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AccueilNumérosVol. 63 - n° 2Comptes rendusNathalie Berny, Défendre la cause...

Comptes rendus

Nathalie Berny, Défendre la cause de l’environnement. Une approche organisationnelle

Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2019, 298 p.
Alexis Aulagnier
Référence(s) :

Nathalie Berny, Défendre la cause de l’environnement. Une approche organisationnelle, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2019, 298 p.

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Crédits : PUR

1Le travail de Nathalie Berny paru en 2019 aux Presses universitaires de Rennes est un ouvrage essentiel à plusieurs titres. Il est en premier lieu une somme extrêmement documentée sur les mouvements sociaux environnementalistes en France. Il retrace l’histoire, depuis leurs fondations respectives jusqu’aux années 2010, de cinq organisations non gouvernementales (ONG) engagées dans la protection de la nature : la Ligue pour la protection des oiseaux, France Nature Environnement, les Amis de la Terre, Greenpeace France et le World Wildlife Fund France. L’histoire de ces ONG est retracée en s’appuyant sur un corpus d’une cinquantaine d’entretiens, réalisés avec les salariés et responsables de ces organisations, ainsi qu’à partir d’un important travail d’archive. Cet ouvrage constitue en ce sens une ressource salutaire pour l’ensemble des chercheurs en sciences sociales qui croisent sur leurs terrains respectifs ces organisations toujours plus impliquées dans la fabrique des politiques publiques. Il donne à voir de manière fine les passés contrastés d’ONG qui, parce qu’elles font régulièrement alliance dans des arènes de concertation ou prennent ensemble la parole dans le cadre de controverses médiatiques, peuvent être réduites à un bloc homogène.

2L’autrice propose dès le début de son ouvrage un pas de côté par rapport à une série d’approches mettant l’accent sur les ressemblances entre associations environnementalistes. Elle reconnaît une « coïncidence chronologique » (p. 15) dans l’histoire de ces organisations et des similarités croissantes dans leurs modes d’intervention, mais se montre critique des approches en termes de convergence, qui s’appuient pour expliquer ces ressemblances sur de grands processus homogènes et se montrent inattentives aux disparités qui existent entre ces organisations. Son ambition est d’expliquer de manière fine les trajectoires de ces ONG sans céder aux grands récits de la normalisation.

3Pour atteindre cet objectif, Nathalie Berny développe un cadre théorique original, qu’elle présente dans le premier chapitre de l’ouvrage. Elle fait principalement appel à deux ensembles de littérature : la sociologie des organisations et le pragmatisme philosophique. Son ambition, en s’appuyant sur ces deux traditions, est de porter une attention particulière aux activités concrètes des membres de ces différentes ONG. La sociologie des organisations lui permet de se montrer attentive à l’ensemble des ressources dont disposent les acteurs engagés dans ces associations ainsi qu’aux contraintes auxquelles ils sont soumis. L’autrice revendique dans ce chapitre introductif un intérêt à la fois pour les facteurs externes et pour les facteurs internes. L’organisation est travaillée par son milieu et par ses publics, c’est-à-dire l’ensemble des acteurs auxquels elle destine son action. Mais l’organisation est également influencée par sa structure même, qui produit des effets de long terme. Le recours au pragmatisme philosophique permet à l’autrice de mettre en avant un intérêt particulier pour la réflexivité des acteurs et pour la manière dont cette réflexivité influe sur le cours de leur action, dans un aller-retour permanent. Ces deux approches s’incarnent en un concept qui occupe une place importante dans le livre : celui de compétence distincte. Il a pour objectif d’hybrider de manière opérationnelle les approches hétérogènes qui nourrissent la démarche de Nathalie Berny. Ce concept désigne le mode d’intervention propre à chaque ONG mais également la manière dont celui-ci est projeté et constamment réévalué par les membres de chacune de ces organisations. Analyser les compétences distinctes permet de saisir les idiosyncrasies de chaque structure, la place de chacune d’entre elles dans un environnement concurrentiel et la manière dont ces différences influencent l’activité des membres de ces ONG.

  • 1 Le Grenelle de l’Environnement est un processus de concertation qui s’est déroulé au tout début du (...)

4Les cinq chapitres qui forment l’argument de l’ouvrage sont organisés de manière à la fois chronologique et séquentielle. On suit au fil du livre le développement des cinq ONG étudiées, entre leurs fondations et les années 2010. Mais les différents chapitres ne sont pas strictement bornés chronologiquement : ils correspondent plutôt à des séquences traversées par l’ensemble de ces cinq ONG, parfois de manière désynchronisée. Le deuxième chapitre est consacré à l’émergence de ces organisations, souvent liée à une expérience fondatrice au cours de laquelle chaque structure identifie des compétences spécifiques et des publics visés. Le troisième chapitre correspond à la mise à l’épreuve de ces choix initiaux dans la poursuite de l’activité et dans la phase de formalisation qui accompagne la croissance de ces ONG. Une attention particulière y est portée aux rapports contrastés entretenus avec les bénévoles. Le quatrième chapitre est consacré aux phases de professionnalisation de chacune de ces cinq ONG. Le cinquième chapitre part d’un constat : la diversification des enjeux et publics auxquels sont confrontés ces mouvements à partir des années 2000, alors que la question environnementale connaît une attention croissante à la fois dans le débat public et dans la sphère politique. L’argument défendu dans ce chapitre est celui d’une relative convergence sous l’influence de ces sollicitations croissantes. Le sixième et dernier chapitre s’intéresse spécifiquement à un moment essentiel dans l’histoire récente de ces ONG : le Grenelle de l’Environnement1. Ce processus de concertation reconfigure les rapports des mouvements à leurs publics respectifs et entraîne une redistribution des compétences, au même titre que l’importance croissante de missions nouvelles.

5Sous ses abords chronologiques, ce plan sert admirablement le propos de l’ouvrage. En isolant ces cinq séquences et les réponses différenciées apportées par chacune des ONG, l’autrice parvient à rendre très facilement visibles leurs spécificités. Ce plan lui permet de bien montrer comment différents choix stratégiques ou organisationnels ont des conséquences de long terme. Nathalie Berny démontre de manière très convaincante que, confrontées à des enjeux homogènes, des organisations aux passés contrastés connaissent des trajectoires d’institutionnalisation sensiblement différentes. L’ouvrage est à ce titre une grande réussite.

6Deux points méritent en revanche discussion. Le premier est étroitement lié à la grande force de l’ouvrage, qui est de battre en brèche des registres explicatifs totalisants. Nathalie Berny se montre par exemple critique des approches en termes de « structures des opportunités politiques », qui mettent l’accent sur l’ensemble des contraintes extérieures auxquelles sont soumis les mouvements sociaux. Son propos est justement de montrer que des contextes politiques, économiques ou culturels semblables n’aboutissent pas aux mêmes conséquences organisationnelles. En se focalisant sur l’interface entre l’intérieur des ONG et leur environnement politique, l’autrice invite dans l’analyse de très nombreux facteurs. Si cette démarche éclaire nettement les apories des approches dont le livre se fait le contrepied, elle peut avoir tendance à confronter le lecteur à une prolifération des facteurs explicatifs. La prise au sérieux de l’intrication de facteurs organisationnels et exogènes révèle des mécanismes causaux particulièrement heuristiques, mais les multiplie sans en proposer de hiérarchisation. Cette profusion éclipse par moments l’argument directeur de l’ouvrage, pourtant très clair.

7La deuxième remarque est liée au recours à la littérature pragmatiste. Les références mobilisées en ce sens, qui servent à construire le cadre théorique propre à l’ouvrage, sont majoritairement issues de la composante philosophique de ce mouvement de pensée. Une place centrale est ainsi accordée au travail du sociologue allemand Hans Joas, exégète de la première génération de philosophes, psychologues et anthropologues pragmatistes (Charles Sanders Peirce, John Dewey, William James, George Herbert Mead). Mais Nathalie Berny n’évoque jamais la sociologie pragmatique française, aussi appelée sociologie des épreuves, développée autour des années 1990 en s’appuyant en partie sur ce pragmatisme philosophique américain. Cette absence est d’autant plus dommageable que la notion d’épreuve aurait pu s’intégrer aisément à l’argument général de l’ouvrage. Elle aurait notamment pu venir prolonger et clarifier le concept de compétence. L’épreuve, c’est le moment où les représentations des acteurs se confrontent à des contradictions, qui aboutissent à une reconfiguration du cours de l’action et de ses significations. C’est bien à une série d’épreuves que sont confrontés les membres des cinq ONG, notamment dans les processus de réajustements continuels des « compétences projetées ». En se rattachant plus explicitement à cette notion, l’ouvrage aurait pu s’installer de plain-pied dans une tradition sociologique dynamique et clarifier son ancrage dans l’héritage pragmatique.

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Notes

1 Le Grenelle de l’Environnement est un processus de concertation qui s’est déroulé au tout début du mandat de Nicolas Sarkozy, à l’automne 2007. Cet événement, proposé à l’origine par un groupement d’ONG environnementales, était devenu une importante promesse de campagne du candidat. Si le bilan du Grenelle fait l’objet de controverses, il a été à l’origine d’une implication politique sans précédent des ONG.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alexis Aulagnier, « Nathalie Berny, Défendre la cause de l’environnement. Une approche organisationnelle »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 63 - n° 2 | Avril-Juin 2021, mis en ligne le 07 juin 2021, consulté le 26 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/39260 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.39260

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Auteur

Alexis Aulagnier

Centre Émile Durkheim
Sciences Po Bordeaux
11, allée Ausone – Domaine universitaire – 33607 Pessac Cedex, France
alexis.aulagnier[at]gmail.com

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