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AccueilNumérosVol. 63 - n° 1Comptes rendusMichel Dreyfus et Michel Pigenet,...

Comptes rendus

Michel Dreyfus et Michel Pigenet, La CGT en question(s). Regards croisés sur 125 années d’un syndicalisme de transformation sociale

Éditions universitaires de Dijon, Dijon, 2019, 172 p.
Cécile Guillaume
Référence(s) :

Michel Dreyfus et Michel Pigenet, La CGT en question(s). Regards croisés sur 125 années d’un syndicalisme de transformation sociale, Éditions universitaires de Dijon, Dijon, 2019, 172 p.

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Crédits : Éditions universitaires de Dijon

1Cet ouvrage rédigé à l’occasion des 125 ans de la Confédération générale du travail (CGT) offre une synthèse enrichie des nombreux travaux historiographiques déjà existants, croisant le regard de l’histoire et de la science politique. La CGT est présentée comme « le syndicat [français] de référence », du fait de sa longue histoire, de sa culture singulière, de son rôle dans l’obtention des grands acquis sociaux et de son empreinte dans la fabrication des relations professionnelles à la française. Plus précisément, ce livre s’intéresse aux conditions sociales, politiques et organisationnelles qui ont soutenu et parfois affaibli le processus d’institutionnalisation propre à la CGT, entendu ici comme la dialectique entre l’action des militants et adhérents pour s’organiser et se définir et le résultat de cette impulsion sous forme de règles, normes et valeurs partagées. Ce faisant, ce livre éclaire par ricochet les tensions qui traversent les autres organisations syndicales, les difficultés qu’elles rencontrent et les réponses qu’elles y apportent.

2Le premier chapitre du livre est consacré au travail de l’organisation sur elle-même pour maintenir son unité et sa pérennité, au fil de sa longue histoire. David Hamelin montre ainsi comment le choix d’un fonctionnement fédéraliste, appuyé sur deux types de structures de base, territoriale et professionnelle, a permis d’organiser la cohabitation de différentes idéologies (syndicalisme révolutionnaire, réformiste, communiste) et conceptions du syndicalisme (d’industrie, de métier, interprofessionnel), qui ont rarement accédé à l’exclusivité. Ce fonctionnement démocratique s’est aussi accompagné du développement des services confédéraux, à partir de la fin des années 1960, et de l’émergence de deux secteurs spécifiques, ceux de la formation syndicale et des questions juridiques. Cette plasticité organisationnelle a permis l’adaptation des structures de la CGT aux évolutions de son environnement social, économique et administratif ainsi que la régulation démocratique des luttes d’influence internes, même si certaines périodes (1980-1990) ont été marquées par un centralisme plus fort.

3Le second chapitre revient sur les scissions qui ont ponctué la vie de la CGT depuis sa création. Dans ce cadre, Morgan Poggioli rappelle le double héritage de la CGT : celui de la Fédération nationale des syndicats (FNS), créée en 1886 et proche du Parti Ouvrier français, et celui des Bourses du Travail créées en 1892 par des militants anarchistes. Originelle, la question de l’indépendance à l’égard des partis politiques marquera de manière répétée l’histoire de la CGT. Le rapport à l’Union soviétique et au Parti Communiste français (PCF) explique ainsi en grande partie les trois scissions qui ont marqué la CGT entre 1921 et 1947, aboutissant à la création de la CGT-FO (Force ouvrière) en 1948 et à l’instauration d’un pluralisme syndical qui s’accentuera encore avec la création en 1964 de la Confédération française démocratique du travail (CFDT).

4Dans le troisième chapitre, Sophie Béroud explore une question centrale et douloureuse pour le mouvement syndical, celle de sa représentativité sociale. La CGT, comme les autres syndicats, ne représente qu’une faible partie de la population active, avec un taux de syndicalisation de 2,4 % à elle seule, et ne parvient pas à syndiquer une frange importante du salariat — les salariés des petites et moyennes entreprises, les jeunes et les précaires. Pourtant, à d’autres périodes, la CGT avait réussi à construire le syndicalisme « de classe et de masse » qu’elle revendiquait alors. Plusieurs importantes vagues de syndicalisation, souvent associées à des mobilisations de grande ampleur comme la grève de mai-juin 1936, ont permis à la CGT d’atteindre son apogée au début des années 1970. Loin d’être linéaire, ce processus d’expansion s’est accompagné de périodes de repli (1948-1958 par exemple), liées aux scissions évoquées dans le chapitre précédent, mais également au processus de politisation, puis d’institutionnalisation, qui a renforcé les pratiques délégataires et fabriqué un syndicalisme de militants plus que d’adhérents. Ce constat sera encore plus saillant à partir des années 1970. Parallèlement, l’autrice fait le constat d’un rétrécissement de la base cégétiste dans les grandes entreprises industrielles ainsi que dans les entreprises et fonctions publiques, avant la vague de désindustrialisation qui va durablement affaiblir les effectifs ouvriers de la CGT. La décennie 1978-1988 sera celle de la désyndicalisation massive (perte des deux tiers des effectifs), ancrant définitivement la CGT dans le secteur public. Si l’audience électorale de la CGT repose encore très largement sur les collèges ouvriers (masculins) dans l’industrie et les catégories C de la fonction publique, son ancrage est aujourd’hui plus fort du côté des employées et professions intermédiaires travaillant dans les services publics territoriaux et de la santé. À la CGT comme ailleurs, la syndicalisation des travailleurs précaires, mais aussi des jeunes et des salariés qualifiés, est devenue une priorité dans un contexte de forte rotation des adhérents et de poids alarmant des retraités chez les cégétistes (15 %).

5Dans le quatrième chapitre, Michel Dreyfus se penche sur les ambivalences des liens entre la CGT et l’État. Alors que la période récente pourrait laisser penser que la CGT a toujours demandé aux pouvoirs publics de jouer un rôle protecteur contre les excès du libéralisme, l’exploration des périodes antérieures permet de nuancer le propos. De sa création en 1895 au Front Populaire, les relations de la CGT avec l’État ont en effet été marquées par une forte méfiance, la CGT s’opposant à toute intervention publique dans le champ économique et social, perçue comme une ingérence. L’appréciation du rôle positif de l’État et la nécessité de s’engager dans des négociations avec lui se sont imposées lentement, au sortir de la Seconde Guerre mondiale pour consolider les réformes de la Libération, puis pour soutenir les réformes engagées par les socialistes en 1981. Pourtant, la mise en œuvre de politiques néo-libérales ayant comme objectif l’affaiblissement du modèle social français de même que la déstructuration progressive du système de relations professionnelles (décentralisation de la négociation collective, inversion de la hiérarchie des normes) ont réactivé une méfiance profonde à l’égard de l’État, terreau des nombreuses mobilisations sociales qui se sont succédé ces vingt dernières années.

6Le cinquième chapitre apporte un éclairage très complémentaire en insistant sur l’engagement précoce et constant de la CGT dans les pratiques de négociations. Laure Machu rappelle tout d’abord qu’avant la première guerre mondiale, la plupart des grèves se terminaient par la signature d’une convention collective. Celles-ci n’avaient de valeur aux yeux des cégétistes qu’à condition d’être le fruit de la mobilisation ouvrière. Leur extension (au niveau de la branche) par le ministère du Travail a néanmoins été acceptée en 1936. À la sortie de la guerre, la CGT s’est également impliquée dans la mise en œuvre des nouvelles instances de démocratie sociale, qu’il s’agisse des comités d’entreprise ou des organismes paritaires, pratiques qui semblaient contradictoires avec les critiques de la confédération à l’égard du fonctionnement de la sécurité sociale à partir de 1949. Ce décalage entre le discours et les pratiques, en partie lié à la politisation de la CGT dans les années 1950 et à la concurrence avec FO, perçu comme le partenaire du patronat, s’atténuera néanmoins dans les années 1960. Sans rompre avec les pratiques syndicales conflictuelles constitutives de son identité, la CGT est aujourd’hui pleinement engagée dans la négociation collective à tous les niveaux, son taux de signature se rapprochant de celui des autres organisations.

7Dans le dernier chapitre, Jean-Marie Pernot explore les liens de la CGT avec le mouvement syndical international et notamment son investissement durable au sein la Fédération syndicale mondiale (FSM), créée en 1945 et rapidement inféodée à l’Union soviétique. Cette loyauté indéfectible explique non seulement l’isolement durable de la CGT au sein du mouvement syndical européen, mais également sa position anti-européenne sur la période 1950-1992. Cette remarquable continuité conduira la CGT à essayer de sauver la FSM de sa fin programmée ; elle interroge le lecteur quand on sait que le bloc soviétique s’est dissous rapidement à partir de 1989.

8Malgré toutes les tensions (et continuités) idéologiques qui traversent l’histoire de la CGT, Michel Pigenet revient en conclusion sur les invariants de la culture cégétiste, ancrée dans les valeurs de solidarité et de combativité, tout entière occupée à la « double besogne » de défense des intérêts immédiats des salariés et de transformation de la société.

9Ce livre offre une lecture riche de la CGT, de son histoire et de ses histoires, éclairant les processus qui ont permis sa pérennité (son fonctionnement, ses références partagées, ses écoles de formation, ses liens avec le PCF et sa fascination à l’égard de l’Union soviétique), mais également les moments critiques de son histoire. Il propose une analyse nuancée et périodisée du processus d’institutionnalisation qui caractérise la CGT, soulignant à la fois la force historique du modèle et les tensions internes toujours fortes aujourd’hui (Piotet, 2009). Ce livre offre néanmoins peu de réflexions sur la capacité de l’organisation à se « réinventer » et à trouver des réponses à des enjeux critiques pour elle et pour le syndicalisme français. Comment toucher les franges les plus précaires du salariat ? Comment maintenir un double ancrage local et professionnel dans un contexte de restriction des moyens syndicaux ? Quels répertoires d’action sont pertinents dans un contexte de restructurations des services publics, de réforme des protections sociales et maintenant de récession économique ? Par ailleurs, l’entrée méthodologique de l’ouvrage « par le haut » de l’institution — l’action des dirigeants ou l’activité des permanents confédéraux — et la focale mise sur les dimensions formelles de l’organisation offrent peu d’analyses sur la façon dont les militants et adhérents habitent et font vivre la CGT.

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Bibliographie

Piotet, F. (dir.), 2009, La CGT et la recomposition syndicale, Presses universitaires de France, Paris.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Cécile Guillaume, « Michel Dreyfus et Michel Pigenet, La CGT en question(s). Regards croisés sur 125 années d’un syndicalisme de transformation sociale »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 63 - n° 1 | Janvier-Mars 2021, mis en ligne le 01 mars 2021, consulté le 17 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/38181 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.38181

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Auteur

Cécile Guillaume

University of Surrey
Stag Hill, University Campus, Guildford GU2 7XH
c.guillaume[at]surrey.ac.uk

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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