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AccueilNumérosVol. 43 - n° 2Comptes rendusFlorence Weber, L’honneur des jar...

Comptes rendus

Florence Weber, L’honneur des jardiniers. Les potagers dans la France du xxe siècle

Belin, coll. « socio-histoire », Paris, 1998, 287 p.
Christophe Giraud
p. 277-278
Référence(s) :

Florence Weber, L’honneur des jardiniers. Les potagers dans la France du xxe siècle, Belin, coll. « socio-histoire », Paris, 1998, 287 p.

Texte intégral

  • 1 F. Weber est ethnologue, chercheur Inra/Corela et professeur au Laboratoire de sciences sociales de (...)

1L’ouvrage de Florence Weber1 nous livre la genèse au cours du xxe siècle de la pratique populaire du jardinage. Il prolonge ainsi son analyse des activités hors travail professionnel en milieu populaire (Weber, 1989). L’auteur s’inscrit dans la perspective de Claude Grignon et Jean-Claude Passeron (Grignon et Passeron, 1989) pour qui la culture populaire doit être analysée dans son ambivalence : illégitime au regard de la domination symbolique qui renforce la hiérarchie sociale, et néanmoins dotée d’une certaine forme de légitimité car elle est l’expression symbolique en partie autonome des classes populaires. L’ambivalence de la pratique jardinière est explicitée ici par le schème du malentendu entre les différents univers sociaux en présence : les modèles normatifs issus des classes supérieures (pratiques horticoles des classes aristocratiques) s’enracinent dans les classes populaires par le biais d’une réinterprétation et d’une réappropriation. L’analyse de ces malentendus est faite dans le cadre des visites que les divers agents de diffusion (patrons, bienfaiteurs, notables, journalistes ou ethnologues) ont rendues aux jardiniers au cours du siècle. Ces visites forment une situation concrète où s’effectue ce travail de diffusion et d’appropriation des normes. Parallèlement les pratiques populaires ont une logique propre, celle de l’honneur, valeur sociale positive qui se construit dans la confrontation avec la hiérarchie sociale et dans les échanges avec les autres jardiniers à l’intérieur de réseaux de relations interpersonnelles.

2Les trois premiers chapitres analysent l’histoire des « jardins ouvriers », mis à disposition d’un public populaire par une Œuvre ou une association contre une cotisation modique. Cette histoire est marquée, au début du xxe siècle, par le rôle central des notables philanthropes et de la logique de la bienfaisance destinée à apporter une rédemption par le travail, la vie au grand air et l’idéal de la maison de campagne, à une classe laborieuse déracinée, encline aux vices du cabaret et au manque d’hygiène. Les visiteurs sont là pour assurer le contrôle des pratiques et des progrès moraux mais aussi pour entretenir le lien qui assure le rapprochement entre les classes (chap. 1). La période vichyste et la pénurie alimentaire donnent un tour plus productif aux jardins ouvriers. L’avènement de la Sécurité sociale finit de déstabiliser le modèle de la bienfaisance et conduit à une évolution associative des jardins ouvriers (chap. 3). Ceux-ci sont alors analysés comme des parenthèses dans un univers juridique (les jardiniers ne sont ni propriétaires, ni locataires) et un espace urbain : ils se trouvent en concurrence avec d’autres types d’occupation de l’espace, ils constituent un univers domestique extérieur, un entre-soi dans lequel l’ethnologue, comme ses prédécesseurs philanthropes, est accueilli en visiteur par ses hôtes jardiniers (chap. 2).

3Les chapitres 4 et 5 élargissent l’analyse aux autres formes de pratique jardinière (jardins en pavillon, autres formes de jardins sans maison) : d’un point de vue à nouveau historique (chap. 4) à partir de l’histoire de la Société d’horticulture de Valenciennes qui, au fil du siècle, a créé, dans l’ambiguïté et les malentendus, une culture d’unanimité autour du jardinage ; d’un point de vue économique (chap. 5) sur la base des enquêtes statistiques s’appuyant sur la théorie micro-économique du producteur, comme l’enquête « modes de vie » de l’Insee (1988–1989), dont l’auteur montre qu’elles décrivent partiellement les pratiques de jardinage et ne parviennent donc pas à en rendre compte. La critique de ces approches économiques s’appuie sur les notions de personne et de chose inspirées de Marcel Mauss. Le jardinage est considéré comme une pratique d’appropriation des choses par les personnes, une pratique de mise en scène de soi alors que ces enquêtes la limitent à une pratique productive (et donc objective).

4Les deux derniers chapitres prolongent les analyses précédentes à travers un regard ethnographique. Trois types de pratique de jardinage sont présentés (chap. 6) : « le potager propre », basé sur la logique de l’honneur, qui produit, outre des légumes, une certaine image de soi, le jardin comme résidence secondaire et le jardin comme atelier productif (proche de la pratique paysanne). Le dernier chapitre, d’une portée programmatique, rassemble les outils dégagés antérieurement et propose d’appréhender l’univers domestique comme un processus d’appropriation de l’espace et des choses par les personnes, fondamentalement ambigu par rapport aux contraintes institutionnelles et symboliques.

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Bibliographie

Grignon, C., Passeron, J.C., 1989. Le savant et le populaire : misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature. EHESS/Gallimard/Le Seuil, Paris.

Weber, F., 1989. Le travail à-côté. EHESS/Inra, Paris.

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Notes

1 F. Weber est ethnologue, chercheur Inra/Corela et professeur au Laboratoire de sciences sociales de l’ENS-EHESS.

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Pour citer cet article

Référence papier

Christophe Giraud, « Florence Weber, L’honneur des jardiniers. Les potagers dans la France du xxe siècle »Sociologie du travail, Vol. 43 - n° 2 | 2001, 277-278.

Référence électronique

Christophe Giraud, « Florence Weber, L’honneur des jardiniers. Les potagers dans la France du xxe siècle »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 43 - n° 2 | Avril-Juin 2001, mis en ligne le 14 juin 2001, consulté le 11 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/34987 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.34987

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Auteur

Christophe Giraud

Centre de recherche sur les liens sociaux, université Paris-V, 45, rue des Saints-Pères, 75270 Paris cedex 6, France.

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont susceptibles d’être soumis à des autorisations d’usage spécifiques.

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