Julie Pollard, L’État, le promoteur et le maire. La fabrication des politiques du logement
Julie Pollard, L'État, le promoteur et le maire. La fabrication des politiques du logement, Presses de Sciences Po, Paris, 2018, 216 p.
Texte intégral
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1L’ouvrage de Julie Pollard poursuit deux objectifs. Le premier est d’analyser les transformations des politiques du logement à travers la montée en puissance, durant les trois dernières décennies, des dispositifs fiscaux incitant à l’investissement locatif. Ces dispositifs bénéficient à la fois aux ménages désirant se constituer un patrimoine immobilier pour le louer et aux promoteurs se spécialisant dans la construction de logements « défiscalisés ». Le second objectif est de montrer que si les promoteurs immobiliers privés ont vu leur poids s’accroître dans la production de logements (y compris sociaux), les régulations marchandes ne dominent pas. Au niveau national comme au niveau local, les régulations politiques restent en effet très présentes. Les promoteurs, en particulier les plus grands (Nexity, Bouygues Immobilier, Kaufman and Broad, Altarea Cogedim, Vinci Immobilier, etc.), sont certes devenus des acteurs incontournables des politiques du logement, mais ils ne sont pas pour autant en mesure d’imposer leurs vues et leurs intérêts.
2Le thème des « niches fiscales » est plus particulièrement abordé dans les chapitres 4 (« L’essor des niches fiscales : influence des promoteurs versus logiques politiques ») et 6 (« La capacité de mise en œuvre des promoteurs immobiliers »), tandis que les relations entre l’État, les maires et les promoteurs sont au cœur des chapitres 3 (« Comment l’État encadre les promoteurs immobiliers ») et 5 (« Le pouvoir des élus face aux promoteurs immobiliers »). Les chapitres 1 et 2 sont quant à eux respectivement consacrés à la présentation des grands promoteurs et, en amont, à l’émergence et au développement de la promotion immobilière en France depuis les années 1950.
3À partir des années 1990, l’essor des niches fiscales correspond à une nouvelle inflexion dans les politiques du logement, après celle marquée par le développement des aides à la personne au détriment des aides à la pierre à l’issue de la loi de 1977. Parallèlement aux mesures de TVA à taux réduit pour les travaux d’amélioration des logements et aux prêts à taux zéro, ont été mis en place des dispositifs d’incitation à l’investissement locatif dont la liste est déjà longue (Quilès, Méhaignerie, Périssol, Besson, Robien, Borloo, Scellier, Duflot, Pinel, etc.). Durant la période, chaque gouvernement ou presque a apporté des modifications aux dispositifs existants tout en en reconduisant le principe. En 2013, ces dispositifs pesaient 14,5 milliards d’euros, contre 19,9 milliards pour les aides à la personne et seulement 3,4 milliards pour les aides à la pierre. Comme toute dépense fiscale, ces dispositifs non contingentés sont plus aisés à introduire pour le ministre du logement que des dépenses budgétaires. Ils permettent d’agir à court terme sur la construction en faisant appel à la réactivité des acteurs du marché et des investisseurs. Durant la période 1995-2015, entre 32 % et 64 % des logements produits par les promoteurs bénéficiaient d’avantages fiscaux.
4Julie Pollard montre que cette politique poursuit plusieurs objectifs. Elle vise à augmenter l’offre de logements disponibles à la location tout en orientant l’épargne des ménages vers la pierre pour financer la construction. Elle constitue un instrument de soutien au marché, en particulier dans les périodes de repli de l’activité. Et lorsqu’ils sont assortis de niveaux de loyers plafonds (variables selon la zone géographique), les dispositifs mis en place permettent de cibler les destinataires des logements produits.
5La promotion des dispositifs fiscaux d’incitation à l’investissement locatif, qui profitent certes aux ménages mais plus encore aux entreprises du secteur immobilier, conduit légitimement à poser la question du pouvoir d’influence des promoteurs sur les politiques du logement. S’ils en sont de fervents défenseurs, les promoteurs ne sont pas à l’origine de ces dispositifs. Julie Pollard souligne que « les politiques du logement influencent davantage les promoteurs que l’inverse ». L’État garde en effet la main en matière de définition des objectifs, de ressources et de conception des instruments de politiques publiques. De son côté la Fédération des promoteurs constructeurs ne semble pas avoir une forte capacité de lobbying.
6La question des régulations politiques de l’activité des promoteurs se joue également au niveau local. Qu’en est-il des rapports de force entre le maire et les promoteurs ? Dans la mesure où il octroie le permis de construire, où il pèse sur l’élaboration des Plan locaux d’urbanisme et peut encadrer la construction à travers la procédure des zones d’aménagement concerté (ZAC), le maire dispose d’importantes ressources face aux promoteurs. Ce constat est confirmé par l’analyse approfondie des relations entre maires et promoteurs dans deux communes de banlieue parisienne : Issy-les-Moulineaux et Saint-Denis. Localement, les promoteurs cherchent à influer sur les décisions des maires à travers les relations informelles et suivies qu’ils entretiennent avec eux. Les négociations peuvent porter sur le prix de sortie des logements, leur typologie, les normes architecturales et environnementales, ou encore les quotas de logement sociaux de plus en plus produits en VEFA (vente en l’état futur d’achèvement) par des promoteurs privés à la place des organismes HLM. Mais dans les deux cas étudiés, ce sont les élus locaux qui restent les maîtres du jeu. Les promoteurs doivent en effet « coller à la vision de la ville qu’a l’élu » (p. 143). Il leur faut rester jusqu’au bout dans un jeu coopératif, sous peine d’être « bannis » du territoire. Et plus une commune est attractive, plus les promoteurs sont en concurrence les uns avec les autres pour faire partie de la liste restreinte de ceux avec qui le maire souhaitera travailler. Ceci révèle le pouvoir du politique dans le système d’interdépendance entre maire et promoteurs.
7Julie Pollard pointe néanmoins du doigt le décalage entre le peu d’influence des promoteurs dans la définition des politiques du logement et leur rôle déterminant dans la mise en œuvre de celles-ci. On observe en effet le développement d’une « régulation par délégation », fruit à la fois du volontarisme politique en matière de construction de logements et des contraintes pesant sur les finances publiques. L’État et les collectivités locales délèguent ainsi aux promoteurs la mise en œuvre de leur politique, afin de remplir les objectifs en matière d’investissement locatif pour le premier et de répondre aux besoins locaux de logements sociaux pour les secondes. La montée en puissance des promoteurs dans le cadre de la régulation par délégation se traduit-elle par la prise de pouvoir des acteurs du marché ? La réponse est marquée par une forme d’ambivalence. Si au niveau local, le rapport de force reste en faveur des maires qui délivrent les permis de construire, plus globalement on peut observer un renforcement du « pouvoir structurel » des promoteurs dans la mesure où ils occupent une position de plus en plus incontournable dans la mise en œuvre des politiques du logement. Les acteurs politiques sont de ce fait dans une situation de dépendance vis-à-vis d’eux. Pourtant, montre Julie Pollard, on ne peut pas parler dans le cas français de domination du marché, contrairement à ce qui est véhiculé par les travaux anglo-saxons mettant largement l’accent sur la mainmise des promoteurs sur la ville. Et c’est là l’un des apports principaux de l’ouvrage : montrer que le cadre national compte dans la manière dont sont conduites les politiques urbaines.
8Concernant la mise en œuvre des dispositifs de soutien à l’investissement locatif, Julie Pollard montre qu’elle complexifie les politiques du logement en instituant un pilotage à distance de l’État, sans véritable suivi ni possibilité d’évaluation. Se pose tout particulièrement le problème de l’articulation entre les politiques nationales et les politiques locales du logement. Au niveau national, priment les objectifs quantitatifs de production de logements. Mais les différents dispositifs incitatifs sont relativement « aveugles aux territoires », malgré l’existence d’un zonage permettant de calibrer la production. Ceci a conduit à des situations de surproduction dans le cas des marchés détendus alors que la production reste insuffisante en zone tendue (en particulier dans les métropoles). Vendus avant tout comme des produits fiscaux, les logements produits peuvent donc ne pas bien cibler la demande locale en termes quantitatifs ou de solvabilité. L’État n’exerçant pas de contrôle direct sur les dispositifs fiscaux, leurs effets dépendent de la pertinence ou non des choix des promoteurs et des investisseurs. Et dans les villes petites ou moyennes, les élus ont fait preuve d’une moindre capacité à réguler l’activité des promoteurs. Ces derniers ont cherché à maximiser l’avantage fiscal pour un coût de revient le plus faible possible, ce qui explique l’accent mis sur les marchés détendus et sur la production de petits logements. L’instrument, conclut Julie Pollard, paraît échapper au pouvoir politique qui l’a instauré.
9À l’issue de cette présentation, plusieurs remarques peuvent être faites. Sans doute l’architecture du livre, qui alterne entre le questionnement sur le pouvoir des promoteurs et l’analyse des dispositifs fiscaux d’incitation à l’investissement locatif, ne fait-elle pas assez clairement ressortir laquelle des deux thématiques est la plus centrale. Ensuite, les analyses éclairantes tirées des enquêtes de terrain menées à Saint-Denis et Issy-les-Moulineaux auraient mérité d’être plus développées. Mais l’on peut aussi se demander si, en raison des fortes spécificités de ces deux communes franciliennes, avec à leur tête des maires bâtisseurs, il n’aurait pas également été utile d’analyser les relations entre maires et promoteurs dans des configurations plus favorables à ces derniers. Car, comme le souligne Julie Pollard, les rapports de force entre maires et promoteurs varient selon la taille des communes, leur localisation, leur attractivité, le degré d’expertise des services municipaux ou encore la stabilité politique des élus. Enfin, la question des zonages géographiques et de leur évolution au cours du temps aurait pu être approfondie. Car il s’agit bien là d’un instrument d’action publique décisif dans la mise en œuvre de la politique de soutien à l’investissement locatif, mais aussi pour l’attribution du prêt à taux zéro (PTZ) et celle des logements sociaux.
10In fine, l’ouvrage se révèle indispensable pour comprendre le rôle des promoteurs marqué par leur faible capacité à peser sur les politiques nationales mais entretenant des liens très resserrés avec les élus locaux. Il participe du regain d’intérêt pour cette activité économique qui, depuis les travaux de Christian Topalov, avait connu trois décennies de désaffection.
Pour citer cet article
Référence électronique
François Cusin, « Julie Pollard, L’État, le promoteur et le maire. La fabrication des politiques du logement », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 63 - n° 2 | Avril-Juin 2021, mis en ligne le 08 juin 2021, consulté le 09 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/39290 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.39290
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