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Structures et militants communistes en Puy-de-Dôme au début de la Ve République

Olivier Rougerie
p. 93-112

Entrées d’index

Mots-clés :

communisme, militantisme

Keywords:

Communism, militancy

Index géographique :

Puy-de-Dôme

Index chronologique :

années 1960, années 1970
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Texte intégral

  • 1 Julien Marciniak, Le Parti communiste clans le Puy-de-Dôme sous la IVe République, mémoire de maîtr (...)

1Au début de la Ve République, l’implantation militante et les résultats électoraux du Parti communiste dans le département du Puy-de-Dôme sont relativement faibles, en raison de l’importance du réformisme socialiste et du poids des campagnes. Pourtant, la fédération a su trouver dans les zones industrielles et urbaines un terrain d’implantation dès les années 1930, ce qui lui a permis d’intégrer la vie politique du département. L’influence du syndicalisme CGT, dont l’union départementale est contrôlée par les communistes, a beaucoup compté dans l’essor du Parti, de part et d’autre de la Seconde Guerre mondiale. Si la fédération reprend cet héritage sous la IVe République1, elle doit toutefois, à la fin des années 1950, s’adapter à une nouvelle conjoncture sociale et politique : le poids symbolique du monde ouvrier tend à décliner, tandis que les débuts de la déstalinisation rendent caduc le mode d’organisation constitué à l’époque de la Guerre froide. Les années qui séparent les débuts de la Ve République de la signature du Programme de l’Union de la gauche, en juin 1972, sont-elles marquées par une adaptation à ce contexte ? Le Parti communiste a¬t-il, dans le département, réussi à élargir son recrutement sociologique et à expérimenter de nouvelles formes de militantisme ?

L’inégalité d’implantation

L’organisation

  • 2 Ibid, p. 95.
  • 3 A.D. Puy-de-Dôme, 408 W 11 : Rapport des R. G., 30 août 1958.

2Dans le Puy-de-Dôme, le PCF a connu son « heure de gloire » à la Libération, profitant de son rôle joué dans la Résistance. La fédération compte environ 11 000 militants en 19462, au moment où le Parti revendique un million d’adhérents au niveau national. Ses effectifs baissent ensuite constamment jusqu’en 1958, et se stabilisent alors autour de 2 000. La préfecture, seule source permettant une comparaison chiffrée, annonce 5 000 militants3 en 1958, mais elle confond certainement l’ensemble des personnes proches du Parti et celles qui possèdent effectivement une carte. La chute du nombre d’adhérents, plus rapide que pour l’ensemble du pays, est significative des difficultés que rencontre ici l’organisation.

  • 4 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, rapports sur l’organisation.
  • 5 Caroline Spina, Le Parti communiste du Puy-de-Dôme dans l’entre-deux-guerres, mémoire de maîtrise d (...)
  • 6 Annie Kriegel, Les communistes français 1920-1970, Paris, Seuil, 1985, p. 62.
  • 7 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, rapports sur l’organisation.

3Cette fédération paraît dans le « creux de la vague » dans les années 1958-1961. En 1961, la barre symbolique des 2000 adhérents n’est pas atteinte, ce qui est révélateur de l’isolement dans lequel se trouve le PCF. Elle est de nouveau franchie en 1962, et la nouvelle orientation d’union avec les socialistes marque une reprise sensible des adhésions, avec 588 nouveaux adhérents en 1962 et 489 en 1963. Il nous est hélas impossible de savoir si les adhésions nouvelles correspondent à des reprises de cartes ou à de toutes premières adhésions. On ne peut pourtant pas parler d’un réel décollage puisqu’à la fin de l’année 1968, l’organisation rassemble 2 246 militants. Il faut vraiment attendre la signature du Programme commun de gouvernement avec le nouveau parti socialiste en juin 1972 pour voir une nette progression des effectifs qui franchissent le cap des 2 500 militants (plus 195 adhérents et 417 adhésions nouvelles) et s’envolent en 1973 avec 2 863 adhérents4. À titre de comparaison, c’est approximativement le nombre de militants que comptait le département en juin 1937, dans l’élan du Front populaire5. La fédération semble en fait trouver, au cours des années soixante, corrélativement au niveau national, « une expression numérique à peu près stable6 ». Il nous est difficile de savoir où le parti recrute ses nouveaux militants, mais il semble que l’agglomération » clermontoise soit un réservoir privilégié. En effet, en 1969 l’agglomération comptait 1 000 adhérents environ, ce chiffre passe à 1 253 en 19727.

4Ces fluctuations d’effectifs entraînent des changements d’organisation qui se manifestent par des créations ou des pertes de cellules, voire de sections. En 1946, les adhésions massives avaient permis à la fédération du département de compter 45 sections, en 1956, elles n’étaient plus que 25. Cette baisse de l’implantation communiste joue un rôle très important sur la capacité du parti à toucher l’ensemble de la classe ouvrière. Des cantons comme Tauves ou Viverols, pourtant peu réceptifs au discours du PCF, avaient en effet connu une section communiste à la Libération.

5En 1958, l’organisation se stabilise autour de 22 sections. Elles sont elles-mêmes divisées en 146 cellules, dont 69 cellules locales. En 1961, quand la fédération connaît ses effectifs les plus faibles, le nombre de sections chute à 21 (142 cellules). C’est en milieu rural que le Parti perd le plus de cellules ; elles étaient 57 en 1958, elles ne sont plus que 28 en 1961. La fédération perd également, durant cette courte période, 10 cellules d’entreprises et parvient seulement à maintenir l’activité de 37 ; son influence sur les travailleurs en entreprise régresse, car la section Michelin regroupe à elle seule entre 16 et 17 cellules.

6La lente reprise des adhésions à partir de 1962 permet à l’appareil de reconquérir une partie du terrain perdu et de créer un certain nombre de cellules et de sections, souvent à partir de zones où le parti était anciennement implanté. Deux sections sont tout d’abord créées en 1963, mais ces créations restent précaires puisqu’en 1966, le Parti réorganise son implantation en 22 sections. À partir de 1967, la fédération parvient à maintenir en activité 24 sections, auxquelles va s’ajouter une supplémentaire à partir de 1972.

Sections et cellules communistes dans le Puy-de-Dôme : 1958-1972

Année Sections Nombre total des cellules Cellules d’entreprise Cellules rurales Cellules locales
1958 22 146 47 57 69
1959 22 145 40 36 69
1960 / 142 38 33 71
1961 21 143 37 28 78
1962 22 157 50 32 75
1963 24 184 56 65 63
1964 24 187 57 61 69
1965 25 179 54 53 72
1966 22 171 / / /
1967 24 183 58 50 75
1968 / 176 56 52 68
1969 24 172 62 45 65
1970 24 179 63 48 68
1972 25 187 / / /

Une « toile d’araignée » ?

  • 8 En 1959, Clermont-Ferrand compte quatre sections (Michelin, Gabriel Péri, Pierre Sémard, Clermont-E (...)

7L’implantation communiste dans le Puy-de-Dôme révèle, dès la création du Parti en 1920, de très fortes disparités. Des zones où le PC a su dès le début se faire entendre s’opposent à des régions totalement dépourvues d’activité communiste. L’absence d’un organe de presse départemental et la stratégie développée en direction des zones de faiblesse expliquent en partie le maintien des inégalités de l’organisation entre 1958 et 1972. Les deux circonscriptions électorales de Riom et Clermont Plaine regroupent, en 1960, 50 % des sections (1,1 sur 22)8. Il existe aussi de fortes disparités dans la composition des sections elles-mêmes. En effet, en 1960, la section Gabriel Péri compte 230 militants et 16 cellules alors que celle de Vic-le-Comte regroupe seulement une vingtaine de militants et deux cellules.

  • 9 A.D. Puy-de-Dôme, 1084 W 203 : Rapport des R. G. sur la situation interne de la section G. Péri, 1e (...)

8Les zones urbaines représentent une part très importante de l’activité des militants communistes. Il existe, en plus de la section d’entreprise Michelin, trois sections à Clermont-Ferrand : Gabriel Péri, Pierre Semard et Clermont-Est qui regroupent respectivement 270, 295 et 130 militants (en 1960). Une cinquième section (Maurice Thorez) est créée en 1965 avec 158 militants, opérant ainsi un nouveau découpage du militantisme clermontois. Elle est le résultat de la division de la section Péri qui a connu, au début des années soixante, une forte extension géographique9. La seule ville de Riom (circonscription du député E. Fourvel) compte également deux sections (Est et Ouest) regroupant une centaine de militants.

  • 10 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, rapports sur l’organisation.

9La chute des adhésions entre 1958 et 1962 est moins importante dans la zone urbaine que dans les campagnes. Si on ne compte plus que 827 militants communistes en 1961 à Clermont-Ferrand, ceux-ci représentent encore 43,52 % des effectifs départementaux (41,81 % en 1959). Cette tendance se poursuit de manière irrégulière mais toujours à l’avantage de la zone urbaine puisqu’en 1972, au moment où la fédération franchit à nouveau le cap des 2 500 adhésions, la part des militants clermontois atteint presque la moitié des effectifs du département (49,86 %)10.

Le Parti dans les entreprises

  • 11 Ibid., rapport sur les sections de Clermont-Ferrand, non daté.
  • 12 Ibid., rapport sur l’activité en entreprise, 1965.

10L’implantation en milieu ouvrier est l’un des points faibles de la fédération du Puy-de-Dôme. Plus des trois quarts des cellules d’entreprises se trouvent en fait dans l’agglomération clermontoise et dans des établissements conséquents. En 1960, elles représentent 81,5 % des cellules d’entreprises du département : 17 chez Michelin, une à la Banque de France, une aux A.C.C. (Ateliers électriques du Centre), deux aux P&T, une à l’A.I.A. (Aulnat).... C’est ensuite à Ambert, Bourg Lastic (mines de Meisseix), Issoire (Ducellier), Jumeaux (mines de Brassac) que se trouvent les principaux points d’ancrage communistes en entreprise. Si l’on excepte Michelin, c’est dans les entreprises publiques ou nationalisées que le Parti recrute un grand nombre de militants (hospitaliers, sécurité sociale, E.D.F...). Le milieu scolaire est aussi important puisque huit établissements de la commune de Clermont ont une cellule. C’est le cas au Lycée Blaise Pascal (10 membres) ou encore à Bel Ombre (7 adhérents)11. En 1965, si le Parti ne compte aucune cellule dans les entreprises de moins de 100 salariés, il en compte deux dans les établissements de 100 à 500 salariés, quatre dans celles de 500 à 1000 salariés et 28 dans celles comprenant plus de 1000 salariés (dont 17 chez Michelin)12.

  • 13 13. A.D. Puy-de-Dôme, 408 W 11 : Rapport des R. G., 22 mai 1958.

11Symbole régional du capitalisme français, l’usine Michelin représente, pour les communistes, une véritable « forteresse ouvrière » qu’il faut absolument pénétrer, tâche rendue difficile par un paternalisme encore très présent au sein de la cité ouvrière. La répression patronale y est particulièrement sévère et nombre d’ouvriers Michelin sont exclus pour fait politique. En mai 1958, la direction licencie Jacques Vallas, 63 ans et 37 années de présence dans l’usine pour avoir « effectué de son propre chef pendant ses heures de travail à l’usine une quête au profit du PC, pour financer la propagande des élections cantonales13 », cet ouvrier étant membre du PC et militant cégétiste.

  • 14 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, rapports sur l’organisation.

12L’évolution de la section Michelin est significative de la faiblesse de l’activité communiste dans les entreprises de notre département. Les recherches effectuées à la fédération ont révélé des effectifs allant de 143 à 207 militants pour la période concernée. Ces chiffres n’ont pas pu être vérifiés, il est cependant peu probable que le nombre de communistes de l’usine ait été nettement supérieur au chiffre officiel de la fédération. La section suit, de 1958 à 1967, une tendance à la baisse avec une forte chute en 1961 : moins 20,30 % par rapport à 1960. Elle matérialise la fragilité de l’organisation communiste, même implantée au cœur de la classe ouvrière. En 1968, la reprise des adhésions est sensible et atteint 207 militants en 197214.

  • 15 Sabine Parayre, Carine Reboul, Les grands conflits sociaux chez Michelin pendant les trente glorieu (...)

13Pourtant, la place de la section Michelin dans les effectifs clermontois est nettement inférieure à celle qu’elle occupait au début de la période. La section représentait, en 1959, près du quart des effectifs de Clermont-Ferrand (22,08 %) pour seulement 16,52 % en 1972. Cette évolution intervient au moment même où la progression des effectifs de l’usine est constante (18 444 salariés en 1957, 23 328 en 1972)15. En fait, entre 1958 et 1972, les communistes perdent du terrain dans cette usine. Proportionnellement à l’augmentation des effectifs de l’usine, la progression du militantisme s’avère insignifiante. Les ouvriers Michelin adhérant à une cellule communiste représentent à peine 1 % des effectifs totaux de l’usine. Mais l’influence du PC ne se limite pas aux seuls militants : La Voix des Bibs, le journal imprimé de la section, tire régulièrement à 12 000 exemplaires.

  • 16 A.D. Puy-de-Dôme, 10 J 28 : Profession de foi de Georges Azam pour les élections législatives des 5 (...)
  • 17 A.D. Puy-de-Dôme, 408 w 13 : Rapport des R. G. sur la conférence départementale du 5 novembre 1961 (...)

14La direction départementale a pleine conscience de cette faiblesse et tous les rapports de conférences fédérales sur la période insistent sur le travail à fournir dans les entreprises, Michelin étant la priorité. Dans cette perspective, elle appointe à partir de 1960 un permanent : Georges Azam. Originaire de l’Hérault, il est fils de vigneron. Il arrive dans le Puy-de-Dôme en 1947 après avoir combattu dans la Résistance. Ouvrier Michelin, il adhère au Parti en 1958, à l’âge de 37 ans. Élu délégué du personnel et du comité d’entreprise, il quitte l’usine en 1960 pour devenir permanent politique et directeur du journal La Voix des Bibs16. Georges Azam suit une formation rapide dans le Parti et se retrouve secrétaire fédéral dès 1961. Il sera plusieurs fois candidat à différentes élections et notamment aux législatives, dans la circonscription de Clermont Plaine, où le Parti lui confie la lourde tâche de succéder à Pierre Besset. Face aux problèmes que rencontre le PC dans cette usine, il déplore que « trop de camarades communistes, absorbés par les tâches syndicales dans l’entreprise, refusaient d’assumer des responsabilités au sein de la cellule17 ».

Le fonctionnement interne

Le centralisme démocratique

15Le principe du centralisme démocratique avait été adopté lors du Congrès de Tours de 1920, comme la 12e des 21 conditions d’entrée dans la nouvelle Internationale :

  • 18 Jean-Paul Brunet, Histoire du PCF, Paris, PUF, 3e édition, p. 13.

« […] À l’époque actuelle de guerre civile acharnée, le parti communiste ne pourra remplir son rôle que s’il est organisé de la façon la plus centralisée, si une discipline de fer confinant à la discipline militaire y est admise et si son organisme central est muni de larges pouvoirs18 ».

Son dérèglement prend ses sources dans l’histoire même du Parti et du mouvement ouvrier international. Il serait difficile d’expliquer ici les causes des bouleversements qu’a connus le jeune parti « bolchevique » français à la fin des années 1920 et au début des années 1930 pour se transformer en véritable appareil, simple ramification de l’U.R.S.S. stalinienne.

  • 19 Entretien avec Jean Nicolas, 27 avril et 4 mai 199
  • 20 Entretien avec Jacques Mizoule, 8 juillet 1998.

16Jean Nicolas, ancien « numéro 1” du département, admet timidement que « le fonctionnement du Parti n’a pas toujours été démocratique, […], que l’influence de la direction nationale […] sur les militants était importante » mais considère également que la discussion politique existait même si les avis émis par la base ne remontaient pas toujours les échelons19. Pour d’autres militants, tout en reconnaissant appartenir à un appareil, le centralisme démocratique pratiqué par le PCF n’a jamais été vécu « comme une sorte de règle intangible dans laquelle chacun devait se plier, [devant] interdire toute liberté d’expression20 ». Il existe pourtant un net décalage entre l’orientation politique donnée par le Comité central, que les organismes de direction font appliquer et la volonté émise par la base.

Les « purges »

17Le mécanisme des purges exprime bien la logique du centralisme démocratique, qui se prolonge tout au long des années 1960. Les sanctions envers les « fautifs » sont prises en accord avec la direction nationale qui désigne un membre du Comité central pour suivre les affaires. Chaque exclusion doit servir d’exemple. Pour cela, l’appareil met en place un véritable rituel où tous les échelons participent à ce que l’on peut qualifier de « mini-procès ». Un militant est suspecté d’activité fractionnelle ou de comportement susceptible de nuire à l’image du Parti. Une enquête est menée et les conclusions sont directement transmises au Comité central pour qu’il donne les directives. La cellule se réunit et vote l’exclusion en présence ou non de l’individu intéressé. C’est ensuite au tour du comité de section, du comité fédéral, puis du secrétariat du Comité central de se réunir et de ratifier le vote de la cellule. On décide alors éventuellement de rendre la sanction publique.

  • 21 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, rapport manuscrit sur l’affaire P. Bot, non daté.

18La fédération du Puy-de-Dôme n’échappe pas à la règle des « affaires ». Le premier secrétaire, Pierre Bot, est ainsi évincé après la XVe conférence fédérale de 1964. Le Parti justifie la sanction en évoquant des « négligences graves » à l’égard des finances21. En fait, ce sont des problèmes d’ordre privé qui l’ont amené à prendre une telle décision. La vie des dirigeants du PCF se devait d’être exemplaire et le Parti ne tolérait aucune déviance de la part de ses cadres.

  • 22 Ibid., lettre de Roland Leroy du 13 juillet 1965 adressée au secrétaire fédéral.
  • 23 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF et A.D. Puy-de-Dôme, 1084 W 203 : Rapports des R. G., 10 et 12 aoû (...)

19L’affaire de la cellule de Ceyrat est aussi intéressante dans la mesure où elle est en relation directe avec le contexte international de rupture entre l’U.R.S.S. et la Chine. En juin 1965, le secrétaire de cellule René Chambaudie adresse au secrétaire général du PCF Waldeck Rochet une lettre publiée dans L’Humanité Nouvelle, journal d’obédience maoïste. Il critique le fait qu’un certain nombre d’informations soient cachées dans L’Humanité et que le parti « cherche à mettre en valeur tout ce qui peut diviser le PCUS et le PCC ». La réponse du Comité central est publiée dans l’Humanité Nouvelle le 4 juillet, exprimant son total désaccord avec la cellule de Ceyrat. Le 13 juillet Roland Leroy, dirigeant national, demande « de faire preuve d’une fermeté inébranlable pour condamner l’attitude de ceux qui ont communiqué aux provocateurs à la solde des dirigeants chinois les lettres échangées avec la direction de leur parti22 ». La polémique se poursuit tout l’été et le 12 août, le Comité central saisit la fédération de l’affaire. Celle-ci décide « d’enjoindre à la cellule de Ceyrat de cesser toutes relations avec la Fédération des cercles marxistes-léninistes » prochinois. Lors de la réunion du comité fédéral le 26 septembre, la décision de dissoudre la cellule est prise, « le parti ne peut tolérer que quelques individus se fassent les porte-paroles de thèses aventuristes maintes fois condamnées ». La résolution du comité fédéral, réuni le 6 novembre, ratifie les exclusions prononcées, et propose d’exclure publiquement Prulière, Chambaudie et Blanchard. Au total, les quatorze membres de la cellule sont exclus. On constate aussi l’influence déterminante des secrétaires de cellule sur les autres membres. René Chambaudie, même s’il n’a pas imposé ses orientations politiques aux autres camarades, a entraîné l’exclusion de la cellule dans son ensemble23.

Les relais

20Le PCF s’est construit, à travers un certain nombre d’organisations parallèles, un réseau lui permettant, en dehors de ses structures propres, de pénétrer la classe ouvrière et les masses. Certains historiens y voient l’existence d’une véritable « contre société », régie par des règles spécifiques. Sans aller si loin, le PCF a su se créer une « culture » originale, en mélangeant culture du mouvement ouvrier français, internationalisme, mais aussi patriotisme, références à la Révolution d’octobre et à l’U.R.S.S. En participant à ces organisations, le Parti essaie d’étendre son champ d’action et de diffuser cette culture.

La CGT

  • 24 Éric Panthou, L’année 1936 dans le Puy-de-Dôme, mémoire de maîtrise dirigé par André Gueslin, 1994, (...)

21Dès le Front populaire, la CGT apparaît comme un atout important dans l’implantation de la fédération communiste. Eric Panthou estime à environ 40 000 le nombre de syndiqués CGT en janvier 193724, deux membres de l’appareil communiste étant secrétaires de l’Union Départementale : Robert Marchadier et Henri Verde.

  • 25 A.D. Puy-de-Dôme, 408 W 11 : Rapport des R. G., 4 août 1958.
  • 26 Ibid., 7 novembre 1958.
  • 27 A.D. Puy-de-Dôme, 408 W 13 : Rapport des R. G., 29 décembre 1961.

22Les résultats de nos recherches n’ont pas permis d’établir une évolution sur la période étudiée. La préfecture estime à 2 500 la perte d’effectif qu’a connue la CGT entre le 30 avril 1957 et le 4 août 1958, passant de 10 000 à 7 500 adhérents25. L’activité syndicale fléchit nettement, en raison notamment d’un désarroi devant la nouvelle conjoncture politique26. Si la CGT reste l’organisation ouvrière dominante dans le Puy-de-Dôme, elle rencontre des difficultés chez Michelin, dont le PCF a pourtant fait une priorité. En 1961, moins de 1 000 employés Michelin sont syndiqués à la CGT27, c’est-à-dire moins de 5 % des ouvriers de l’usine. Au cours de notre période, la CGT perd même plus de 10 % de suffrages aux élections des délégués du personnel ouvrier.

  • 28 Ibid., 25 janvier 1958.
  • 29 Ibid.
  • 30 Ibid., 27 mars 1959.
  • 31 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, rapport manuscrit sur l’affaire Sandouly, non daté.
  • 32 A.D. Puy-de-Dôme, 1084 W 203 : Rapport des R. G.

23Ce recul s’explique en partie par des tiraillements internes. Dès 1958, des divergences sérieuses apparaissent entre la direction du syndicat et de nombreux cégétistes. Klébert Loubert, le secrétaire général de l’U. D. et Edmond Vigier, le secrétaire adjoint, tous deux membres du bureau fédéral du PCF, ont du mal à maintenir l’union des militants, « certains délégués [ayant] tenu publiquement des propos donnant à penser qu’ils n’approuvent pas l’inféodation de la CGT au PC28 ». À Cégédur (Issoire), la crise provoque la formation de deux clans où les communistes Baconnet, Morel et Boyer se trouvent opposés à des militants partisans d’une « dépolitisation » de la confédération29. La direction communiste maintient pourtant sa place à la tête de la CGT. Le congrès de l’U. D. des 21 et 22 mars 1959 le confirme avec la réélection d’un bureau composé de quatre communistes : Klébert Loubert, Edmond Vigier (permanents), Pierre Menut (trésorier) et Marcel Dubessay (trésorier adjoint)30. Klébert Loubert, qui est limogé en 1960 pour avoir mené une vie qui ne correspondait pas aux exigences imposées à un secrétaire syndical, est remplacé par Robert Sandouly. Celui-ci, membre du bureau fédéral du PCF jusqu’en 1962, connaît le même sort suite à une affaire d’ordre personnel. Il est exclu du Parti le 23 mai 196331. À partir du 15 janvier 1964, c’est Franck Martinet, électricien de 42 ans qui devient le secrétaire permanent de l’U.D. CGT32. Il ne semble exercer aucune responsabilité dans l’appareil communiste, du moins dans les organismes fédéraux.

  • 33 A.D. Puy-de-Dôme, 10 J 28 : Profession de foi d’E. Fabre pour les élections législatives des 5 et 1 (...)
  • 34 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, rapport sur la direction élue après la XVe conférence fédérale de (...)
  • 35 Ibid., rapport sur la direction élue après la XlVe conférence fédérale de 1962.
  • 36 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, commission des mandats relative à la XXIe conférence fédérale de (...)

24Les communistes éprouvent donc, dans les années soixante, des difficultés avec la direction départementale de la CGT, dues aux personnes plus qu’à des problèmes d’ordre politique. Néanmoins, le Parti réussit à imposer un homme à la tête de l’Union Départementale : Edmond Fabre. Celui-ci est né le 24 juin 1932 à Auzat-sur-Allier. Après avoir travaillé à la mine, il devient ouvrier métallurgiste à Cégédur à Issoire, où il est rapidement élu comme responsable syndical. Membre de la commission administrative de l’Union Locale d’Issoire, il est élu secrétaire départemental des syndicats CGT du Puy-de-Dôme33 mais n’adhère au PCF qu’en I96034. Il entre cependant dès le mois de juillet 1962 au bureau fédéral35, avant d’être quelques mois plus tard, le candidat du Parti aux élections législatives de l’automne 1962, dans la circonscription d’Issoire, la plus faible du point de vue électoral. Il sera de nouveau candidat, dans la même circonscription, aux législatives de 1967. Activité syndicale et militantisme politique sont ainsi clairement liés, comme en témoigne la composition de la 21e conférence fédérale du Parti, en décembre 1972 : sur 250 délégués présents « 105 camarades militent à la CGT et dans les syndicats enseignants, soit un pourcentage de 42 % de l’ensemble des délégués36 ».

L’U.F.F et le M.J.C.F.

  • 37 A.D. Puy-de-Dôme, 408 W 13 : Rapport des R. G., 20 octobre 1961.
  • 38 Ibid., 30 novembre 1961.
  • 39 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, rapport d’activité, non daté.
  • 40 A.D. Puy-de-Dôme, 408 W 13 : Rapport des R. G., 18 octobre 1961.

25L’étude de l’activité de ces deux organisations est également rendue difficile par des sources très lacunaires. L’Union des Femmes françaises n’est pas, à l’origine, une organisation communiste. Mais les communistes se sont vite installées aux postes de direction : Madeleine Bot, membre du bureau fédéral du PCF, est également secrétaire à l’organisation de l’UFF en 196137. La même année, une autre des militantes actives de l’organisation est un membre du comité fédéral : Denise Vigier, la femme de Michel Vigier, le secrétaire de la section Est, membre du bureau fédéral et ancien secrétaire départemental de l’UJRF, qui n’est autre que le fils d’Edmond Vigier, le secrétaire général permanent de l’U. D. CGT38. Le poids de la propagande du Parti y est important mais la direction déplore au milieu des années 1960 qu’il ne « [s’agisse] toujours pas d’une organisation de masse féminine39 ». Le même phénomène se retrouve au sein de l’UJFF (Union des jeunes filles de France) : en 1961, la secrétaire départementale est Lucette Antignac, membre du conseil national de cette organisation et du comité fédéral du PCF40.

  • 41 A. Kriegel, op. cit., p. 74.
  • 42 La Voix des Bibs, juin 1971.
  • 43 Témoignages oraux de J.P. Serandon et de J. Mizoule.
  • 44 Karine Badin, Le milieu enseignant et étudiant pendant la guerre d’Algérie dans le Puy-de-Dôme, mém (...)
  • 45 A.D. Puy-de-Dôme, 408 W 13 : Rapport des R. G., 18 novembre 1961.

26Constitué en 1956, le Mouvement de la jeunesse communiste regroupe différentes organisations (UJCF, UJFF, ou UECF pour les plus importantes)41, et rencontre rapidement des difficultés à élargir son recrutement, en dépit des appels lancés par les journaux du Parti : en juin 1971, La Voix des Bibs intitule son éditorial « Jeune ! Tu as ta place au parti ! », en rappelant que sur les 7 300 jeunes qu’emploie la manufacture de pneumatique, 5 600 sont des ouvriers42. Selon différents témoignages, le MJCF n’aurait pas rassemblé plus de 500 adhérents dans le Puy-de-Dôme43. Avec 200 membres environ, l’Union des étudiants communistes semble être la plus importante des organisations (elle avait compté 455 adhérents lors de sa création en 195644) et joue un rôle non négligeable dans le milieu étudiant clermontois. À la fin des années 1950 et au début des années 1960, la présidence de l’AGEC est aux mains des communistes. La présidente en 1961 est Nicole Vigouroux, sympathisante communiste et future femme de Jacques Mizoule. Le vice-président est Gérard Gerbaud, lui aussi sympathisant du Parti45.

  • 46 A.D. Puy-de-Dôme, 1084 W 203 : Rapport des R. G., 8 juin 1964.

27Le recrutement de l’U.J.C.F. est également révélateur des difficultés rencontrées dans la jeunesse. Il s’effectue en grande majorité dans l’agglomération clermontoise, là où le Parti communiste bénéficie d’une bonne implantation (30 membres à La Plaine, 13 à Lachaux…), et dans les établissements scolaires (10 à Blaise Pascal et 10 à Amédée Gasquet)46. Il reste cependant précaire dans la plupart des cercles.

Le Mouvement de la Paix et le C.C.O.D.

  • 47 K. Badin, op. cit., p. 51.
  • 48 La Voix des Bibs, mars 1963.

28Le Parti participe aussi à d’autres organisations, qui recrutent une partie de leurs membres à l’extérieur du mouvement communiste. C’est le cas du Mouvement de la paix, du CCOD ou de l’association France-URSS. Faut-il voir, à travers ces organismes et les luttes qu’ils mènent, le ciment d’un rapprochement entre socialistes et communistes, comme cela avait pu être le cas dans l’entre-deux-guerres avec le comité antifasciste Amsterdam-Pleyel ? Dans le Puy-de-Dôme, le Mouvement de la paix est dirigé par Alain Duplessis Kergomard47. Participent également à l’organisation Edmond Vigier, Joseph Sémonsut (ouvrier de l’imprimerie de la Banque de France) ou Félix Colin (responsable de l’UECF à Clermont-Ferrand). Ce dernier joue un rôle très important puisqu’il permet de mettre en liaison le mouvement et l’UECF, sur la question de la décolonisation notamment. Après les accords d’Évian sur la guerre d’Algérie en 1962, la relance du Mouvement de la Paix se fait sur les thèmes du désarmement48 et de la guerre au Vietnam, relayée par de nombreux articles dans toute la presse du Parti à partir du milieu des années soixante.

  • 49 K. Badin, op. cit., p. 86.
  • 50 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, dossier sur le CCOD.
  • 51 Ibid., manifeste commun du CCOD du 8 février 1962.
  • 52 Ibid., lettre de P. Bot adressée à l’UJFF, non datée.

29Le Comité de Coordination des Organisations démocratiques pour la Défense des Libertés est né le 13 juin 1956. Il regroupe 26 organisations, dont le PSU, le PCF, l’UD CGT, l’UD CFTC, l’AGEC, la FEN, la CGA, la FDSEA, le Mouvement de la Paix, la Ligue des droits de l’homme, l’UFF, la Libre Pensée… Après le 13 mai 1958, le PCF s’intégre au CCOD, « ce qui est un phénomène original au département du Puy-de-Dôme puisqu’au niveau national, la CGT et le PCF sont toujours frappés d’exclusive49 ». Le comité rappelle en novembre 1961 le but essentiel de son existence, qui est de « faire échec au fascisme qui se développe sur le terrain de la guerre d’Algérie50 », critiquant les « faux remèdes » apportés par le pouvoir gaulliste, « l’attentisme, l’article 16 de la Constitution ou l’union nationale51 ». Le fonctionnement du comité dans le département paraît pourtant fragile. En effet, au début de l’année 1962, le dialogue est difficile entre les différentes organisations qui le composent. Pierre Bot critique le fait qu’ait été publié un texte du CCOD sans qu’il y ait eu de concertation préalable52. Un certain nombre de déclarations communes sont pourtant publiées « Pour la paix en Algérie », mais nous trouvons également des déclarations isolées du bureau fédéral du PCF.

  • 53 Ibid., rapport sur la direction élue après la XVe conférence fédérale de 1964.
  • 54 Ibid.
  • 55 Ibid., rapport sur la direction de la section G. Péri élue en 1959.

30Les intellectuels du Parti tiennent une place importante dans ces mouvements de masse. Horace Collange, Jean Lagarde ou Alain Duplessis Kergomard sont souvent cités. Le premier est instituteur et militant syndical au SNI. Il avait adhéré au Parti communiste en 1945. Il est le secrétaire politique d’une grosse cellule (Aurousset), dans le quartier de la gare à Clermont-Ferrand et membre du bureau fédéral du PCF jusqu’en 196453. Jean Lagarde, adhérent du PCF depuis 1946 (il appartient au comité fédéral) est maître assistant de faculté, militant syndicaliste, il est secrétaire départemental de la FEN54. Alain Duplessis Kergomard est Professeur à la faculté des sciences et membre du Parti communiste, il appartient au comité de la section Gabriel Péri55.

Les hommes

31Longtemps défini comme le « parti de la classe ouvrière », le Parti communiste insiste sur le fait que ses cadres sont, à l’image de ses militants, des « fils du peuple ». Toutefois, la constitution d’une véritable classe dirigeante n’entraîne-t-elle pas une rupture, à la fois culturelle et sociologique, entre les élites et la base ?

Les militants

  • 56 A. Kriegel, op. cit., pp. 112-113.
  • 57 Ibid., p. 117.

32Lorsqu’on entre dans le parti communiste, c’est en général pour manifester un engagement politique visant à combattre le système capitaliste. À plusieurs reprises dans l’histoire, des événements ont permis au Parti de renforcer son organisation, d’accroître ses effectifs. Annie Kriegel parle de « générations » de militants qui ont adhéré dans « des circonstances propices ». L’enquête de 1966 sur les dates d’adhésions permet de dégager trois grandes générations militantes56 : celle des premiers adhérents de la période 1924-1934 (que l’enquête ne permet hélas pas de discerner), celle du Front populaire et enfin celle de la Résistance. Depuis la Libération aucune véritable génération n’apparaît clairement. La variation des effectifs s’effectue au fil des événements nationaux, comme la guerre d’Algérie ou l’arrivée de De Gaulle au pouvoir, et internationaux, comme la déstalinisation entamée en 195657.

  • 58 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, selon l’étude menée par le parti en 1966.
  • 59 A. Kriegel, op. cit., p. 67.
  • 60 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, selon l’étude menée par le parti en 1966.
  • 61 A. Kriegel, op. cit., p. 67.
  • 62 Ibid., p. 58.

33La structure par âge de la fédération du Puy-de-Dôme est peu différente de celle rencontrée au niveau national. La part des 41-60 ans est plus importante dans le département (45,3 %58 contre 40,2 %59) alors que celle des moins de 25 ans est plus faible (7,4 %60 contre 9,4 %61). Plus de six adhérents sur dix ont plus de 40 ans alors que moins d’un sur dix est un « jeune ». Le recrutement dans la jeunesse, et surtout chez les jeunes ouvriers, semble donc être un problème dans le département. En 1966, comme au niveau national, « près d’un adhérent sur deux est venu au Parti depuis 1959 : après Staline, le XX congrès, Budapest et depuis de Gaulle…62 ». On comprend mieux ici l’efficacité en matière de formation des nouveaux cadres et l’on ne peut s’étonner de « l’invraisemblable ignorance des militants communistes de base en matière d’histoire de leur propre parti ». Toujours en 1966, moins de 15 % des militants du département ont pu connaître le Front populaire de l’intérieur de l’appareil, moins de 40 % les événements qui ont suivi la fin de la guerre et la présence de leur parti dans un gouvernement.

  • 63 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, selon l’étude menée par le parti en 1966.
  • 64 A. Kriegel, op. cit., p. 79.

34La fédération du Puy-de-Dôme se trouve très en retard par rapport à l’évolution nationale en ce qui concerne la place qu’y tiennent les femmes. En 1966, l’organisation compte seulement 16,7 % de militantes (25,5 % pour la France). Ce bilan est encore plus significatif si l’on prend en compte le département hors agglomération clermontoise : les adhérentes du Parti ne sont que 13 %63. Nous n’avons pas d’indice sur la structure sociale du militantisme féminin. Si l’on s’en tient aux chiffres nationaux, en 1966, « les ménagères communistes […] constituent 46 % des effectifs féminins totaux : près d’une femme communiste sur deux n’est pas, selon la formule consacrée, « dans la production64 ». Mais si elles sont plus nombreuses dans l’ensemble, les femmes gardent, de toute façon, une position modeste à l’intérieur du Parti.

  • 65 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, selon l’étude menée par le parti en 1966.
  • 66 A. Kriegel, op. cit., p. 87.

35L’enquête de 1966 confirme que le PCF, qui se veut l’avant- garde du prolétariat, attache une grande importance à conserver, dans son organisation, un grand nombre de militants issus de la classe laborieuse. Près de la moitié des militants de la fédération du Puy-de-Dôme (49,5 %) sont, en 1966, des ouvriers, dont 67 % du secteur privé, 30,3 % du secteur public et 2,6 % de l’agriculture65. Il nous est difficile d’établir une évolution éventuelle pour la fédération, puisque nous n’avons pu retrouver les résultats des précédentes enquêtes réalisées en 1954 et 1959. Les conclusions d’Annie Kriegel sur le fait que « des deux secteurs, privé et public », le dynamisme serait à l’avantage du second66 ne semblent pas se vérifier dans ce département, tant la part des ouvriers issus du secteur privé reste dominante. Mais c’est avant tout le poids de la section Michelin qui renverse la balance. Cependant, en ajoutant les ouvriers du public, les employés du public et les enseignants, nous obtenons 27,8 %, c’est-à-dire un chiffre inférieur mais proche du résultat national (30,7 %).

Les dirigeants

36Les cadres, qu’on appelle aux niveaux inférieurs des responsables, jouent un rôle fondamental dans le fonctionnement de l’appareil. Dans le Puy-de-Dôme, les changements fréquents de direction ne permettent pas de parler de continuité dans le sens où un seul homme aurait marqué de son empreinte la fédération. Entre 1958 et 1972, trois secrétaires fédéraux se succèdent : Pierre Bot, qui sera resté six ans à la tête de la fédération est remplacé en 1964 par Jean-Paul Sérandon. Celui-ci occupera pendant sept années le poste de premier secrétaire avant d’être lui-même remplacé par Jean Nicolas.

  • 67 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, commissions des mandats relatives aux conférences fédérales.

37Nous retrouvons, à travers les délégués présents aux conférences fédérales, les caractéristiques sociologiques propres à ce groupe. L’âge moyen des délégués apparaît ainsi en baisse à partir de 1966, certainement sous les effets d’une volonté politique de la direction visant à donner au Parti une image de vitalité et de jeunesse. Les militants de moins de 25 ans sont 7,4 % dans le département. Lors de la XVIIe conférence fédérale en décembre de la même année, les délégués de cette classe d’âge sont près du double : 13,3 %. La tendance se confirme en 1971 (17 %) pour atteindre 23,5 % à la XXIe conférence en décembre 197267.

  • 68 Ibid., commission des mandats relative à la XIXe conférence fédérale de 1970.
  • 69 Ibid., commission des mandats relative à la XXIe conférence fédérale de 1972.
  • 70 Ibid., rapport sur la direction élue après la XXIe conférence fédérale de 1972.

38L’analyse des commissions de mandats concernant les conférences fédérales de 1959 à 1972 confirme largement le fait que les ouvriers y sont représentés en masse, à tous les échelons. Jusqu’en 1969, quatre à cinq délégués sur dix sont des ouvriers. Une tendance à la baisse est observée à partir de 1970 où les ouvriers ne représentent plus que 33,1 % des 166 délégués présents68. Cette baisse s’effectue à l’avantage des employés et des délégués appartenant aux professions intermédiaires. Cette tendance est confirmée en 1972 (36,7 % d’ouvriers)69 mais les seules commissions des mandats ne permettent pas d’expliquer une telle évolution. Il faut peut-être y voir une volonté de la direction tendant à suivre les évolutions de la société française à la fin des années soixante. Toutefois, les liens avec la classe ouvrière sont très présents sitôt que l’on gravit les échelons. En 1961, le secrétariat fédéral se compose de Pierre Bot (tourneur), Pierre Besset (ouvrier du bâtiment), Georges Azam (ouvrier Michelin) et Jean Paul Sérandon (métreur) même si ce dernier ne peut être considéré comme un « simple » ouvrier. En 1972, le secrétariat est toujours composé à 75 % d’ouvriers : Jean Nicolas est serrurier, Georges Azam, Henri Rinaldi est monteur téléphone et Jacques Mizoule enseignant70. Le Parti met en permanence en avant la qualification professionnelle de ses dirigeants, ce qui lui permet de légitimer son image de parti ouvrier.

  • 71 Cette biographie a été réalisée grâce à deux entretiens avec Jean-Paul Sérandon, les 28 août et 1er (...)

39Les parcours de Jean-Paul Sérandon et de Jean Nicolas révèlent l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants, qui accède aux responsabilités après les années de guerre froide. Jean-Paul Sérandon est né à Cornil en Corrèze, le 7 juin 1934, dans une famille de petits paysans71. Ses parents ne sont pas engagés politiquement jusqu’à la Libération. Cependant, sa mère, qui fut très marquée par la Première Guerre, est élue en 1947, au conseil municipal du village, sur une liste soutenue par le Parti communiste. Le fait que Jean-Paul Sérandon ait grandi dans un milieu populaire qu’il qualifie de « conscient » a certainement beaucoup contribué à son engagement politique précoce. Il adhère, en effet, à l’Union de la Jeunesse républicaine de France dès l’âge de 16 ans. C’est en 1952, à 18 ans, qu’il prend sa première carte au PCF, avec la volonté de transformer en profondeur la société capitaliste. Technicien des travaux publics de formation, il est également syndicaliste. Lorsqu’il arrive dans le Puy-de-Dôme en 1956, il adhère à la cellule Léon Malfreyt où il n’exerce aucune responsabilité particulière, mais devient rapidement secrétaire départemental des Jeunesses communistes, ce qui lui permet d’entrer au comité fédéral. En 1958, c’est le départ pour le service militaire qu’il effectue en Algérie jusqu’en mai 1960, date à laquelle il revient dans le département et devient permanent politique du Parti. Membre du secrétariat fédéral depuis la XIIIe conférence fédérale d’avril 1961, il suit une formation interne « classique » qui se conclut par l’école de quatre mois à Choisy, en 1964. Élu premier secrétaire de la fédération en avril 1965 suite à « l’affaire Pierre Bot », Jean-Paul Sérandon va occuper ce poste jusqu’en décembre 1971, moment où il ne souhaite plus exercer la responsabilité de permanent au sein de l’appareil.

  • 72 Cette biographie a été réalisée grâce à deux entretiens avec Jean Nicolas, les 27 avril et 4 mai 19 (...)
  • 73 A.D. Puy-de-Dôme, 1084 W 203 : Rapport des R. G., 3 janvier 1972.
  • 74 Entretiens avec Jean Nicolas.

40Né le 31 décembre 1934 à Saint-Amant Tallende dans le Puy-de-Dôme, Jean Nicolas est issu d’un milieu ouvrier72. Il apprend le métier de serrurier au lycée Amédée Gasquet et commence à travailler en 1951, moment où il adhère à la CGT. C’est en 1953, à 18 ans, qu’il prend sa première carte au Parti, sans être passé par les JC. Il avoue ne pas avoir eu de mérite puisqu’il est « né plié dans l’Huma ». En effet, son père est militant du PCF et de la CGT, et connaîtra la répression patronale chez Michelin. L’environnement familial étant engagé, il y trouve toute la presse communiste et commence « par lire Pif et puis Le sport et petit à petit […] Les cahiers du communisme… ». Le milieu dans lequel il a grandi, mais aussi le fait que son père ait subi la répression patronale l’ont aidé à acquérir « une conscience de classe supplémentaire ». Il milite dans un premier temps à la cellule Joliot Curie, dans un quartier Michelin où il se retrouve avec plusieurs autres jeunes, comme Rinaldi ou Teilhol, qui seront plus tard des responsables. Avant de partir au service militaire en 1956, il est coopté et se retrouve membre du comité de la section Pierre Semard. Musicien dans l’armée de l’air à Aix-en-Provence, il « échappe » à la guerre d’Algérie. Son ascension au sein de l’appareil est ensuite rapide : secrétaire politique de sa section en 1959, il entre au secrétariat fédéral dès 1962, à la propagande. En juin 1965, lors de la XVIe conférence fédérale, il est élu secrétaire fédéral à l’organisation, c’est-à-dire numéro deux du département. Permanent du Parti depuis janvier de la même année (il le sera jusqu’en 1986), il suit l’école centrale de formation des cadres pendant un mois. En 1967-1968, il suit l’école de quatre mois « ce qui fait que je suis arrivé tout frais […] pour les événements de 68”. « Considéré comme plus sectaire et combatif que son prédécesseur73 » il succède, en décembre 1971, à Jean-Paul Sérandon au poste de premier secrétaire de la fédération du Puy-de-Dôme74.

41Ce qui frappe au regard de ces témoignages, c’est la rapidité avec laquelle ces militants ont franchi tous les échelons de l’appareil. Là encore, la politique de formation des cadres visant à constituer un groupe de révolutionnaires professionnels, ne peut être dissociée des bouleversements qu’a connus le PCF dans sa phase dite de « bolchevisation ». En effet, si elle a permis à des ouvriers une « formation promotion » à laquelle ils n’auraient probablement pas eu accès dans le seul contexte de la société capitaliste, elle a surtout permis au Parti de se créer un noyau homogène de dirigeants qui ont suivi quasiment le même parcours, dociles et capables de mener à bien sa politique.

42Les quinze premières années de la Ve République ne constituent pas, pour la fédération communiste du Puy-de-Dôme, une période de rupture : la logique de l’implantation, le fonctionnement interne, les effectifs militants, le recrutement des cadres et même le discours restent comparables entre 1958 et 1972. Des germes d’évolution sont toutefois perceptibles, qui apparaîtront nettement avec l’union de la gauche : le renforcement de l’ancrage urbain, avec une diversification sociologique (sensible après 1968), un certain assouplissement de la discipline interne montrent bien que le Parti souhaite mener une reconquête militante, fondée toutefois sur la même logique qu’au début de son histoire : le rêve du « grand soir ».

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Notes

1 Julien Marciniak, Le Parti communiste clans le Puy-de-Dôme sous la IVe République, mémoire de maîtrise dirigé par Mathias Bernard, 1997.

2 Ibid, p. 95.

3 A.D. Puy-de-Dôme, 408 W 11 : Rapport des R. G., 30 août 1958.

4 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, rapports sur l’organisation.

5 Caroline Spina, Le Parti communiste du Puy-de-Dôme dans l’entre-deux-guerres, mémoire de maîtrise dirigé par Olivier Faure, 1993, p. 153.

6 Annie Kriegel, Les communistes français 1920-1970, Paris, Seuil, 1985, p. 62.

7 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, rapports sur l’organisation.

8 En 1959, Clermont-Ferrand compte quatre sections (Michelin, Gabriel Péri, Pierre Sémard, Clermont-Est) et Riom deux (Riom-Est, Riom-Ouest). Les autres sections sont : Ambert, Billom, Bourg-Lastic, Champeix, Cournon, Issoire, Jumeaux-Brassac, Lezoux, Menât, Montaigut, Saint-Eloy, Pontaumur, Puy-Guillaume, Saint-Dier, Thiers, Vertaizon, Vic-le-Comte.

9 A.D. Puy-de-Dôme, 1084 W 203 : Rapport des R. G. sur la situation interne de la section G. Péri, 1er juin 1965.

10 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, rapports sur l’organisation.

11 Ibid., rapport sur les sections de Clermont-Ferrand, non daté.

12 Ibid., rapport sur l’activité en entreprise, 1965.

13 13. A.D. Puy-de-Dôme, 408 W 11 : Rapport des R. G., 22 mai 1958.

14 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, rapports sur l’organisation.

15 Sabine Parayre, Carine Reboul, Les grands conflits sociaux chez Michelin pendant les trente glorieuses, mémoire de maîtrise dirigé par Pascale Lefebvre, 1997, p. 57.

16 A.D. Puy-de-Dôme, 10 J 28 : Profession de foi de Georges Azam pour les élections législatives des 5 et 12 mars 1967.

17 A.D. Puy-de-Dôme, 408 w 13 : Rapport des R. G. sur la conférence départementale du 5 novembre 1961 sur les tâches du Parti dans les entreprises.

18 Jean-Paul Brunet, Histoire du PCF, Paris, PUF, 3e édition, p. 13.

19 Entretien avec Jean Nicolas, 27 avril et 4 mai 199

20 Entretien avec Jacques Mizoule, 8 juillet 1998.

21 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, rapport manuscrit sur l’affaire P. Bot, non daté.

22 Ibid., lettre de Roland Leroy du 13 juillet 1965 adressée au secrétaire fédéral.

23 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF et A.D. Puy-de-Dôme, 1084 W 203 : Rapports des R. G., 10 et 12 août 1965.

24 Éric Panthou, L’année 1936 dans le Puy-de-Dôme, mémoire de maîtrise dirigé par André Gueslin, 1994, p. 207.

25 A.D. Puy-de-Dôme, 408 W 11 : Rapport des R. G., 4 août 1958.

26 Ibid., 7 novembre 1958.

27 A.D. Puy-de-Dôme, 408 W 13 : Rapport des R. G., 29 décembre 1961.

28 Ibid., 25 janvier 1958.

29 Ibid.

30 Ibid., 27 mars 1959.

31 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, rapport manuscrit sur l’affaire Sandouly, non daté.

32 A.D. Puy-de-Dôme, 1084 W 203 : Rapport des R. G.

33 A.D. Puy-de-Dôme, 10 J 28 : Profession de foi d’E. Fabre pour les élections législatives des 5 et 12 mars 1967.

34 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, rapport sur la direction élue après la XVe conférence fédérale de 1964.

35 Ibid., rapport sur la direction élue après la XlVe conférence fédérale de 1962.

36 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, commission des mandats relative à la XXIe conférence fédérale de 1972.

37 A.D. Puy-de-Dôme, 408 W 13 : Rapport des R. G., 20 octobre 1961.

38 Ibid., 30 novembre 1961.

39 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, rapport d’activité, non daté.

40 A.D. Puy-de-Dôme, 408 W 13 : Rapport des R. G., 18 octobre 1961.

41 A. Kriegel, op. cit., p. 74.

42 La Voix des Bibs, juin 1971.

43 Témoignages oraux de J.P. Serandon et de J. Mizoule.

44 Karine Badin, Le milieu enseignant et étudiant pendant la guerre d’Algérie dans le Puy-de-Dôme, mémoire de maîtrise dirigé par Olivier Faure, 1992, p. 70.

45 A.D. Puy-de-Dôme, 408 W 13 : Rapport des R. G., 18 novembre 1961.

46 A.D. Puy-de-Dôme, 1084 W 203 : Rapport des R. G., 8 juin 1964.

47 K. Badin, op. cit., p. 51.

48 La Voix des Bibs, mars 1963.

49 K. Badin, op. cit., p. 86.

50 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, dossier sur le CCOD.

51 Ibid., manifeste commun du CCOD du 8 février 1962.

52 Ibid., lettre de P. Bot adressée à l’UJFF, non datée.

53 Ibid., rapport sur la direction élue après la XVe conférence fédérale de 1964.

54 Ibid.

55 Ibid., rapport sur la direction de la section G. Péri élue en 1959.

56 A. Kriegel, op. cit., pp. 112-113.

57 Ibid., p. 117.

58 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, selon l’étude menée par le parti en 1966.

59 A. Kriegel, op. cit., p. 67.

60 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, selon l’étude menée par le parti en 1966.

61 A. Kriegel, op. cit., p. 67.

62 Ibid., p. 58.

63 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, selon l’étude menée par le parti en 1966.

64 A. Kriegel, op. cit., p. 79.

65 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, selon l’étude menée par le parti en 1966.

66 A. Kriegel, op. cit., p. 87.

67 Fédération du Puy-de-Dôme du PCF, commissions des mandats relatives aux conférences fédérales.

68 Ibid., commission des mandats relative à la XIXe conférence fédérale de 1970.

69 Ibid., commission des mandats relative à la XXIe conférence fédérale de 1972.

70 Ibid., rapport sur la direction élue après la XXIe conférence fédérale de 1972.

71 Cette biographie a été réalisée grâce à deux entretiens avec Jean-Paul Sérandon, les 28 août et 1er septembre 1998.

72 Cette biographie a été réalisée grâce à deux entretiens avec Jean Nicolas, les 27 avril et 4 mai 1998.

73 A.D. Puy-de-Dôme, 1084 W 203 : Rapport des R. G., 3 janvier 1972.

74 Entretiens avec Jean Nicolas.

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Pour citer cet article

Référence papier

Olivier Rougerie, « Structures et militants communistes en Puy-de-Dôme au début de la Ve République »Siècles, 11 | 2000, 93-112.

Référence électronique

Olivier Rougerie, « Structures et militants communistes en Puy-de-Dôme au début de la Ve République »Siècles [En ligne], 11 | 2000, mis en ligne le 03 juillet 2024, consulté le 09 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/siecles/11962 ; DOI : https://doi.org/10.4000/11y58

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