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AccueilNumérosVol. 43 - n° 2Comptes rendusSerge Paugam, Le salarié de la pr...

Comptes rendus

Serge Paugam, Le salarié de la précarité. Les nouvelles formes de l’intégration professionnelle

Presses universitaires de France, coll. « Le lien social », Paris, 2000, 437 p.
Catherine Faure-Guichard
p. 278-280
Référence(s) :

Serge Paugam, Le salarié de la précarité. Les nouvelles formes de l’intégration professionnelle, Presses universitaires de France, coll. « Le lien social », Paris, 2000, 437 p.

Texte intégral

1Dans le contexte prolongé d’ébranlement du système d’emploi construit après 1945, l’ouvrage de Serge Paugam éclaire les déstabilisations de la condition salariale, au niveau du statut des emplois comme au niveau des conditions de travail. Il démontre ici que la précarité doit être appréhendée d’un double point de vue : le salarié peut être précaire dans son emploi, mais aussi être précaire dans son travail, et les deux situations si elles peuvent coïncider, correspondent également à deux expériences vécues distinctes. Ainsi, un statut d’emploi atypique n’est pas intrinsèquement précaire, être employé sur un contrat à durée indéterminée ne protège pas d’une certaine forme de précarité.

2Le point de départ est constitué par une triple mise en perspective : de la thèse durkheimienne sur les obstacles à l’intégration professionnelle, à savoir sur les formes pathologiques de la division du travail à la fin du xixe siècle ; des enquêtes menées à partir des années 1950, tant au niveau national qu’au niveau international, sur l’évolution des conditions de travail et sur les orientations par rapport au travail des salariés, sur leurs identités professionnelles et sociales ; des précédentes recherches de l’auteur sur la disqualification sociale des « outsiders », exclus du marché du travail, en soulignant le souci d’analyser ici le cœur même du salariat.

3À partir des résultats d’une double enquête quantitative (plus de 1 000 questionnaires) et qualitative (plus de 80 entretiens), l’auteur construit une typologie des logiques d’intégration professionnelle en croisant les critères du rapport au travail (degré de satisfaction des salariés dans l’exercice de leur fonction quotidienne) et du rapport à l’emploi (degré de stabilité de leur situation professionnelle).

4La première partie évoque d’abord les tendances lourdes dans l’évolution du rapport au travail et du rapport à l’emploi des salariés. Sur le volet travail, l’auteur évoque une plus grande autonomie s’accompagnant de contraintes de temps et de qualité plus fortes, et de pénibilités et de risques de plus en plus mal supportés. Pour l’emploi, il constate l’explosion des emplois à statut précaire, le développement du sous-emploi, le risque accru de perte d’emploi. La prise en compte simultanée de ces deux dimensions aboutit à la présentation de quatre types d’intégration professionnelle : l’intégration assurée combine satisfaction dans le travail et stabilité de l’emploi ; l’intégration incertaine mêle instabilité de l’emploi et satisfaction dans le travail ; l’intégration laborieuse combine insatisfaction dans le travail et stabilité de l’emploi ; l’intégration disqualifiante conjugue insatisfaction dans le travail et instabilité de l’emploi. La deuxième partie analyse les identités collectives et les rapports sociaux en entreprise, reliant chaque type d’intégration à des cas d’entreprises. Chaque entreprise étudiée (huit au total) se caractérise par une proportion élevée de salariés proche d’un des quatre types d’intégration, et l’auteur montre qu’un type d’intégration peut se rencontrer dans des entreprises de nature très différente. La dernière partie s’attache à l’étude des liens entre formes d’intégration professionnelle et vie hors travail, analysant l’implication des salariés dans la vie collective de l’entreprise, dans la vie familiale et dans la vie politique. La pertinence de la typologie est ainsi démontrée parce qu’elle permet de différencier des comportements en matière d’action collective, de valider l’hypothèse du lien fort entre instabilité familiale et difficultés de l’intégration professionnelle, d’illustrer enfin les effets des formes de l’intégration professionnelle sur les comportements politiques (avec notamment une désillusion politique forte des salariés proches de l’intégration disqualifiante).

5Les qualités de cet ouvrage riche, complet, bien référencé, passionnant par les multiples situations concrètes, étant nombreuses, nous insisterons ici sur les trois principaux apports.

6Il s’agit d’abord d’un des rares ouvrages mettant en œuvre véritablement cette distinction féconde entre rapport au travail et rapport à l’emploi, réconciliant sociologie du travail et sociologie de l’emploi, articulant les acquis de ces deux disciplines.

7La deuxième articulation, et non la moindre, est l’articulation entre une approche quantitative et une approche qualitative (souvent invoquée, rarement mise en œuvre). L’analyse sociologique s’enrichit de cette combinaison des méthodes complémentaires pour approfondir la compréhension des attitudes des salariés (par exemple, si les salariés vivant l’intégration disqualifiante sont globalement plus favorables à la redistribution des revenus à l’égard des pauvres et des chômeurs – résultat de l’enquête quantitative –, ils n’en cherchent pas moins à se démarquer socialement des chômeurs « professionnels » – résultat des entretiens). Enfin, il faut souligner l’articulation réussie entre l’analyse des formes d’intégration professionnelle et celle de la vie familiale et de l’engagement politique ou militant, ou dit autrement entre la vie au travail et la vie hors travail : l’auteur parvient ici à décloisonner certaines sous-disciplines de la sociologie (sociologie du travail et de l’emploi, sociologie de la famille, sociologie politique), prenant en compte toutes les dimensions constitutives des identités sociales des individus.

8Certes, la lecture de cet ouvrage suscite inévitablement un certain nombre d’interrogations. Si les apports de la typologie sont indiscutables, le lecteur reste un peu sur sa faim quant à son principe de construction et quant à sa validation : résulte-t-elle des résultats de l’analyse factorielle des correspondances, ou est-elle construite a priori, et alors la vérification par l’analyse factorielle n’apparaît-elle pas trop évidente ? On peut regretter l’absence de prise en compte systématique du rôle des politiques publiques qui participent pourtant à la structuration du système d’emploi et des politiques d’entreprises. On se demandera également si la variable « entreprise » n’est pas surdéterminante des types d’intégration professionnelle et si l’auteur n’a pas tendance à se référer parfois, implicitement, au modèle de l’intégration assurée pendant les « Trente Glorieuses », en universalisant un rapport au travail et à l’emploi qui de fait était surtout masculin.

9Les multiples interrogations que suscite l’ouvrage sont inévitables du fait de l’ambition même de l’auteur : proposer un cadre théorique susceptible d’analyser les mécanismes d’intégration professionnelle, conciliant une approche « subjective » des conditions de travail et d’emploi des salariés et une approche « objective » des forces économiques et sociales à l’œuvre depuis 20 ans en France. On ne peut que saluer cette initiative débouchant sur un ouvrage stimulant, tant la précarité au travail et dans l’emploi reste encore inexplorée à bien des égards.

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Pour citer cet article

Référence papier

Catherine Faure-Guichard, « Serge Paugam, Le salarié de la précarité. Les nouvelles formes de l’intégration professionnelle »Sociologie du travail, Vol. 43 - n° 2 | 2001, 278-280.

Référence électronique

Catherine Faure-Guichard, « Serge Paugam, Le salarié de la précarité. Les nouvelles formes de l’intégration professionnelle »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 43 - n° 2 | Avril-Juin 2001, mis en ligne le 14 juin 2001, consulté le 16 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/34997 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.34997

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Auteur

Catherine Faure-Guichard

Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (Lest), 35, avenue Jules-Ferry, 13626 Aix-en-Provence cedex, France.

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Droits d’auteur

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