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AccueilNumérosVol. 43 - n° 4Comptes rendusBruno Péquiniot, Pierre Tripier, ...

Comptes rendus

Bruno Péquiniot, Pierre Tripier, Les fondements de la sociologie

Nathan Université, coll. « Fac. Sociologie », Paris, 2000, 216 p.
Dominique Guillo
p. 555-556
Référence(s) :

Bruno Péquiniot et Pierre Tripier, Les fondements de la sociologie, Nathan Université, coll. « Fac. Sociologie », Paris, 2000, 216 p.

Texte intégral

1L’objectif principal poursuivi dans cet ouvrage à vocation pédagogique consiste à livrer à un public d’étudiants et de jeunes chercheurs un corpus de connaissances générales sur les fondements de la sociologie. Toutefois, ce livre constitue plus qu’un manuel d’histoire de la pensée, si l’on entend par là une galerie de portraits ou une succession de développements thématiques. Insistant sur le fait que la manière dont on reconstitue l’histoire et la logique d’une discipline engage non seulement une conception particulière de cette discipline, mais encore un parti pris en matière de théorie de la connaissance, les auteurs organisent leur exposé autour d’une réflexion épistémologique, qui constitue la trame à partir de laquelle s’ordonne leur présentation des penseurs et des idées. Ainsi proposent-ils, à travers cette présentation, une série de thèses originales, développées sur trois plans connexes, qui apparaissent comme autant de déclinaisons de l’idée de « fondement » évoquée dans le titre : le premier – le plus largement exploré – concerne l’origine de la sociologie ; le second, l’épistémologie des sciences, et, en particulier, des sciences sociales ; le troisième, la nature des liens qui doivent aujourd’hui s’instaurer, selon les auteurs, entre les différentes théories et méthodes sociologiques.

2Sur la question des origines de la discipline, les auteurs insistent sur les liens profonds qui rattachent les œuvres des grandes figures de la sociologie naissante à trois sciences beaucoup plus anciennes – la physique, l’histoire et la biologie – dont ils retracent à grand traits l’histoire. À partir de la physique classique, soulignent-ils tout d’abord, s’est développée une épistémologie déterministe, objectiviste et anhistorique, qui a joué un rôle crucial, dans la mesure où elle a été tenue très longtemps, en particulier à la fin du xixe siècle, pour le modèle par excellence de toute démarche aspirant à la scientificité. L’histoire a dessiné quant à elle, depuis Thucydide et Hérodote, une rationalité toute différente, insistant sur la singularité temporelle et géographique des événements et sur leur contingence, recomposant des séquences causales partielles, et soulignant, à l’inverse du modèle physique, les irréversibilités introduites par certaines ruptures, autrement dit la consistance de la durée et du temps. L’une des originalités de l’ouvrage est, sur ce point, de montrer comment cette rationalité propre aux historiens se rattache, par l’intermédiaire des méditations sur l’art de gouverner (Machiavel) ou sur l’art de la guerre (Karl von Clausewitz) aux théories sociologiques insistant sur la singularité des processus d’interactions ou de « frictions » interindividuels. La biologie, enfin, est présentée comme une science auréolée d’un grand prestige au moment où la sociologie prend son essor, mais tendue entre deux conceptions antagonistes, qui ramènent à l’opposition entre physique et histoire : d’un côté un discours tendant à considérer le vivant comme une unité obéissant à un principe de fonctionnement universel (Georges Cuvier et Claude Bernard) ; de l’autre une perspective soucieuse de saisir le vivant dans sa diversité et la singularité de son histoire (Jean-Baptiste de Lamarck et Charles Darwin).

3Selon les auteurs, les « précurseurs » de la sociologie, principalement A. de Condorcet, Adolphe Quetelet, Auguste Comte, Alexis de Tocqueville et Karl Marx, puis les « défricheurs », c’est-à-dire, pour l’essentiel, les ingénieurs Frédéric Le Play, Herbert Spencer et Vilfredo Pareto, et enfin les « fondateurs » proprement dits, Émile Durkheim, Max Weber et Georg Simmel, malgré des différences notables dans le contenu des modèles explicatifs et dans les prédictions, s’efforcent d’élaborer une approche des collectivités humaines, hantée, d’un côté, quoique à des degrés divers, par le modèle de la physique, mais ouverte, de l’autre, à la singularité et l’irréversibilité des événements historiques. Outre cet ancrage dans les modèles de la physique et de l’histoire, les discours sociologiques, ajoutent les auteurs, s’inscrivent dans un champ de pensée polarisé par deux conceptions de la société opposées, héritées de la tradition religieuse : un modèle organique et hiérarchisé, que l’on trouve en particulier chez Thomas d’Aquin, puis dans la Contre-Réforme ; et une conception de la société plus individualiste et égalitariste, issue de la Réforme.

4Les auteurs tirent de cette reconstitution une thèse épistémologique qui rejoint les conclusions formulées naguère par Jean-Claude Passeron : la sociologie serait « une variante conceptuellement musclée » de l’histoire, variante marquée par un souci de théorisation et de généralisation hérité de la physique classique. Puis, élargissant leur réflexion épistémologique, les auteurs soulignent que la biologie et la physique, au xxe siècle, ont abandonné le modèle de rationalité rigide issu de la physique classique, pour reconnaître non seulement la dimension en partie historique, locale et singulière de leurs objets respectifs, mais, également, la nécessité de maintenir en un même ensemble, en cherchant seulement un point minimal de non-contradiction, les oppositions théoriques qui se manifestent entre les différents niveaux d’analyse.

5Signalant cette évolution, parfois méconnue, des principes épistémologiques gouvernant les sciences « dures », les auteurs insistent sur le caractère illusoire du projet positiviste radical issu du Cercle de Vienne et appellent de leurs vœux la reconnaissance, dans le champ de la sociologie, non seulement du caractère historique de l’objet, mais, surtout, de la complémentarité entre les trois grands cadres théoriques, ou niveaux d’approche, traditionnellement opposés – structural, fonctionnel et interactionniste – et entre les différentes méthodes de recherche. Sur ce dernier point, ils font remarquer que la « théorie ancrée (grounded theory) » développée à partir de Barney G. Glaser et Anselm Strauss constitue un cadre méthodologique répondant aux canons d’un tel « principe de complémentarité ».

6Une telle conception de la science et de l’épistémologie justifie en retour la ligne directrice de l’ouvrage : la logique et les fondements d’une discipline se laissent saisir à travers l’histoire des « exemplaires » de théories, selon l’expression de Thomas S. Kuhn, qui ont contribué à la constituer. Cette ligne directrice générale permet aux auteurs de replacer la présentation des pensées sociologiques dans une perspective à la fois large et définie et de faire ressortir des traits singuliers, des proximités et des différences originales. Ce faisant, cet ouvrage original et dense, à la différence des manuels procédant par juxtaposition de notices sur les auteurs ou les thèmes d’étude, donne sens à la succession de doctrines qu’il déploie.

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Pour citer cet article

Référence papier

Dominique Guillo, « Bruno Péquiniot, Pierre Tripier, Les fondements de la sociologie »Sociologie du travail, Vol. 43 - n° 4 | 2001, 555-556.

Référence électronique

Dominique Guillo, « Bruno Péquiniot, Pierre Tripier, Les fondements de la sociologie »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 43 - n° 4 | Octobre-Décembre 2001, mis en ligne le 06 décembre 2001, consulté le 10 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/35552 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.35552

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Auteur

Dominique Guillo

SHADYC-CNRS, Centre de la vieille Charité, 2, rue de la Charité, 13002 Marseille, France.

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