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AccueilNumérosVol. 41 - n° 2Comptes rendusPhilippe Zarifian, Éloge de la ci...

Comptes rendus

Philippe Zarifian, Éloge de la civilité : critique du citoyen moderne

L’Harmattan, Paris, 1997, 270 p.
Jean-Claude Thénard
p. 214‑216
Référence(s) :

Philippe Zarifian, Éloge de la civilité : critique du citoyen moderne, L’Harmattan, Paris, 1997, 270 p.

Texte intégral

1Voilà un ouvrage à la démarche quelque peu insolite pour un auteur connu comme sociologue du travail industriel. Philippe Zarifian se propose d’aborder de front « la crise de la politique actuelle ». La démarche de cet Éloge de la civilité est résolument théorique et s’inscrit dans une perspective historique qui amène à ce que Aristote y côtoie Hegel, Hobbes s’y frotte à Tönnies, Rousseau vienne répondre à Spinoza tandis que Max Weber y croise A. Harendt et que Marx semble déjà annoncer Habermas.

2Alors pourquoi en proposer le compte rendu aux lecteurs de Sociologie du travail ? C’est que, notamment, les analyses et les concepts développés par Philippe Zarifian dans ses deux précédents ouvrages (Zarifian, 1995) y sont partout présents avec leur objet explicite : le travail. Ce dernier livre intègre donc, et d’une certaine manière continue, la démarche théorique du sociologue du travail, mais avec d’importants déplacements, puisque son objet central est inscrit dans un autre champ : le politique. Ce champ, selon Zarifian ne peut être pensé qu’immergé et imbriqué dans le rapport social de production, aucune alternative à sa crise manifeste ne peut être conçue en dehors de la critique théorique et de la transformation pratique de ce qu’avec Christian Palloix dans un essai de 1998 il appelle l’économique (Zarifian et al., 1998).

3Depuis la philosophie politique anglaise du xviie siècle, l’approche classique du politique met en scène un certain nombre de « figures » et de rapports dont les analyses sont certes constamment reprises, réévaluées et controversées, mais au sein d’un système conceptuel dont l’architecture d’ensemble reste cependant largement admise. Le « peuple politique » s’incarne depuis longtemps dans la figure élémentaire du citoyen, qui fait face au souverain réel, monarque ou État, dans des rapports qui vont de la subordination, imposée autoritairement ou apparemment consentie, à la délégation, selon des modalités institutionnelles plus ou moins « démocratiques » selon les cas ou les auteurs. Trop souvent, c’est de manière disjointe qu’est posée l’existence d’une société civile et d’une société politique. Ce sont ces approches que l’auteur soumet à rude critique afin de proposer une autre démarche théorique. Renouant avec des filiations conceptuelles anciennes (et partiellement délaissées), Zarifian examine les conditions d’une alternative à la crise actuelle. Pour lui, la civilité et la communauté, au sens de Tönnies et Weber, précèdent historiquement, en théorie et en pratique, la « société civile ». La société politique ne « coexiste » pas avec la société civile mais elle en procède grâce à un jeu de médiations complexes et changeantes. L’analyse de ces dernières ne suffit pas pour saisir les ressorts de la crise du politique. Pour comprendre les phénomènes de déstructuration ou de décomposition de la société civile il faut revenir à la notion de civilité, à ses espaces pluriels et ses conditions de possibilité.

4Le livre procède de la manière suivante. Un premier chapitre campe le propos d’ensemble qu’on vient de résumer. Le second s’engage sur une discussion subtile et rigoureuse, « en passant par Marx », des concepts de rapport social, de rapport de production et de rapport économique dissipant au passage quelques confusions et approximations. Cette discussion est précédée d’un bref rappel, apparemment trivial mais dont on sent bien, intuitivement, toute la portée : les individus humains – donc sociaux – doivent « vivre ». D’où le problème de la civilité, vu par Zarifian comme une tension entre la production sociale du « vivre » et une éthique : celle de « la pleine liberté ».

5Dans les deux chapitres suivants, l’auteur propose deux volets étroitement imbriqués. D’une part, la reprise critique des concepts majeurs de l’économie politique classique : valeur d’usage, valeur économique, procès de production et de travail… Le développement de l’analyse opère ensuite un bref détour par la question de la liberté »… puissance d’action avant que d’être éventuellement un droit » et la civilité, qu’a seule fait émerger la modernité, engage et encourage cette puissance d’action à partir de la déclaration sur laquelle elle repose : « tout individu est libre de disposer de soi ».

6D’autre part, la question de la pensée politique moderne est reprise avec les apports fondateurs de quatre auteurs : Hobbes, Locke, Rousseau et Hegel, cette pensée est qualifiée de « théorie classique de la socialisation civile », inscrite dans le rapport social politico‑étatique (tout comme la socialisation salariale correspond, de son côté, au rapport économique) Il résume la séquence (ou logique) conceptuelle de cette théorie « classique », en rupture radicale avec l’ordre théologico‑féodal ancien, par la formule suivante : « Civilité → Citoyenneté → Souveraineté politique → État moderne ». Mais, dit Zarifian, à l’examen des évolutions concrètes du politique moderne on découvre un « ordre hiérarchique fonctionnel » qui obéit à une logique inverse, selon une formule « État moderne → Souveraineté politique → Citoyenneté → Civilité ». Certes, l’exercice des libertés civiles subsiste, mais en quelque sorte « en bout de course » et « rigoureusement encadré et délimité par des normes légales qui émanent du pouvoir étatique ».

7Avec le chapitre cinq, Zarifian retourne à la question de la civilité mais en partant cette fois du monde professionnel qui représente pour lui « …le soubassement irréductible du monde économique ». Deux questions principales organisent cette partie : Qu’est‑ce que travailler ? Qu’en est‑il de la civilité et de la citoyenneté dans le travail ? Philippe Zarifian réaffirme là, avec des formulations condensées, que « …le travail contemporain contient déjà tous les éléments pour être pensé dans les termes de l’action, et apparaître comme un lieu de déploiement de la liberté ». Il en conclut, novation radicale en termes de point de vue, que, en lui‑même, « …le travail (contemporain) contient une dimension d’action politique ».

8Les « attentes » des individus, comme producteurs et usagers, se heurtent aujourd’hui à la dégradation du « vivre ». Ces attentes doivent être collectivement confrontées, discutées et critiquées : c’est par cette voie que, pour Zarifian, on peut passer de l’analyse de la civilité à une reformulation de la citoyenneté.

9La dernière partie conclusive de l’ouvrage, ouvre la réflexion sur une nouvelle conception de la notion de « Peuple », et à partir d’une relecture de Tönnies des concepts de communauté et de société.

10L’auteur revisite ainsi la notion de communauté et opte pour sa « reconstruction ouverte » contre les tentatives « d’aménagement » d’une société marquée par de fortes pesanteurs conservatrices et naturalistes, handicapée par son étroitesse, à l’heure de la globalisation, de la mondialisation alors même que nombre de problèmes se posent à l’échelle de l’humanité tout entière : pauvreté, pollution, santé, etc. La question décisive est alors celle du « peuple », au sens de Rousseau, « formé de l’ensemble de ceux qui acceptent de se réunir pour « faire Peuple », réunion elle‑même ouverte aux étrangers, entité mobile puisque constituée autour du projet et de la vie politiques, au sein d’un espace public ».

11On mesure ici l’ambition du propos et du projet qui anime cet ouvrage. Comme le livre emprunte à des sources très variées et à des disciplines diverses, il est des moments où le lecteur doit vraiment « y mettre du sien » pour suivre la pensée de l’auteur dans sa rigueur et ses subtilités. Mais la démarche analytique qui lui est proposée est particulièrement stimulante et les alternatives à la crise du politique - sous la double figure du désenchantement et de l’impuissance - rencontrent un réel intérêt. La sociologie n’est pas seulement explicative ou compréhensive, elle a aussi une vocation critique qui se manifeste ici dans sa confrontation à l’espace du politique et aux penseurs spécialistes de ce domaine.

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Bibliographie

Zarifian P., Le travail et l’événement, L’Harmattan, Paris, 1995.

Zarifian P., Travail et communication, Presses universitaires de France, Paris, 1995.

Zarifian P. et Palloix C., La société post-économique, L’Harmattan, Paris, 1998.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Claude Thénard, « Philippe Zarifian, Éloge de la civilité : critique du citoyen moderne »Sociologie du travail, Vol. 41 - n° 2 | 1999, 214‑216.

Référence électronique

Jean-Claude Thénard, « Philippe Zarifian, Éloge de la civilité : critique du citoyen moderne »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 41 - n° 2 | Avril-Juin 1999, mis en ligne le 05 mars 2000, consulté le 06 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/37741 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.37741

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Auteur

Jean-Claude Thénard

Groupement d’intérêt public Mutations industrielles-Gip Ml CNRS - Le Descartes 129, promenade Michel-Simon 93166 Noisy-le-Grand cedex

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