2Le souhait de produire un atlas historique régional (Auvergne – Bourbonnais – Velay) habitait les membres de ce laboratoire depuis les années 2000. Ce n’est qu’avec l’arrivée des logiciels de géomatique que la planification de la production d’un tel objet a pu véritablement prendre la forme d’un programme de recherche, Stéphane Gomis ayant constitué une équipe de chercheurs pour réunir les données nécessaires à sa réalisation. La formalisation de ce projet bénéficie aussi du soutien de la Maison des Sciences de l’Homme de Clermont.

4Les auteurs de l’Atlas historique régional, afin de définir un cadre commun aux futures études, proposent comme premier objectif de présenter l’organisation territoriale qui a prévalu dans l’emprise des quatre départements de l’ancienne région Auvergne : l’Allier, le Puy-de-Dôme, le Cantal et la Haute-Loire. À travers une vingtaine de cartes publiées au fur et à mesure de l’avancée des travaux, ce programme permet de connaître l’organisation d’un espace composé de 1 288 communes (2015), sur le temps long, de l’Antiquité à la fin du xx^e siècle. Un des principaux défis consiste à cartographier les différentes administrations cohabitant sous l’Ancien Régime : élections, subdélégations, bailliages, pour n’en citer que quelques-unes.

5Dans cet atlas, la carte des diocèses à la fin de l’Ancien Régime, n’est qu’une carte parmi les autres. Elle permet au lecteur de visualiser trois entités territoriales – le diocèse, l’archiprêtré et la paroisse – et de les situer dans l’espace des représentations actuelles (limites départementales), qui lui sont familières.

7Six autres diocèses ont une partie de leur territoire en Auvergne, celui de Bourges étant le plus largement représenté avec 173 paroisses situées au nord-ouest de la zone, dans l’actuel département de l’Allier.

8L’espace couvert par les quatre départements actuels comprenait 1 445 paroisses, la paroisse constituant la cellule de base de cette carte. Pour ceux qui construisent cet atlas, elle est aussi un véritable socle à partir duquel nombre d’autres réflexions et productions cartographiques sont menées.

9L’objet de cet article est de présenter les étapes de la conception et de la réalisation de ce qui constitue une des « cartes maîtresses » de cet atlas historique régional.

État des lieux de la documentation historique sur les diocèses et leurs paroisses

Les cartes anciennes

10Pour les diocèses de Clermont et de Saint-Flour, il n’existe pas de carte ancienne dans le sens où nous n’en connaissons pas qui fut produite sur ce sujet précis, sous l’Ancien Régime.

11Nous disposons pourtant d’un fonds patrimonial exceptionnel de plusieurs centaines de cartes anciennes, constitué par le collectionneur Pierre Delaunay, valorisé par la Bibliothèque du patrimoine de Clermont Auvergne Métropole qui diffuse sa numérisation sur un site dédié.

12Il n’existe à notre connaissance qu’une carte ancienne du diocèse de Clermont, manuscrite, qui représente certainement les conférences ecclésiastiques, mais sans légende, et non datée (Fig. 1) ; elle ne permet pas une collecte de données satisfaisantes pour notre objectif.

La carte des diocèses de J. Dubois

État de la documentation sur les paroisses

16Pour aborder les paroisses, nous avons été amenés à nous fonder sur les registres de bénéfices ecclésiastiques que sont les pouillés. Les dénombrements en faveur des diocèses fournissent des listes de paroisses, que les historiens chartistes ont valorisées et éditées dès la fin du xix^e siècle. Ces travaux constituent une étape fondamentale pour la production cartographique. Ces chercheurs ont d’ailleurs déjà proposé des cartes pour accompagner leurs propres éditions de sources :

• pour Clermont et Saint-Flour, l’édition des pouillés par Alexandre Bruel joint aux listes de paroisses une carte de qualité (Fig. 4)10.

• pour le diocèse du Puy, nous avons la chance de disposer de l’édition des pouillés de la province ecclésiastique de Bourges par Jacques de Font-Réaulx, en 1962.

20À l’échelle de l’Auvergne, la documentation se révèle donc très contrastée. La carte qui cumule Dictionnaires topographiques et éditions départementales de la collection « Paroisses et communes de France » révèle l’absence totale de documentation sérielle pour le Puy-de-Dôme. Seul le Cantal offre une documentation complète (Fig. 6).

L’atelier de cartographie : Production du SIG des circonscriptions ecclésiastiques

À la recherche des chefs-lieux de paroisses d’Auvergne

22Notre « BD Paroisses » est une base de données comprise dans un ensemble plus vaste contenant notamment une « BD historique des communes », qui est complétée au fur et à mesure des besoins des productions de cartes pour l’Atlas historique régional. À terme, elle pourra accueillir les données du Moyen Âge et de l’époque moderne, permettant de suivre l’évolution des paroisses sur le temps long.

23Pour pallier les problèmes de documentation lacunaire, la construction du SIG s’est appuyée sur une base de données actuelle, suivant le principe de la démarche régressive. Il s’agit, au sein du référentiel RGE de l’IGN, de la BD TOPO®. Parmi les bases de données sur l’ensemble des bâtiments, se trouve celle des bâtiments religieux actuels (Fig. 7).

24D’après son descriptif de contenu, elle présente l’avantage, de répondre à plusieurs exigences :

• une quasi-exhaustivité, à hauteur de 95 % des bâtiments ;
• une absence de confusion des types d’objets représentés ;
• une précision planimétrique inférieure à 2,5 m entre le terrain nominal et le terrain réel.

25Produite par un service public, la continuité dans le temps de cette base de travail, couplée aux contrôles qualité exigeants et rigoureux, est un gage d’intégrité pour notre travail. Les identifiants uniques de la BD TOPO® sont conservés tout au long de notre processus, permettant des allers-retours entre cette base de données et la nôtre, qui seront amenés à évoluer dans le temps de façon parallèle.

26Cette démarche régressive de construction, autant que possible à partir d’une base SIG existante, a été une constante pour toutes les données que nous sommes amenés à produire pour l’atlas historique régional : bâtiments religieux de la BD TOPO® pour l’inventaire des paroisses, communes de la BD TOPO® pour la base de données de l’historique des communes, tronçons des voies ferrées pour l’historique du chemin de fer… avec le même objectif de conserver le lien à la base de données originelle après les multiples ajustements opérés pour nos propres bases de données.

27La principale limite de notre démarche, qui consiste, pour l’expliciter plus clairement, à pointer les anciens chefs-lieux de paroisses de 1789 sur les extractions des bâtiments religieux de l’IGN, est qu’évidemment elle ne contient pas les bâtiments disparus ou absents de la base car non identifiés en tant que tels. Un exemple notable, à Clermont-Ferrand, est la disparition de l’église paroissiale Saint-Genest et du quartier du Tournet (en vert, au bas de la Fig. 7).

28À l’échelle de l’Auvergne, ce travail minutieux de recherche des anciens sièges paroissiaux et de renseignement des informations d’administration ecclésiastiques (diocèses et archiprêtrés d’appartenance) s’est déroulé sur dix-huit mois approximativement. Pour donner des ordres de grandeur, parmi les 2 483 bâtiments religieux recensés dans la base de l’IGN, 1 305 se sont révélés être des églises paroissiales en 1789. Ce sont 201 bâtiments religieux détruits depuis 1789 qui ont été ajoutés, dont 140 étaient des sièges de paroisses en 1789. Au total, l’Auvergne comptait alors 1 445 paroisses.

Des bâtiments religieux aux emprises d’archiprêtrés et de diocèses

29Une fois la documentation des paroisses complétée, avec le renseignement des informations attributaires précisant pour chaque paroisse son archiprêtré et son diocèse, une suite de géotraitements a été mise en œuvre pour générer les emprises territoriales des archiprêtrés et des diocèses :

• via une jointure spatiale, les attributs de chaque bâtiment paroissial sont transférés sur les emprises de chaque commune actuelle qu’ils rencontrent (polygones de la couche SIG des communes de la BD TOPO®) ;
• le produit de ce premier géotraitement est ensuite fusionné suivant les attributs récupérés sur les bâtiments paroissiaux ; ainsi toutes les communes actuelles ayant sur leur territoire un bâtiment paroissial relevant d’après ses attributs du même archiprêtré deviennent un seul et même territoire, celui, peu ou prou, de l’archiprêtré.

30Lorsqu’il y a une continuité temporelle entre la paroisse et la commune actuelle, ce processus permet d’obtenir directement les territoires d’archiprêtrés. Il existe cependant des exceptions, cette continuité spatio-temporelle n’étant pas systématique. Elles génèrent alors deux types de rebuts, qui se traduisent par des erreurs que l’on peut repérer graphiquement sur la couche SIG obtenue :

• des « trous » au sein des territoires des archiprêtrés (pour le dire autrement, un polygone troué avec absence de donnée, générant un vide) ; cela veut dire que la commune actuelle n’est pas héritée d’une paroisse, sa création étant postérieure à la Révolution ;
• des chevauchements de polygones entre territoires d’archiprêtrés ; cela signale que sur l’emprise d’une commune actuelle se trouvaient au moins deux paroisses (parfois plus), qui relevaient d’archiprêtrés différents ; pour traiter ce type de rebut, une recherche des anciennes délimitations s’impose.

31Ces deux situations permettent d’identifier des créations de communes, ou des suppressions de paroisses et/ou de communes depuis 1789, et indirectement des variations territoriales du tissu administratif de base, que l’on peut ensuite renseigner petit à petit dans notre base de données de suivi de l’historique des communes.

33Nous avons également utilisé les registres paroissiaux (numérisés et accessibles en ligne), qui permettent d’identifier de quelle paroisse dépendaient les villages et hameaux dans un secteur donné, afin de tracer une limite affinée entre deux archiprêtrés ou deux diocèses. Nous proposons ici l’exemple de Marlhes (commune de la Loire), dont une partie seulement appartenait au diocèse du Puy (Fig. 9).

34Ce processus ne rend apparentes que les discontinuités temporelles paroisse-commune situées en limite de diocèses et d’archiprêtrés et associées à un changement de chef-lieu. Si elles existent aussi à l’intérieur des emprises des archiprêtrés, le géotraitement ne permet pas de les détecter graphiquement.

35Les évolutions des territoires des paroisses et des communes depuis 1789 ne se résument pas à celles qui sont associées aux chefs-lieux. L’emprise territoriale peut avoir changé. Le géotraitement ne permet pas non plus de détecter ce cas de figure. Dans quelques cas, les anciens territoires paroissiaux peuvent être retrouvés grâce aux plans du cadastre dit napoléonien, afin de comprendre certaines variations entre les paroisses d’hier et les communes d’aujourd’hui.

Communes d’aujourd’hui = paroisses d’Ancien Régime ?

36Documenter les paroisses du point de vue de leur chef-lieu est une chose. Retrouver les espaces occupés par les communautés qui les animent en est une autre. L’hypothèse la plus répandue consistant à utiliser l’espace communal actuel pour amorcer la distribution spatiale des paroisses ne peut être généralisée. Nous avons déjà fait le constat que cela ne fonctionnait pas pour une centaine de paroisses. Pour les autres, ce n’est qu’au terme d’une analyse spatio-temporelle fine qu’il est possible de faire des propositions.

37Nous allons présenter notre démarche à travers un cas qui montre qu’il ne faut pas (ou plus) faire trop facilement le raccourci entre la commune et la paroisse d’Ancien Régime. Car il arrive qu’une multitude de reconfigurations successives impose une représentation mouvante de l’organisation de ces espaces.

39Si nous travaillons toujours de manière antéchronologique, notre illustration ne peut se présenter qu’en suivant l’ordre chronologique. Les réorganisations successives montrent une tendance à la simplification puisqu’en 1789, à l’emplacement des trois communes actuelles on comptait six paroisses, dont une comprenait une vaste enclave, Saint-Étienne-du-Bas (Fig. 10 et 10a).

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41Lorsque l’on crée les municipalités, dans ce cas précis, il y a une adéquation parfaite entre la paroisse d’Ancien Régime et les municipalités, ce qui est loin d’être une généralité, et impose de bien prendre en compte cette entité intermédiaire entre la paroisse et la commune, souvent négligée, qu’est la municipalité.

42Pendant les deux siècles suivants, on assiste à cinq changements significatifs. Le premier affecte Saint-Allyre-de-Valence, au sud. En l’an IV, elle est partagée entre Sanssat à l’est et Saint-Gérand-le-Puy au nord-est. Parallèlement, la paroisse de Saint-Allyre disparaît. En l’an IV, il reste donc cinq paroisses pour cinq communes (Fig. 10b).

43Cette situation perdure jusqu’au Concordat. À partir de ce moment-là, l’église paroissiale est fixée à Varennes-sur-Allier, à environ dix kilomètres au nord-ouest de notre secteur d’étude. L’organisation administrative religieuse ne prévoit plus que trois succursales en 1803 : Montaigu-le-Blin, Sanssat et Saint-Gérand-le-Puy, Ciernat et Saint-Étienne-du-Bas n’étant plus que communes (Fig. 10c).

44À partir de cette époque, les communes peuvent évoluer indépendamment de leur statut religieux administratif. Communes et paroisses ne sont définitivement plus liées. La communauté de l’ex-municipalité antédirectoriale de Saint-Allyre-de-Valence, orpheline de paroisse et de commune depuis dix ans, revendique l’érection d’une commune. Elle l’obtient en 1808. On retrouve alors la configuration des six communes issues des municipalités (Fig. 10d).

45C’est l’arrivée du cadastre, en 1826, qui révèle au grand jour l’organisation du territoire de Saint-Étienne-du-Bas en deux enclaves, et aiguille les autorités de l’État dans leur désir de changement. Ciernat et les deux parties de commune de Saint-Étienne-du-Bas vont fusionner deux ans plus tard pour devenir Saint-Étienne-de-Ciernat (Fig. 10e).

47Avec quatre communes et trois succursales, la situation va connaître une nouvelle évolution. Bien que moins peuplée, Montaigu-le-Blin et ses 300 habitants est le siège d’une succursale, contrairement à Saint-Étienne-de-Ciernat, qui compte pourtant 900 habitants. C’est la victime de la prochaine réorganisation communale, qui intervient un mois plus tard. Saint-Étienne-de-Ciernat est partagée entre Montaigu-le-Blin et Saint-Gérand-le-Puy (Fig. 10g).

48Ainsi s’opère la dernière réorganisation dans ce secteur. Saint-Gérand-le-Puy, en absorbant ces deux anciennes communes, connaît trois changements de contours en un mois ! La situation est en revanche restée la même, ensuite, jusqu’à nos jours.

49Peut-on utiliser les limites des communes actuelles pour dessiner les anciennes paroisses ?

50La réponse est évidemment négative, au regard de toutes les modifications que nous avons commencé à étudier. Le raccourci paroisse-commune ne peut être employé que comme pis-aller. Le nombre des communes a sans cesse changé au cours des deux derniers siècles, justifiant à lui seul l’impossibilité de ce raccourci. À l’échelle de l’Auvergne, cela concerne 310 communes (2015), soit un quart de la surface.

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52Sur la figure 11 (vidéo), les communes qui ont connu un changement depuis la Révolution, à l’échelle de l’Auvergne, sont en couleur, un flash rouge clignotant pour chaque année où elles ont connu une transformation territoriale.

Conclusion

53Les cartes anciennes n’offrent qu’une approche imparfaite pour initier un système d’information géo-historique. Outre les erreurs qu’elles peuvent contenir, leur couverture souvent incomplète du territoire et la variété des contextes de leur production conduisent à faire usage de ces sources dans un second temps.

54Plus intéressantes, les données collectées à partir de la fin du xix^e siècle et les cartes issues de ces premiers travaux d’envergure permettent l’homogénéité nécessaire à notre entreprise.

55La recherche pluridisciplinaire s’impose pour produire de telles recherches : spécialistes du traitement des sources et des sciences historiques, de l’appréhension de l’espace et des sciences géographiques sont amenés à travailler ensemble pour développer des méthodes de travail qui s’appuient en partie sur cet héritage historiographique. Ces nouvelles approches soulèvent de nouvelles questions, notamment en révélant de fréquentes distorsions entre ce que semblent dire les sources et la rigueur de la méthode géomatique et des représentations générées.

56Ces bases de données permettent une massification de l’information, la possibilité d’interroger les données à différentes échelles, et de répondre à des questions qui furent longtemps impensées ou éludées, qui restèrent sans réponse ou sans fondement suffisamment rigoureux. Elles permettent de diffuser largement des bases de données géo-historiques, qui restent perfectibles au fil des découvertes.

57La carte des paroisses a pris sa place dans l’Atlas historique régional Auvergne – Bourbonnais – Velay.