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AccueilNumérosVol. 42 - n° 1Comptes rendusMarie-Christine Kessler, Pierre L...

Comptes rendus

Marie-Christine Kessler, Pierre Lascoumes, Michel Setbon, Jean-Claude Thoenig (dir.), Évaluation des politiques publiques

L’Harmattan, Paris, 1998, 350 p.
Jean-Yves Nevers
p. 191-192
Référence(s) :

Marie-Christine Kessler, Pierre Lascoumes, Michel Setbon et Jean-Claude Thoenig (dir.), Évaluation des politiques publiques, L’Harmattan, Paris, 1998, 350 p.

Texte intégral

1En 1997, quelques années après la mise en place d’un dispositif interministériel d’évaluation par le gouvernement Rocard et alors que, comme le note J.‑C. Thoenig, « l’enthousiasme des années 1985–1990 est retombé » (p. 332), un colloque international est organisé par le Groupe d’analyse des politiques publiques. Les actes du colloque publiés dans cet ouvrage collectif, regroupent, outre une brève présentation de l’étude de six programmes d’évaluation réalisée par P. Lascoumes et M. Setbon (1996), treize contributions (dont sept en anglais) émanant essentiellement de chercheurs universitaires et le compte rendu des deux tables rondes qui rassemblaient des élus et des hauts fonctionnaires. Tout cela offre un ensemble diversifié de points de vue orientés autour de trois questions : qu’est-ce que l’évaluation ? À quoi et à qui sert-elle ?

2L’ouvrage n’apporte évidemment pas une réponse simple à ces questions. Si tout le monde s’accorde à dire, avec J. Freick, que le développement de l’évaluation et de l’expertise en général est un aspect du processus de rationalisation de l’action politique, enfermer l’évaluation dans une définition précise est impossible, reconnaît M.-C. Kessler dans son avant-propos. En effet, l’évaluation recouvre une très large gamme de pratiques et de méthodologies dont les contributions montrent qu’elles sont en grande partie dépendantes des objectifs fixés par les commanditaires et de la nature même des politiques évaluées.

3Science appliquée, l’évaluation relève de deux registres : celui de la connaissance scientifique et celui de l’action. Lorsque sa finalité est principalement cognitive, l’évaluation se veut d’abord une mesure objective des performances d’un programme ou d’un service public. Cela peut passer par la mise en place d’une batterie d’indicateurs standardisés ou par une analyse qualitative s’efforçant de restituer la logique complexe qui sous-tend la conception et l’application d’un programme d’action et d’expliquer ses résultats, attendus ou non. Il appartient ensuite au commanditaire de faire ce qu’il veut du produit de l’évaluation et d’assumer les conséquences de sa diffusion, conséquences souvent perturbatrices (voir le cas présenté par G. Meublat), parfois « indésirables » comme le montrent les contributions de Hueytsyh Chen et de N. Carter à propos des indicateurs concernant la toxicomanie dans les écoles de Taiwan ou les performances des universités britanniques.

4Cependant, selon la plupart des coauteurs, l’évaluation n’est pas (ou ne devrait pas être) simplement une connaissance expost des effets d’un programme ou une expertise exante sur l’utilité, la faisabilité et le coût d’un projet mais une intervention directe, « en continu », au cœur même de l’action. Le rôle de l’évaluation est de construire un processus collectif de connaissance et d’apprentissage qui associe tous les stakeholders c’est-à-dire les acteurs impliqués dans un système d’action structuré par un enjeu de politique publique. Adoubés par un commanditaire légitime, forts de leurs compétences d’expert et de leur capacité à rendre plus transparent le jeu des acteurs, les évaluateurs procèdent à l’accouchement progressif de compromis acceptables et de décisions « satisfaisantes ». Cette conception de l’évaluation comme maïeutique experte sous-tend la plupart des approches exposées dans l’ouvrage qu’il s’agisse de l’advocative coalition framework de P. A. Sabatier (Allemagne), de l’« évaluation stratégique » de B. Dente (Italie), de la contingency perspective de Hueytsyh Chen (États-Unis), de l’« évaluation sur mesure » de J. Turgeon (Canada) ou de l’« évaluation pluraliste » de P. Lascoumes et M. Setbon. Finalement, l’évaluation ainsi conçue est comme le dit B. Dente, une nouvelle façon de résoudre les problèmes collectifs et de changer la « gouvernance » de l’action publique.

5Les diverses contributions suggèrent que cette visée cathartique n’est pas toujours compatible avec la dynamique des politiques publiques lorsque sont en cause des intérêts économiques et politiques fondamentaux. L’exemple de la politique de la santé en Allemagne analysée par J. Freick montre que les « évaluateurs » peuvent être non pas les animateurs neutres des forums de discussion et autres arènes de négociation mais les avocats des groupes d’intérêts, chargés de soutenir « scientifiquement » la position de leur commanditaire. Plus largement, le concept d’advocacy coalitions proposé par P. Sabatier prend en compte l’affiliation des experts à des coalitions cimentées par un ensemble cohérent de valeurs implicites. Par ailleurs, les contributions d’E. Maury sur l’attitude pour le moins timide du Parlement français vis-à-vis de l’usage de l’évaluation, de C. Pollitt et H. Summa sur les freins politiques mis au développement de cette fonction dans les grandes institutions de contrôle de différents pays (les Suprem Audi Institutions comme la Cour des comptes en France) confirment le caractère déterminant du contexte politique que les travaux de P. Lascoumes et M. Setbon ont mis en évidence. Enfin, certains propos tenus par les élus ou hauts fonctionnaires aux tables rondes suggèrent que, même s’ils admettent l’utilité de l’évaluation, les « décideurs » n’ont pas l’intention de céder à des professionnels de l’évaluation, extérieurs à leur milieu, la maîtrise de l’action publique. Au ministère de l’Équipement, on enfonce le clou : « au Conseil général des Ponts et Chaussées se trouvent cent cinquante inspecteurs généraux qui ont de l’expérience et le métier des services ».

6La riche variété des contributions rassemblées dans cet ouvrage qui intéressera autant les sociologues de la science et des professions que les spécialistes de l’analyse des politiques publiques et les praticiens de l’évaluation fera d’autant plus regretter qu’aucune conclusion générale ne vienne proposer au lecteur une synthèse des problèmes abordés.

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Bibliographie

Lascoumes P., Setbon M., L’évaluation pluraliste des politiques publiques. Enjeux, pratiques, produits, Gapp-CNRS et Commissariat général du plan, Paris, 1996.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Yves Nevers, « Marie-Christine Kessler, Pierre Lascoumes, Michel Setbon, Jean-Claude Thoenig (dir.), Évaluation des politiques publiques »Sociologie du travail, Vol. 42 - n° 1 | 2000, 191-192.

Référence électronique

Jean-Yves Nevers, « Marie-Christine Kessler, Pierre Lascoumes, Michel Setbon, Jean-Claude Thoenig (dir.), Évaluation des politiques publiques »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 42 - n° 1 | Janvier-Mars 2000, mis en ligne le 23 août 2000, consulté le 19 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/37628 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.37628

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Auteur

Jean-Yves Nevers

Centre d’étude et de recherche, techniques, organisations, pouvoirs Certop, ESA CNRS 5044, Université de Toulouse-le-Mirail 5, allées Antonio-Machado, 31054 Toulouse cedex

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