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AccueilNumérosVol. 65 - n° 1Comptes rendusScarlett Salman, Aux bons soins d...

Comptes rendus

Scarlett Salman, Aux bons soins du capitalisme. Le coaching en entreprise

Presses de Sciences Po, Paris, 2021, 324 p.
Ludivine Le Gros
Référence(s) :

Scarlett Salman, Aux bons soins du capitalisme. Le coaching en entreprise, Presses de Sciences Po, Paris, 2021, 324 p.

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Crédits : Presses de Sciences Po

1Introduit en France à partir des années 1990, le coaching est utilisé dans les entreprises pour accompagner les cadres en situation de difficulté au travail ou dans leur carrière. Cette pratique hybride, croisant techniques de psychothérapie et approche managériale, se décline en une série d’entretiens individuels entre un·e coach et un·e coaché·e. Elle s’inscrit dans ce que Scarlett Salman qualifie de « tournant personnel du capitalisme » (p. 14) puisqu’elle cherche à replacer l’individu au centre de l’organisation et du travail à des fins d’amélioration des performances. Issu d’une thèse de doctorat en sociologie, l’ouvrage nous entraîne dans une plongée captivante au cœur d’une activité récente et de la profession qui s’est constituée autour d’elle, emblématiques du nouvel esprit du capitalisme (Boltanski et Chiapello, 1999). L’autrice adopte une perspective originale en interrogeant, par l’observation concrète de l’activité mais aussi l’investigation des usages du coaching, non seulement les effets du recours à ce type de dispositif sur le travail et les trajectoires des cadres coaché·es, mais aussi en quoi le coaching apparaît comme un révélateur de certaines transformations du travail et des organisations. Pour répondre à ces questions, Scarlett Salman s’appuie sur un matériau fourni, combinant les méthodes (ethnographie, entretiens, questionnaires) et les points de vue (coachs, coaché·es et gestionnaires en ressources humaines).

2L’ouvrage est composé de sept chapitres, regroupés en trois parties. Après avoir retracé la généalogie du coaching et de ses sources, l’autrice porte son attention tour à tour sur ses professionnel·les et sur les usages qui en sont faits.

3Le premier chapitre propose une sociogenèse du coaching. Scarlett Salman montre ainsi que les années 1970 et les mouvements de contre-culture font émerger des valeurs d’émancipation individuelle et de réalisation de soi. Le développement personnel qui se diffuse simultanément assoit en outre le modèle des thérapies courtes, à visée « instaurative » (p. 44) et dont l’objectif est l’optimisation de soi. S’inscrivant dans une forme de récupération de la critique artiste par le biais d’une revalorisation de la subjectivité individuelle, de telles techniques connaissent un essor notable au sein des organisations qu’elles irriguent peu à peu. Les transformations productives et organisationnelles des années 1980-1990 (tertiarisation de l’économie, travail en mode projet…), mais aussi le contexte économique (chômage de masse notamment) et institutionnel (instauration d’un droit au bilan de compétences en 1991), ont par ailleurs contribué à l’essor du coaching d’entreprise, selon Scarlett Salman. Le deuxième chapitre décrit le processus de professionnalisation qui a permis la reconnaissance du coaching comme activité experte et crédible, facilitant son entrée dans les organisations. L’autrice décrit la mise en place d’une véritable stratégie collective de « professionnalisation tournée vers le client » (p. 66), laquelle a reposé sur l’activation de trois dimensions : un travail de différenciation visant à se démarquer du conseil et de la psychologie ; une action de régulation par l’éthique avec la création d’un code de déontologie notamment ; et enfin la diffusion de la pratique du coaching par l’alliance avec des personnes clés au sein des entreprises clientes.

4Dans la seconde partie de l’ouvrage, Scarlett Salman entend décrire les coachs en entreprise afin de mieux comprendre « les voies par lesquelles se diffuse l’idéologie managériale du nouvel esprit du capitalisme » (p. 121). Elle s’atèle alors à retracer leurs trajectoires d’entrée dans l’activité de coaching. Après avoir mis en évidence l’existence de caractéristiques communes aux coachs interrogé·es, à savoir un niveau de diplôme élevé, un âge plutôt avancé puisqu’on n’entre pas dans le coaching en début de carrière, une surreprésentation des femmes et un usage de la psychologie ou du développement personnel à titre individuel, l’autrice met en évidence deux types de trajectoires d’entrée dans ce nouveau métier. Une première trajectoire consiste à passer du conseil ou de la formation en tant qu’indépendant·e au coaching qui représente alors une opportunité d’ascension économique et sociale. Cette trajectoire concerne plutôt des femmes, moins diplômées et aux parcours erratiques, qui valorisent la flexibilité et l’humanisation des entreprises. Pour le deuxième profil de coachs, composé majoritairement d’ancien·nes cadres d’entreprises, l’entrée dans l’activité de coaching représente « une voie de salut » après une rupture de carrière. Le quatrième chapitre donne à voir la manière dont ces différentes trajectoires s’inscrivent simultanément dans des transformations majeures du travail et de l’emploi, à l’instar de la recrudescence du travail indépendant dans les fonctions d’expertise. Scarlett Salman montre qu’une grande majorité de coachs exercent sous ce type de statut et que derrière la figure du « contributeur intermittent de la cité par projet » se cachent en réalité des « bricolages » de statuts et tout un travail de sécurisation économique de la carrière. Ce travail passe majoritairement par le recours à de la pluriactivité. On apprend ainsi que 82,5 % des coachs exercent plusieurs activités et que le coaching individuel représente en général moins de la moitié de leur chiffre d’affaires (p. 134). Iels doivent effectuer un « travail marchand » (p. 154) pour se faire connaître puis entretenir leur réseau, tout en passant souvent par une série d’épreuves pour vendre leurs prestations aux organisations.

5Les trois chapitres qui composent la dernière partie de l’ouvrage sont consacrés aux différents « mandats du coaching ». Dans le chapitre 5, l’autrice montre que les tensions temporelles auxquelles les cadres sont confronté·es (un sentiment d’urgence permanent, des temps fragmentés et qui débordent sur la sphère personnelle) représentent l’un des principaux motifs de prescription du coaching. C’est alors un travail individuel d’optimisation et de rationalisation qui est demandé aux coaché·es. Un deuxième mandat, décrit dans le chapitre 6, consiste à exiger des cadres un travail de pacification visant à améliorer les relations de travail avec leurs collaborateurs et collaboratrices, avec l’idée sous-jacente que de bonnes relations contribuent à la performance. Cela passe par exemple par une « discipline du langage » (p. 217) mais aussi par un travail de réinterprétation des situations managériales à partir de grilles psychologiques simplifiées (p. 220). Le coaching est ici utilisé, selon l’autrice, comme un dispositif d’« hygiène psychique » (p. 233), puisqu’en s’appuyant sur une lecture psychologisante il cherche à équiper les cadres de techniques de régulation des émotions qui exigent une forme d’autodiscipline. Interrogeant enfin le mandat d’accompagnement des carrières, le dernier chapitre porte le regard sur la manière dont les organisations prescrivent aussi du coaching à leurs cadres lors de situations de blocage de carrière. C’est dans ce contexte la « fonction palliative » (p. 258) du coaching qui entre en jeu, avec pour objectif d’apaiser leurs frustrations et de leur faire accepter leur situation en les invitant à un travail individuel, ce qui permet aux organisations de s’affranchir de leurs responsabilités en matière d’accompagnement des carrières.

6Dans sa conclusion, Scarlett Salman souligne les affinités électives entre humanisme et capitalisme sur lesquelles repose le coaching puisque, sous couvert d’humaniser les organisations, il légitime les discours de responsabilisation individuelle au nom de la performance.

7L’ouvrage réussit la prouesse de mettre en lumière des phénomènes larges comme la psychologisation des rapports sociaux ou les transformations du travail (fin des carrières organisationnelles pour les cadres, travail indépendant pour les coachs…) en entrant par l’étude d’une profession qui pourrait sembler a priori anecdotique car exercée par une myriade de petits acteurs indépendants. Sur la question de l’accompagnement des carrières, si l’autrice détaille avec précision la fonction palliative qui vise à maintenir la « loyauté » des cadres envers leur entreprise, elle fait cependant peu état des cas d’« exit » résultant d’un usage du dispositif. Même s’ils restent marginaux, ces cas de sortie pourraient tout de même être explorés davantage pour comprendre les éventuels « dévoiements » du coaching en entreprise. En effet, certain·es cadres ne détournent-iels pas ces coachings prescrits pour préparer leur sortie de l’entreprise ? Par ailleurs, l’autrice évoque le rapport critique d’une partie des coachs au salariat dans les grandes organisations (p. 119), ayant elles ou eux-mêmes rompu, volontairement ou non, avec ce type d’emploi. On peut imaginer que leurs discours contribuent dans une certaine mesure à orienter certain·es coaché·es vers la sortie, mais surtout vers un type particulier de sortie : des reconversions vers l’indépendance, dans les métiers de l’accompagnement, etc. L’étude des trajectoires de sortie de cadres pourtant accompagné·es au sein même des organisations permettrait sûrement de compléter l’analyse déjà très riche proposée par l’autrice sur les usages et effets de ce dispositif.

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Bibliographie

Boltanski, L., Chiapello, E., 1999, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, Paris.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Ludivine Le Gros, « Scarlett Salman, Aux bons soins du capitalisme. Le coaching en entreprise »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 65 - n° 1 | Janvier-Mars 2023, mis en ligne le 15 février 2023, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/sdt/42764 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.42764

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Auteur

Ludivine Le Gros

Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (LISE), UMR 3320 CNRS et CNAM, CEET
2, rue Conté, 75003 Paris, France
ludivine.legros[at]lecnam.net

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