formes du compromis qui se mettent en place au sein de l’entreprise, dans les limites imposées par le régime. Mais l’organisation thématique de l’ouvrage, louable pour sa clarté d’exposition et de démonstration, conduit parfois à quelques redites. Le chapitre 7 en particulier, consacré au don et au contre-don dans l’entreprise socialiste, regroupe des éléments (les parrainages d’entreprises, la solidarité entre femmes et l’échange informel de services) qui étaient, en partie au moins, déjà présents dans les précédents chapitres.