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AccueilNumérosVol. 41 - n° 4Comptes rendusDominique Raynaud, L’hypothèse d’...

Comptes rendus

Dominique Raynaud, L’hypothèse d’Oxford. Essais sur les origines de la perspective

Presses universitaires de France, coll. « Sociologies », Paris, 1998, 402 p.
Anne Sauvageot
p. 490-491
Référence(s) :

Dominique Raynaud, L’hypothèse d’Oxford. Essais sur les origines de la perspective, Presses universitaires de France, coll. « Sociologies », Paris, 1998, 402 p.

Texte intégral

1Aller à l’encontre de l’idée reçue selon laquelle la perspective serait un système culturel inventé par les peintres du Quattrocento, tel est le défi que lance Dominique Raynaud. Si la plupart des historiens et sociologues de l’art ont en effet jusqu’à ces dernières années insisté sur la rupture esthétique et épistémologique introduite par la Renaissance au point de faire de celle-ci un mythe, la démarche ici se veut au contraire résolument continuiste en montrant l’héritage médiéval et en récusant par le fait même l’arbitraire de la périodisation historique. Selon l’auteur, les peintres du xve siècle ont eu recours à un très large éventail de constructions perspectives, tout autant théoriques qu’empiriques, dont certaines ont été utilisées dès la fin du xiiie siècle. Le livre retrace ainsi les courants de diffusion qui se sont établis entre l’optique élaborée à Oxford et les premières représentations picturales italiennes obéissant aux règles de la perspective linéaire. Il établit à ce propos le rôle prépondérant exercé par l’ordre franciscain tant dans l’invention que dans la transmission et la réception de ce système culturel.

2La thèse pourrait apparaître par trop ambitieuse si elle ne s’appuyait sur une solide documentation et un ensemble de méthodes très fines. En s’inscrivant dans une sociologie du faire en prolongement du « programme fort » de la sociologie des sciences, Dominique Raynaud adopte en effet une approche connexionniste qui s’attache moins à la compréhension du contexte social ‒ le milieu et l’ambiance dans lesquels évoluent les acteurs ‒ qu’elle ne vise une analyse exclusive des processus effectifs de transmission. Le principe retenu consiste à tisser un réseau de connexions autour des acteurs principaux de la perspective ‒ Brunelleschi, Alberti, Piero della Francesca, Leonardo da Vinci pour la Renaissance mais aussi Robert Grosseteste, Bartholomew of England, Roger Bacon, John Pecham pour le Moyen Âge ‒ en départageant celles qui sont effectives et déterminantes de celles qui doivent être passées sous silence. Que la papauté ait été liée, par exemple, à la grande bourgeoisie florentine importe peu en soi. Ce qui importe, souligne l’auteur, « c’est de savoir si des livres, alors en possession de certains prélats, sont passés aux mains des artistes florentins ». Et de fait, le caractère probant des connexions est apporté par la présence de « traceurs » linguistiques ou graphiques, autant d’indices ‒ groupes de mots, répétition d’un motif pictural, etc. ‒ qui permettent d’attester la réalité d’une transmission. Sont ainsi examinés minutieusement les pratiques – les tableaux, les expériences, les traités – mais aussi les agents et les facteurs sociaux qui ont pu contribuer à l’invention et à la diffusion du système perspectif ‒ l’humanisme, l’argent, la transmission.

3Outre l'intérêt indéniable que représente la mise à jour des filiations et des interactions ‒ les parentés scientifiques, la circulation des savoirs, les influences religieuses, les ressources et les contraintes économiques… ‒ l’ouvrage de Dominique Raynaud présente par ailleurs l’avantage de renouveler la réflexion théorique sur les mutations culturelles et le changement social. Si les thèses discontinuistes ‒ Canguilhem, Kuhn ou Foucault ‒ permettent, en clarifiant les périodes, « de ne pas confondre des conceptions qui ne se doivent rien les unes aux autres », elles occultent cependant le travail sous-terrain de « bifurcations » successives dont le cumul dessine une tendance à l’œuvre. Toute la difficulté réside alors dans la tâche de sélection et de description de micro-inventions qui, à petite échelle, s’inscrivent dans un ensemble chaotique. Le parti pris méthodologique ‒ celui notamment des traceurs sociologiques ‒ est sans aucun doute un moyen possible de rendre compte de cheminements culturels qui pour être en filigrane n’infléchissent pas moins pour autant le cours de l’histoire.

4On pourra cependant regretter que n’ait pas été évoquée au cœur de cette dynamique l’évolution des schémas perceptifs. S’il est fait en effet une large part à la transmission des savoirs ‒ les traités et les expériences ‒ de même qu’aux conditions externes de leur diffusion, la question de l’intériorisation progressive de schèmes visuels demeure éludée. On peut pourtant poser l’hypothèse selon laquelle tout système représentatif, aussi dépendant soit-il d’un état des connaissances, n’en exprime pas moins la façon dont un monde est vu. Et à ce titre sans doute peut-on considérer les premières ébauches des perspectives du xiiie siècle comme un apprentissage visuel normatif des plus stimulants pour les générations suivantes. Mais c’est là une réserve mineure, d’une part, parce que voirs et savoirs sont bien difficilement dissociables, d’autre part, parce que les rapports entre la science optique et les techniques de représentation que met en relief le livre de Dominique Raynaud éclairent déjà considérablement la production d’un système culturel auquel notre histoire occidentale doit tant.

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Pour citer cet article

Référence papier

Anne Sauvageot, « Dominique Raynaud, L’hypothèse d’Oxford. Essais sur les origines de la perspective »Sociologie du travail, Vol. 41 - n° 4 | 1999, 490-491.

Référence électronique

Anne Sauvageot, « Dominique Raynaud, L’hypothèse d’Oxford. Essais sur les origines de la perspective »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 41 - n° 4 | Octobre-Décembre 1999, mis en ligne le 05 mars 2000, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/sdt/38868 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.38868

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Auteur

Anne Sauvageot

Centre d’étude des rationalités et des savoirs – CERS Université de Toulouse – Le-Mirail, 5, allées Antonio Machado, 31058 Toulouse cedex

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