Olivier Chadoin, Sociologie de l’architecture et des architectes
Olivier Chadoin, Sociologie de l’architecture et des architectes, Éditions Parenthèses, Marseille, 2021, 216 p.
Texte intégral
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1Issu d’un travail d’habilitation à diriger des recherches présenté en 2018, Sociologie de l’architecture et des architectes, d’Olivier Chadoin, est un ouvrage publié aux Éditions Parenthèses qui présente, en huit chapitres, une synthèse, par étapes successives, d’un ensemble de travaux sociologiques relatifs à l’architecture et aux architectes. Dans un propos clair, reposant sur une bibliographie solide, et s’appuyant sur une longue expérience d’enseignement et de recherche, l’ouvrage situe cet ensemble de travaux de la sociologie française au regard d’« une tradition sociologique » (p. 6), selon l’expression heuristique de Christian Topalov reprise dans l’ouvrage. Après avoir dépeint la genèse de la rencontre entre sociologues et architectes en France — un produit de la crise de l’enseignement traditionnel de l’architecture et des réformes ultérieures qui, après 1968, ont renouvelé la pratique de l’enseignement dans les écoles et universités —, et documenté les modalités de cette rencontre au cours des dernières décennies, l’auteur se livre à une sociologie des sociologues eux-mêmes (chapitre 1) et définit ainsi également les perspectives de recherche qui guident les approches sociologiques de l’architecture et des architectes.
2Olivier Chadoin retient ainsi trois domaines d’analyse, qui engagent des pratiques de recherche entretenant une certaine porosité entre elles, mais suffisamment denses pour justifier des présentations spécifiques. Ces domaines d’analyse sont, en somme, l’objet architectural, les usages de l’architecture et le travail des architectes. Pour chacun de ces domaines, l’ouvrage expose des propositions sociologiques particulières.
3Le chapitre 2 porte sur le premier horizon d’analyse, et déploie un regard informé sur la manière dont évolue la sociologie de l’objet architectural, documentant la façon dont elle s’est constituée à partir d’un registre essayiste et par le développement progressif d’une pratique d’enquête, mettant en avant l’étude des « homologies de structure » entre le bâti et les représentations collectives (p. 53), l’analyse du « type architectural » et l’investigation de l’espace comme expression matérielle collective de la culture (dans un registre, à bien des égards commun à l’anthropologie de l’espace). Le chapitre 3 prolonge la discussion autour du premier horizon de recherche, mais l’articule, progressivement, avec le second, en ouvrant la discussion à la problématique de la réception de l’objet architectural et, surtout, de ses usages. Dans ce troisième chapitre et le suivant, le livre présente un cadre ancien et stabilisé de raisonnement sociologique. Celui-ci s’oriente, tout d’abord, vers l’objet architectural comme œuvre résultant d’une construction, avec des cadres, des logiques de réception sur des « scènes » qui sont soumises à l’action de médiateurs et intermédiaires, et qui rapprochent cette sociologie de celle qui est développée à propos de l’art et de la culture.
4L’ouvrage développe ensuite une approche sociologique, au sens large du terme, des processus d’appropriation de l’espace, des usages et des pratiques de l’espace comme habitat, espace de travail et de représentation. Sans perdre de vue les effets de « l’étiquetage » (sous ses différentes modalités, du « stigmate » au « patrimoine ») et leur inscription dans les hiérarchies sociales, l’analyse s’intéresse aux liens entre habitat et relations familiales et aux profils de « compétence » quotidienne que ceux-ci favorisent chez les habitants. Le chapitre 5 explore la dimension symbolique de l’architecture, qui est ainsi progressivement intégrée à l’analyse, articulant la recherche sur les cadres sociaux de production et d’utilisation de l’espace dans une perspective centrée sur les politiques urbaines, plus précisément dans le cadre de la ville néolibérale. La prise en compte de cette dimension appelle une lecture des configurations politiques qui façonnent la formation de la ville contemporaine :
« Ainsi assiste-t-on progressivement en Europe à la disparition d’un modèle d’action sur la ville de type planificateur-hiérarchique au profit d’un modèle d’action de type négocié-pragmatique qui abandonne tout telos unique pour naviguer entre le marché, la société civile et l’histoire » (p. 127).
5En identifiant de grandes étapes qui englobent différentes possibilités d’action, l’auteur évoque la manière dont les architectes se positionnent dans ce cadre : l’émergence d’une concurrence entre les villes basée sur la promotion de « grands projets » et sur la mobilisation d’un star system d’architectes pour leur mise en œuvre ; la redéfinition de la valorisation politique des villes sur la base du tourisme et du patrimoine, avec des impacts importants sur la manière dont elles sont organisées et pensées non seulement en termes politiques mais aussi en termes sociaux et spatiaux.
6L’incursion dans la dimension politique et dans le rapport des architectes avec les transformations auxquelles est soumise la politique des villes apparaît comme le prétexte, en soi très significatif, à une entrée progressive dans le troisième horizon d’analyse du livre, orienté vers l’étude du travail des architectes. Dans un mouvement symétrique à celui entrepris initialement à propos de la sociologie de la rencontre entre sociologues et architecture, les chapitres suivants cherchent à définir les processus de recomposition de la division du travail dans laquelle s’inscrivent les architectes, en les analysant non seulement au regard des mouvements de transformation politique des villes, mais aussi à la lumière de l’impact de ces évolutions sur la formation des architectes. En rendant compte de préoccupations de plus en plus fréquentes parmi les chercheurs et chercheuses en sociologie de l’architecture, le chapitre 6 restitue la manière dont un modèle intégré de constitution de la « profession » est remplacé par une configuration plus complexe de parcours de formation et professionnels, qui se nourrit de processus de concurrence accrue et qui donne lieu à des pratiques du métier plus diverses en termes de trajectoires sociales et aussi en termes de genre.
7Proposant un approfondissement conceptuel, la lecture proposée par Olivier Chadoin de ces recherches s’éloigne progressivement, au chapitre 7, d’une analyse en termes de profession et de compétence professionnelle et invite à une approche sociologique du travail des architectes, mettant l’accent sur les effets du « contexte d’une transformation de l’économie de la construction et des formes d’encadrement (notamment juridiques) de la commande architecturale » (p. 157). Face à des modes de production du logement et du bâti renouvelés, de plus en plus inscrits dans des processus d’interdépendance entre secteurs d’activité, les parcours professionnels, les projets et les modes d’organisation productive dans la conception et la réalisation des œuvres architecturales alimentent la réorganisation du travail lui-même tout en plaçant les compétences communicationnelles au cœur des attentes et injonctions qui structurent le métier d’architecte aujourd’hui :
« Cette compétence [communicationnelle] montre bien combien il est important pour faire de l’architecture et pour être architecte d’élaborer un ‘récit’ d’architecture qui fasse tenir l’Autre dans son déroulement (commanditaires, usagers, etc.) » (p. 172).
8Affinant l’analyse, le chapitre 8 délimite, à partir d’une approche « constructiviste », au sens large, le contenu du programme de recherche sociologique proposé, matérialisant une lecture en action du « travail professionnel » des architectes qui met en évidence la pertinence de l’interprofessionnalité, voire d’un « ordre négocié », fait de coopération, mais aussi de tensions et d’adaptations, dans la production des projets, dans l’espace de la maîtrise d’œuvre et des marchés du bâtiment. Un aspect particulièrement saillant de cette lecture concerne la relation entre les architectes et les marchés du bâtiment et met en évidence la signification, pour ce qu’elle représente en termes d’adaptation de la part des architectes, de la segmentation socio-économique respective, de la nature cyclique de son fonctionnement et des hiérarchies économiques et symboliques dans lesquelles ces marchés s’inscrivent. L’analyse est donc orientée vers une lecture en termes de champ, permettant de situer les individus, leurs discours et leurs positions. Ainsi, ce sont les outils d’une sociologie des relations entre la construction sociale du marché et la construction du champ professionnel de l’architecture que cette partie du livre propose.
9En explorant la sociologie des objets architecturaux, de leur usage et du travail des architectes, cet ouvrage restitue de manière complète une tradition sociologique devenue classique et ouvre, de manière empiriquement et analytiquement étayée, des pistes d’analyse qui contribueront à renouveler le travail conceptuel et les agendas de recherche de celles et ceux qui s’intéressent à l’étude sociologique des relations entre espace et société.
Pour citer cet article
Référence électronique
Virgílio Borges Pereira, « Olivier Chadoin, Sociologie de l’architecture et des architectes », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 64 - n° 3 | Juillet-Septembre 2022, mis en ligne le 01 juillet 2022, consulté le 08 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/41532 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.41532
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