1Cet ouvrage collectif est issu d’un séminaire organisé en 1997–1998 à l’université Pierre Mendès-France de Grenoble auquel ont participé des universitaires et des praticiens engagés dans l’activité de négociation : syndicalistes et membres de direction d’entreprises. Les dix-sept communications qui le composent offrent un regard croisé sur la négociation sociale à partir de postures et d’approches disciplinaires différentes : sciences politiques, sociologie, droit, économie. Avec quels objectifs ? L’introduction, dense, les précise : alors que l’on assiste à une montée en puissance de la négociation sociale, que l’entreprise se voit reconnaître une réelle autonomie dans la création de règles, que les transformations du travail tendent à renforcer l’initiative des salariés, la négociation n’a eu et n’a encore, en France, qu’une faible légitimité scientifique. Dans ce pays « qui n’aime pas la négociation » selon l’expression de J.‑P. Jacquier, les chercheurs se sont davantage intéressés aux conflits, aux mécanismes et aux structures qui les produisaient qu’à la négociation elle-même. Il s’agit donc, en s’inspirant de l’exemple nord-américain où les analyses théoriques et pratiques de la négociation délimitent un champ d’investigations fécond, de combler ce vide. Et pour cela de placer la négociation au cœur de l’analyse en s’interrogeant sur les théories disponibles, en retraçant les évolutions pratiques, en confrontant les études de cas, en définissant des perspectives.

2L’ouvrage est formé de trois grandes parties. La première s’interroge d’abord sur la pertinence actuelle de trois approches théoriques : théorie des jeux, théorie institutionnaliste et théorie des négociations stratégiques, avant d’approfondir les notions d’ordre public social, centrale dans le modèle français de négociation collective et celle de bonne foi, centrale dans les dispositifs nord-américains. La deuxième partie s’attache à la description et l’analyse du processus de négociation, essentiellement dans le secteur public : EDF–GDF, la RATP, et pose la question de l’État et de son intervention dans le jeu social. Enfin une troisième partie, à partir de récits de négociation établis par leurs protagonistes et de l’observation ethnographique des interactions dans des situations de travail très diverses (bateau de guerre, atelier), multiplie les « facettes » de la négociation et de ses enjeux.

3De quelle négociation s’agit-il ? Négociation sociale d’après le titre de l’ouvrage. La volonté des auteurs est d’embrasser un champ plus large que celui de la négociation institutionnalisée entre les acteurs reconnus, représentants des salariés et patronat. Il inclut ainsi la négociation et la régulation des conditions d’emploi et de la vie à bord d’un bateau de guerre, là où nous dit J. Saglio, les syndicats, les revendications collectives et les grèves ne sont pas autorisés, et où pourtant « il existe bien des modes d’expression et de résolution des conflits du travail à bord » (p. 238) qui rendent pertinente l’application d’un schéma d’analyse en termes de relations professionnelles. Il comprend également les négociations entre fournisseurs et constructeurs automobiles, négociations qui, selon J.‑P. Neuville « constituent finalement un processus de production de la coopération mobilisé par les acteurs afin de transformer tout désaccord en accord » (p. 244).

5Ces différentes contributions ont les qualités d’exposés présentés successivement dans un séminaire : la variété des points de vue et des référentiels, même si cette diversité n’aboutit pas à une véritable confrontation. Elles en ont aussi les faiblesses : l’incertitude des lignes théoriques. Si l’on veut élargir le sujet à toute la négociation sociale, ne faudrait-il pas au moins en distinguer différents types, par exemple par la rigueur des règles et le caractère explicite des solutions ? Ne faudrait-il pas aussi définir plus précisément ce qu’on entend par la notion de coopération, si souvent associée à celle de négociation ? Peut-on enfin se satisfaire d’opposer un modèle nouveau à un modèle ancien et plus encore de confondre sous le terme de modèle la description d’une situation et un schéma d’analyse ? Les ouvrages collectifs aboutissent rarement à un accord. Du moins ouvrent-ils une discussion.