Brice Laurent et Alexandre Mallard (dir.), Labelling the Economy: Qualities and Values in Contemporary Markets
Brice Laurent et Alexandre Mallard (dir.), Labelling the Economy: Qualities and Values in Contemporary Markets, Palgrave Macmillan, Singapour, 2020, 300 p.
Texte intégral
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- 1 Le mot « labelling » en anglais recouvre deux significations distinctes en français (chapitre 9, p. (...)
1Cet ouvrage collectif dirigé par deux chercheurs du Centre de sociologie de l’innovation porte sur la construction sociale des marchés, enrichie ici par les questions de régulations publiques. Il offre une analyse du labelling1 comme ensemble d’innovations qui articulent étroitement l’économique et le politique. L’introduction et les huit contributions rendent manifestes les principaux enjeux de cet objet, entre le marché et ses « collectifs » (entreprises, consommateurs) et le politique. Sur le plan économique, il contribue à l’organisation de marchés et de catégories de biens et de services tout en modifiant nos façons d’appréhender leurs qualités. L’accès au marché des acteurs économiques est un autre enjeu, par exemple lorsque l’usage des labels vise à standardiser une qualité ou qu’en tant qu’instrument de gouvernance, ils ont pour résultat de produire une hiérarchisation entre les entreprises et les produits (en opérant un classement aux yeux des consommateurs) et excluent certaines d’entre elles de ces initiatives dans divers secteurs. Résultats de régulations individuelles et collectives souvent controversées, les labels embarquent aussi avec eux des enjeux d’ordre politique (comment inciter les acteurs à aller vers le bien commun ?) et démocratique (qui a la légitimité de parler aux tables des négociations ? Qui a autorité à s’exprimer sur telles questions scientifiques et/ou techniques ?). Notons que l’ouvrage pointe aussi en creux un défi à la fois ancien et de taille pour la sociologie : celui de la définition du politique et du sens que les chercheurs donnent à la distinction entre gouvernement et gouvernance des marchés.
2Et c’est bien là toute la singularité et l’originalité de l’approche présentée par Brice Laurent et Alexandre Mallard dans l’introduction générale, claire et solidement problématisée autour de l’abondante littérature pluridisciplinaire sur les labels. Cet état de l’art est structuré autour de trois dimensions analytiques : 1) le labelling comme ensemble d’opérations basées sur des infrastructures matérielles et sur des institutions ; 2) le labelling comme objet-frontière entre le fonctionnement et la politisation des marchés ; 3) le labelling comme instrument de gouvernementalité. L’approche générale ici défendue s’ancre principalement dans les market studies mobilisant la théorie de l’acteur-réseau. Le labelling engage ainsi une dimension politique : des négociations et des régulations dont l’enjeu est l’intégration des préoccupations des acteurs concernés dans le fonctionnement marchand. Symétriquement, le labelling intègre des modes de raisonnement et des problèmes économiques (asymétries d’informations, répartition de la valeur créée par les labels, accès concurrentiel à des marchés, etc.). Enfin, et pour tenter d’en finir avec le grand partage entre politique et marché, la proposition faite par les auteurs est de « concilier l’analyse des marchés et celle de l’élaboration des politiques lors de l’étude des labels » (p. 10).
3Au terme d’une riche présentation des huit chapitres, et pour pallier efficacement l’absence de conclusion générale, les auteurs soulignent trois opérations par lesquelles le labelling articule le politique et l’économique : l’affichage des qualités, la qualification des entités labélisées, et la problématisation comme formulation des problèmes publics que la mise en œuvre du labelling entend maîtriser ainsi que leurs modes de résolution. Ces trois opérations sont mises à l’épreuve dans les huit contributions suivantes.
4Pour souligner la dimension politique des labels, Lawrence Busch (chapitre 2) démontre comment des étiquettes alimentaires sont progressivement devenues des terrains de contestation. Portant le regard sur les coulisses du labelling, il opère une distinction heuristique entre le rôle des parties prenantes, défendant leurs propres préoccupations, et le rôle du gouvernement devant au contraire agir dans le sens de l’intérêt général et arbitrer entre ces préoccupations très hétérogènes. Un résultat majeur est l’invisibilisation de ces luttes sur les étiquettes, produisant de nouvelles asymétries d’information. Ce chapitre invite donc à accorder plus d’attention au travail invisible du labelling pour « remettre en question la version néolibérale du marché qui s’est généralisée au cours du dernier demi-siècle » (p. 56). Le travail de Noel Cass (chapitre 4) met au jour une autre forme d’invisibilisation du labelling : celle de l’érosion des labels de performance énergétique des immeubles de bureaux au Royaume-Uni, où le labelling contribue davantage au développement des spéculations immobilières qu’à la valorisation énergétique.
5Allison Marie Loconto (chapitre 3) étudie la labélisation des produits agroécologiques dans quatre pays du Sud, qui donne lieu à quatre agencements marchands permettant aux producteurs et consommateurs de valoriser leurs pratiques agroécologiques. Ces valorisations diverses tiennent certes aux labels en tant que dispositif d’information, mais l’intérêt du chapitre est de montrer que leur élaboration nécessite aussi des dispositifs de gouvernance plus larges et repose sur des relations de proximité. Ce chapitre suggère aussi, contre le réductionnisme économique, qu’il n’existe pas un type de label pour un type de marché.
6Les deux contributions suivantes ont en commun d’interroger la portée (en termes d’attractivité et de création de sens pour les acteurs) des labels dans le secteur du bâtiment. Celle d’Eva Boxenbaum et Susse Georg (chapitre 5) montre que l’utilisation concrète des normes obligatoires et volontaires, articulée à l’usage de bâtiments de démonstration, supporte l’attractivité et la signification du label « construction durable » au Danemark. Dans le cas français du label « Reconnu Grenelle de l’Environnement », le chapitre 6 d’Alexandre Mallard, Jean Francès et Aurélie Tricoire complète utilement cette analyse : la consolidation de cette labélisation du label par l’État (mise à mal par ses détracteurs) tient tout autant à sa capacité de signaler une qualité qu’à celle de transmettre des messages et à faire de ses orientations politiques de véritables « emblèmes », c’est-à-dire des signes désignant les organisations, les institutions, les acteurs, les règles ou les valeurs qui sous-tendent les garanties par le label.
7La contribution d’Henri Bergeron, Patrick Castel, Sophie Dubuisson-Quellier et Étienne Nouguez (chapitre 7) se distingue par une interprétation foucaldienne du gouvernement. Les politiques publiques des « labels de récompense » (chartes nutritionnelles et écolabels) invitent les entreprises à définir elles-mêmes les comportements qui vont progressivement s’imposer comme norme. Très sélectifs, ces labels jouent sur la concurrence entre acteurs pour lesquels ils constituent des ressources rares. « Les décideurs politiques les utilisent dans le but d’amener les acteurs à orienter délibérément leurs pratiques vers un bien commun » (p. 187). Malgré les difficultés du déploiement de ces instruments, bien explicitées, ce chapitre témoigne, plutôt que d’une gouvernance diluée dans des dispositifs et des réseaux, d’un investissement conséquent de l’État jouant sur « l’autonomie des conduites individuelles pour produire de l’hétéronomie » (p. 188).
8Les chapitres 8 (Brice Laurent et Brieuc Petit) et 9 (Franck Cochoy, Johan Hagberg et Hans Kjellberg) attirent notre attention sur des affichages détachés des produits qu’ils qualifient, pour en saisir les implications politiques et économiques. Le premier relate l’échec des initiatives européennes destinées à harmoniser les certificats verts du secteur de l’énergie, donnant lieu à la circulation de divers certificats privés sur les marchés. Le second pointe les effets du détachement des étiquettes de prix des produits eux-mêmes : le contrôle sur la définition et l’échange des produits est différemment redistribué entre les acteurs, et la transformation de la division du travail entre producteurs et vendeurs contribue à redéfinir l’économie de la qualité.
9Finalement, le livre répond parfaitement aux problèmes soulevés en introduction. On peut parfois regretter à la lecture une certaine forme de fétichisme des labels. En effet, le regard focalisé sur ces signaux et leur production tend à camoufler la grande diversité des organisations alignées derrière une même étiquette, ainsi que les pratiques allant bien au-delà de leurs attendus. L’ouvrage ouvre ainsi au moins deux perspectives. Une première viserait à caractériser et à comparer les entreprises utilisant un même label (selon les tailles des exploitations, les conditions d’embauche, les coûts de production, etc.). Une seconde pourrait étudier les collectifs qui se détournent de ces logiques de labélisation pour s’engager dans une démarche autonome de valorisation de leurs pratiques. Toutefois, les efforts des coordinateurs pour rassembler des matériaux très hétérogènes, issus de contextes socio-institutionnels fort différents, et ceux déployés pour articuler les chapitres, rendent le propos solide et très convaincant. La large place faite aux analyses empiriques fait de ce livre un apport précieux à l’analyse du labelling et de la gouvernance des marchés.
Notes
1 Le mot « labelling » en anglais recouvre deux significations distinctes en français (chapitre 9, p. 237) : la « labélisation » (processus de négociation qui aboutit à la stabilisation d’une qualité) et le « label » (inscription d’une caractéristique déployée matériellement et spatialement sur le produit ou d’autres dispositifs). Ici, nous utilisons les deux mots français quand cela est utile à la recension.
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Référence électronique
Sandrine Barrey, « Brice Laurent et Alexandre Mallard (dir.), Labelling the Economy: Qualities and Values in Contemporary Markets », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 64 - n° 4 | Octobre-Décembre 2022, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 08 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/42137 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.42137
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