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Credits: Presses des Mines

1Le présent ouvrage est le fruit d’une réflexion collective initiée lors de plusieurs journées d’études ayant eu lieu dans le courant de l’année 2020, portant sur le déploiement de #MeToo dans différents espaces sociaux et, plus largement, sur les recompositions actuelles des mobilisations autour des violences sexistes.

3L’ouvrage s’inscrit en effet dans un mouvement d’émergence et de légitimation des violences sexistes comme objet de recherche en sciences sociales en France, en lien étroit avec leur constitution en problème public. Ceci étant dit, si les journées d’études, colloques, mémoires de master et thèses en cours autour des violences sexistes se multiplient — sans pour autant devenir légion —, il existe encore peu de littérature en France sur le sujet, et encore moins qui aborde le moment #MeToo. En ce sens, cet ouvrage apparaît comme pionnier en proposant un premier décryptage — non exhaustif — du mouvement #MeToo et en questionnant son statut dans les mobilisations féministes : s’agit-il d’une rupture historique, ou bien d’un événement, certes à l’origine de nombreuses reconfigurations dans les manières de politiser les violences, demeurant cependant cohérent avec les luttes féministes l’ayant précédé ? Plus largement, cet ouvrage vient interroger les causes et les effets de #MeToo, ses résonnances dans divers espaces sociaux, hors de ses foyers initiaux de production, et ses conséquences sur les régimes de discours autour des violences sexistes.

4Ce livre rassemble ainsi, en quatre parties, quinze contributions issues de diverses disciplines — la sociologie, la science politique, l’anthropologie, l’histoire, ainsi que les sciences de l’information et de la communication —, abordant divers aspects de #MeToo et plus largement des violences sexistes : institutions, mondes professionnels spécifiques, traitement médiatique, militantisme en ligne ou hors ligne.

5La première partie de l’ouvrage s’attache à caractériser le « moment #MeToo » et ses spécificités, notamment son ancrage « en ligne ». Comme le souligne Kaitlynn Mendes (chapitre 1), si les mouvements de dénonciation publique des violences et de ceux qui les commettent ne sont pas nouveaux, les potentialités offertes par les plateformes de médias sociaux constituent en revanche un changement notable. C’est l’aspect que creuse Cécile Méadel (chapitre 2) en analysant #BalanceTonPorc, le pendant français de #MeToo, au prisme des dispositifs techniques que constituent les réseaux sociaux. Elle montre ainsi comment un afflux de tweets permet de construire et renforcer une cause commune en visibilisant les témoignages des victimes et les débats qui en découlent. La place centrale, certes renouvelée car en ligne, du témoignage, n’est cependant pas nouvelle dans les mouvements féministes, comme le précise Florence Rochefort (chapitre 3) : à ce titre, #MeToo constitue bien un moment exceptionnel, mais pas une révolution.

6La deuxième partie de l’ouvrage élargit la question de l’effet #MeToo aux médias en général, en s’intéressant à la façon dont #MeToo, en redonnant de l’élan à la cause contre les violences sexistes, a ébranlé le monde du journalisme, d’une part dans le traitement médiatique des violences, et d’autre part comme espace professionnel à part entière. Laure Beaulieu (chapitre 4) donne ainsi la parole à trois journalistes de presse écrite issues de différents médias, interrogeant les évolutions au sein des rédactions du traitement des violences sexistes, ainsi que le rôle des professionnel·les du journalisme dans ce processus. Au moyen d’un considérable travail d’analyse des contenus médiatiques traitant du viol entre 2000 et 2020, Claire Ruffio (chapitre 5) vient montrer que l’importante médiatisation de #MeToo en 2017 a contribué à inscrire durablement le viol à l’agenda journalistique tout en politisant son cadrage éditorial. Autrement dit, le phénomène n’est plus traité comme un problème individuel mais bien comme un problème social (Comby, 2015). Giuseppina Sapio (chapitre 6) clôt cette partie en s’interrogeant sur un format journalistique relativement inédit avant #MeToo, le témoignage des agresseurs. Elle prend ainsi pour exemple une lettre publiée par Libération le 8 mars 2021.

7La troisième partie du livre rassemble des contributions portant sur la réception de #MeToo dans divers milieux sociaux, détaillant ainsi comment l’espace de la lutte contre les violences sexistes s’est élargi. Dans le monde du droit, nous montre Catherine Le Magueresse (chapitre 7), pourtant très largement pointé du doigt par les discours féministes, l’effet de #MeToo demeure contenu et fait face à de fortes résistances. En outre, les perspectives d’amélioration de la prise en charge judiciaire des violences se heurtent au manque de moyens alloués à la justice, à l’instar de ce que l’on peut constater dans la fonction publique, comme le soulignent Chloé Mour et Linda Sehili (chapitre 8). Étudiant les évolutions des politiques de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans la fonction publique (qui préexistent à #MeToo), ces autrices montrent que le mouvement a permis une accélération de la prise en charge étatique de ces questions, sans pour autant constituer une rupture radicale : l’accent est mis sur la prévention, mais la mise en application des procédures, hétérogène et soumise à un manque de moyen, demeure principalement une politique « de droits et de symboles » (Revillard, 2016). À l’intersection entre monde professionnel et monde de l’art, Bleuwen Lachaux (chapitre 9) interroge les effets de #MeToo dans le milieu du théâtre aux États-Unis. Si une accélération de la mise en place de dispositifs, notamment juridiques, est visible, ces derniers apparaissent insuffisants dans un contexte où les pratiques professionnelles demeurent régies par la subjectivité (et donc l’arbitraire) du choix artistique. La contribution de Josselin Tricou (chapitre 10) vient compléter ce panorama non exhaustif en proposant une analyse de la réception de #MeToo dans le monde catholique français, mettant en lumière les divisions politiques en son sein, ainsi que les violences commises au sein du clergé sur des religieuses, phénomène méconnu ayant pourtant fait l’objet d’une mobilisation mondialisée relayée médiatiquement. Ces études de l’effet #MeToo dans différents mondes professionnels et sociaux montrent finalement bien, comme le souligne Gwenaëlle Perrier (chapitre 11), que l’institutionnalisation de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles est marquée d’une ambivalence que #MeToo n’a pas véritablement modifiée.

8Enfin, la partie 4 porte sur le façonnement des mobilisations après #MeToo. Viviane Albenga et Johanna Dagorn (chapitre 12) restituent les résultats de leur enquête auprès des étudiantes sur le campus de Bordeaux : elles font état d’une réception en pratique de #MeToo accompagnant une politisation féministe des violences, toutefois relativement hétérogène en fonction des niveaux et types d’études. Margaux Nève (chapitre 13) analyse ensuite les violences obstétricales et gynécologiques (VOG) comme problème public connexe à #MeToo, revenant sur le travail de définition des VOG par les acteurices du mouvement. L’autrice insiste sur les spécificités des VOG comme sous-ensemble des violences de genre, et montre que comme avec #MeToo, le témoignage joue un rôle clef dans leur dénonciation. Stéphanie Pache (chapitre 14) propose, selon un angle assez inédit en sciences sociales, de questionner le statut social de la souffrance psychique dans les mouvements contre les violences sexistes aux États-Unis, ses effets et ses limites. Cela constitue en filigrane une invitation méthodologique à penser la souffrance comme un matériau à part entière. Tania Lejbowicz vient prolonger ces considérations méthodologiques en conclusion de l’ouvrage (chapitre 15) en pointant les spécificités des travaux en sciences sociales sur les violences sexistes et sexuelles dans leur multiplicité : une discussion de la distinction entre « public » et « privé », la prise en compte du continuum des violences (Kelly, 1987) et l’importance des témoignages.

9La grande force de ce livre est de réunir des contributions diverses dans leurs objets comme dans leurs méthodes. Notamment, la place faite aux analyses en sciences de l’information et de la communication permet de saisir les dynamiques du mouvement en ligne et hors ligne, ce qui apparaît fondamental pour comprendre la force de l’événement #MeToo. Loin de constituer un état des lieux exhaustif (ce à quoi il ne prétend aucunement), l’ouvrage apporte un premier éclairage à chaud des effets de #MeToo, invitant à poursuivre les réflexions et travaux autour des violences sexistes en prêtant attention aux contextes sociaux de leur survenue, et en considérant les moments de mobilisation ordinaires comme décisifs. Au-delà de #MeToo, il s’agit donc d’une contribution importante à un champ de recherche encore à construire sur les violences sexistes et les mobilisations qui en découlent.