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AccueilNumérosVol. 66 - n° 4Comptes rendusMartina Avanza, Jonathan Miaz, Cé...

Comptes rendus

Martina Avanza, Jonathan Miaz, Cécile Péchu et Bernard Voutat (dir.), Militantismes de guichet. Perspectives ethnographiques

Antipodes, Lausanne, 2023, 408 p.
Thomas Douniès
Référence(s) :

Martina Avanza, Jonathan Miaz, Cécile Péchu et Bernard Voutat (dir.), Militantismes de guichet. Perspectives ethnographiques, Antipodes, Lausanne, 2023, 408 p.

Texte intégral

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Crédits : Antipodes

1Avec Militantismes de guichet, le champ d’étude des guichets associatifs et militants a trouvé son livre de référence en langue française. Cet ouvrage fait suite à une journée d’étude tenue en juin 2015 à l’Université de Lausanne. Il se situe dans le prolongement des travaux, de plus en plus nombreux depuis les années 2010 en France et à l’international, qui ont étendu le concept de street-level bureaucracy aux protagonistes non étatiques, pour les envisager comme des street-level organizations participant de la mise en œuvre des politiques publiques. La proposition de l’ouvrage, qui en fait l’originalité, est de déplacer le regard par rapport à l’action publique, pour plutôt s’attarder sur ce que le guichet produit sur les entreprises associatives et militantes. En appréhendant l’articulation entre « une forme d’action tendant à individualiser les situations prises en charge et les enjeux ou objectifs portés par l’action collective » (p. 19), il s’agit d’analyser dans quelle mesure la relation de service peut dépolitiser les organisations, leurs membres et leurs publics.

2Après un chapitre méthodologique, qui propose d’utiles ficelles pour pousser la porte du guichet militant, y trouver une place et en sortir, l’ouvrage est divisé en quatre parties qui correspondent à des domaines d’intervention (logement, immigration, travail, genre) et présentent des études de cas tirées de contextes nationaux variés.

3Abordant les « guichets du logement », la première partie s’ouvre avec un chapitre de Marie Métrailler consacré à la section vaudoise de l’Association suisse des locataires. L’autrice montre que la délivrance individualisée de l’expertise juridique tend à faire accepter aux locataires le droit en vigueur et qu’elle favorise une individualisation des griefs. Cependant, le traitement des cas individuels contribue aussi à mener une véritable « guérilla juridique » (p. 85) capable de faire évoluer le droit au logement dans un sens favorable aux locataires. Dans le contexte français, Pierre-Édouard Weill s’intéresse à la mise en œuvre de la loi du 5 mars 2007 sur le droit au logement opposable (loi DALO), laquelle prévoit la possibilité pour les personnes « sans abri » et « mal logées » de recourir à la justice administrative pour accéder à un logement adapté. En mobilisant les associations pour assister les individus dans leurs démarches judiciaires, la politique de l’État soutient une dynamique de rationalisation de l’action associative. Celle-ci entraîne notamment une accentuation de la division du travail — entre fonction d’accueil et fonction juridique —, particulièrement forte dans les associations les plus institutionnalisées. Dans ce cadre, les personnes recevant les publics se transforment en street-level bureaucrats qui, tout à la fois, trient les publics et tendent à les conformer aux attentes du droit et des institutions de l’habitat social.

4La deuxième partie de l’ouvrage s’intéresse aux « guichets de l’immigration ». Dans un chapitre consacré aux associations de soutien aux exilé·es en Suisse, Jonathan Miaz interroge la façon dont la défense collective du droit d’asile est travaillée par le soutien individuel au sein des permanences juridiques. Il montre que le guichet repose sur un tri des visiteur·euses, selon les chances anticipées d’aboutissement des procédures. Il apparaît aussi que les cas singuliers sont un ressort de transformation du droit d’asile, par la jurisprudence favorable que leur portage peut permettre de produire, et qu’ils constituent un levier de contrôle indirect des autorités, ces dernières pouvant renoncer à certaines pratiques par anticipation des recours militants. Dans le chapitre suivant, Xavier Dunezat étudie les actions de soutien aux sans-papiers en France, à partir d’une longue expérience de participation observante au sein d’une permanence juridique qu’il a intégrée lors de sa création à la fin des années 1990. Le guichet vise originellement à favoriser la mobilisation des sans-papiers et à user des cas particuliers pour résister aux atteintes aux droits dans une perspective collective. L’auteur décortique les mécanismes par lesquels ces deux objectifs « alternent entre réussite précaire et échec structurel » (p. 177). Il montre notamment l’incidence d’une division du travail militant qui entretient la « domination des soutiens » (p. 194), c’est-à-dire celle des bénévoles non migrant·es, et fait perdurer une « assignation prioritaire [des personnes sans papiers] au statut de simples usagers du droit » (p. 201).

5Les « guichets du travail » sont au cœur de la troisième partie de l’ouvrage. Celle-ci débute avec un chapitre où Charles Berthonneau analyse l’accueil des salarié·es dans deux Unions locales de la Confédération générale du travail (CGT), l’un des premiers syndicats de travailleurs et travailleuses en France. Face à des personnes en situation de vulnérabilité, c’est un véritable « travail syndical du care » (p. 248) qui se donne à voir et peut mettre mal à l’aise des militant·es qui y voient un glissement vers ce qui est comparé à un « boulot d’assistante sociale ». Mais le guichet syndical participe aussi d’une approche protestataire, par sa capacité à procurer aux salarié·es des ressources morales qui leur permettent de mieux s’affirmer et faire valoir leurs droits sur leur lieu de travail. Toujours en France, Emmanuel Pierru s’intéresse dans le chapitre suivant au Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP). Il analyse les « Maisons de chômeurs » qui sont symptomatiques des conséquences de la logique gestionnaire de Pôle Emploi, avec le report de l’accompagnement des moins « employables » sur le secteur associatif. Ces dynamiques, « qui tirent le Mouvement du côté de la logique du guichet et du service à bas coûts » (p. 241), font l’objet d’appréciations différenciées par les militant·es. Une partie d’entre elles et eux cherche à neutraliser le risque bien identifié de la sur-individualisation de l’action. En témoigne l’organisation des « groupes de chômeurs », qui se construisent dans le refus de la logique de service et dans l’objectif de mutualiser les expériences et les conseils entre les premier·es concerné·es.

6La quatrième et dernière partie de l’ouvrage aborde les « guichets du genre ». En Italie, Martina Avanza étudie l’action des Centres d’aide à la vie (CAV), qui s’inscrivent dans le Mouvement pour la vie transalpin. Visant, au départ, à dissuader des femmes voulant avorter suite à une grossesse difficile ou non désirée, l’accueil consiste en réalité plutôt en une aide matérielle et psychologique qui attire toute une population « hors cible » de femmes en difficulté (migrantes notamment) qui n’ont pas l’intention d’avorter. Si les CAV sont généralement considérés dans le mouvement comme porteurs d’une dérive caritative, l’autrice montre que ce risque fait l’objet d’une « réflexivité organisationnelle » (p. 304) qui conduit les responsables des centres à mener un permanent travail de requalification politique de l’action en phase avec l’idéologie du mouvement. Le recours à la catégorie de « maternité non acceptée » en est la meilleure illustration, en présentant le travail des centres comme une action visant à faire accepter aux visiteuses leur nature féminine. Dans le chapitre suivant, Pauline Delage s’intéresse aux associations féministes spécialisées dans l’accompagnement des femmes victimes de violences conjugales, en France et aux États-Unis. L’autrice souligne l’effet dépolitisant d’une professionnalisation avec laquelle c’est « le guichet, plus que l’engagement féministe, qui oriente le recrutement » (p. 315), puisque les personnes sont de plus en plus recrutées au titre de leur qualification dans les secteurs du social ou de la santé mentale. Mais il apparaît que le guichet fonctionne tout autant comme une instance de politisation féministe du travail social, jusqu’à devenir pour ces professionnelles « un levier de conscientisation et un support d’identification politique » (p. 333). Dans le dernier chapitre, Fiona Friedli s’intéresse aux « rencontres entre pères » de l’organisation de défense des intérêts des pères séparés et divorcés en Suisse romande. Dans une logique de self-help, ces groupes de parole sont pensés par leurs organisateurs comme des lieux d’écoute, d’entraide et de partage d’expériences entre pères vivant ou ayant connu un divorce ou une séparation. L’autrice montre que derrière la dimension sociale et psychologique d’un dispositif centré sur des histoires singulières, les groupes de parole sont un levier de la cause paternelle. Cela passe par un travail de montée en généralité, qui requalifie les cas individuels dans les termes de l’injustice et permet à l’organisation d’investir l’espace public et médiatique avec « un discours présentant les pères comme “victimes” du système judiciaire » (p. 360).

7Autant dans les questionnements que dans les dispositifs méthodologiques employés pour y répondre d’un chapitre à l’autre, cet ouvrage jouit d’une remarquable cohérence d’ensemble, dont Cécile Péchu, Jonathan Miaz et Martina Avanza dégagent les lignes de force dans leur conclusion générale. Il permet aussi de discerner certains chantiers de renouvellement de l’étude des guichets associatifs et militants qui sont encore largement à ouvrir. La variation des pays étudiés constitue une force de l’ouvrage, mais elle apparaît peu intégrée aux questions et conclusions transversales sur les ambivalences contextuelles des effets du militantisme de guichet. Par exemple, l’incidence potentielle d’une différenciation nationale des mécanismes de mise en guichet de l’action collective est laissée en suspens. Si la conclusion, comme plusieurs chapitres, évoque l’effet du guichet sur les publics, une frustration à la lecture est aussi de finalement peu voir et entendre les bénéficiaires, lesquel·les apparaissent le plus souvent en creux de l’action et du point de vue des guichetier·es. De ce fait, les effets socialisateurs imputés au militantisme de guichet n’apparaissent pas toujours clairement d’un point de vue empirique. Il serait d’ailleurs possible de se demander s’ils ne vont pas au-delà de la socialisation au droit et de la propension à politiser les situations vécues, sur lesquelles les chapitres et les autres travaux existants tendent à se focaliser. Ce ne sont là que quelques points de prolongement d’un ouvrage qui constitue, à n’en pas douter, un incontournable pour renouveler notre compréhension de l’action associative et militante et interroger à nouveaux frais les formes de production protestataire de l’action publique.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Thomas Douniès, « Martina Avanza, Jonathan Miaz, Cécile Péchu et Bernard Voutat (dir.), Militantismes de guichet. Perspectives ethnographiques »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 66 - n° 4 | Octobre - Décembre 2024, mis en ligne le 15 décembre 2024, consulté le 20 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/sdt/47213 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12ziw

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Auteur

Thomas Douniès

Institut de sciences politiques Louvain-Europe (ISPOLE)
1, Place Montesquieu, 1348 Louvain-la-Neuve, Belgique
thomas.dounies[at]gmail.com

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