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Crédits : Presses universitaires de France

1L’enquête proposée par Anne-Claudine Oller, ne fut-ce que parce qu’elle est la première sur le sujet, se révèle être une référence essentielle. Elle se situe dans une perspective compréhensive et critique et vise à « ouvrir la boîte noire du coaching » (p. 14). Mobilisant un matériau abondant (entretiens semi-directifs avec 30 coachs scolaires, 10 jeunes coaché·es et 7 parents ; analyse de 173 dossiers d’un institut de coaching et de 52 dossiers d’une coach indépendante ; observation participante à 4 séances de coaching d’une coach indépendante et 6 séances de coaching scolaire en tant que coachée ; observations dans des salons d’orientation), l’autrice propose de « mettre au jour les caractéristiques de cet accompagnement de la scolarité, les formes qu’il peut prendre, le public concerné (coachs et jeunes accompagnés) et comment il se constitue en un marché scolaire » (p. 14).

2Le premier chapitre s’ouvre sur une contextualisation générale de l’émergence du marché du coaching : recompositions du capitalisme, managérialisation et montée de l’individualisme. Ensuite, l’autrice situe la naissance et la solidification du marché du coaching scolaire à proprement parler. Dans la filiation du coaching en entreprise, le coaching scolaire se caractérise par une double concurrence, d’une part entre les coachs et les autres formes d’accompagnement scolaire, et d’autre part entre les coachs scolaires et les autres coachs (coachs de vie, coachs en entreprise...). Cette offre rencontre une demande d’expertise dans la mise en place de stratégies familiales visant à « effectuer les bons choix d’orientation en vue d’obtenir les bons diplômes » (p. 23).

3Le second chapitre débute par un bref retour sur les origines du coaching scolaire. Si le terme « coaching » fait d’abord son apparition dans le domaine sportif, il pénètre le monde de l’entreprise à partir des années 1980. Aussi, le coaching scolaire, en filiation avec le coaching en entreprise, présente avec ce dernier une proximité tant sur le plan de l’héritage philosophique (la « maïeutique » socratique) que sur celui de ses références à la psychologie comportementale. Les tests de personnalité font partie intégrante de l’outillage des coachs afin de révéler aux jeunes leur « vrai moi », ce qui relève d’une « vision essentialiste et naturalisante de la personnalité des jeunes » (p. 87). Cette offre de « découvrir ce qui serait déjà là » (p. 89) rencontre la demande des jeunes et de leurs parents de découvrir ce à quoi ils seraient « prédisposés » (p. 90).

4Bien qu’il en fasse partie, le coaching scolaire se distingue des autres formes de soutien scolaire « en créant des niches par rapport à ce qui n’est pas traité par les autres formes de soutien à la scolarité [comme l’épanouissement personnel] » (p. 37). La position du coach dans le marché de l’accompagnement scolaire se distingue ainsi de celle du ou de la psychologue (repoussée parce qu’elle appartient au domaine du paramédical), de l’enseignant·e (rattaché à l’institution scolaire et ne proposant pas de solution individualisée) et du ou de la conseillère d’orientation (ayant la réputation de brider les désirs du jeune et de ne pas le comprendre). C’est en se positionnant à la croisée de toutes ces professions que les coachs puisent leur légitimité et se constituent un espace professionnel.

5La thèse centrale du livre, développée dans les chapitres trois et quatre, est qu’il existe une homologie entre les dispositions des coachs et des coaché·es. Aussi, s’il y a certains coaché·es chez qui « “ça percute beaucoup plus”, c’est qu’il y a une convergence entre les habitus des personnes et le discours et le travail des coachs » (p. 239).

6Le troisième chapitre dresse une sociographie des coachs dont les caractéristiques sociales fondent l’expertise et la professionnalité. La majorité des coachs sont des femmes, dont les parents sont issus du « monde de l’entreprise ». Les coachs sont toustes détenteurices de titres scolaires, mais entretiennent un rapport contrarié à ces titres puisque toustes ont repris une formation, académique ou non, y compris la formation de coach qui apparaît comme un moyen de professionnaliser leur activité.

7Paradoxalement et malgré ces caractéristiques sociales homogènes, toustes font reposer la spécificité de leur accompagnement sur des éléments biographiques. Les coachs scolaires mobilisent leur expérience professionnelle, qu’iels considèrent comme « atypique », « non-linéaire », « buissonnante » (p. 123), ainsi que leur expérience en tant que parents. Anne-Claudine Oller dresse quatre profils-types de coachs permettant de mettre en exergue quatre types d’expertise sur lesquels ces dernier·es s’appuient pour légitimer leur pratique. Premièrement, une expertise de l’entreprise qui permet d’orienter les jeunes dans le monde du travail, plus-value par rapport aux conseillers d’orientation et aux psychologues. Deuxièmement, une expertise de professeur·e principal·e, les distinguant des autres coachs, utile pour orienter les élèves tout en conférant une légitimité enseignante. Troisièmement, une expertise de l’enseignement de premier degré pour répondre aux élèves à besoins éducatifs particuliers. Finalement, une expertise de la maternité pour prendre en compte chaque enfant derrière chaque élève en difficulté.

8De manière symétrique, le quatrième chapitre s’intéresse aux dispositions des jeunes et à la rencontre entre ces dernières et celles des coachs. Le chapitre s’ouvre sur une sociographie des coaché·es : le public des coaché·es, tout comme celui des coachs scolaires, est majoritairement issu du pôle privé des strates supérieures de la classe moyenne. L’autrice note que si l’accès au coaching est soumis à la possibilité matérielle d’y recourir, son efficacité repose principalement sur les dispositions des jeunes et des coachs. En effet, le revenu des parents ainsi que les dispositions socio-culturelles des jeunes interagissent avec leurs caractéristiques scolaires. Anne-Claudine Oller identifie trois dispositions dont les coaché·es héritent de leur famille et qui entrent en adéquation avec ce que le coaching scolaire propose. L’ensemble de ce travail d’inculcation réalisé par les parents se double d’un travail d’invisibilisation faisant apparaître ces dispositions comme « naturelles ».

9Premièrement, la socialisation familiale inculque des dispositions au « dépassement de soi » que le coaching scolaire révèle et active. Cette disposition se remarque notamment au travers de l’attrait pour les pratiques sportives non pas comme compétition contre les autres, mais contre soi-même. Ensuite, les coaché·es sont en recherche d’« autonomie », entendue comme capacité à « faire seul·e », qui s’incarne paradoxalement « dans la possibilité de savoir demander des soutiens plus ou moins ponctuels, plus ou moins durables. Ceux-ci sont aussi pensés et considérés comme permettant de les aider à révéler leur personnalité, les conduisant à la réalisation de soi et à l’épanouissement personnel » (p. 229). Finalement, les jeunes se mettent « en quête de leur propre épanouissement personnel », faisant ainsi « écho à l’injonction du coaching à la réalisation de soi » (p. 229).

10Comme le note l’autrice, les jeunes qui se dirigent vers le coaching scolaire ne sont pas nécessairement en situation d’échec, mais appartiennent au « ventre mou » de la classe. Cela tend à montrer que les enjeux du coaching scolaire ne sont pas uniquement des enjeux scolaires, mais qu’il s’y joue autre chose. Cet « autre chose », comme le remarque l’autrice, se repère dans les jeux de langage propres au registre de l’autonomie. En effet, si le terme « autonomie » n’est pas mobilisé comme tel par les coaché·es, celles-ci et ceux-ci emploient des « verbes d’action » issus du registre entrepreneurial (Ehrenberg, 1991 ; Boltanski et Chiapello, 1999) : « “foncer”, “avancer”, “aller de l’avant” » (p. 220). De plus, le coaching comporte une critique intrinsèque à l’encontre d’une école qui, incapable de prendre « chaque individu derrière chaque élève », ne serait pas suffisamment « autonomiste ». On pourrait alors opposer à l’analyse que l’autonomie n’est pas une valeur spécifique aux classes moyennes, mais qu’elle relève d’une aspiration collective (Ehrenberg, 2010) ; et, par extension, que la critique intrinsèque au coaching selon laquelle l’école ne prendrait pas suffisamment en compte l’ « autonomie » ne lui est pas plus spécifique.

11Par ailleurs, l’approche dispositionnaliste retenue par Anne-Claudine Oller tend à occulter les caractéristiques des dispositifs de coaching. Peu de place est finalement laissée aux descriptions de séances, malgré le matériau empirique abondant. L’adjectif « magique » qu’emploient les praticien·nes pour décrire l’effet de leur pratique invite pourtant à s’intéresser aux « conditions liturgiques » (Bourdieu, 1982) du coaching dans lesquelles résident au moins autant que dans les habitus l’efficacité de cet acte « magique ».

12Pour conclure, Le Coaching scolaire ouvre un champ de réflexion sur une pratique scolaire de plus en plus répandue et néanmoins peu étudiée. Cependant, la mobilisation de « l’injonction à la réalisation de soi » comme explicans et non comme explicandum soulève quelques interrogations. Par ailleurs, l’approche par les dispositions tend à occulter le dispositif en lui-même. Il y a là matière à réflexion sur le rôle que joue « l’autonomie » dans la valorisation sociale du coaching comme mode d’action sur autrui efficace et enviable.