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Vents d’est, vents d’ouest

Science et politique pendant la guerre froide : la sexologie dans la Roumanie communiste

Luciana M. Jinga
p. 79-98

Texte intégral

Introduction

  • 1 W. de Jong-Lambert, « Breaking the Wall: A National and Transnational Perspective on East-European (...)
  • 2 State Socialist Experts in Transnational Perspective. East European Circulation of Knowledge during (...)

1La chute des régimes communistes dans l’Europe centrale et orientale s’est accompagnée de l’ouverture des archives régionales, entraînant l’apparition de nouvelles directions de recherche sur le concept de « guerre froide ». Les nouvelles études, qu’elles touchent les rapports Ouest-Est ou Nord-Sud, privilégient l’approche transnationale et une définition plus dynamique des frontières géographiques, idéologiques et politiques. Les recherches récentes sur la circulation des savoirs et les agents qui ont animé les réseaux scientifiques, culturels et professionnels interrogent l’étanchéité du rideau de fer. Elles montrent que si le cadre d’analyse va au-delà d’une histoire strictement politique, les relations entre et à l’intérieur des blocs idéologiques se présentent de manière beaucoup plus complexe, conclusions qui nous obligent à revoir l’historiographie sur la guerre froide. Le cas roumain est l’exemplification de cette nouvelle démarche épistémologique. En 2017, l’Institut pour l’investigation des crimes du communisme et la mémoire de l’exil roumain et l’Université d’Angers ont organisé la conférence internationale « Breaking the wall : A national and transnational perspective on East-European Science (1945-1990) »1. L’année suivante, une équipe de chercheurs roumains a publié State Socialist Experts in Transnational Perspective. East European Circulation of Knowledge during the Cold War (1950s–1980s)2. Ces différentes analyses ont souligné l’importance des choix personnels, une grande diversité d’actions au-delà des frontières nationales et la fluidité des géographies qui échappent aux axes traditionnels Est-Ouest et Nord-Sud.

2Notre recherche intègre ces dernières conclusions et propose une étude de l’évolution de la sexologie en tant que domaine scientifique dans la Roumanie communiste, en commençant par la publication des premiers ouvrages dans le domaine, à la fin des années 1960, jusqu’à la chute du régime, en 1989.

3L’article propose une analyse des réseaux scientifiques, formels et informels qui, tout en facilitant le transfert scientifique entre l’Ouest et l’Est dans le contexte de la guerre froide, ont façonné le champ scientifique de la sexologie en imposant des credos scientifiques personnels dans un contexte national particulier. La question n’est pas de savoir si, mais plutôt comment les scientifiques du bloc socialiste ont réussi à maîtriser et à mobiliser les mêmes avancées scientifiques que leurs collègues occidentaux. Notre hypothèse est que, malgré la mise à l’écart officielle des disciplines dites « bourgeoises » après 1947 et l’installation du régime communiste, les scientifiques roumains, membres respectés des organisations internationales et en même temps hauts responsables du parti, ont maintenu un dialogue intellectuel avec leurs pairs des pays occidentaux. Ils ont également réussi à promouvoir, adapter et implanter les disciplines occidentales auxquelles ils s’intéressaient personnellement. Ce faisant, le domaine a été travaillé par une double dynamique. La première est l’expertise scientifique de son (ses) « protecteur(s) », l’habilité de ses animateurs à naviguer, professionnellement et politiquement, dans les eaux troubles d’un régime totalitaire. Pour le cas de la sexologie, les scientifiques qui ont joué un rôle crucial dans le développement du domaine en Roumanie sont les endocrinologues placés sous la direction de Ștefan Milcu.

  • 3 K. R. Ghodsee, Why Women Have Better Sex Under Socialism: And Other Arguments for Economic Independ (...)
  • 4 Nous traduisons. K. R. Ghodsee, « What the socialist Kama Sutra tells us about sex behind the Iron (...)
  • 5 K. R. Ghodsee, Why Women Have Better Sex Under Socialism…, op. cit., p. 145.
  • 6 L. M. Jinga, Gen și reprezentare în România comunistă, 1944–1989, Iași, Polirom, 2015 ; L. M. Jinga(...)

4Dans la présentation de son dernier livre3, Kristen Ghodsee, ethnographe américaine et professeure d’études russes et est-européennes, a fait valoir qu’en dépit des stéréotypes, « une vie sexuelle très active existait de l’autre côté du rideau de fer, bien que l’existence d’un débat public autour du phénomène variât considérablement d’un pays à l’autre et à différentes périodes »4. Si des pays comme la Bulgarie, la Pologne, la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie et la République démocratique allemande avaient des manuels sexuels et même des magazines érotiques qui copiaient le fameux Playboy, l’Union soviétique (URSS) était plus pudique et « le pire endroit pour naître femme était la Roumanie, où le socialisme d’État faisait peu pour contester la despotique culture patriarcale »5. L’opinion de Ghodsee fait écho à la réponse qu’un bibliothécaire expérimenté m’a donnée lors de mes recherches à la bibliothèque de l’Académie roumaine : « Mademoiselle, on n’avait pas de telles publications à l’époque. Pendant le régime communiste, nous étions des gens sérieux. Vous, les chercheurs, devriez le savoir ! » En effet, la recherche sur le(s) régime(s) de genre en Roumanie pendant le communisme ignore le sujet, ou limite – et non sans raison – la discussion sur la sexualité roumaine aux politiques natalistes et ses conséquences6.

  • 7 J. Massino, Ambiguous Transitions: Gender, the State, and Everyday Life in Socialist and Postsocial (...)
  • 8 E. Biebuyck, « The Collectivization of Pleasure: Normative Sexuality in Post-1966 Romania », Aspasi (...)

5Toutes les recherches qui ont privilégié une approche d’histoire orale ont souligné les difficultés rencontrées par les couples roumains en général et les femmes en particulier pour éviter (ou interrompre) une grossesse non désirée7. Après 1966, le gouvernement communiste a strictement limité l’accès à la contraception tout en mettant en place un contrôle féroce sur la population afin de prévenir les avortements illégaux. Apparemment, une vie sexuelle heureuse et épanouie était inconcevable dans la société communiste roumaine, malgré l’existence de manuels sur la sexualité8. Il semblait aussi que les scientifiques roumains partageaient le même manque d’intérêt pour l’étude du comportement sexuel humain, soit la définition de la sexologie que nous utilisons dans cet article.

6Dans ce contexte, comment la sexologie a-t-elle réussi à alimenter l’actualité scientifique et publique dans le pays le plus prude du bloc de l’Est ? Quelle est la spécificité du cas roumain en termes de production scientifique sur la sexologie ? Dans le contexte de la guerre froide, totalitaire, qui a le plus bénéficié de la circulation des connaissances : la population, la communauté scientifique ou l’agenda politique du régime communiste ?

7Pour répondre à ces questions, l’article examinera d’abord l’évolution politique et scientifique roumaine dans le contexte plus large de la guerre froide ainsi que la définition de la sexologie en Roumanie communiste et la perception publique de la sexualité en général. La deuxième partie est une analyse de la production scientifique en sexologie. À travers le cas des scientifiques dirigés par Ștefan Milcu, nous allons voir comment une discipline scientifique pouvait ignorer, au moins partiellement, les restrictions de la guerre froide, en montrant que :

  1. les publications roumaines sur la sexologie utilisaient exclusivement la littérature occidentale disponible ;

  2. les priorités démographiques de la Roumanie communiste ont façonné les travaux scientifiques sur la sexologie ;

  3. l’évolution de la discipline est intimement liée à la carrière académique et politique des principaux auteurs.

  • 9 Exemples de manuels : A. Deculescu, C. Păunescu, T. Stoica et T. Trutzer, Carte pentru tineri [Livr (...)

8Notre toute première démarche a été de retrouver les œuvres roumaines de sexologie et de retracer la circulation et l’utilisation des connaissances scientifiques à travers le rideau de fer. En nous basant sur la très riche et complète collection de la bibliothèque de l’Académie roumaine et la Bibliothèque universitaire centrale de Bucarest, nous avons identifié plus de trente publications qui incluent des éléments de sexologie. Seuls quatre titres appartiennent au domaine médical de la sexologie : T. Stoica, Sexologie normală și patologică (Sexologie normale et pathologique), Bucarest, Editura Medicală, 1970 ; T. Stoica, Sexologie (Sexologie), Bucarest, Editura Medicală (1972, 1975) ; V. Săhleanu et I. Macavei, Vita sexualis, Bucarest, Editura Enciclopedică Română, 1972 ; Tudor Stoica, Pubertate normala si patologica (Puberté normale et pathologique), Bucarest, Editura Medicală, 1982. La majorité restante correspond à la catégorie des manuels d’hygiène ou d’éducation sexuelle9. Afin de définir ces deux catégories, nous avons analysé le contenu des ouvrages selon quatre critères : la démarche épistémologique, l’utilisation des dernières publications scientifiques occidentales, la présence d’éléments de propagande communiste concernant la sexualité, la politique éditoriale de la maison d’édition. Outre ces livres, nous avons identifié et utilisé les documents d’archives disponibles et les sources secondaires. Pour examiner le lien entre l’activité scientifique et la carrière politique des sexologues roumains, nous avons croisé leurs archives personnelles et scientifiques avec les archives du Parti communiste roumain. Les archives personnelles de Ștefan Milcu, avec une collection impressionnante de vingt mètres linéaires, se sont révélées particulièrement riches et sont disponibles aux Archives nationales roumaines de Bucarest.

9Enfin, afin d’examiner la réception des écrits de sexologie par les praticiens hospitaliers, nous avons utilisé une approche d’histoire orale. L’enquête a été menée pendant trois mois, d’octobre à décembre 2018, auprès de 27 médecins qui ont fait leurs études de médecine dans les années 1970 et 1980 (1972-1988) dans les plus importantes universités roumaines. Ils ont été interrogés (par téléphone ou par e-mail) sur deux questions :

  1. Les publications roumaines ou étrangères sur la sexologie étaient-elles intégrées au programme de leurs études universitaires de médecine ? ;

  2. Ont-ils utilisé des publications de sexologie dans leur pratique hospitalière au profit de leurs patients ?

Le retour

  • 10 K. R. Ghodsee, Why Women Have Better Sex Under Socialism…, op. cit., p. 133.
  • 11 K. Lišková, « Sex under socialism: From emancipation of women to normalized families in Czechoslova (...)
  • 12 K. R. Ghodsee, Why Women Have Better Sex Under Socialism…, op. cit., p. 148.

10L’argumentation Ghodsee repose sur trois observations majeures qui caractérisent l’ensemble du bloc de l’Est. Premièrement, les gouvernements mettent en œuvre un large éventail de politiques qui conduisent à une plus grande indépendance économique des femmes, ce qui leur permet de quitter plus facilement une relation insatisfaisante. Selon la théorie de l’économie du sexe de Kristen Ghodsee, dans les pays où le degré d’indépendance économique des femmes est généralement plus élevé, comme ceux du bloc de l’Est, le sexe ne serait plus une marchandise, donc les hommes seraient plus incités que leurs homologues occidentaux à améliorer leur comportement afin d’avoir accès à une vie intime, sensuelle et/ou sexuelle10. Deuxièmement, pour des raisons idéologiques, ou simplement stratégiques (pour distraire les gens des avatars d’une vie monotone, parfois flétrie par les privations), les États socialistes encouragent l’émergence de la sexologie comme discipline originale, destinée à améliorer la vie sexuelle de leurs citoyens et le sentiment général de bonheur. En même temps, les pouvoirs publics permettent et même encouragent la publication et la diffusion de toute une série d’« incitations », y compris les manuels d’éducation sexuelle plus ou moins explicites et même des magazines érotiques. Troisièmement, dans le contexte de la guerre froide, le plaisir sexuel féminin acquiert une dimension idéologique. Le capitalisme est critiqué pour désavantager les femmes, qui ne peuvent pas profiter pleinement des relations sexuelles, car elles sont entièrement dépendantes des hommes11. Du côté socialiste du rideau de fer, la propagande officielle soutient que « la sexualité doit être dissociée de l’échange économique », une condition nécessaire pour rendre les relations amoureuses plus « authentiques et honnêtes qu’en Occident »12. Dans une relation basée sur une réelle amitié et un respect mutuel, les hommes auraient plus envie de faire un effort supplémentaire pour le bonheur de leur partenaire, en s’instruisant sur l’anatomie féminine ou en partageant la responsabilité des tâches ménagères.

  • 13 K. Lišková, Sexual Liberation, Socialist Style. Communist Czechoslovakia and the Science of Desire, (...)

11Les sexologues insistent sur le fait que l’aspect physique n’est qu’une partie du problème et qu’une femme reposée et détendue sera plus désireuse d’avoir et d’apprécier les relations sexuelles. Là encore, la propagande officielle de l’État affirme fermement la supériorité du système socialiste qui, contrairement au système capitaliste, offre des services afin de renforcer l’égalité déjà proclamée entre les hommes et les femmes dans tous les domaines, y compris la chambre à coucher. Les études de genre ont montré les effets positifs des mesures égalitaristes dans les pays du bloc de l’Est. Pourtant, une analyse plus poussée devrait également prendre en considération les discontinuités, à la fois géographiques et chronologiques, de la démarche égalitaire. Si la promotion de l’emploi féminin est une priorité régionale de la première décennie d’après-guerre, les études sur la sexualité manquent dans la plupart des pays d’Europe centrale et orientale, à l’exception de la Tchécoslovaquie13.

12Si l’on ajoute les contextes nationaux particuliers (intérêts natalistes, rôle de l’Église catholique/orthodoxe, niveau général d’urbanisation/alphabétisation), la carte qui en résulte en termes de régimes de genre – y compris le discours public sur la sexualité et la sexologie – est assez contrastée.

  • 14 S. Șerbănescu, Codul familiei [Code la Famille], Bucarest, Editura Științifică, 1963, p. 12.

13En tant que membre du bloc de l’Est, la Roumanie promeut elle aussi l’émancipation des femmes par le biais de l’indépendance économique et l’émergence d’une morale sexuelle socialiste. Au cours de la première décennie de son pouvoir, le régime communiste introduit des politiques visant à ouvrir tous les domaines d’activité aux femmes. La propagande insiste sur la nécessaire présence féminine dans les bastions masculins traditionnels, y compris en politique. Le régime communiste roumain ne voit toutefois pas l’égalité des sexes comme un processus continu et évolutif. Du point de vue de l’État, la mise en place d’un régime juridique égalitaire garantit l’égalité entre les femmes et les hommes. Par conséquent, toutes les politiques concernant la vie de famille et/ou les relations sexuelles sont conçues en partant du principe qu’à l’intérieur du couple, les relations entre les partenaires sont guidées par « l’amour authentique, la véritable amitié, la compréhension et le respect mutuel »14. Cette image du couple intègre la définition de la morale socialiste selon laquelle le plaisir sexuel, bien que souhaité, ne doit être exploré que par le couple hétérosexuel :

  • 15 Nous traduisons. T. Stoica, Sexologie normală și patologică, Bucarest, Editura Medicală, 1970, p. 1 (...)

À l’intérieur du système bourgeois, c’est l’argent qui décide des relations entre les hommes et les femmes. Dans le système socialiste, où toutes les formes d’exploitation ont cessé d’exister, la vie sexuelle est gouvernée par des normes et des principes de conduite éthique et morale complètement différents de ceux de la bourgeoisie. Ces nouvelles règles ont été élaborées selon la nouvelle conception de la morale socialiste des relations sexuelles. En faisant cela, nous rejetons la monogamie capitaliste pour parvenir à la vraie monogamie, possible uniquement dans le socialisme. La conduite éthique et morale socialiste implique une parfaite harmonie entre les intérêts et les aspirations de chaque individu et les intérêts de sa communauté15.

14Suivant le modèle soviétique, toutes les tentations possibles, telles que le sexe rémunéré, l’homosexualité et l’adultère, sont sévèrement punies :

  • 16 Nous traduisons. Ibid., p. 252.

La législation de notre pays s’appuie sur la morale sexuelle socialiste, elle protège l’inviolabilité sexuelle de chaque citoyen et sanctionne les délits. La vie sexuelle ne concerne pas seulement l’individu, les relations sexuelles sont liées à la fonction de reproduction, qui pour l’homme n’est pas seulement un phénomène biologique, mais avant tout social. Pour cette raison, le Code pénal s’intéresse aux problèmes sexuels et aux relations conjugales, en soutenant le mariage et la famille. Il sanctionne l’abandon familial, la maltraitance des enfants, le viol, la perversion sexuelle, la prostitution. Les conséquences sociales de ces brutalités sont connues dans les pays capitalistes où elles conduisent à la dégénérescence de la population et sapent la base même de la société, la famille16.

15Dans la tourmente de l’après-guerre, le gouvernement communiste, en phase de consolidation, a tous les motifs pour soutenir un modèle familial traditionnel et patriarcal. Les rapides processus d’industrialisation et d’urbanisation entraînent une importante migration de la population, non seulement des ruraux vers les villes, mais aussi entre les différentes régions de la Roumanie. Le gouvernement craint que les déplacés, pour la plupart des jeunes, une fois libérés de la surveillance de leur communauté, ne connaissent les maux de la promiscuité : maladies vénériennes, grossesses non désirées, prostitution. Pour le régime, le mariage est la solution pour (ré)établir et renforcer le contrôle sur une importante frange de la population.

16En 1966, le régime communiste décide d’appliquer la politique nataliste la plus dure du bloc de l’Est. Le décret 770/1966 limite l’accès à l’avortement aux femmes de moins de 45 ans ayant mis au monde moins de quatre enfants, renversant une loi antérieure (1957) autorisant l’interruption volontaire de grossesse. Pour renfoncer le programme nataliste, le divorce devient également une solution exceptionnelle pour dissoudre un mariage. Selon la propagande communiste, la famille est sacrée et la toute première cellule de la société, il faut donc la renforcer. Pour faire passer la pilule, le montant des allocations familiales est légèrement augmenté et un vaste réseau de crèches et d’écoles maternelles mis à la disposition des familles ouvrières. Le dernier défi, et non des moindres, est d’assurer aux couples roumains une vie sexuelle heureuse et épanouie. Le développement de la sexologie est la solution trouvée par les autorités. Le régime communiste se soucie peu de l’insatisfaction sexuelle individuelle, mais craint son impact à long terme sur la réussite de la politique nataliste. Derrière l’intérêt officiel pour la sexologie et l’importance donnée à l’orgasme féminin se cachent de tout autres objectifs :

  • 17 Nous traduisons. T. Stoica, op. cit., p. 178.

Si l’éjaculation précoce est la norme, la femme n’atteindra pas l’orgasme, donc elle ne jouira pas et son mécanisme physiologique délicat sera endommagé, entraînant des conséquences telles que des mécanismes inhibiteurs, voire de la frigidité. Cette situation est désastreuse pour un mariage, même si la relation entre partenaires ne repose pas uniquement sur le sexe. Un jour, le mari trouvera d’autres partenaires. Quant à la femme, dans la plupart des cas, elle abandonnera et acceptera la situation, tout en gardant secrètement du ressentiment contre le mari. Mais il y a des cas où la femme découvre elle aussi les plaisirs du sexe dans les bras d’un autre homme. Dans d’autres cas, heureusement moins fréquents, elle finit par changer plusieurs fois de partenaires, à la recherche insatiable de l’épanouissement sexuel17.

17Les médecins roumains identifient trois éléments entraînant la disharmonie sexuelle : le manque d’informations appropriées sur l’anatomie humaine et la physiologie du rapport sexuel (pour les experts roumains, c’est la première cause d’une technique maladroite ou d’une méconnaissance des mécanismes du plaisir lors des rapports sexuels) ; la persistance des mentalités « bourgeoises » : un mari insensible aux besoins et aux sentiments de sa femme, une épouse piégée dans un mariage de convenance, des adolescents qui reproduisent l’expérience du mariage rigide et/ou malheureux de leurs parents ; une condition pathologique, généralement due à une maladie endocrinienne. Afin d’éduquer les citoyens en la matière, les autorités communistes encouragent la publication de manuels d’éducation sexuelle pour les adolescents et les couples mariés ainsi que celle d’ouvrages de sexologie.

18La fin de la Seconde Guerre mondiale et l’occupation soviétique portent un premier coup à la vie scientifique roumaine. Mais les changements radicaux ne se produisent qu’après la prise du pouvoir par le Parti communiste roumain (PCR). En 1948, l’Académie roumaine est dissoute et remplacée par l’Académie de la République populaire de Roumanie (Académie RPR), institution subordonnée directement au Conseil des ministres et contrôlée par le Comité central du PCR. La mission de la nouvelle Académie est le déploiement d’une nouvelle politique scientifique sur le « modèle soviétique ».

  • 18 C. Oghină-Pavie, « Le fil rouge. Pratiques mémorielles dans les sciences de la vie en Roumanie comm (...)

19Les changements concernent toutes les disciplines, mais les sciences de la vie – où les oppositions idéologiques sont les plus importantes – sont les plus impactées. Le domaine de la biologie est complètement bouleversé par le lyssenkisme et la critique de la génétique mendélienne (puis de l’eugénisme), qualifiée de science bourgeoise et stérile. La médecine, la psychologie et la psychiatrie sont également touchées par l’introduction du pavlovisme, doctrine basée sur les travaux d’Ivan Pavlov sur les réflexes conditionnés. Le modèle scientifique soviétique s’impose dans un climat général de répression et d’intimidation : purges, arrestations, censure politique des publications et même travail forcé pour les insoumis18.

  • 19 Traian Săvulescu (1889-1963) : biologiste réputé, formé en Roumanie, spécialisé dans la botanique s (...)
  • 20 Constantin I. Parhon (1874-1969) : militant de gauche depuis l’entre-deux-guerres, Parhon est le fo (...)

20Pourtant, la répression ne vise pas de manière égale tous les chercheurs. Chaque discipline compte au moins un scientifique de haut niveau, leader dans son domaine, qui soutient officiellement la science soviétique tout en occupant une position importante dans les rangs du PCR. Pour les sciences de la vie, les deux leaders soutenus par l’appareil d’État sont Traian Săvulescu19, biologiste réputé et premier président de la nouvelle Académie RPR (1948), et Constantin I. Parhon20, fondateur de l’école roumaine d’endocrinologie, président du Présidium provisoire de la République populaire roumaine, la personnalité la plus influente de la médecine roumaine durant les deux premières décennies d’après-guerre.

  • 21 Biblioteca Sexuală. Publicațiune pentru educarea sexelor și popularizarea sexologiei [La bibliothèq (...)
  • 22 F. Marcu et C. Maneca (dir.), Dictionarul de Neologisme, Bucarest, Editura Academiei Republicii Soc (...)
  • 23 Avec deux exceptions : A. Hesnard, La sexologie normale et pathologique, Paris, Payot, 1959 (réédit (...)

21Avant le régime communisme, la sexologie et la sexualité sont des sujets qui intéressent les endocrinologues roumains qui ont commencé des recherches sur les hormones humaines et leur influence sur les pulsions sexuelles. Le grand public peut aussi profiter d’articles de presse et de brochures éducatives sur le sujet21. Même si la sexologie n’a jamais été officiellement condamnée en tant que discipline « bourgeoise », et par conséquent interdite, le mot disparaît après 1945 de toutes les publications grand public, y compris les dictionnaires roumains. La sexologie ne fera son retour qu’en 1976, dans un dictionnaire très spécialisé de néologismes, dans lequel elle est identifiée comme un mot d’origine française, défini comme « l’étude de la sexualité et des troubles psychophysiologiques ». Les dictionnaires traditionnels de langue roumaine attendront 1985 pour inclure la définition22. Cette évolution dans l’utilisation du terme pourrait être expliquée par les contraintes idéologiques et politiques. Une autre interprétation peut être avancée si l’on examine l’usage du terme « sexologie » d’une manière plus large. En français, d’une manière symptomatique, après une utilisation extensive du terme dans les années 1930, il disparaît vers la fin de la Seconde Guerre mondiale23. Il réapparaît dans les années 1970, en même temps que la naissance de la sexologie moderne, tout comme en Europe centrale et orientale.

  • 24 L. Betea (coord.), F. R. Mihai et I. Tiu, 21 August 1968 Apoteoza lui Ceausescu, Bucarest, Corint, (...)

22D’un point de vue épistémologique, le contexte scientifique roumain des années 1970 garde peu d’éléments caractéristiques par rapport aux deux premières décennies communistes. La génétique occidentale fait son retour dans la recherche. Le pavlovisme, après deux décennies d’utilisation intensive, perd son leadership dans le domaine médical. Du point de vue politique, Nicolae Ceausescu, premier secrétaire du PCR et président du pays, est au sommet de sa popularité internationale. En 1968, la Roumanie est le seul pays du bloc de l’Est à ne pas participer à l’invasion de la Tchécoslovaquie par les forces du Pacte de Varsovie24. Par conséquent, la Roumanie devient le dissident de l’Europe centrale et orientale et le partenaire international préféré des États derrière le rideau de fer. La communauté scientifique roumaine profite de cette situation internationale favorable et s’engage dans les échanges internationaux. L’accès aux publications les plus récentes et des échanges professionnels substantiels avec les universités européennes et anglo-saxonnes aident les scientifiques roumains à surmonter la césure des années 1950 et 1960.

Caractéristiques de la sexologie roumaine

  • 25 R. Dumitru, op. cit., p. 146.
  • 26 D. Albulius et A. Gheorghiu, op. cit., p. 38.

23Le public roumain commence à lire des publications contenant des éléments de sexologie dans la seconde moitié des années 1960, lorsque les premiers manuels d’éducation sexuelle sont publiés. Rédigés par des praticiens hospitaliers, pour la plupart des endocrinologues, ces manuels veulent éduquer la population sur la manière de comprendre et de gérer la composante sexuelle de leur vie conjugale. Leur contenu donne l’impression d’un puzzle hétéroclite qui mêle des informations sur l’anatomie et la physiologie de l’appareil reproducteur humain avec la propagande officielle sur le rôle et la place de la famille dans le système socialiste. Dans ces textes, la relation entre les époux doit être caractérisée par l’amour, le respect et l’aide. Ensemble, ils ont le devoir moral d’élever une famille, car « les enfants sont la vraie richesse d’un couple marié ». Habituellement, les derniers chapitres donnent des conseils pratiques sur les meilleures positions sexuelles, les méthodes contraceptives et leurs limites (avec l’intention de dissuader les potentielles utilisatrices), le risque inhérent aux avortements clandestins et aux maladies vénériennes25. Si certains auteurs intègrent l’idée de l’égalité entre les femmes et les hommes, le modèle de famille présenté dans la plupart des publications est celui de la Roumanie traditionnelle et patriarcale. Les femmes restent les principales responsables de l’ensemble des tâches ménagères26.

24Après cette première étape, la sexologie en tant que spécialité médicale fait son retour officiel en 1970 lorsque l’endocrinologue Tudor Stoica publie Sexologie normala si patologica (Sexologie normale et pathologique). Cette première publication est suivie par Sexologie (1972, 1975). En 1972, deux autres médecins, Victor Săhleanu et Ion Macavei, publient leurs travaux sur la sexologie sous le titre Vita sexualis.

  • 27 V. Săhleanu, Omul si sexualitatea [L’homme et la sexualité], Bucarest, Editura Medicală, 1967 ; A. (...)

25Ces trois publications sont rédigées par des professionnels au sommet de leur carrière de recherche en endocrinologie, spécialisés dans les hormones sexuelles, membres d’un groupe plus large de scientifiques travaillant pour l’Institut d’endocrinologie et auteurs des premiers manuels d’éducation sexuelle27. Une analyse plus approfondie de leurs publications médicales révèle un intérêt pour la recherche sur les hormones sexuelles dans le prolongement de la littérature d’entredeux-guerres. Victor Săhleanu coécrit Probleme de sexologie masculine (Éléments de sexologie masculine) (avec Madeleine Maicanescu et Bogdan Ionescu, 1958) et Introducere in sexologia masculina (Introduction à la sexologie masculine) (avec Madeleine Maicanescu, 1966). Tudor Stoica coécrit Mecanismele ale neuroendocrine comportamentului sexual. Rolul sistemului nervos in comportamentul sexual (Les mécanismes neuroendocriniens du comportement sexuel. Le rôle du système nerveux dans le comportement sexuel) (avec Ștefan Milcu, 1966).

26Indiscutablement, ces travaux reflètent la relation professionnelle étroite que Victor Săhleanu et Tudor Stoica entretiennent avec le responsable scientifique du groupe, Ștefan Milcu, lui-même passionné par la sexologie et auteur de publications telles qu’Andrologie clinica (Andrologie clinique) (avec Madeleine Maicanescu, 1970) et Formele Clinice de intersexualitate si clasificarea lor (Formes cliniques de l’intersexualité et leur classification) (avec Barbu Ionescu et Constantin Maximilian, 1971).

  • 28 Arhivele Naționale ale României [Archives nationales roumaines] – ANR, collection « Ștefan Milcu », (...)
  • 29 Association des médecins de langue française, Academia delle Scienze di Roma, Société international (...)
  • 30 C. Oghină-Pavie, « Le fil rouge… », op. cit., p. 128.

27Né en 1903, Ștefan Milcu commence sa carrière universitaire dans les années 1920 sous la direction de Constantin I. Parhon, qui deviendra plus tard son mentor (et beau-père). Les liens professionnel et familial avec Parhon influencent sa carrière scientifique et politique après l’arrivée au pouvoir du régime communiste. Ștefan Milcu persévère dans sa carrière scientifique. Il fait plusieurs découvertes importantes dans le domaine de l’endocrinologie et publie plus de 1 000 articles scientifiques28. Il devient membre de l’Académie RPR en 1948, puis président de l’Académie roumaine des sciences médicales. Malgré la guerre froide et l’apparente impénétrabilité du rideau de fer, les travaux de Milcu sont publiés et reconnus au niveau international. Milcu participe à tous les événements scientifiques internationaux sur l’endocrinologie et garde le statut de membre dans des associations professionnelles prestigieuses29. Le contact permanent avec les scientifiques occidentaux lui permet de maintenir les recherches de son équipe de l’Institut d’endocrinologie à un niveau international compétitif. Sa mobilité, même dans les années 1950, est une conséquence directe de son engagement politique. Comme son beau-père et d’autres scientifiques de l’entre-deux-guerres, Ștefan Milcu rejoint les rangs de la Nomenklatura communiste, une position qui les protège, lui et son équipe, d’une brutale ingérence politique et idéologique. Cette attitude, que l’on pourrait qualifier de « diplomatique », développée par les scientifiques roumains leur permet d’atténuer les caractères potentiellement problématiques de leurs écrits et de protéger à la fois leurs intérêts scientifiques et les équipes de recherche qu’ils dirigent. Peut-on parler d’une forme d’altruisme ? Nous pensons plutôt, en accord avec nos collègues historiens, que différents groupes d’intérêt utilisent le conflit entourant l’héritage pavlovien en Roumanie pour protéger leur propre carrière et accéder à des positions de pouvoir, au détriment de leurs opposants30.

  • 31 T. Stoica, op. cit., p. 12.

28L’adoption d’une politique nataliste en octobre 1966 donne à Milcu l’occasion parfaite de promouvoir le travail de ses plus proches collaborateurs, mettant en avant le champ de la sexologie, conçu comme une recherche interdisciplinaire qui inclut l’endocrinologie, la psychanalyse, la génétique. Les publications sur la sexologie, selon les auteurs, participent à l’éducation sexuelle nécessaire à tous les citoyens, selon les bases de la morale socialiste. Du point de vue officiel, la sexologie roumaine se place en totale opposition avec les productions similaires des pays capitalistes où « les théoriciens bourgeois, longtemps opprimés par l’Église, sont allés d’une extrême à l’autre et ont commencé à utiliser la pornographie pour expliquer les problèmes sexuels ». La sexologie est considérée comme utile à la fois pour les adultes mariés, car « avoir les connaissances appropriées sur la physiologie des organes sexuels, l’hygiène sexuelle, les phénomènes sexuels normaux et pathologiques aide le couple à maintenir sa santé et son harmonie », mais aussi pour les adolescents, comme un moyen de contrôle social. « Si les jeunes sont informés sur les transformations que leur corps subit pendant la puberté, ils seront moins susceptibles d’agir de manière chaotique. Si nous les guidons sur la bonne voie, les adolescents s’abstiendront de tout acte répréhensible et ils attendront, calmement, de rejoindre les bonnes normes de la société. »31 En général, les questions idéologiques se trouvent dans l’introduction, dans la définition de la sexologie et dans le dernier chapitre des publications. Ce dernier chapitre présente toujours la législation concernant les délits sexuels, y compris l’homosexualité et le viol. Le reste du texte ne donne pratiquement aucun avertissement sur le contexte idéologique et politique dans lequel il a été produit. Notre hypothèse est que les inserts idéologiques inattendus sont très probablement l’adaptation nécessaire pour que le texte soit approuvé par la censure. Sur les questions plus sensibles, comme l’homosexualité par exemple, la logique du texte est perturbée, car certains paragraphes semblent comme collés, rompant la perspective très équilibrée du propos.

  • 32 V. Săhleanu et I. Macavei, op. cit., p. 178.

29Bien que tributaire de la spécialité médicale des auteurs, dans le contexte communiste roumain, la sexologie se définit comme un « champ multidisciplinaire et interdisciplinaire, une spécialité “synthétique” qui dépasse le cadre de la biologie, pratiquée par des médecins qui comprennent les particularités de la discipline et sont prêts à utiliser, parallèlement à leur formation initiale en gynécologie/urologie, d’autres disciplines telles que l’endocrinologie, la génétique, la psychologie, la sociologie »32.

  • 33 Ibid., p. 114.
  • 34 Ibid., p. 113-115.
  • 35 T. Stoica, op. cit., p. 231.

30Le contenu, cependant, suit moins cette définition, avec près de la moitié des textes traitant des hormones sexuelles humaines et des possibles causes de l’infertilité. L’autre moitié s’intéresse aux dysfonctionnements sexuels masculins et féminins. Les trois publications s’appuient presque exclusivement sur des travaux scientifiques occidentaux ; par conséquent, l’approche est similaire à la sexologie moderne, avec une méthode interdisciplinaire qui examine les facteurs physiques, psychologiques et environnementaux. Les chapitres consacrés au traitement des dysfonctionnements sexuels répondent aux normes d’un discours scientifique considéré comme très solide. L’anamnèse suggère des tests qui couvrent tous les troubles possibles de nature physique, mais aussi une évaluation psychiatrique. En fait, les sexologues roumains observent que dans la plupart des cas de dysfonctionnements sexuels, la véritable cause de la souffrance est d’origine psychologique (événements oubliés, conflits dissimulés, réticences, remords, peur des conséquences, obsessions ou même expression des tendances homosexuelles), ou que les troubles psychologiques aggravent les problèmes urologiques ou endocriniens33. Par conséquent, le traitement implique à la fois la médecine moderne classique et des solutions médicales alternatives telles que la physiothérapie, la réflexologie, l’acupuncture, l’homéopathie. Mais surtout, Stoica et Săhleanu recommandent la psychanalyse afin d’extérioriser des pensées et des sentiments cachés. Selon les sexologues roumains, le maillon le plus important de la chaîne, tout en traitant les dysfonctionnements sexuels, est la relation patientthérapeute, car seul un « professionnel de la santé est en mesure de comprendre comment des souvenirs réprimés ont affecté la pensée, le comportement du patient et les relations sexuelles à l’âge adulte »34. Tudor Stoica propose également une thérapie alternative, la thérapie comportementale. La méthode a été développée par les écoles de psychologie américaine et anglaise à la fin des années 1960 et peut être définie comme une tentative de modifier le comportement et les émotions humaines sur la base des lois établies par Pavlov. Tudor Stoica a montré les limites de cette méthode, même si elle est plus appropriée dans le contexte de la médecine pavlovienne roumaine, ne la recommandant que pour un type particulier de pathologie sexuelle féminine35.

31Notons que les sexologues roumains citent déjà Freud et ses théories de la personnalité et de la sexualité dans les manuels d’éducation sexuelle publiés dans les années 1960. Dans ces premières publications, les théories de Freud sont utilisées soit sans les références appropriées, soit pour illustrer une approche erronée de la sexualité. Comment expliquer une telle évolution ?

  • 36 V. Dem. Zamfirescu, Introducere in psihanaliza freudiana si postfreudiana. Curs Univeristar, Bucare (...)
  • 37 I. Petrin, « The Image of Psychoanalysis in Romanian Communist Propaganda », Propaganda and Manipul (...)

32Nous plaidons que le cas de la psychanalyse est un autre exemple qui soutient la théorie des champs fluides (idéologiques, scientifiques, politiques) à travers le rideau de fer. En 1952, lors d’une réunion de l’Académie RPR, la psychanalyse est décrite comme une science réactionnaire et en opposition avec la conception marxisteléniniste du monde, responsable du déclin de la médecine dans les pays occidentaux comme les États-Unis36. Au cours de cette réunion, Ștefan Milcu est publiquement accusé d’avoir tenté de concilier le freudisme et les théories pavloviennes dans un article où il discutait de la compensation de la satisfaction sexuelle par l’instinct alimentaire. Dans sa défense, Milcu déclare qu’« il ne s’est jamais vraiment intéressé à la théorie freudienne, qu’il considère comme fausse, car elle n’aborde la physiologie et la physiopathologie qu’en termes de sexualité »37.

  • 38 C. Oghină-Pavie, « Le fil rouge… », op. cit., p. 126.

33Milcu dit-il la vérité ? Selon la Securitate, la célèbre police secrète communiste, les endocrinologues travaillant dans l’équipe de Parhon, à l’Institut d’endocrinologie, ne sont pas très désireux d’adapter leurs recherches aux nouvelles théories pavloviennes. Parhon lui-même gronde une collègue qui insiste sur l’utilisation de la science soviétique, lui demandant durement si elle « est aussi une cause perdue, ou bien [devient] imbécile avec l’âge ». D’autres chercheurs, dont Milcu, manifestent publiquement leur mécontentement face au nouveau paradigme scientifique officiel qui les oblige à changer complètement la méthode scientifique qu’ils utilisent dans le domaine de l’endocrinologie. Milcu est également accusé d’avoir « tenté de réconcilier la tradition médicale roumaine avec le modèle soviétique et n’a montré aucune position catégorique en faveur du pavlovisme »38.

  • 39 I. Petrin, op. cit., p. 71.

34Dans leurs mémoires publiées après la chute du régime communiste, les psychologues et les psychanalystes roumains racontent les stratégies adoptées pendant les années 1950. À les en croire, ils ont joué le jeu de la condamnation publique des disciplines bourgeoises, tout en gardant un agenda scientifique personnel très privé et secret39. Ștefan Milcu rapporte une stratégie similaire concernant ses recherches en endocrinologie. Une activité scientifique souterraine pourrait ainsi expliquer le soudain renouveau de la discipline au début des années 1970. Les livres de Sigmund Freud sont traduits en roumain et plusieurs autres ouvrages de psychologie sont publiés. L’année de la publication de Vita sexualis, Victor Săhleanu sort également le premier ouvrage important d’après-guerre sur la psychanalyse, Introducere critica in psihanaliza (Une introduction critique à la psychanalyse).

  • 40 V. Săhleanu et I. Macavei, op. cit., p. 155.
  • 41 Ibid., p. 149.

35Ainsi, les auteurs des livres sur la sexologie ont-ils des intérêts scientifiques qui touchent simultanément l’endocrinologie, l’anthropologie, la sociologie, la psychanalyse et enfin, et non des moindres, la génétique. Utiliser la sexologie comme discipline médicale capable d’assurer la sélection de citoyens aptes à procréer est une autre incongruité idéologique présente dans les travaux de Stoica et Săhleanu. Stoica est plutôt lapidaire dans ses explications et il évoque uniquement la nécessité pour les généticiens de s’intéresser de près aux couples, afin de détecter les possibles maladies héréditaires. Victor Săhleanu développe l’idée, en recommandant l’utilisation de la contraception. Selon lui, pour le couple fertile, concevoir reste un choix personnel et il encourage l’utilisation des méthodes contraceptives sûres et efficaces40. Săhleanu souligne que la contraception est toujours justifiée pour des raisons eugéniques dans les familles porteuses de maladies héréditaires ou lorsque les parents ne peuvent pas garantir les conditions optimales pour élever une famille : ils souffrent de maladies aiguës et chroniques, de fatigue chronique, d’intoxication alcoolique41. Dans un véritable projet de revitalisation génétique, Săhleanu suggère également d’utiliser le matériel génétique provenant des individus avec un niveau supérieur d’intelligence dans les procédures de procréation médicalement assistée. En disant aux couples qu’ils ont le choix d’avoir ou non des enfants, Săhleanu contredit complètement la ligne officielle du Parti qui impose clairement l’obligation sociale et morale (même patriotique) d’avoir au moins quatre enfants.

  • 42 ANR, Collection « Ștefan Milcu », document II/18, p. 1-46.

36Săhleanu n’est pas le seul, dans le domaine de la sexologie, à avoir une vision différente du programme nataliste : Ștefan Milcu présente une approche similaire. En tant que membre de la Commission nationale de démographie et du Conseil sanitaire supérieur, les deux organismes responsables de la mise en œuvre du plan nataliste, Milcu a eu l’occasion de partager sa vision et son appréhension concernant une politique démographique qui ne montre aucune inquiétude pour la « qualité » des enfants à naître. Ștefan Milcu s’intéresse aux conséquences démographiques des différents syndromes génétiques (en particulier celui de Down) et recommande officiellement de faire tester, si possible, tous les futurs parents. Selon Milcu, la procédure doit être obligatoire pour ceux qui ont des antécédents d’anomalies génétiques et pour les femmes enceintes âgées de plus de 40 ans. Milcu déclare également que la grande majorité des « avortements incomplets » – catégorie qui comprend à la fois les fausses couches véritables et les avortements illégaux – sont en fait le résultat d’anomalies génétiques du fœtus. Dans un pays où chaque maternité a son propre procureur prêt à enquêter sur toutes les fausses couches, un tel avis médical est sans aucun doute révolutionnaire. Pour résumer son opinion sur le sujet, Ștefan Milcu déclare : « [N]ous avons l’obligation de protéger le destin génétique des générations futures. Nous devons développer un réseau de prophylaxie génétique. De nos jours, un diagnostic intra-utérin de malformation congénitale est possible. Il est également vrai que les résultats ne sont pas toujours concluants. Nous savons que ce n’est pas la solution idéale, mais c’est la seule que nous ayons. En d’autres termes, nous comprenons la nécessité de sacrifier des embryons sains afin d’éviter la naissance d’enfants handicapés. »42

  • 43 ANR, Collection « Ștefan Milcu », document X/162, p. 98-99.
  • 44 K. Lišková, Sexual Liberation, Socialist Style: Communist Czechoslovakia and the Science of Desire, (...)
  • 45 M. Bucur, Eugenics and Modernization in Interwar Romania, Pittsburg, University of Pittsburg Press, (...)

37Milcu considère d’autres causes possibles de dégénérescence pour les générations roumaines à venir : l’alcoolisme, les maladies sociales (tuberculose, maladies vénériennes), les relations familiales « déviantes » (inceste, adultère et même divorce). Pour Ștefan Milcu et son équipe de recherche, les dangers génétiques et sociaux peuvent être évités en enseignant à la population les principes fondamentaux de la sexologie43. Ils poursuivent un projet de changement profond et à long terme des mentalités « rétrogrades » et patriarcales de la société roumaine. Milcu lie les préoccupations eugéniques à la science de la sexualité tout en insistant sur le rôle de l’éducation sexuelle. Ce faisant, il renoue avec la tradition de l’entre-deux-guerres pour laquelle les préoccupations eugéniques et la science de la sexualité sont intimement connectées44. Les recommandations de Milcu reflètent un courant eugéniste qui émerge après 196845.

  • 46 Ibid., p. 228.

38Les discours officiels accompagnant le programme nataliste n’ont jamais inclus d’éléments eugéniques explicites et classiques. Cependant, la démarche en soi renvoie aux pratiques de l’entre-deux-guerres46. L’introduction d’un examen médical prénuptial complexe et les examens gynécologiques obligatoires montrent que l’exercice médical quotidien poursuit une visée eugénique. De la sorte, les publications de sexologie et les éléments de sexologie présents dans les manuels d’éducation sexuelle ont un impact beaucoup plus important sur la population que les sexologues ne l’ont prévu.

39Le public roumain témoigne un vif intérêt pour le premier livre publié par Tudor

  • 47 Nous traduisons. T. Stoica, op. cit., p. 12.

40Stoica. Sexologie patologică se vend à 100 000 exemplaires en quelques mois. Après ce succès, Stoica publie Sexologie en 1972, réédité en 1975. Les sexologues roumains applaudissent à ce succès, mais se montrent critiques face au manque d’intérêt exprimé par les autorités communistes, en particulier celles responsables de l’éducation : « La sexualité humaine est un sujet complexe. Pour progresser dans la vulgarisation de ce domaine, il faut d’abord éduquer les éducateurs : enseignants, médecins, parents. Malheureusement, la sexologie est enseignée dans un nombre limité de facultés de médecine et de psychologie et les cours pour adultes (jeunes mariés ou futurs parents) sont encore quasi inexistants. »47 Ce constat est corroboré par l’enquête que nous avons réalisée auprès de vingt-sept médecins, lesquels nous ont expliqué que la sexologie était, dans le meilleur des cas, une matière optionnelle qui ne dépassait pas 16 heures de cours. La sexologie n’a jamais été officiellement incluse dans le curriculum des facultés de médecine de la Roumanie communiste. La décision d’organiser au niveau d’une faculté une brève formation en sexologie était toujours le choix personnel d’un doyen. Le ministère de l’Enseignement n’a jamais estimé utile d’inscrire la sexologie parmi les disciplines obligatoires.

41Après la chute du régime communiste, Tudor Stoica, en parlant de son travail en tant que sexologue, se souviendra :

  • 48 Nous traduisons. T. Stoica, Sexologie si educatie sexuala, Bucarest, Editura “R”, 1993, p. 4.

Nous avons combattu les moulins à vent. J’ai combattu des moulins à vent. Je me souviens de tout le tracas généré par la publication de Sexologia en 1972. La deuxième édition a été sévèrement amputée par la censure officielle. Ce n’était pas nouveau pour moi. En 1964, lorsque j’ai écrit le premier livre sur l’éducation sexuelle, le manuscrit a été détruit juste avant l’impression. Pendant des décennies, en Roumanie, la vie sexuelle est restée un tabou et l’unique fonction des rapports sexuels était la reproduction. La femme n’avait pas le choix légitime de mettre fin à une grossesse ; quant à la contraception, aucune n’était disponible48.

42Tudor Stoica publie le dernier ouvrage important en sexologie, Pubertate normală și patologică (Puberté normale et pathologique), en 1982, chant du cygne de la discipline dans la Roumanie communiste. Cette fin abrupte de la discipline peut être expliquée par la purge politique dont a été victime Ștefan Milcu à la suite de son implication dans le scandale de la Meditatia Transcendentala (MT) (Méditation transcendantale). Cette purge déclenche un effet domino, fatale à la sexologie en tant que domaine scientifique. La Meditatia Transcendentala est introduite en Roumanie après 1977 par Nicolaie Stoian, citoyen français d’origine roumaine qui la présente comme une technique éducative, capable de forger des travailleurs plus productifs et plus efficaces. Le ministère de l’Éducation accepte de faire tester la technique par les psychologues travaillant à l’Institut de recherche en psychologique et pédagogique de l’Académie roumaine. À la fin de l’investigation, la commission dresse un rapport favorable. Ștefan Milcu, en tant que vice-président de l’Académie roumaine, et Victor Săhleanu, en tant que directeur de l’Institut roumain d’anthropologie, cosignent le document. Mais en 1982, une enquête de la Securitate conclut que la MT est une organisation internationale terroriste qui vise à attaquer les régimes socialistes.

  • 49 D. Jela, C. Strat et M. Albu, Afacerea Meditația Transcendentală, Bucarest, Humanitas, 2004.

43L’initiateur du mouvement est accusé d’espionnage pour le bloc capitaliste. Nicolae Ceausescu décide d’épurer toutes les personnes impliquées dans l’affaire, y compris les hauts fonctionnaires et les membres de la communauté scientifique49.

  • 50 M. Ș. Ciuhuța, « Victor Săhleanu, personalitate de prim rang în antropologia românească », in Kozma(...)

44Les répercussions dans le domaine de la sexologie sont terribles. Ștefan Milcu et Victor Săhleanu perdent leur poste à l’Académie roumaine, mais aussi au PCR. Ștefan Milcu prend sa retraite, mais Victor Săhleanu est exclu de la vie scientifique. Ses œuvres sont retirées des bibliothèques et son nom banni des publications scientifiques50. De ce fait, toute activité liée à la psychologie est brusquement interrompue. Le domaine de la sexologie, sans être directement incriminé par les autorités communistes, est très impacté par la tournure des événements. Sans la protection de ses principaux promoteurs et le support des disciplines connexes, la sexologie retourne dans la clandestinité, pour ne réapparaître qu’après la chute du régime communiste.

Conclusions

45Le cas de la sexologie roumaine montre que l’analyse des sciences à l’est du rideau de fer exige de remettre en question le discours anticommuniste classique et d’oser analyser les sujets controversés.

46Pendant la guerre froide, dans la Roumanie communiste, la sexologie inspira un champ scientifique prolifique. Ses productions n’étaient pas une simple caisse de résonnance des préoccupations politiques locales ou un reflet fidèle des progrès occidentaux dans le domaine. La réémergence de la sexologie roumaine – après des prémices dans l’entre-deux-guerres – à partir des années 1960 est le résultat d’un cumul de facteurs qui inclut un contexte politique international favorable à la Roumanie, des activités scientifiques similaires dans les autres pays du bloc de l’Est et le développement de la sexologie « moderne » à l’Ouest. Ainsi, la sexologie roumaine parvint à combiner l’expertise nationale acquise dans l’entre-deux-guerres et celle née du dynamisme des réseaux formels et informels tissés par des scientifiques habiles à promouvoir les disciplines des pays de l’Ouest malgré l’interdiction politique et idéologique. Le prix à payer fut toutefois une forme de complicité avec la Nomenklatura communiste.

47La sexologie roumaine de l’après-guerre est le fruit des intérêts scientifiques de Ștefan Milcu – ancien compagnon de route du Parti communiste roumain et membre respecté de la communauté scientifique internationale – et de son cercle d’influence qui comptait des personnalités remarquables telles que Victor Săhleanu et Tudor Stoica. L’effervescence qu’ils parvinrent à créer ne survécut toutefois pas à la purge politique dont ils furent victimes, bien qu’aucune interdiction formelle ne fut jamais imposée par les autorités communistes.

48La perméabilité du rideau de fer aux transferts de connaissances n’effaça cependant pas le hiatus idéologique en ce qui concerne la place et l’usage de la sexologie. Par ailleurs, comme nous avons pu le voir, en Roumanie, la publication de textes d’informations sur les fonctions sexuelles et reproductives, et parfois même des descriptions détaillées sur les techniques sexuelles, n’avait pas pour but de participer à une « révolution sexuelle ». Les manuels d’éducation sexuelle et d’ouvrages de sexologie s’inscrivaient dans un projet politique qui visait l’édification d’une vie de famille harmonieuse et stable, laquelle devait participer au bonheur collectif et social. Enfin, autre spécificité intéressante, la Roumanie communiste avait à cœur d’afficher la supériorité du système socialiste en termes de politiques égalitaires pour les femmes (y compris dans la sphère sexuelle) et de qualité de vie pour ses citoyens – à l’abri de toutes les formes de « dégénérescence » occidentale.

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Bibliographie

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Notes

1 W. de Jong-Lambert, « Breaking the Wall: A National and Transnational Perspective on East-European Science (1945–1990). October 11–12, 2017 — Bucharest, Romania », Studies in the History of Biology, 2018, 10/1, p. 100-103.

2 State Socialist Experts in Transnational Perspective. East European Circulation of Knowledge during the Cold War (1950s–1980s), dossier spécial d’East Central Europe, 45/2-3, 2018.

3 K. R. Ghodsee, Why Women Have Better Sex Under Socialism: And Other Arguments for Economic Independence, Londres, The Bodley Head, 2018.

4 Nous traduisons. K. R. Ghodsee, « What the socialist Kama Sutra tells us about sex behind the Iron Curtain. The story behind the Eastern bloc’s most popular socialist sex manual », The Washington Post, 20 novembre 2018.

5 K. R. Ghodsee, Why Women Have Better Sex Under Socialism…, op. cit., p. 145.

6 L. M. Jinga, Gen și reprezentare în România comunistă, 1944–1989, Iași, Polirom, 2015 ; L. M. Jinga et F. S. Soare (dir.), Politica pronatalistă a regimului Ceaușescu: Instituții și practici, 2 vol., Iași, Polirom, 2011 ; C. L. Olteanu, E. S. Gheonea et V. Gheonea, Femeile în România comunistă: Studii de istorie socială, Bucarest, Politeia-SNSPA, 2003.

7 J. Massino, Ambiguous Transitions: Gender, the State, and Everyday Life in Socialist and Postsocialist Romania, New York, Berghahn Books, 2019 ; M. Bucur et M. Miroiu, Birth of Democratic Citizenship: Women and Power in Modern Romania, Bloomington, Indiana University Press, 2018 ; G. Kligman, The Politics of Duplicity: Controlling Reproduction in Ceausescu’s Romania, Berkeley, University of California Press, 1998 ; A. Băban, « Viața sexuală a femeilor: O experiența traumatizantă în România socialistă », Cine suntem noi? Despre identitatea femeilor din România modernă, edited by Madalina Nicolaescu, Bucarest, Anima, 1996, p. 51-68.

8 E. Biebuyck, « The Collectivization of Pleasure: Normative Sexuality in Post-1966 Romania », Aspasia, 4, 2010, p. 49-70.

9 Exemples de manuels : A. Deculescu, C. Păunescu, T. Stoica et T. Trutzer, Carte pentru tineri [Livre pour la jeunesse], Bucarest, Editura Medicală, 1968 ; N. Mitrofan, Dragostea şi căsătoria [Amour et mariage], Bucarest, Editura Ştiintifică şi Enciclopedică, 1984 ; I. Vinţi et R. Negulescu, Sfaturi pentru tineri căsătoriţi [Conseils aux jeunes mariés], Constanţa, 1978 ; V. Săhleanu, Omul si sexualitatea [L’être humain et la sexualité], Bucarest, Editura Medicală, 1967 ; M. Alecu-Ungureanu, Viața sexuală și căsătoria [Vie sexuelle et mariage], Bucarest, 1968 ; D. Albulius et A. Gheorghiu, Cartea tinerilor căsătoriți [Le manuel des jeunes mariés], Bucarest, Editura Medicală, 1971 ; R. Dumitru, De vorbă cu tinerii. Probleme de educație a sexelor [Dialogue avec la jeune génération. Problèmes d’éducation des sexes], Bucarest, Editura Tineretului, 1972 ; M. Peteanu, Educația relațiilor dintre sexe. Pregătirea tineretului pentru viața de familie [Éducation aux relations entre les sexes : préparer la jeune génération à la vie de famille], Bucarest, Editura Medicală, 1973 ; C. Ursoniu, Igiena Sexuală [Hygiène sexuelle], Timisoara, Facla, 1980 ; Gh. Litinschi, Sexualitatea la vîrsta adolescenței, Bucarest, Editura Medicală, 1988.

10 K. R. Ghodsee, Why Women Have Better Sex Under Socialism…, op. cit., p. 133.

11 K. Lišková, « Sex under socialism: From emancipation of women to normalized families in Czechoslovakia », Sexualities, 19/1-2, 2016, p. 211-235.

12 K. R. Ghodsee, Why Women Have Better Sex Under Socialism…, op. cit., p. 148.

13 K. Lišková, Sexual Liberation, Socialist Style. Communist Czechoslovakia and the Science of Desire, 1945–1989, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, p. 24.

14 S. Șerbănescu, Codul familiei [Code la Famille], Bucarest, Editura Științifică, 1963, p. 12.

15 Nous traduisons. T. Stoica, Sexologie normală și patologică, Bucarest, Editura Medicală, 1970, p. 12.

16 Nous traduisons. Ibid., p. 252.

17 Nous traduisons. T. Stoica, op. cit., p. 178.

18 C. Oghină-Pavie, « Le fil rouge. Pratiques mémorielles dans les sciences de la vie en Roumanie communiste (1945-1965) », Cahiers François Viète, série III, 4, 2018, p. 115.

19 Traian Săvulescu (1889-1963) : biologiste réputé, formé en Roumanie, spécialisé dans la botanique systématique et la phytopathologie, il est professeur à l’Université de Bucarest, directeur de l’Institut de recherches agronomiques (ICAR), membre de l’Académie roumaine depuis 1936. Participant actif à l’organisation de l’ARLUS, il fait partie de la délégation de celle-ci en Union soviétique en 1945 et il occupe ensuite les postes de sous-secrétaire d’État (1946) puis de ministre de l’Agriculture (1946-1948) et de vice-président du Conseil des ministres et, enfin, de président de la nouvelle Académie de la RPR. Voir : C. Oghină-Pavie, « Biologie et Agronomie en Roumanie sous l’empire du Lyssenkisme (1945-1965). Questions de Méthode », New Europe College Yearbook 2015-2016, Bucarest, [2016], p. 175.

20 Constantin I. Parhon (1874-1969) : militant de gauche depuis l’entre-deux-guerres, Parhon est le fondateur de l’Association pour le resserrement des liens avec l’Union soviétique (ARLUS), la première association d’amitié avec l’URSS. C. I. Parhon est membre de l’Académie roumaine depuis 1939, fondateur de plusieurs sociétés de médecine et de biologie en Roumanie, membre de sociétés savantes françaises et allemandes, ancien directeur d’hôpitaux. Après l’instauration de la république, il devient président du Présidium de la Grande Assemblée nationale (de 1948 à 1952), la plus haute fonction de l’État, et président d’honneur de l’Académie RPR. C. Oghină-Pavie, « Le fil rouge… », op. cit., p. 117 et C. Dobos, « Psychiatry and Ideology: The Emergence of “Asthenic Neurosisˮ in Communist Romania », in M. Savelli et S. Marks, Psychiatry in Communist Europe, Londres, Palgrave-Macmillan, 2015, p. 94-95.

21 Biblioteca Sexuală. Publicațiune pentru educarea sexelor și popularizarea sexologiei [La bibliothèque sexuelle. Publication pour l’éducation des sexes et la vulgarisation de la sexologie], 1927-1928 ; Cartea Căsătoriei [Le livre du mariage], 1940 ; Problema educației sexelor [Le problème d’éducation sexuelle], s.a. ; Dragostea Sexuală [L’amour sexuel], 1939.

22 F. Marcu et C. Maneca (dir.), Dictionarul de Neologisme, Bucarest, Editura Academiei Republicii Socialiste Romania, 1978.

23 Avec deux exceptions : A. Hesnard, La sexologie normale et pathologique, Paris, Payot, 1959 (réédité plusieurs fois jusqu’en 1970) et S. Mongeauet, Cours de sexologie, Montréal, Le Jour, 1967-1968.

24 L. Betea (coord.), F. R. Mihai et I. Tiu, 21 August 1968 Apoteoza lui Ceausescu, Bucarest, Corint, 2018.

25 R. Dumitru, op. cit., p. 146.

26 D. Albulius et A. Gheorghiu, op. cit., p. 38.

27 V. Săhleanu, Omul si sexualitatea [L’homme et la sexualité], Bucarest, Editura Medicală, 1967 ; A. Deculescu, C. Păunescu, T. Stoica et T. Trutzer, Carte pentru tineri [Livre pour les jeunes], Bucarest, Editura Medicală, 1968.

28 Arhivele Naționale ale României [Archives nationales roumaines] – ANR, collection « Ștefan Milcu », document X/101.

29 Association des médecins de langue française, Academia delle Scienze di Roma, Société internationale de médecine cybernétique, Société française d’endocrinologie, International Fertily Association. ANR, collection « Ștefan Milcu », documents IV/80, p. 11, IV/209, p. 34, IV/29, p. 4, IV/28, p. 120-161, IV/16, p. 1-14, III/34, III/30.

30 C. Oghină-Pavie, « Le fil rouge… », op. cit., p. 128.

31 T. Stoica, op. cit., p. 12.

32 V. Săhleanu et I. Macavei, op. cit., p. 178.

33 Ibid., p. 114.

34 Ibid., p. 113-115.

35 T. Stoica, op. cit., p. 231.

36 V. Dem. Zamfirescu, Introducere in psihanaliza freudiana si postfreudiana. Curs Univeristar, Bucarest, Editura Trei, 3e éd., 2012, p. 48.

37 I. Petrin, « The Image of Psychoanalysis in Romanian Communist Propaganda », Propaganda and Manipulation in History. An Interdisciplinary Approach, dossier spécial de Romanian Journal of History and International Studies, 4/3, 2017, p. 65-69.

38 C. Oghină-Pavie, « Le fil rouge… », op. cit., p. 126.

39 I. Petrin, op. cit., p. 71.

40 V. Săhleanu et I. Macavei, op. cit., p. 155.

41 Ibid., p. 149.

42 ANR, Collection « Ștefan Milcu », document II/18, p. 1-46.

43 ANR, Collection « Ștefan Milcu », document X/162, p. 98-99.

44 K. Lišková, Sexual Liberation, Socialist Style: Communist Czechoslovakia and the Science of Desire, 1945–1989…, op. cit., p. 26.

45 M. Bucur, Eugenics and Modernization in Interwar Romania, Pittsburg, University of Pittsburg Press, 2002, p. 229.

46 Ibid., p. 228.

47 Nous traduisons. T. Stoica, op. cit., p. 12.

48 Nous traduisons. T. Stoica, Sexologie si educatie sexuala, Bucarest, Editura “R”, 1993, p. 4.

49 D. Jela, C. Strat et M. Albu, Afacerea Meditația Transcendentală, Bucarest, Humanitas, 2004.

50 M. Ș. Ciuhuța, « Victor Săhleanu, personalitate de prim rang în antropologia românească », in Kozma, A., Glavce, C. et Bălăceanu-Stolnici, C., Antropologie și mediu, Bucarest, Editura Niculescu, 2014, p. 9 (https://antropology.ro/doc/carti/ONLINE%20PDF%20 -%20Antropologie%20si%20Mediu%20[2014].pdf, consulté le 22 septembre 2020).

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Pour citer cet article

Référence papier

Luciana M. Jinga, « Science et politique pendant la guerre froide : la sexologie dans la Roumanie communiste »Sextant, 37 | 2020, 79-98.

Référence électronique

Luciana M. Jinga, « Science et politique pendant la guerre froide : la sexologie dans la Roumanie communiste »Sextant [En ligne], 37 | 2020, mis en ligne le 01 novembre 2021, consulté le 30 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/sextant/331 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sextant.331

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Auteur

Luciana M. Jinga

Luciana Jinga est chercheuse à l’Institut pour l’investigation des crimes du communisme et la mémoire de l’exil roumain à Bucarest depuis 2007. Après un doctorat en cotutelle entre la Roumanie et la France en 2011, elle a été accueillie à l’Université d’Angers par le laboratoire TEMOS CNRS FRE 2015 grâce à une bourse Marie Sklodowska-Curie Actions, Individual Fellowships (2017-2019). Ses travaux de recherches sont centrés sur les thématiques du genre et de l’enfance sous les régimes communistes et postcommunistes.

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