• 1 « Historiquement, la commune française est l’héritière de la paroisse de l’Ancien Régime », Wikipe (...)
• 2 Élisabeth Zadora-Rio, Des paroisses de Touraine aux communes d’Indre-et-Loire. La formation des te (...)

1L’usage dominant en France est de considérer la continuité entre les territoires paroissiaux et ceux de la commune postrévolutionnaire. Les dictionnaires et manuels reprennent régulièrement cette antienne1. Cette continuité est globalement exacte dans de nombreuses régions du Centre et du Nord de la France, comme l’a récemment montré la publication sur les paroisses de Touraine dirigée par Élisabeth Zadora-Rio2. En revanche, ce n’est pas le cas pour l’essentiel des territoires du Sud-Ouest, depuis les contreforts du Massif central jusqu’aux Pyrénées. De ce fait, nous ne disposons pas d’une cartographie des territoires paroissiaux à l’époque moderne et encore moins au Moyen Âge. Or la paroisse constitue une des deux cellules fondamentales, avec les communautés civiles, de l’encadrement social des populations dans le second Moyen Âge. À cette période, on peut considérer que la presque totalité de l’espace est découpée en paroisses territorialisées. Les rares espaces hors paroisse ou au statut mal connu sont les territoires de haute montagne, certaines forêts et les lacs et rivières.

• 3 Jean-Yves Bou, Atlas du Rouergue à la veille de la Révolution française [Document cartographique]  (...)

2La connaissance de ces territoires peut donc apparaître comme un enjeu important pour comprendre les rouages sociaux qui leur sont associés. Or l’identification trop systématique de l’espace de la paroisse à celui de la commune introduit un biais majeur dans l’analyse des dynamiques de peuplement du Sud-Ouest de la France avant la Révolution. En effet, il n’existe pas de cartographie systématique des paroisses réalisée avant la Révolution. Par ailleurs, aucun travail d’historien n’a abouti à une production de carte systématique à l’échelle de cette vaste aire géographique. Il faut évoquer deux productions qui contredisent partiellement cette affirmation : la synthèse de Jean-Yves Bou sur le Rouergue3, et l’atlas historique du Languedoc sous la direction d’Élie Pélaquier. Le premier constitue la première production aboutie des limites territoriales de la paroisse pour une province entière. Le second couvre un très grand territoire mais reconstitue les limites territoriales des cadres supérieurs (diocèses) sans descendre au niveau de la paroisse.

• 4 Pierre Imbart de La Tour, Les paroisses rurales du iv^e au xii^e siècle, Paris, Picard, 1900.
• 5 Michel Aubrun, La paroisse en France : des origines au xv^e siècle, Paris, Picard, 1986.

4Ecclesia, parrochia, ecclesia parrochialis, capella, annexa… De quoi parle-t-on ? La définition même du concept de paroisse au Moyen Âge est loin de faire l’unanimité. Si la vision ancienne formalisée par Pierre Imbart de La Tour4 et largement reprise par Michel Aubrun5 a été remise en question par des travaux récents, il convient de s’arrêter sur quelques éléments de définition.

• 6 Sur cette question, voir plus particulièrement le vol. 49 de la revue Médiévales consacré à la par (...)

7Une des difficultés pour les historiens est que la notion médiévale de paroisse recouvre bien ces deux réalités. Dans les actes de la pratique, il ne fait aucun doute que, lorsqu’il y a dissociation des deux concepts, c’est le second qui domine. Et c’est ce second sens que je retiens ici. La paroisse doit donc être considérée comme une unité territoriale (parfois non continue) définie par un ensemble de droits (les dîmes) et de pratiques (espace funéraire) communs aux habitants et liée à un édifice religieux présent ou passé6. Si dans l’immense majorité des cas, on observe une superposition des dîmaires avec les territoires sociaux que constituent les bassins de recrutement des églises pour les baptêmes, mariages et enterrements, des exemples locaux montrent que la situation peut parfois être très complexe. Le géoréférencement d’un plan de dîmes de 1730 à cheval sur les paroisses de Montech et Escatalens dans le Tarn-et-Garonne montre que, sur une portion limitée de deux espaces paroissiaux, il est possible d’identifier plus de 10 micro-dîmaires distincts dont la plupart ne mesurent que quelques dizaines d’hectares (Fig. 1).

• 7 Daniel Pichot, « L’espace des paroissiens : construction du territoire paroissial dans le bas Main (...)

8Le même constat a été fait par Daniel Pichot en Bretagne7. Ce n’est donc pas le dîmaire qui définit la paroisse mais plus vraisemblablement l’espace social qui fait que les paroissiens ont coutume de rallier une église pour les sacrements religieux. Lorsqu’un paysan au xviii^e siècle affirme à un géomètre de Cassini que son hameau dépend d’une paroisse, ce n’est pas parce qu’il paie les dîmes à cette cure (il peut payer des dîmes à de multiples décimateurs), mais parce que c’est dans cette église qu’il s’est fait baptiser, qu’il s’est marié, qu’il entend régulièrement la messe, et que seront célébrées ses obsèques. L’acception de la paroisse territoriale qui sera prise ici est donc bien celle d’un territoire social, avec évidemment une corrélation avec des territoires politiques et fiscaux.

• 8 Ainsi le compoix de Moissac (Tarn-et-Garonne) de 1570 (A. M. de Moissac, CC 5 à CC 8) fournit syst (...)

9La seconde question de définition qui découle de ce premier point est d’établir le degré de précision auquel il est pertinent de travailler pour cartographier la paroisse. En effet, la territorialisation de la paroisse par le lieu de résidence de ses paroissiens ne devrait théoriquement pas permettre d’aboutir à une cartographie continue des espaces. Elle devrait se traduire par un simple nuage de points et non par un contour linéaire. Or la documentation moderne montre qu’il est alors théoriquement possible de cartographier finement les paroisses. En effet, les compoix des vastes juridictions méridionales peuvent parfois donner la paroisse de rattachement de chaque parcelle8. Quelques plans parcellaires intègrent également cette précision. Ainsi le très beau plan compoix de la juridiction de Caussade dans le Tarn-et-Garonne délimite très précisément les paroisses (Fig. 2).

• 9 A. M. de Caussade (Tarn-et-Garonne), plan compoix de 1780.
• 10 Maurice Chaume, « Le mode de constitution et de délimitation des paroisses rurales aux temps mérov (...)
• 11 A. D. des Yvelines, A/435, 1716.

10Les contours sont matérialisés par un tracé, généralement une route ou un ruisseau, qui apparaît comme « faisant division » entre deux paroisses9. Ces cartes font écho aux rares actes de la pratique qui évoquent ces délimitations de paroisse10. Le cas de Caussade ne laisse aucun doute sur la signification que donnent les auteurs du plan au terme « paroisse ». Il s’agit bien du territoire religieux associé à une église. Cette église peut par ailleurs être qualifiée de paroissiale ou de simple « succursale », comme pour la paroisse du Colombier au nord du bourg de Caussade. Une des difficultés dans la compréhension du phénomène est évidemment la polysémie du mot « paroisse ». Ainsi dans la région bordelaise, un plan de seigneurie de 1716 pour le secteur de Langon11, sur la rive gauche de la Garonne, utilise indifféremment « paroisse », « seigneurie » et « communauté » pour désigner les confronts de l’espace cartographié. L’arpentage porte sur la paroisse de Langon, mais le vocabulaire utilisé montre bien que les limites représentées sont avant tout celles de la juridiction civile. Si les plans qui indiquent des limites de paroisses sont nombreux aux xvii^e et xviii^e siècles, il demeure très souvent un doute sur la nature même de la paroisse décrite. La paroisse territoriale était définie à la parcelle près. Les sources, nous le verrons, ne permettent cependant pas d’appréhender le phénomène à cette échelle. Le territoire paroissial que nous décrivons peut donc se résumer à un territoire où l’ensemble des lieux habités sont religieusement liés à un centre paroissial normalement matérialisé par une église et un cimetière.

• 12 Comme cela a pu être montré pour la Touraine (É. Zadora-Rio, Des paroisses […], 3^e partie).

12Le premier, dominant à l’échelle nationale, est celui qui correspond au caractère bisémique de la paroisse. Lorsqu’un territoire de paroisse recouvre la paroisse civile et la paroisse religieuse, la réorganisation de la Révolution a entraîné la disparition théorique de la paroisse religieuse. C’est la paroisse civile qui normalement est à l’origine de la commune. Malgré des modifications et ajustements de limites parfois importants, ce schéma se traduit généralement par une assez bonne continuité des centres paroissiaux12. À une paroisse correspond une commune. C’est le modèle de la plupart des entités en zones d’openfield à habitat groupé.

• 13 J.-Y. Bou, Atlas […].

13Le second modèle, dominant dans un large Sud-Ouest, résulte d’une situation initiale très différente. La superposition entre paroisse religieuse et communauté civile est minoritaire, voire marginale. Dans un département comme le Lot-et-Garonne, il existe environ 870 paroisses pour seulement 319 communes. La situation est sensiblement identique pour le Tarn-et-Garonne (450 paroisses pour 195 communes) ou le Tarn (650 paroisses pour 319 communes). Il est donc fréquent d’avoir dans le territoire d’une commune actuelle deux, trois, quatre voire quinze ou vingt paroisses modernes. Par ailleurs, la récente publication de Jean-Yves Bou sur le Rouergue a montré que non seulement on pouvait avoir plusieurs centres paroissiaux dans une commune, mais que même lorsqu’il n’y en avait qu’un, son étendue territoriale ne correspondait pas forcément à celle de la juridiction civile homonyme13. Dans ces zones (modèle 2), la création des communes s’est faite dans le prolongement des limites de juridictions civiles et non des limites paroissiales. En absence de cartographie systématique des paroisses religieuses antérieures à la Révolution, l’information spatiale a disparu. L’enjeu pour la connaissance des paroisses du Sud-Ouest de la France est donc de restituer le maillage des centres paroissiaux, mais surtout de reconstituer la trame des limites paroissiales. C’est l’objectif de ce programme.

• 14 Jacques de Font-Réaulx, Charles-Edmond Perrin, Pouillés de la province de Bourges, Paris, Imprimer (...)

14Pour compléter ce chapitre de définition des concepts, il est également nécessaire de s’attarder sur les notions de hiérarchie au sein du maillage des paroisses. Quel que soit le secteur étudié, les actes de la pratique, mais également les documents normatifs de la fin du Moyen Âge et de l’époque moderne, font apparaître une hiérarchisation des églises. L’objet de cette publication n’est pas de revenir sur ces questions. Je me limiterai à proposer des éléments de définition. Les pouillés méridionaux14 font apparaître quatre catégories principales d’églises qui rentrent dans notre champ d’études :

• 17 C’est par exemple le cas du plan cadastral déjà cité de Caussade, où les limites sont portées à la (...)

17Pour retracer les contours des paroisses, l’idéal aurait été de disposer de plans parcellaires du xviii^e siècle indiquant précisément les contours des paroisses, à l’image du cadastre napoléonien pour les communes. Ces documents ont pu ponctuellement être utilisés. Ils restent cependant exceptionnels et marginaux dans le process global17. De ce fait, il sera impossible de restituer l’ensemble des limites à l’échelle de la parcelle. Même si on peut penser que cette précision a correspondu à la réalité, cette information est irrémédiablement perdue. De ce fait, la précision que permettent d’envisager les sources disponibles se limite à l’unité de peuplement. En effet, en s’appuyant sur différentes sources, il est possible de rattacher chacun des lieux habités d’un espace à une église paroissiale. C’est cette méthode qui a servi à la réalisation de la carte de Belleyme qui, pour la partie nord-ouest de l’Aquitaine, permet de disposer d’une carte du xviii^e siècle avec les contours paroissiaux.

• 19 C’est par exemple le cas de la carte de Narbonne, où seuls des documents techniques sont conservés
• 20 C’est le cas de la carte 73 d’Agen pour laquelle il manque les données pour la demi-planche est du (...)
• 21 C’est par exemple le cas à Bergerac (carte 29), ou à Libourne (carte 20).

Ils reprennent la plupart des microtoponymes qui apparaissent sur la carte, mais selon un classement par paroisse religieuse. Ainsi, en repositionnant les lieux-dits sur le SIG, il est possible d’obtenir le même résultat qu’avec les registres paroissiaux. Ces notices sont classées selon la nomenclature des cartes. Malgré des règles initiales sans doute communes, elles présentent d’assez fortes nuances de formes. Par ailleurs, malheureusement, tous les documents n’ont pas été conservés. Certaines cartes ne disposent pas de cet « État des villes »19. D’autres n’ont qu’une documentation partielle20. L’identification des milliers de toponymes de cette source a également montré les limites techniques du xviii^e siècle. Les toponymes peuvent ne pas avoir la même forme dans l’« État des villes » que sur la carte achevée (avec parfois une francisation d’une forme occitane). D’autres sont dans les listes, mais n’ont pas été reportés sur la carte et vice versa. Enfin le cas des villes doit souvent être traité à part. En effet, souvent les données pour les territoires ruraux des villes sont incomplètes ou non discriminées. La reconstitution des limites des paroisses périurbaines n’a donc parfois pas pu être réalisée. Ce constat est d’autant plus intéressant qu’il recoupe les observations faites à travers les registres paroissiaux. Ces documents sont ceux qui ont été utilisés par les cartographes qui ont réalisé la carte de Belleyme. Il n’est donc guère étonnant que les lacunes périurbaines s’y observent également21.

• 25 Cette dernière zone a été réalisée par Hugo Jantzi dans le cadre d’un financement de la Chaire d’a (...)

26La production de la carte résulte d’une dizaine d’années de travail. Le sud du Lot et le nord du département du Tarn-et-Garonne avaient été traités à l’occasion de ma thèse de doctorat en 1998. La modélisation avait été réalisée essentiellement à l’aide du dépouillement des registres paroissiaux. Le travail a été repris sur les mêmes bases méthodologiques et a permis de couvrir à partir de 2013/2014 le Tarn, l’ouest de l’Aveyron, le nord de la Haute-Garonne et la partie encore non traitée du Tarn-et-Garonne. Le nord des Landes, la Gironde, la Dordogne et une partie du Lot-et-Garonne ont été traités ensuite à partir des cartes de Belleyme. La publication en 2016 de l’Atlas du Rouergue par Jean-Yves Bou a permis de reprendre et de compléter les données sur le département de l’Aveyron. En 2018/2019, le sud de la Haute-Garonne, l’Ariège et l’ouest de l’Aude ont été traités à partir des registres de l’« État des villes » de Cassini. Enfin, c’est cette même méthode qui a été utilisée pour traiter les départements des Hautes-Pyrénées, des Pyrénées-Atlantiques et de la partie sud des Landes et du Gers25.

• 26 Dans la commune actuelle de Vazerac (Tarn-et-Garonne).

30Au-delà de la question des dimensions, la cartographie fine des paroisses a permis de faire émerger d’autres phénomènes. Le premier est celui de la discontinuité des territoires paroissiaux et des juridictions civiles. Dans ces secteurs de paroisses peu étendues, la superposition entre une limite paroissiale et une limite communale peut parfois être marginale. Même lorsqu’une seule église se trouve dans une communauté, les contours de la paroisse ne sont pas toujours ceux de la juridiction civile. La communauté de Lamothe Navarrenque en Quercy26 avait un territoire réparti sur sept paroisses sans disposer d’un seul clocher. Ce découplage se traduisait également par des discontinuités territoriales assez fréquentes. Le territoire d’une paroisse peut être constitué d’un bloc territorial principal et d’une ou plusieurs enclaves dans les paroisses voisines. En Quercy et Rouergue, on peut estimer que le phénomène touche de 5 à 10 % des territoires paroissiaux. Le cas de la paroisse de Gorses au nord-est du Lot est sur ce point emblématique. Elle s’étire sur plus de 15 kilomètres de long, en trois blocs inégaux qui recoupent en totalité ou partiellement sept communes actuelles.

• 27 Camille Douais, Cartulaire de l’abbaye de Saint-Sernin de Toulouse : 844-1200, Toulouse, 1887, act (...)

31La seconde piste de recherche que cette cartographie permet d’entrevoir est celle des dynamiques. En effet, malgré une forte stabilité pour l’époque moderne, il est possible que les différents faciès observés résultent d’évolutions antérieures sensiblement différentes. En Quercy, seules 9 % des paroisses modernes n’apparaissent pas dans les pouillés du xiv^e siècle. Au contraire, dans la vallée de la Garonne, l’existence d’un pouillé de la fin du xi^e siècle27 permet de comparer finement l’évolution des paroisses. Au nord de Toulouse, entre Montech et Moissac, on peut considérer que plus de 50 % des églises mentionnées en 1100 ont disparu au xviii^e siècle. Dans ce secteur, la cartographie des paroisses reflète autant la situation de la fin du Moyen Âge et de l’époque moderne que le bouleversement des formes du peuplement qu’a connu le secteur entre le xii^e et le xiv^e siècle.