Genèse du projet

3Conçues pour couvrir progressivement tout le territoire français à l’époque médiévale, les notices des deux bases initiales comportent des informations concernant l’identité de l’établissement, ses localisation et géolocalisation, ses états institutionnels successifs, son fonctionnement interne, sa vie religieuse, son architecture et sa documentation bibliographique et heuristique. Comme le montre le tableau ci-dessous, certains champs sont aussi propres à l’une ou l’autre des deux bases initiales.

Rubriques	Base Collégiales	Rubriques	Base Monastères
1	Informations générales (dont le vocable principal)	1	Identité et désignation dans les textes anciens (vocable principal, type de communauté, statut actuel)
2	Localisation administrative actuelle (avec géoréférencement de l’église)		Localisation administrative actuelle (avec géoréférencement de l’église)
3	Localisation ecclésiastique ancienne (diocèse, province ecclésiastique)		Localisation ecclésiastique ancienne (province ecclésiastique et diocèse)
4	Chronologie (fondation, première attestation, refondation, disparition, fondateurs)	2	Données chronologiques (fondation, première attestation, consécration, disparition, refondation, fondateurs)
5	Transformations institutionnelles et architecturales avant et après la période où l’établissement fut une collégiale		Données juridiques et institutionnelles (statuts, changements de statuts, réforme, affiliation, disparition…)
		3	Observance et vie régulière (règles, coutumiers, pèlerinages, associations de prière)
		4	Données archéologiques et architecturales (états du site, topographie des bâtiments, des structures monastiques)
6	Effectifs (chanoines et dignitaires, collateur(s), patron(s))
7	Documentation (sources manuscrites, fonds d’archives, sources imprimées, bibliographie)	6	Documentation (sources manuscrites, fonds d’archives, sources imprimées, bibliographie)
8	Auteur de la notice : lien avec l’adresse électronique, date de la dernière correction, références à donner en cas de citation de la notice	7	Auteur(s) de la notice, date des dernières corrections, références pour citation
9	Chaque notice est accompagnée d’une frise chronologique au sein de laquelle chaque information datée est identifiée
10	Documents numérisés (photographies, plans et vues anciens, dessins…). Des liens hypertextes sont mentionnés avec d’autres bases spécialisées (Palissy et Mérimée de la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine)	5	Iconographie (photographies, plans et vues anciens, dessins, gravures, relevés archéologiques…). Des liens hypertextes existent déjà ou sont prévus avec d’autres bases spécialisées (Palissy, Mérimée, Corpus de l’Architecture religieuse européenne, IVe-Xe siècle (Care)

5L’ambition de Col&Mon est d’aborder nos données historiques sous l’angle de l’analyse spatiale et temporelle en développant des instruments d’exploration et de visualisation de ces données, adaptés à des publics variés. L’idée de départ est que la cartographie et l’analyse spatiale peuvent nous permettre de mieux comprendre les logiques d’implantation de ces établissements et les liens qui les unissent. Une vision différente des données – une vision spatiale, temporelle et spatio-temporelle – devrait, en effet, faire émerger de nouvelles questions en observant la répartition des établissements et devrait permettre de répondre à certaines problématiques grâce au croisement des données et à leur représentation. L’objectif est d’utiliser la visualisation cartographique, graphique et l’analyse spatiale non pas seulement comme des outils de représentation mais comme des outils d’exploration et de recherche pour susciter des réflexions, des analyses sur les logiques de répartition et d’organisation. Le but, à terme, est de livrer à un public hétérogène, composé aussi bien de chercheurs que d’acteurs du patrimoine et de non-initiés, les outils d’une cartographie historique et d’une exploration spatiale et temporelle de ces collégiales et monastères, établissements communautaires qui ont occupé une place majeure dans la structuration de la société et de l’espace médiéval.

Constituer un corpus historique inédit sur le fond comme sur la forme

6Inédit sur le fond par regroupement d’objets d’études jusqu’alors jamais analysés ensemble, les outils qui ont été mis au point le sont aussi sur la forme en faisant, logiquement, le choix du numérique avec des outils les plus ouverts et interopérables possibles. Tout en conservant l’autonomie de ces deux bases initiales Collégiales et Monastères, nous avons choisi de créer une nouvelle base issue de la fusion et de la mise à jour quotidienne des deux bases sources : la base Col&Mon. Le but de cet outil est d’aligner les données des deux bases, c’est-à-dire les rendre comparables et les intégrer dans un corpus numérique pour les explorer et les visualiser ensemble.

7Cette fusion des deux bases sources en une troisième a été l’occasion d’engager une réflexion conceptuelle sur nos objets d’étude, sur ce qui constituait notre corpus Col&Mon à proprement parler. Les collégiales et les monastères du corpus de départ ont des points communs mais, nous l’avons vu, sont aussi différents. La réflexion nous a conduits à centrer notre corpus autour de la notion d’implantations religieuses c’est-à-dire d’établissements qui ont abrité à un moment plus ou moins long de leur histoire une communauté, soit de clercs séculiers par constitution de chapitres dans des collégiales dites séculières, soit de moines, de moniales ou de clercs réguliers donc de communautés monastiques et de chapitres réguliers dans des monastères. Cette vie communautaire n’est pour autant le reflet que d’une part de leur histoire car, le plus souvent, ces sites collégiaux ou monastiques ont connu une autre fonction avant (nécropole, église, villa…) et/ou après (église, séminaire, grange…) l’occupation par un clergé communautaire.

8On ne peut pas comprendre et analyser la logique d’insertion et d’évolution de ces implantations religieuses dans le temps et dans l’espace sans les mettre en lien avec d'autres objets d'étude qui leur sont proches et avec lesquels ils interagissent : églises ou lieux de culte qui sont des bénéfices ou appartiennent à nos objets d’étude, cathédrales, écoles, châteaux, châtellenies etc. La base de données Col&Mon, dédiée non seulement aux monastères et collégiales mais de manière plus large à tous les établissements religieux permet ainsi, pour enrichir les analyses, d’intégrer d’autres objets historiques (notamment ceux n’ayant pas connu de vie communautaire) localisés et caractérisés. Ces objets que l’on peut désigner comme des objets hors corpus sont donc destinés à être intégrés à la base Col&Mon lorsque les données sont disponibles pour servir de clés d’interprétation parmi d’autres (Fig. 2).

9L’une des premières phases du projet fut de créer et d’implémenter une nouvelle base de données spatio-temporelle, dite base Col&Mon, dans le cadre de concertations pluridisciplinaires. Les objectifs lors de la mise en place de cette base étaient de différentes natures et ont fortement influencé les choix conceptuels. Ce travail devait, en effet, répondre au moins à quatre objectifs principaux :

• réunir au sein d’une base de données unique les bases d’origine à la source du projet ;
• concevoir dès le départ un modèle ouvert permettant d’accueillir ou de lier d’autres bases de données (archéologiques, prosopographiques…) ;
• prévoir un modèle permettant facilement de partager tout ou partie des données sur le web (open-data) ;
• rendre efficaces et performantes les interrogations, y compris des requêtes complexes mêlant plusieurs niveaux thématiques et chronologiques.

10La première étape a consisté à « déconstruire » les schémas établis dans les bases d’origine pour extraire et traiter de manière atomique l’ensemble des entités et des attributs relatifs au projet. Un premier travail sémantique et terminologique a permis une harmonisation pour produire une liste normalisée et hiérarchisée de tous les attributs de nos objets d’étude (Fig. 3).

11Le Modèle conceptuel de Données issu de l’analyse fonctionnelle de ces informations met en évidence sept entités ou objets avec leurs attributs, leurs propriétés, la nature de leurs relations et la manière dont elles sont datées (Fig. 4).

12La réflexion concernant le modèle de datation à utiliser a conduit au choix d’un système générique permettant de rendre les requêtes temporelles et les comparaisons les plus aisées possibles. Les dates sont ainsi toutes assimilées à une année quand cela est possible, ou à une fourchette entre deux années pour les autres cas. Cela implique de procéder à des extrapolations lorsque la mention de la date est imprécise ou ne se traduit pas automatiquement sous la forme d’un intervalle (avant, après, vers). Ces extrapolations peuvent être basées sur le choix arbitraire de la durée de l’intervalle ou, de préférence, sur des règles établies en fonction du type de donnée et de ses relations avec d’autres données : par exemple, sauf indication spécifique, l’usage d’une règle monastique se termine avec le changement d’ordre de l’établissement.

13Les datations ainsi formatées sont stockées sous la forme d’une série de deux ou quatre valeurs (date unique ou fourchette de dates) tandis qu’un attribut indique s’il s’agit d’une datation précisément documentée ou d’une simple attestation (Fig. 5).

14En matière d’implémentation, la base de données Col&Mon est ainsi constituée de deux parties principales :

• des dictionnaires d’entités et d’attributs précisant leur type de valeurs, la liste éventuelle des valeurs potentielles et les relations entre valeurs (hiérarchie, équivalence, réciproque) permettant d’énoncer des règles d’inférences (par exemple, si un établissement est désigné comme un prieuré, c’est alors un établissement régulier).
• Une liste de faits, reprenant un modèle classique de description des données spatio-temporelles sous la forme « dimensions spatiale/thématique/temporelle » ; chaque fait regroupe ainsi une des entités du modèle liée à une implantation localisée, un attribut thématique et une datation. Par exemple, l’implantation « Saint-Germain d’Auxerre » est dans le département de l’Yonne et la commune d’Auxerre/accueille une abbaye/entre 735 et 1790.

15Cette forme permet de répondre aux objectifs du projet. Il est d’abord aisé d’intégrer de nouvelles données soit en définissant de nouvelles valeurs pour des attributs existants, soit en créant de nouveaux attributs ou en définissant de nouvelles entités et leurs attributs. Il est ensuite possible de pouvoir interroger très finement la base de données en fonction de chacun des attributs qui la compose et en cumulant plusieurs attributs et leurs datations pour mettre en place des interrogations complexes. Enfin, le modèle des faits est formellement très proche du modèle de triplet sujet/prédicat/objet sur lequel est basée la syntaxe RDF et permet de sérialiser facilement les données dans un format de métadonnées diffusables sur le web et d’assurer leur interopérabilité.

16Une fois les données réunies dans la base Col&Mon, il faut pouvoir les interroger pour donner du corps au matériau brut afin de réfléchir aux modalités d’implantation de ces objets d’étude.

Concevoir des outils de requête et d’exploration des données

18L’interface de consultation regroupe les outils de recherche créés pour Col&Mon et propose une visualisation des requêtes sous trois formes : tableau synthétique des résultats, cartes dynamiques des implantations et diagramme chronologique.

19La recherche s’appuie sur le choix et la combinaison par l’utilisateur d’un ou plusieurs attributs. Trois outils permettent de sélectionner ces attributs (Fig. 7) :

• une sélection libre assistée par une fonctionnalité d’autocomplétion ; l’utilisateur peut entrer un nom, un mot ou seulement quelques lettres et le système lui propose d’effectuer un choix parmi l’ensemble des valeurs correspondantes de la base, classées par attribut ;
• une sélection par réseau ; l’utilisateur choisit un type de relation existante entre des établissements (filiation, association de prières, etc.) et le nom d’un établissement.
• une sélection parmi l’ensemble des valeurs à choix fermé regroupées et hiérarchisées au sein d’un arbre de cases à cocher.

20Chacune de ces méthodes permet d’alimenter la requête principale dont la composition est affichée sous la forme de « tags » indiquant les attributs et les valeurs choisis. Il est aussi possible de définir une période de recherche précise à l’année près pour chaque valeur datée dans les bases d’origine. Des évolutions sont encore envisagées dans cette partie de l’interface pour permettre de moduler la requête en donnant la possibilité de jouer sur les opérateurs logiques ET et OU entre les valeurs. Enfin cette requête peut être visualisée sous la forme d’un diagramme de Venn pour rendre plus aisée sa compréhension par l’utilisateur (Fig. 8).

Proposer une visualisation graphique et cartographique des données pour répondre à plusieurs problématiques scientifiques

21Une fois extrait le jeu de données sur lequel on souhaite travailler, on peut envisager un affichage graphique (datavisualisation) et cartographique (géovisualisation) des résultats qui permettent de visualiser la répartition des établissements et de tester des hypothèses d’interprétation de ces répartitions. Associer à la requête brute des outils de visualisation des résultats doit permettre d’explorer les données sous différents angles afin d’en cerner les ressorts et les dynamiques. La constitution de ces outils et la réflexion sur les choix techniques à adopter ont été guidées par la priorisation de plusieurs problématiques historiques dans les temps du projet.

Visualiser et interroger les réseaux monastiques et canoniaux

22La première est l’organisation des établissements communautaires en plusieurs réseaux souvent imbriqués, hiérarchiques ou horizontaux, dont il faut saisir le maillage et l’organisation spatiale. Ces réseaux de dépendance, de confraternités, de prières ou ces réseaux scolaires capitulaires ou monastiques doivent pouvoir être représentés sous forme de graphes géolocalisés et/ou de graphes hiérarchisés pour tenter de cerner leur extension spatiale, leur évolution dans le temps et le degré de juxtaposition ou d’imbrication qu’ils entretiennent entre eux. Les établissements s’implantent les uns en fonction des autres, dans un paysage déjà structuré. Quelles sont les logiques repérables à cet égard : distanciation des centres urbains, concurrence pour les ressources, notamment en eau, partage ou concurrence de l’espace, positionnement par rapport au réseau des églises dépendantes ou au réseau castral ? L’objectif est ici d’adopter une approche comparative entre les réseaux monastiques de manière à dégager ou non des espaces privilégiés ou des espaces convoités, des concurrences ou des espaces partagés, là encore en fonction du temps et en privilégiant l’approche multiscalaire permise par les outils numériques. L’exemple proposé ci-dessous pour les diocèses bourguignons n’est pas un résultat historique car les données des bases initiales sont incomplètes mais il reflète des pistes d’analyse et de représentation, des potentialités d’exploration réalisables avec Col&Mon (Fig. 9 & 10).

Comprendre et comparer les évolutions institutionnelles des établissements communautaires

23Un monastère comme une collégiale restent rarement indéfiniment monastère ou collégiale. On observe dans la durée d’occupation des sites collégiaux ou monastiques des temps d’abandon, des temps de réforme, des temps de refondation, des temps de mutation institutionnelle. Le choix du site de fondation lui-même n’est pas laissé au hasard même si les cas de changement de sites ne sont pas rares. On connaît depuis l’Antiquité tardive le topos monastique de l’attirance pour le désert. Quelle est la réalité de ce désert ? Les fondations d’établissements communautaires se font-elles plus souvent ex nihilo sur des sites vierges ou bien sur des sites déjà occupés ? Dans ce dernier cas quel type d’occupation préexiste en fonction de la chronologie des fondations ? De même pour la disparition de nos établissements, existe-t-il, en dehors de la dissolution révolutionnaire, des causes récurrentes, des moments plus propices à l’abandon ? Des analyses spatio-temporelles de ces phénomènes sont nécessaires par réseaux, par familles, par ordres pour affiner nos connaissances de ces processus. Il nous faut donc repenser notre schéma autour d’établissements immuables depuis leur fondation médiévale jusqu’à la Révolution qui les supprime. La plupart ont connu des évolutions institutionnelles qu’il est ici possible de mettre en évidence par la cartographie (Fig. 11) ou par des chronogrammes (Fig. 12). Les cas de passage de collégiale à monastère avec des processus de régularisation ou au contraire de sécularisation d’établissements communautaires en lien avec des réformes ponctuelles ou des courants spirituels sont signalés dans l’historiographie mais jamais étudiés en tant que tel. La figure du commanditaire de ces évolutions est ici un point central, mais aussi la chronologie et la répartition spatiale de ces phénomènes qu’il convient de cerner de plus près. Sur tous ces types de problématiques, nous avons besoin d’outils d’exploration statistique qui fassent ressortir ou non la fréquence et la distribution spatiale et chronologique de ces situations pour mieux les comprendre.

24La base Col&Mon, conçue comme un outil évolutif, pourra accueillir selon le même procédé d’autres données contribuant ainsi à un élargissement des objets d’étude afin d’englober plus largement des objets contextuels du paysage médiéval comme les cathédrales, les églises paroissiales et leurs territoires, les chapelles, les sanctuaires, etc. En ayant pour objectif de fournir des outils d’exploration des établissements communautaires médiévaux, de visualisation graphique et cartographique des requêtes posées sur ces établissements et d’analyses pré-calculées sur leurs changements institutionnels et les réseaux auxquels ils appartiennent, le projet Col&Mon propose de renouveler en profondeur la connaissance des établissements religieux communautaires médiévaux et leur cartographie.