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AccueilNumérosVol. 53 - n° 1Comptes rendusLe Travail de l’utopie. Godin et ...

Comptes rendus

Le Travail de l’utopie. Godin et le Familistère de Guise, M. Lallement

Les Belles Lettres, Paris (2009). 511 pp.
Michel Cordillot
p. 152-153
Référence(s) :

Michel Lallement, Le Travail de l’utopie. Godin et le Familistère de Guise, Les Belles Lettres, Paris (2009). 511 pp.

Texte intégral

1Parmi les tentatives de réalisation de la pensée de Charles Fourier conduites par ses disciples français, le Familistère de Guise a constitué le seul cas probant d’expérience durable après les échecs que furent notamment les tentatives de Condé‑sur‑Vesgre et de Réunion au Texas. À ce titre, il suscite nécessairement un intérêt tout particulier, ainsi qu’en témoigne cette contribution que nous offre Michel Lallement, sous la forme d’un ouvrage copieux et bien documenté qui vient s’ajouter à une bibliographie déjà conséquente.

2Pour quelqu’un qui, comme l’auteur de ce compte-rendu, n’a pas une formation de sociologue, mais s’intéresse en revanche fortement au genre de la biographie historique et à l’histoire du fouriérisme en général, la lecture de l’ouvrage de M. Lallement est un exercice fascinant, dans la mesure où l’auteur réussit de manière claire et élégante à combiner trois livres en un.

3Largement centré sur l’homme qui a joué dans cette histoire le rôle essentiel, Jean-Baptiste André Godin, patron social hors normes et visionnaire industriel, nourri dans sa jeunesse de la pensée utopique saint-simonienne et cabétiste avant de s’intéresser à celle de C. Fourier, cet ouvrage constitue en premier lieu une biographie très complète du fondateur du Familistère... en dépit du fait que l’auteur se déclare paradoxalement conscient des dangers que comporte le genre biographique pour un sociologue et s’en explique en toute franchise. Toutefois, le but ultime de sa démarche est bien de revenir sur la question de l’utopie en s’appuyant sur une problématique sociologique. Ce qui l’amène du même coup à développer deux autres thèmes complémentaires — d’où ce résultat de trois livres en un —, en traitant d’abord du Familistère de Guise en tant que tel, de son fonctionnement, de son environnement et de ses adaptations au principe de réalité dans une perspective à la fois sociologique et historique ; puis en menant parallèlement une réflexion approfondie sur un sujet qui continue d’interpeller tous ceux qui s’intéressent à l’utopie et qui pensent qu’elle a peut-être encore quelque chose à nous apporter aujourd’hui, à savoir comment doit être envisagé — et qu’implique fondamentalement — le passage de la théorie à la pratique. Le projet, on le mesure, était ambitieux.

4Sur la biographie de J.-B. Godin, l’essentiel était déjà connu. Mais c’est sans doute ici dans l’analyse de sa pensée, y compris de la manière dont il sut à la fois rester fidèle à C. Fourier et s’en démarquer quand l’expérience pointait les limites de la théorie, que l’on trouvera des perspectives renouvelées, s’agissant par exemple de la manière dont J.-B. Godin entendait offrir à ses ouvriers les équivalents de la richesse, ou encore promouvoir l’association entre le capital et le travail dans le but d’apporter au monde un exemple montrant que l’harmonie sociale est possible dans la pratique. Le travail exhaustif mené par M. Lallement sur les sources d’archives disponibles et sa perspective élargie, puisque le but poursuivi était de mettre en évidence la mécanique familistérienne dans toute sa complexité, font incontestablement de ce travail, pris dans sa dimension biographique, un apport incontournable que liront avec profit tous ceux que l’œuvre de l’homme de conviction que fut J.‑B. Godin intéresse.

5Plus captivante encore, parce que plus novatrice pour moi, est l’analyse développée par l’auteur pour rendre compte du fonctionnement de l’usine de Guise et de son environnement social, et des multiples innovations dont le Familistère aura du même coup été le théâtre dans toute une série de domaines liés au travail et aux relations de travail, ainsi qu’aux supports multiples du travail. De là découlent d’ailleurs un ensemble de questions centrées sur l’interrogation suivante : comment l’utopie peut‑elle contribuer à l’institution du travail aux marges des modèles sociaux dominants en influant sur la représentation du monde, en forgeant de nouvelles identités, en contribuant à l’intégration des ouvriers et de leurs familles et en aidant à définir des règles susceptibles de structurer la vie ?

6Il y a dans cet ouvrage des développements passionnants que l’on aimerait pouvoir tous mentionner ici. Je me contenterai de citer ceux qui ont le plus stimulé ma propre réflexion : les très riches analyses sur la proximité comme idéal de pureté morale, qui placent dans une perspective nouvelle pour moi la vieille question du paternalisme, en démontrant l’existence de mécanismes pyschologiques sous-jacents d’une intéressante complexité ; les très belles pages consacrées à l’éducation ; et enfin le décortiquage minutieux de la manière dont, en s’appuyant sur C. Fourier, J.‑B. Godin va se mettre en quête des principes et des procédures permettant une répartition équitable des fruits du travail, sachant accepter de reculer — renonçant par exemple à avoir recours au vote pour décider quels sont les personnes de « talent »— et de composer, mais en gardant toujours sa volonté de promouvoir le progrès social.

7Envisagé à l’aune de l’objectif initial de J.-B. Godin, qui était de parvenir progressivement à l’abolition du salariat, on peut sans doute considérer que le Familistère a au bout du compte largement échoué. Sur le fond, l’organisation du travail au sein de l’entreprise est finalement restée très classique, et l’utopie n’a guère eu de prise empirique qu’à l’extérieur de l’espace productif. Mais il n’en a pas moins été une expérience sociale fascinante et unique, à laquelle M. Lallement a su pleinement rendre justice dans cet ouvrage passionnant.

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Pour citer cet article

Référence papier

Michel Cordillot, « Le Travail de l’utopie. Godin et le Familistère de Guise, M. Lallement »Sociologie du travail, Vol. 53 - n° 1 | 2011, 152-153.

Référence électronique

Michel Cordillot, « Le Travail de l’utopie. Godin et le Familistère de Guise, M. Lallement »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 53 - n° 1 | Janvier-Mars 2011, mis en ligne le 15 novembre 2018, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/sdt/7619 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.7619

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Auteur

Michel Cordillot

Université Paris 8, 2, rue de la Liberté, 93526 Saint-Denis cedex, France

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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