Manuel Boucher (dir.), L’enfance en danger face aux radicalités musulmanes. Représentations, pratiques et ambivalences des intervenants sociaux
Manuel Boucher [dir.], L’enfance en danger face aux radicalités musulmanes. Représentations, pratiques et ambivalences des intervenants sociaux, Paris, L’Harmattan, coll. « Recherche et transformation sociale », 2021, 432 p.
Texte intégral
1Manuel Boucher, qui dirige cet ouvrage dédié à l’« enfance en danger face aux radicalités musulmanes », est professeur de sociologie à l’université de Perpignan Via Domitia (UPVD), responsable de l’axe 3 « Sciences de l’intervention et transformations sociales » du laboratoire Communication, ressources humaines et intervention sociale (CORHIS – EA 7400 UPVD-UPVM). Il a été directeur du Laboratoire d’étude et de recherche sociales (LERS) de l’IRTS-IDS Normandie de 2003 à 2017, dont il est aujourd’hui vice-président. Ses travaux portent notamment sur l’intervention sociale, les quartiers populaires, la déviance, l’ethnicité, les discriminations ethniques, la violence et la régulation sociale.
2L’ouvrage se compose de quatre parties thématiques regroupant huit chapitres qui correspondent à des terrains d’enquête distincts, la première partie mise à part. Manuel Boucher a assuré la coordination générale de l’ouvrage, rédigé l’introduction, la partie 1 et la conclusion. Ses coauteurs (Brigitte Baldelli, Mohamed Belqasmi, Hervé Marchal, Régis Pierret – chercheurs issus de la sociologie –, Agathe Petit, docteure en anthropologie, et Dominique Sistach, maître de conférences en droit public) ont chacun rédigé le chapitre correspondant au terrain de l’enquête qu’ils ont menée. L’ouvrage comporte en outre une préface, écrite par Gilles Kepel, dans laquelle celui-ci réaffirme la nécessité de lutter contre le « séparatisme islamiste ». Il propose également plusieurs encadrés offrant des éclairages sur des notions complexes et faisant débat dans l’espace public : le relativisme culturel (p. 125), le multiculturalisme et l’assimilationnisme (p. 127), l’islamophobie (p. 271), la laïcité (p. 281), etc.
3L’introduction est l’occasion pour Manuel Boucher de revenir sur la genèse du programme de recherche à l’origine du présent ouvrage. Durant trois années, cette recherche a interrogé la prise en compte des pratiques et des revendications religieuses ainsi que la prévention de la radicalisation juvénile dans la protection de l’enfance. Il s’agissait alors, pour les chercheurs impliqués, de s’inscrire dans une dynamique de mobilisation de la communauté scientifique et de l’intervention sociale, afin de prévenir efficacement la radicalisation et les processus identitaires. Dans cette perspective, la recherche qui fonde l’ouvrage s’intéresse aux discours, représentations, et actions des intervenants sociaux visant à prévenir les passages à l’acte violents de jeunes musulmans radicalisés ; mais elle interroge aussi et surtout ce qui est qualifié de « point aveugle », à savoir les éléments qui permettent de comprendre le passage d’une radicalisation intellectuelle à l’action violente. Se basant sur les travaux de Hugo Micheron et de Bernard Rougier, Michel Boucher affirme : « Nous partons du postulat que l’idéologie salafiste aujourd’hui très influente dans l’espace musulman des quartiers populaires français conduit à des replis, voire à des ruptures identitaires favorisant ou légitimant le recours à la violence politico-religieuse » (p. 30). Ce postulat amène à s’inscrire dans une perspective visant à repenser les risques de radicalisation politico-religieuse musulmane à partir d’une réflexion sur la production des fractures et radicalités identitaires au sein de la société française contemporaine pour ce qui concerne spécialement ce qu’il nomme le « séparatisme culturel islamiste », envisagé comme un terreau propice à la légitimation de la violence au nom de convictions politico-religieuses. Cette mise en contexte permet de mieux saisir les ambitions de l’ouvrage et de le situer au sein des recherches récentes sur les phénomènes de « radicalisation ».
- 1 Ces chapitres ont été rédigés par Manuel Boucher.
4La première partie (chapitres 1 et 21) pose le contexte et le cadre de la recherche.
5Le chapitre 1 examine la radicalisation juvénile en tant que nouveau problème public. La première partie dresse un panorama des recherches focalisées sur le djihadisme. À travers la mobilisation de travaux issus de la sociologie, des sciences politiques, mais aussi, plus succinctement, de la psychologie, se fait jour une cohabitation de plusieurs interprétations du processus individuel et collectif de la radicalisation, dans la littérature scientifique, entre explication sociale, explication culturelle, et explication psychologique. Les travaux d’Olivier Roy, Gilles Kepel, Éric Marlière, Hugo Micheron, Farhad Khosrokhavar sont présentés de manière synthétique, en s’attachant à mettre en exergue leurs points de rencontre comme leurs divergences. La seconde partie du chapitre revient sur la manière dont a émergé une politique publique de prévention et de lutte contre la radicalisation, après 2012. À partir de l’étude de différents documents dont des rapports parlementaires et la documentation administrative annexe au régime général des lois et des décrets, les auteurs analysent la mise en forme progressive du modèle français de prévention de la radicalisation. De fait, cette politique publique s’est construite empiriquement. Elle apparaît comme un « bricolage institutionnel » qui s’ajuste, après coup, au renouvellement permanent de besoins focalisés. Les auteurs soulignent d’ailleurs les critiques qu’elle a pu susciter, y compris de la part de chercheurs et de personnalités scientifiques. L’analyse fait également émerger un point important : ces réajustements ont conduit à ce que le travail social soit dorénavant inclus dans la politique publique de prévention et de traitement de la radicalisation. Cette évolution produit des résistances éthiques, politiques, et quelquefois corporatistes, d’une partie des travailleurs sociaux impliqués : « tout en ne refusant pas, pour la majorité des intervenants, par principe, de participer aux actions et dispositifs de lutte contre la radicalisation politico-religieuse, ceux-ci souhaitent néanmoins obtenir une clarification du cadre de leurs interventions d’un point de vue juridique et déontologique et bénéficier de connaissances en sciences humaines sur les processus de radicalisation et les débats qu’ils suscitent pour mieux agir en faveur du lien social pensé comme le premier rempart contre les processus de radicalisation et de radicalités identitaires » (p. 73).
6Le chapitre 2 revient sur le programme de recherche qui a conduit à la rédaction de l’ouvrage. Il est l’occasion de présenter les questionnements, hypothèses de recherche qui l’ont structuré. La méthodologie déployée, qui sera ensuite détaillée pour chacun des terrains analysés, est également précisée. Elle repose sur une articulation entre différentes méthodes qualitatives et participatives : recueil et analyse de documents, entretiens semi-directifs, observations directes.
7La deuxième partie regroupe deux chapitres (chapitres 3 et 4) traitant des représentations de la radicalisation chez les travailleurs sociaux.
- 2 Ce chapitre a été écrit par Hervé Marchal, professeur de sociologie à l’université de Bourgogne au (...)
8Le chapitre 32 s’intéresse à un champ local d’acteurs engagés d’une façon ou d’une autre dans des actions de prévention et de lutte contre la radicalisation religieuse, au sein d’un vaste quartier d’habitat social paupérisé d’une agglomération de 320 000 habitants, présenté comme un « laboratoire social » en matière de radicalisation. L’auteur de ce chapitre précise que ce quartier a été retenu comme terrain d’étude en raison de la multiplicité des acteurs qui y interviennent, ce qui le fait apparaître comme un « laboratoire social » à même de faciliter la compréhension des positionnements idéologiques et pragmatiques des acteurs engagés en la matière sur le terrain, des tensions existant entre ces derniers, ainsi que de celles auxquelles ils doivent faire face sur un plan aussi bien collectif qu’individuel. L’enquête de terrain alimentant ce chapitre a été menée entre 2017 et 2018, dans un contexte encore marqué par une forme de flou institutionnel. Elle s’est déployée à partir des questionnements suivants : comment les acteurs justifient-ils leurs actions et leurs jugements ? Quel sens donnent-ils à leur travail dans ce domaine ? L’enquête montre que tous les acteurs rencontrés ont cherché à s’équiper d’expertises plurielles, plus ou moins savantes, pour tenter de comprendre la nouvelle problématique de la radicalisation, à travers une démarche faite de tâtonnements, d’appropriation plus ou moins aboutie, largement brouillonne. Face aux aléas du terrain, les acteurs ont finalement essayé de se fabriquer un stock de connaissances et de ressources disponibles en puisant dans différentes disciplines qui relèvent des sciences humaines et sociales (SHS). Parallèlement, de nouveaux postes pour combattre et prévenir la radicalisation ont été créés. À ce niveau également, tout était à inventer. Apparaissent ainsi dans les pratiques et les représentations des acteurs quatre modèles d’individus radicalisés sur la base de ces usages « maladroits, limites, circonstanciés » des théories existantes sur la radicalisation : le modèle de l’individu déterminé par son milieu et son passé ; le modèle de l’individu relationnel qui se construit avec ses pairs ; le modèle de l’individu rationnel qui se trompe en croyant ; le modèle de l’individu désenchanté et frustré qui veut exister. Or, « plus les acteurs engagés dans la lutte et la prévention de la radicalisation sont face à des modèles d’individus implicites divers et variés renvoyant à de multiples orientations théoriques et disciplinaires internes aux SHS, plus ils sont face à des ambivalences, des doutes, des tensions, voire des dilemmes dans leur quotidien » (p. 105). Cette analyse est à mettre en relation avec l’observation concernant les appropriations ordinaires et arbitraires de notions « lourdes » par les acteurs de terrain. Les acteurs rencontrés manient sans beaucoup de précisions et avec « une certaine dose d’arbitraire » des notions complexes. Sont ainsi par exemple notés des usages pluriels et peu cohérents des mots « social » ou « culture », et des usages « polémiques » des notions d’identité ou de diversité. La conclusion du chapitre 3 permet enfin de dégager de façon idéal-typique quatre postures relatives aux acteurs rencontrés et observés quant à la prévention de la radicalisation : une posture « distanciée et prudente » à travers laquelle les acteurs attestent d’une certaine perplexité vis-à-vis de la radicalisation en tant que telle pour insister sur l’importance des inégalités sociales perçues comme étant à l’origine de la radicalisation ; une posture « opportuniste et identitaire », plus rarement observée, portée par des acteurs récents dans le champ de l’action sociale manifestant une envie de « multiculturalisme » et profitant des financements publics pour s’organiser en ce sens ; une posture « morale et compassionnelle » à travers laquelle il s’agit d’adopter une posture assimilationniste pour insister sur l’importance de transmettre un cadre culturel attaché à la république ; une posture « experte et efficace » mobilisée par des acteurs au prisme de la sécurité qui apparaît comme l’enjeu majeur de la radicalisation, ce qui suppose une logique répressive assumée.
- 3 Ce chapitre a été rédigé par Régis Pierret, docteur en sociologie, formateur-chercheur à l’IRTS-IDS (...)
- 4 ARS, préfecture, conseil départemental, PJJ, travailleurs en foyer de l’enfance, directeurs générau (...)
9Le chapitre 43, intitulé « Une radicalisation aux multiples visages », rend compte de la partie de la recherche menée à l’échelle d’un département auprès de différents référents « radicalisation » et travailleurs sociaux4. Plusieurs conclusions peuvent retenir notre attention dans le cadre de cette étude localisée. Sur ce territoire tout d’abord, la radicalisation constitue un épiphénomène, largement associé à des jeunes filles, souvent converties, perçues comme extrêmement vulnérables et radicalisées à travers la logique de l’emprise de « princes charmants ». Il apparaît par ailleurs que les travailleurs sociaux perçoivent la radicalisation comme une conduite à risque au milieu d’autres comportements dangereux des adolescents. Enfin, l’étude est l’occasion de mettre au jour des points d’attention que les acteurs identifient à partir de leurs propres pratiques de prise en charge de la radicalisation : intérêt du travail en face-à-face avec les mineurs, prise en compte des pratiques numériques des jeunes suivis, questionnement sur la gestion des fins de prise en charge liées au fait que les jeunes atteignent l’âge limite des suivis.
10La troisième partie s’intitule « Pratiques socio-éducatives et revendications musulmanes » et regroupe deux chapitres (5 et 6).
- 5 Ce chapitre a été rédigé par Manuel Boucher.
11Le chapitre 55, « Des travailleurs sociaux à l’épreuve des identités culturelles et religieuses musulmanes », est consacré aux acteurs du champ social exerçant dans un foyer de l’enfance et deux associations au sein d’un autre département. Il est l’occasion d’aborder différentes problématiques de terrain concernant les « revendications religieuses des enfants placés et de leurs familles » et les « confrontations communautaires » pouvant exister dans les structures d’accueil. À travers les récits de la manière dont différents professionnels traitent de questions très concrètes (revendications alimentaires, etc.) et dont ils interprètent certaines situations se donnent à voir des pratiques, des représentations et des valeurs différentes et évolutives. Les exemples précis liés à la prise en charge de jeunes filles converties ou de mineurs non accompagnés (MNA) permettent de saisir concrètement la difficulté de conjuguer le respect de la pratique religieuse des jeunes avec celui du cadre dans lequel ils sont accueillis. À travers ces exemples est mise en lumière la manière dont les revendications religieuses de certains jeunes, quelquefois provocatrices et confrontationnelles, viennent bousculer les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux (éducateurs, assistants familiaux, etc.) et poser de nouvelles questions sur la manière de faire vivre au quotidien les principes républicains, au premier rang desquels la laïcité, sans que l’enjeu ne soit d’ailleurs toujours au sens strict celui de la radicalisation. Au fil du chapitre émerge en effet une question qui semble particulièrement vive pour les travailleurs sociaux rencontrés : comment endiguer des dynamiques perçues comme relevant du repli communautaire et les fractures identitaires qu’elles engendrent, sans pour autant participer à stigmatiser l’ensemble des familles musulmanes ? Le chapitre se clôt sur plusieurs pistes opérationnelles pouvant permettre d’accompagner les travailleurs sociaux en ce sens.
- 6 Ce chapitre a été rédigé par Brigitte Baldelli (docteure en sociologie, chargée de recherche à l’IR (...)
12Le chapitre 66 porte sur les « réalités socioprofessionnelles des travailleurs sociaux de la PJJ face à la radicalisation ». Le terrain de l’enquête est celui d’une agglomération du nord de la France présentée comme fortement paupérisée et où le nombre de personnes fichées S ne dépasse pas la moyenne nationale. Il s’agit de saisir comment les professionnels se représentent le risque de radicalisation, comment ils repèrent les jeunes et quels sont leurs questionnements professionnels et éthiques. Sont également abordées les tensions observées chez les travailleurs de la PJJ à propos des questions de religion, de laïcité et de radicalisation dans le quotidien des accompagnements. Les auteurs rappellent que la PJJ a mis en place dès 2014 des formations destinées à ce que les professionnels soient mieux armés intellectuellement pour discerner et prévenir la radicalisation. Ils constatent néanmoins aussi les limites de cette politique volontariste à travers les doutes et questionnements exprimés par les éducateurs rencontrés. Ces professionnels demeurent en effet mal à l’aise avec la thématique de la radicalisation. Ils ont peur de stigmatiser les jeunes et les familles, craignent de signaler à tort, sans fondement précis, voire de produire de ce fait des comportements de radicalisation autoréalisateurs. Apparaissent en outre des questions spécifiques liées au travail des équipes de la PJJ lorsqu’il s’agit de radicalisation : comment distinguer les vraies menaces des provocations gratuites, les demandes religieuses des revendications culturelles et identitaires ? Comment éviter de créer des tensions dans des équipes déjà malmenées par des publics difficiles ? Les professionnels éprouvent des difficultés à se saisir de l’enjeu de l’identification des risques de radicalisation. Ils déploient ainsi différentes stratégies d’évitement, dont le fait de préférer une entrée par la laïcité et non par la radicalisation, sur les terrains.
13La dernière partie de l’ouvrage (chapitres 7 et 8) est dédiée à la prévention de la radicalisation et à la prévention sociale territoriale.
- 7 Ce chapitre a été écrit par Agathe Petit, docteure en anthropologie, responsable des études et de l (...)
14Le chapitre 77, « Quand la prévention de la radicalisation rencontre la prévention spécialisée », est focalisé sur une enquête de terrain menée sur un territoire présenté comme pionnier, à partir de 2014, dans la mise en œuvre des orientations des politiques publiques de prévention et de lutte contre la radicalisation. L’auteure interroge la réalité des institutions et des acteurs de la protection de l’enfance ainsi que leurs représentations du phénomène de radicalisation, la construction du dispositif de prévention de la radicalisation au niveau départemental et la transformation des pratiques des acteurs de la protection de l’enfance, plus particulièrement ceux de la prévention spécialisée. Ces derniers occupent en effet une place centrale et inédite dans le dispositif créé, ce qui induit des transformations, des adaptations dans les pratiques, les rôles et les fonctions, venant réactiver des tensions anciennes ou en activer de nouvelles. L’analyse montre ainsi comment se sont développées des pratiques singulières en lien avec un contexte évolutif, en distinguant deux périodes. La première, de 2016 à mi-2017, est celle d’un contexte de forte pression liée au risque d’attentat, de sidération liée à la multiplication des actes terroristes, des tentatives de passage à l’acte et de départ vers les zones de conflits. Les travailleurs sociaux impliqués développent des pratiques largement imprégnées du registre sécuritaire afin de protéger et prévenir les risques. À partir de 2017, le contexte évolue. La pression se fait moins forte, le niveau d’inquiétude des pouvoirs publics comme des travailleurs sociaux diminue. On assiste alors à une re-normalisation des pratiques professionnelles, à un ré-arrimage plus solide à la prévention spécialisée et au droit commun, en lien avec la réorientation des politiques publiques de prévention de la radicalisation.
- 8 Ce chapitre a été écrit par Mohamed Belqasmi, sociologue, chargé de recherche rattaché au Laboratoi (...)
15Le chapitre 88, « Prévention sociale territoriale, politique de sécurité et revival musulman », opère une focalisation nouvelle par rapport au reste de l’ouvrage, tout en mobilisant le même type de méthodologie et de questionnements. Il s’agit en effet de s’intéresser à la réorganisation de la politique locale de sécurité et de prévention de la délinquance à l’échelle d’une commune, face au nouveau problème de la radicalisation. Il est aussi question d’interroger les pratiques d’intervenants sociaux présentés comme des « pacificateurs indigènes » là où le référent socioculturel musulman est une réalité dominante. Dans le contexte décrit, la radicalisation violente n’apparaît pas comme un problème à traiter ; la question qui se pose est plutôt celle de leurs capacités d’agir dans un environnement de relégation sociale, d’affaiblissement de l’action sociale de proximité, où la norme religieuse majoritaire conservatrice influe sur les comportements les plus intimes. Or, se donnent à voir les inadaptations de la dynamique sécuritaire qui encadre leur action et le risque de créer des effets inverses à celui qu’elle vise : « produire de la défiance plus que de la confiance et, ainsi, faire le jeu de l’islamisme » (p. 381). Sont également soulignés les dangers d’un positionnement des élus locaux vis-à-vis des acteurs islamistes qui serait principalement guidé par des fins électoralistes.
16L’ouvrage se termine sur une conclusion générale qui reprend et synthétise les principaux résultats exposés au fil des chapitres. Cet effort de transversalité formalise le lien entre les différents terrains investigués, ce qui est appréciable. Face à la richesse et aux détails des enquêtes présentées, le lecteur peut en effet éprouver quelques difficultés à tenir ensemble tous les éléments analytiques mis au jour. La conclusion propose en outre différentes perspectives de réflexion et d’action centrées sur l’amélioration de la lutte contre « les processus de rupture culturelle constituant le terreau du passage à la violence » que les auteurs jugent insuffisamment pris en compte dans la politique publique de prévention des violences djihadistes, telle qu’elle est mise en œuvre dans l’intervention sociale.
17Au bout du compte, le lecteur trouvera dans cet ouvrage de riches enquêtes de terrain, articulées à des concepts théoriques que les auteurs ont fait l’effort de présenter, y compris dans les débats qu’ils peuvent susciter dans le champ académique. Le choix de laisser une place importante à des exemples précis de situations concrètes et à la voix des intervenants sociaux permet au lecteur de se faire une bonne idée des défis qu’ils doivent affronter au quotidien, et, de ce fait, de comprendre pourquoi leurs représentations de la radicalisation et leurs pratiques sont hétérogènes, d’une part, et en quoi elles viennent bousculer l’exercice quotidien de leurs professions, d’autre part.
Notes
1 Ces chapitres ont été rédigés par Manuel Boucher.
2 Ce chapitre a été écrit par Hervé Marchal, professeur de sociologie à l’université de Bourgogne au sein du département de sociologie, membre du centre Georges Chevrier (UMR CRNS 7366).
3 Ce chapitre a été rédigé par Régis Pierret, docteur en sociologie, formateur-chercheur à l’IRTS-IDS Normandie.
4 ARS, préfecture, conseil départemental, PJJ, travailleurs en foyer de l’enfance, directeurs généraux et travailleurs sociaux d’associations œuvrant à la protection de l’enfance ou du conseil départemental.
5 Ce chapitre a été rédigé par Manuel Boucher.
6 Ce chapitre a été rédigé par Brigitte Baldelli (docteure en sociologie, chargée de recherche à l’IRTS (FAIRE ESS), maître de conférences associée à l’Université de Perpignan Via Domitia) et Dominique Sistach (maître de conférences en droit public à l’UPVD, membre du CDED (EA UPVD 4216), membre associé du CORHIS (EA 7400 UPVD-UPVM)).
7 Ce chapitre a été écrit par Agathe Petit, docteure en anthropologie, responsable des études et de la recherche au sein de l’IRTS PACA et Corse.
8 Ce chapitre a été écrit par Mohamed Belqasmi, sociologue, chargé de recherche rattaché au Laboratoire d’étude et de recherche sociales (LERS) de l’IRTS-IDS Normandie, doctorant à l’université Côte-d’Azur et membre du laboratoire URMIS.
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Référence électronique
Amandine Kervella, « Manuel Boucher (dir.), L’enfance en danger face aux radicalités musulmanes. Représentations, pratiques et ambivalences des intervenants sociaux », Sociétés et jeunesses en difficulté [En ligne], 27 | Printemps 2022, mis en ligne le 01 septembre 2022, consulté le 07 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/sejed/11524
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