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Crédits : Presses universitaires de France

1Dans leur collection « Éducation et société » qui nous a valu ces dernières années plusieurs excellents ouvrages sur les manières dont les scolarités travaillent les familles, les Presses universitaires de France publient Des parents invisibles. L’école face à la précarité familiale. Avec ce livre, Pierre Périer réactualise les réflexions qu’il mène depuis de nombreuses années, déjà jalonnées par une série d’écrits, dont l’ouvrage de référence École et familles populaires. Sociologie d’un différend paru en 2005.

2Organisé en trois parties, l’ouvrage ici soumis à examen porte d’abord le regard sur une condition parentale en proie à la précarité, qu’il s’agisse de l’insécurité des liens ou des positions sociales des parents dont l’invisibilité à l’école constitue, plus qu’une problématique scolaire, un problème public. L’auteur interroge ensuite plus spécifiquement les possibilités et les difficultés qu’ont ces parents à « se convertir » en parents d’élèves. Enfin, la dernière partie du livre rassemble sous les termes de « relation dissonante » une description minutieuse des expériences que nouent ces parents avec l’école.

3Le propos s’adosse à une enquête qualitative qui associe des entretiens semi-directifs conduits avec des parents, des enseignants, des élèves (individuels mais aussi en groupe) et des observations ethnographiques réalisées auprès de trente familles ayant un enfant scolarisé en classe de CM2 ou de sixième dans deux écoles élémentaires socialement contrastées (l’une défavorisée socialement et scolairement, l’autre « mixte ») et un collège en Réseau d’éducation prioritaire (REP). Toutefois, la présentation de l’enquête, c’est-à-dire ses conditions de déroulement, de même que les modes de constitution de l’échantillon, tout autant que l’évocation de la socialisation du chercheur au sein de la population enquêtée, n’arrivent qu’à la fin de l’ouvrage. Or, il aurait pu être envisagé de ne pas restituer « l’enjeu du premier contact » (p. 245) à distance de l’analyse, en ce sens que ces aspects débordent de simples annexes méthodologiques et constituent au contraire un des épicentres de l’analyse.

4La première partie, intitulée « La précarité aux portes de l’école », et la seconde, « Du parent pauvre au parent d’élève, une conversion difficile », réitèrent les constats que Pierre Périer avait déjà établis s’agissant des relations que les familles populaires nouent avec l’école. Dans la seconde partie, le chercheur balaie le spectre des interactions ordinaires des parents précaires avec l’école ; il établit de façon claire et précise en quoi le sens donné à la scolarité par les parents ne peut s’appréhender qu’au prisme des conditions matérielles, culturelles et morales d’existence. Cette partie montre des rapports subjectifs à la précarité en abordant par exemple la précarité du diplôme des parents, celle qui est liée à une possible trajectoire d’échec scolaire, et les restitue en toile de fond dans une analyse de la domination symbolique. D’une façon générale, les deux premières parties de cet ouvrage offrent comme plus-value que le traitement de ces questions suit le cheminement des enquêtés et éclaircit ainsi l’opacité des logiques façonnant les rapports aux scolarités, et notamment à cette norme de participation des parents d’élèves. Le terme de « conversion », choisi par l’auteur pour caractériser ce passage du parent au parent d’élève, apparaît d’ailleurs particulièrement adapté, tant ces rôles ne se superposent pas, et ne vont pas de soi. Pourtant, la recherche de Pierre Périer montre que progresse une norme de proximité entre les familles et l’école. Sans trop la questionner, les parents, auxquels s’attache l’auteur, ont pourtant intériorisé le fait que de cette norme puisse dépendre en grande partie la réussite de leurs enfants. Cette responsabilisation accrue des parents place les moins dotés dans un rôle impossible à tenir, d’où la recherche d’invisibilité.

5Mais c’est la troisième partie qui nous apparaît comme le véritable apport de cet ouvrage en mettant en lumière un autre type de conversion, en éclairant comment la responsabilisation des parents de milieux populaires se mue en responsabilisation de leurs enfants :

« La marginalisation scolaire progressive des parents a pour effet, d’une part, de les disqualifier symboliquement en les renvoyant au constat de leur impuissance et, d’autre part, de faire porter à l’enfant, bien malgré lui, la charge et la responsabilité de sa scolarité » (p. 184).

6Pierre Périer éclaire brillamment le répertoire ambivalent auquel sont confrontés les enfants de familles populaires s’agissant de leurs scolarités : solitude face au travail personnel, médiation en porte-à-faux entre la famille et les acteurs éducatifs, solitude scolaire. Cette partie décrit l’autonomisation précoce à laquelle sont soumis les enfants de milieux populaires et de décrochage parental scolaire. Au-delà de l’examen de ces rapports à partir du point de vue de l’enfant, Pierre Périer précise cette place de l’enfant considérant l’âge de ce dernier, montrant ainsi, témoignages de garçons de classe de CM2 à l’appui, que l’enfant grandissant ne fait pas que transmettre et réceptionner des messages, mais « négocie au travers de ce rôle sa place et son image dans les rapports entre les parents et l’école » (p. 190).

8Une dernière remarque, certes marginale, à propos de cet ouvrage tient à l’étonnement que l’on peut avoir quant au fait que Pierre Périer ne mobilise pas d’autres travaux récents, portant pourtant sur des terrains et des questionnements très proches, à l’instar de ceux conduits par Jean-Paul Payet ou Julie Pelhate sur des dispositifs école-famille. Ces travaux auraient pu offrir une comparaison internationale, tout en renforçant les arguments de Pierre Périer.