1Dans ses cours au Collège de France, Pierre Bourdieu affirmait que « la sociologie de la sociologie n’est pas une division parmi d’autres de la sociologie » (2001, p. 220). Si ce propos était surtout une invitation à la réflexivité et à l’auto-analyse permanente dans le travail scientifique, force est de constater que, depuis, les travaux sociologiques sur le champ sociologique se sont développés. Sans être devenue pour autant une spécialité à part entière, l’objectivation sociologique, dans le sillage d’Homo Academicus (Bourdieu, 1984), porte désormais également sur les sociologues, les connaissances produites sur le champ académique rendant possible une meilleure réflexivité, à la fois en tant que chercheur·es, en tant qu’enseignant·es et en tant qu’acteur·ices de cet espace professionnel et social. Ces travaux ont pu porter notamment sur la socialisation et les trajectoires des doctorant·es (Serre, 2015 ; et l’ensemble du n°10 de la revue Socio-logos (2015)), sur les inégalités genrées en matière d’accès aux postes de professeur·es d’université (Chenu et Martin, 2016), sur les logiques sociales des recrutements à l’EHESS (Godechot et Mariot, 2004 ; Godechot, 2011 et 2016), sur l’histoire sociale des institutions de la sociologie (Duval et al., 2022 ; Sapiro, 2023) ou sur les objets de recherche des sociologues (Boudesseul, 2005 ; Deshayes, 2015 ; Mauger, 1999 ; Torny et Trabal, 2006, 2007). Au-delà de la sociologie et des sciences sociales, de nombreux travaux se sont également intéressés aux styles de vie des universitaires et aux rapports entretenus à leur métier et leurs objets de recherche (Gabrysiak, 2020), aux logiques et aux effets des divisions et hiérarchies disciplinaires (Convert, 2010 ; Dumont, 2018 ; Renisio, 2015 et l’ensemble du n° 210 des Actes de la recherche en sciences sociales (2015/5) ; Rowell, 2022), à l’évaluation de la recherche par les comités de pairs (Lamont, 2009 ; Trabal et al., 2017), aux conditions d’enseignement des titulaires à l’université (Bodin et al., 2018) ou aux transformations néolibérales de l’Université (par exemple, les récents numéros de Savoir/Agir [n° 59-60, 2022] et de Mouvements [n° 113, 2023]). Peu de travaux portent néanmoins à ce jour sur les propriétés sociales et académiques des sociologues, surtout dans une perspective à la fois historique et d’articulation des rapports sociaux. C’est à cette ambition que s’attelle cet article, à partir d’une étude de l’espace de la sociologie tel qu’il se donne à saisir au travers des activités de l’Association française de sociologie (AFS) depuis sa création, au premier rang desquelles figurent ses congrès biennaux. L’association, quoiqu’elle ne soit pas exactement représentative de l’espace de la sociologie française dans son ensemble, en constitue une bonne approximation (Bois et Thibault, 2018, §4), d’autant plus si l’on prend en compte dans l’analyse l’ensemble de la période d’activité de l’AFS (2002-2021).
2Cet article s’intéresse aux positions distinctives à l’AFS et à leurs évolutions depuis 2002. Par positions distinctives, nous entendons les différentes fonctions qui distinguent – à des degrés divers (encadré 1) – leurs titulaires des congressistes ordinaires (c’est-à-dire des communicant·es au sein des réseaux thématiques, appelés RT) et des communicant·es aux journées d’étude organisées par les RT. L’enjeu est de caractériser ces fonctions en analysant les propriétés sociales et académiques des individus qui les occupent, de saisir ce qui les distingue, à la fois par rapport à la position de congressiste ordinaire et entre elles, et d’examiner comment elles se distribuent au cours des années.
- 1 À noter que les congrès de 2004 et 2009 ne comportaient pas de session sur l’ESR.
Encadré 1. Des positions (inégalement) distinctives à l’AFS
Les analyses portent sur trois types de positions : les positions de membres des comités exécutifs (CE) successifs de l’AFS depuis 2002, celles de membres des comités locaux d’organisation (CO) des neuf congrès ayant eu lieu depuis 2004 et celles de communicant·es et d’animateur·ices des sessions plénières (dont inaugurales), semi-plénières et consacrées à l’enseignement supérieur et la recherche (ESR)1 s’étant tenues lors de ces congrès. Les positions de responsables et de membres de bureaux de RT depuis leur création n’ont pas été intégrées aux analyses faute de sources exhaustives.
- 2 Nos sources ne nous ont pas permis de distinguer de manière systématique des fonctions au sein des (...)
Les trois types de positions distinctives prises en compte (au CE, au CO et en sessions), si elles ont pour point commun de différencier leurs occupant·es des congressistes ordinaires, ne sont pas pour autant équivalentes. À l’exception du poste de secrétaire de l’association, les positions au CE résultent d’une élection par l’Assemblée générale des congressistes, tandis que les membres des CO ont, par définition, une légitimité plus locale. Au CE comme au CO, le travail est essentiellement organisationnel, alors que la participation à une session relève d’un travail scientifique et renvoie à une notoriété académique donnant lieu à une désignation collégiale (par le CE, le CO ou les RT). En outre les fonctions occupées au sein d’un même type de position sont elles-mêmes très inégalement distinctives : la valeur symbolique des fonctions liées à la présidence du CE (président·e, ex-président·es, vice-président·es, secrétaire général·e, trésorier·e, responsables des congrès, des RT ou de la revue Socio-logos) est supérieure à celle des autres membres du CE ; de même, au sein des sessions, la fonction de conférencier·e de session plénière ou semi-plénière révèle et confère une plus grande légitimité scientifique, en particulier par rapport aux fonctions d’animation (« discutant·e », « modérateur·ice », etc.)2.
3Nous avons constitué une base de données prosopographique (encadré 2) réunissant l’ensemble des positions distinctives occupées au cours de la période 2002-2021 et avons caractérisé chacune d’elles par les propriétés sociodémographiques et académiques de son occupant·e. Pour analyser la spécificité de ces positions distinctives, nous les comparerons à certaines des propriétés des congressistes ordinaires pour les congrès de 2004, 2006 et 20093, ainsi qu’aux données issues du dernier rapport annuel d’activité de la section 19 (sociologie, démographie) du CNU sur les qualifié·es et les candidat·es à la qualification4. Malheureusement, la méthodologie employée ne permet pas, sauf à la marge, de connaître l’origine sociale des individus. Il ne nous est donc pas possible d’articuler les variables mobilisées dans nos analyses avec la classe sociale d’origine et le volume de capital culturel parental, même si l’on sait que ces propriétés sont étroitement liées aux trajectoires scolaires et professionnelles.
4Situé au croisement de la sociologie du travail et de la sociologie des sciences, l’article s’attache à montrer les logiques sociales de division du travail scientifique à l’AFS, en partant du constat d’une division du travail particulièrement nette entre, d’une part, les fonctions organisationnelles (ordinaires) au CO et au CE et, d’autre part, les fonctions de conférencier·e (inaugural·e) : les premières correspondent à un travail de l’ombre, peu prestigieux et peu valorisé, d’animation de la recherche, tandis que les secondes font l’objet d’une importante mise en visibilité et sont fortement valorisées en tant que travail intellectuel. Or, cette opposition apparaît socialement fondée, le couple travail invisible/travail noble recoupant un ensemble d’oppositions sociales, tant au niveau des propriétés sociodémographiques (femmes/hommes, jeunes/âgé·es, racisé·es/non-racisé·es, province/Île-de-France) qu’au niveau des propriétés académiques (doctorant·es/titulaires, université/CNRS, non-agrégé·es/agrégé·es, etc.). Cette division sociale du travail sociologique est explorée en deux temps : la première partie de l’article propose une analyse globale des hiérarchies sociales à l’AFS sur l’ensemble de la période, avant que cette analyse ne soit affinée, en seconde partie, par une attention spécifique aux variations historiques qui peuvent être observées depuis la création de l’association et qui vont dans le sens d’un affaiblissement des clivages sociaux structurant l’espace de la sociologie à l’AFS, couplé à un double mouvement d’autonomisation et d’internationalisation de l’association et de ses congrès.
- 5 Nous remercions Habibatou Doumbia et Cédric Lomba pour leur aide et leur disponibilité.
Encadré 2. Des archives de l’AFS à la construction d’une base de données prosopographique
Les congrès de l’AFS ont jusqu’ici été investigués principalement par le biais des résumés de communication en RT, étudiés au moyen de différentes méthodes d’analyse textuelle (Boudesseul, 2005, 2006 ; Deshayes, 2015 ; Saint Léger et Van Meter, 2005 ; Torny et Trabal, 2006, 2007 ; Trabal, 2005). Plus récemment, ils l’ont été également au travers des circulations des communicant·es entre les RT, au moyen de l’analyse de réseaux (Bois et Thibault, 2018). Ils n’ont cependant fait l’objet que de peu d’analyses positionnelles, même si certains des travaux précités fournissent des éléments (Bois et Thibault, 2018 ; Boudesseul, 2005, 2006).
Notre population, qui a pour caractéristique d’être exhaustive, est constituée des 1004 positions distinctives (i.e. chacune des fonctions au CE, chacune des interventions en session plénière ou semi-plénière, etc.) ayant pu être identifiées au sein de l’AFS ou de ses congrès depuis sa création en mars 2002. Ces positions ont été occupées par 641 individus différents. Elles ont été identifiées principalement à partir des différents programmes des congrès, qui nous ont été transmis par l’AFS5 et sont parfois disponibles en ligne. Neuf congrès se sont tenus depuis la création de l’association, dans neuf villes et universités françaises différentes : Villetaneuse en 2004 (Paris 13), Bordeaux en 2006 (Victor Segalen), Paris en 2009 (Diderot), Grenoble en 2011 (UPMF), Nantes en 2013, Versailles en 2015 (UVSQ), Amiens en 2017 (UPJV), Aix en 2019 (AMU) et Lille en 2021 (en ligne). Parmi ces 1004 positions, on compte 227 positions au CE ayant été occupées par 103 individus différents (les mandats au CE étant de 4 ans, ses membres cumulent en général deux positions successives au CE), 105 positions au CO ayant été occupées par 104 individus (un individu ayant participé à l’organisation de deux congrès dans deux villes différentes à onze ans d’intervalle) et 672 positions en session (de conférencier·e ou d’animateur·ice) occupées par 516 individus.
Nous avons analysé ces positions par le biais des caractéristiques de leurs occupant·es au moment où ils et elles les occupaient. Autrement dit, deux positions occupées par un même individu à des moments différents ne sont pas associées aux mêmes caractéristiques du fait de l’évolution de l’âge et de la carrière académique de cet individu. Nous avons ainsi constitué une base de données prosopographique à partir des informations figurant dans les programmes de l’AFS, d’archives transmises par l’AFS et (surtout) de données biographiques récoltées sur internet à propos de chaque individu (CV en ligne, pages personnelles sur le site des laboratoires de recherche, pages LinkedIn, Wikipedia, Sudoc, IdRef, sites theses.fr, Legifrance, listes de diffusion de l’ASES et de l’ANCMSP, etc.), qui ont été systématiquement croisées. Nous avons également réalisé un entretien avec un·e ancien·ne président·e de l’AFS et consulté les témoignages des ancien·nes président·es de l’AFS publiés sur le site internet de l’association, qui ont permis d’obtenir des informations manquantes.
5En s’intéressant aux positions distinctives à l’AFS au travers des propriétés et ressources des individus les ayant occupées, il apparaît non seulement que ces positions se distinguent de celle des congressistes ordinaires, mais encore que les différentes fonctions étudiées sont inégalement sélectives socialement : que ce soit en termes de propriétés sociodémographiques ou de capitaux académiques, tout distingue en particulier la fonction de membre de CO de celle de conférencier·e, et a fortiori de conférencier·e de session inaugurale.
6Si l’on s’intéresse d’abord aux propriétés sociodémographiques des occupant·es des positions distinctives, on constate que l’AFS et ses congrès sont le lieu d’une division du travail tout à la fois genrée, générationnelle, raciale et géographique.
7Une première caractérisation de ces positions peut être établie sur la base du genre de leurs occupant·es, identifié à partir du croisement de leur prénom et de photographies trouvées sur internet. Dans leur ensemble, les positions distinctives sont, de peu, majoritairement masculines (52,1%) : on compte 523 positions occupées par 333 hommes différents contre 481 positions occupées par 308 femmes différentes. Si cette surreprésentation masculine ne semble pas massive à première vue, il faut nuancer ce constat de deux façons. D’abord, cette courte majorité d’hommes n’est pas le reflet de l’état de la discipline sociologique dans son ensemble, plutôt caractérisée par une majorité de femmes, plus ou moins marquée selon les périodes et l’indicateur pris en compte. Ainsi, respectivement 52% et 54,8% des communications en RT étaient le fait de femmes aux congrès de 2006 et 2009, tandis que les femmes représentent en moyenne 51,9% des candidat·es à la qualification en section 19 sur la période 2007-2021. Au niveau des qualifié·es, depuis 2006 et à l’exception des années 2008 et 2017, la proportion de femmes a toujours été supérieure à celle des hommes, avec des écarts oscillant selon les années entre 0,4 et 17,2 points. D’autre part, les hommes ne se distribuent pas au hasard entre les différentes positions distinctives à l’AFS. Parmi les 16 conférences inaugurales des congrès, deux seulement ont été données par des femmes, soit 12%. Au-delà de ce cas extrême, c’est au sein des conférences plénières ou semi-plénières que les hommes sont les mieux représentés (55,5% des positions de speaker sont occupées par des hommes) et, inversement, au sein des fonctions de simples membres de CE (i.e. hors fonctions associées à la présidence) ou de membres du CO qu’ils sont le moins présents (environ 48% d’hommes seulement) (tableau 1). Cette opposition n’est pas sans rappeler la division du travail qui s’observe par exemple entre les directeurs artistiques et les administratrices culturelles au sein des entreprises du spectacle (Proust, 2017).
Tableau 1. Distribution genrée des positions distinctives à l’AFS (2002-2021, en %)
|
CE
Prez
(N=57)
|
CE
Autres
(N=170)
|
CO
(N=105)
|
Sessions
Anim (N=199)
|
Sessions
ESR
(N=55)
|
Sessions
Speakers (N=418)
|
TOTAL (N=1004)
|
|
Hommes
|
53
|
48,2
|
47,7
|
50,3
|
53
|
55,5
|
52,1
|
|
Femmes
|
47
|
51,8
|
52,3
|
49,7
|
47
|
44,5
|
47,9
|
8Une seconde caractérisation des positions distinctives peut être établie sur la base de l’âge de leurs occupant·es au moment de leur investissement, de leur communication ou de leur élection. Il a été possible de retrouver la date de naissance de près des deux tiers des individus (407 sur 641, correspondant à 688 positions occupées sur 1004). On peut ainsi approcher l’âge moyen des individus occupant des positions distinctives à l’AFS, qui est de 47 ans. Si on ne dispose pas de données fiables de comparaison, tout indique que cet âge est notablement supérieur à l’âge moyen des congressistes ordinaires, parmi lesquel·les les doctorant·es, en particulier, sont beaucoup mieux représenté·es qu’au sein de notre population (cf. 1.2). Pour autant, si les moins de 40 ans ne représentent qu’un cinquième des individus, ils et elles représentent près d’un tiers des positions distinctives, en raison d’un cumul de positions plus fréquent. Comme le montre le tableau 2, la position de simple membre du CE est bien plus souvent occupée par les moins de 40 ans (55,1%) que celle de conférencier·e de session plénière ou semi-plénière (17,2%). Inversement, les positions les plus prestigieuses sont celles qui accueillent la plus grande part de plus de 60 ans : c’est le cas de la position de speaker et plus encore de celle de membre de la présidence du CE (environ 30% ont 60 ans ou plus). La division genrée du travail à l’AFS se double ainsi d’une division générationnelle.
Tableau 2. Distribution générationnelle des positions distinctives à l’AFS (2002-2021)
|
CE
Prez (N=45)
|
CE
Autres
(N=118)
|
CO
(N=53)
|
Sessions
Anim (N=140)
|
Sessions ESR (N=29)
|
Sessions
Speakers (N=303)
|
TOTAL
(N=688)
|
|
< 40 ans
|
36%
|
55,1%
|
34%
|
41,4%
|
34%
|
17,2%
|
31,8%
|
|
60 ans et +
|
29%
|
0%
|
11%
|
13,6%
|
14%
|
28,4%
|
18,6%
|
|
Âge min.
|
29
|
27
|
27
|
29
|
31
|
26
|
26
|
|
Âge max.
|
70
|
59
|
64
|
71
|
81
|
81
|
81
|
|
Âge moyen
|
48
|
40
|
45
|
45
|
48
|
51
|
47
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- 6 On sait que l’assignation raciale d’une personne est susceptible de varier dans le temps et selon l (...)
- 7 Du fait que davantage d’éléments nous sont accessibles, la méthodologie employée est plus développé (...)
- 8 À part la catégorie « Blanc·he », les catégories raciales retenues sont « Arabe », « Noir·e », « As (...)
- 9 En l’absence de statistiques ethniques en France, les seules données disponibles concernent les étr (...)
- 10 Cf. « Repères et références statistiques 2021 », ministère de l’Éducation nationale et de l’Enseign (...)
9Une troisième caractérisation des positions distinctives peut être établie sur la base de l’assignation raciale des individus concernés. Si celle-ci ne se laisse pas aisément saisir6, il est néanmoins possible de l’approcher à partir du croisement de plusieurs indices : prénom et nom de la personne, carnation de la peau, accent caractéristique et apparence vestimentaire (d’après photos et vidéos), géographie de la carrière scolaire et académique, trajectoire migratoire et nationalité7. Encore rare dans les travaux de sciences sociales français, une telle caractérisation sur la base de catégories raciales (qui, pour n’avoir rien de biologique, n’en sont pas moins socialement opérantes) répond à l’invitation de « chiffrer la réalité pour voir dans quelle proportion les membres des groupes soumis à des assignations raciales accèdent à des postes », notamment universitaires (Lépinard et Mazouz, 2021, p. 56). Notre codage8 permet ainsi d’objectiver la faible représentation des groupes racisés au sein des positions distinctives de l’AFS : parmi les 953 positions (ayant été occupées par 598 individus différents) pour lesquelles il a été possible de renseigner une catégorie raciale, 887 ont été occupées par 560 individus différents identifiés comme « blanc·hes », soit 93,1%. Si l’on manque d’éléments de comparaison9, rien ne porte à croire que la part des personnes « non-blanc·hes » soit si faible dans le champ académique français, en particulier si l’on pense à la part des étranger·es parmi les doctorant·es des universités (environ un tiers des doctorant·es en 2020-2021), qui proviennent majoritairement (pour près des deux tiers en 2020-2021) de pays d’Afrique et d’Asie10. En passant de l’examen des positions distinctives à celui de la position de congressiste ordinaire pour la seule année 2009 (tableau 3), et quoique les effectifs et les écarts restent limités (1,4% du total), on observe une augmentation de 22% de la part des personnes racisées. Ces dernières apparaissent ainsi sous-représentées au sein des positions distinctives à l’AFS, alors même que la participation aux congrès de l’AFS engendre probablement déjà des biais d’(auto-)sélection raciale.
Tableau 3. Comparaison de la composition raciale des positions à l’AFS (2009, en %)
|
Positions distinctives à l’AFS (N=109)
|
Position de congressiste ordinaire
(N=1067)
|
|
Blanc·hes
|
91,7
|
89,7
|
|
Non-blanc·hes
|
6,4
|
7,8
|
|
dont Noir·es
|
1,8
|
2,2
|
|
dont Arabes
|
1,8
|
2,6
|
|
dont Autres
|
2,8
|
2,9
|
|
Équivoques
|
1,8
|
2,5
|
- 11 4 individus différents ont été secrétaires de l’AFS.
10Au-delà du constat de la faible représentation des groupes racisés à l’AFS, qui reflète sans doute pour une large part la sous-représentation des groupes racisés parmi les enseignant·es-chercheur·es en poste dans les universités françaises, on observe que la distribution raciale des positions distinctives (tableau 4) obéit à des logiques hiérarchiques proches de celles précédemment mises en évidence : les personnes « non-blanc·hes » sont environ deux fois mieux représentées au sein des positions de conférencier·e sur l’ESR, d’animateur·ice de session et plus encore de membre ordinaire du CE qu’au sein de la position de speaker ; ce rapport passe même de deux à plus de quatre si on compare les trois premières positions distinctives aux fonctions relatives à la présidence du CE, qui apparaissent, à une exception près, inaccessibles aux membres des groupes racisés. De surcroît, on ne trouve qu’une seule personne « non-blanc·he » (« noire ») sur 16 conférencier·es intervenu·es en ouverture de congrès depuis 2004. De même, en 2009, on ne compte qu’une seule personne « arabe » et aucune personne « noire » parmi les 61 conférencier·es des plénières et semi-plénières que l’on a pu coder au regard de la racisation. Le plafond de verre mis en évidence pour les femmes semble ainsi se doubler d’un plafond de verre pour les personnes racisées, particulièrement marqué lorsque ces personnes sont « arabes » (à l’exception notable du CO) ou « noires » (à l’exception notable du CE). À l’inverse, parmi les 11 positions de secrétaire (non-élu·e) de l’association11, qui sont les moins distinctives à l’AFS, 10 ont été occupées par des femmes et 7 l’ont été par une personne « noire ».
Tableau 4. Distribution raciale des positions distinctives à l’AFS (2002-2021, en %)
|
CE
Prez
(N=57)
|
CE
Autres
(N=160)
|
CO
(N=82)
|
Sessions
Anim
(N=196)
|
Sessions ESR
(N=52)
|
Sessions
Speakers
(N=406)
|
TOTAL
(N=953)
|
|
Blanc·hes
|
98
|
91,3
|
94
|
91,3
|
92
|
93,8
|
93,1
|
|
Non-blanc·hes
|
2
|
8,8
|
6
|
8,2
|
8
|
4,2
|
6
|
|
dont Noir·es
|
2
|
5
|
0
|
1
|
2
|
0,7
|
1,6
|
|
dont Arabes
|
0
|
1,9
|
5
|
3,1
|
0
|
2,2
|
2,3
|
|
dont Autres
|
0
|
1,9
|
1
|
4,1
|
6
|
1,2
|
2,1
|
|
Équivoques
|
0
|
0
|
0
|
0,5
|
0
|
2
|
0,9
|
- 12 Cet individu a d’abord été membre ordinaire du CE puis vice-président en charge du congrès, et a pa (...)
11Ces constats se renforcent si on ne considère que les individus inscrits en amont dans le champ universitaire français. Si les positions distinctives sont rarement occupées par des étranger·es « non-blanc·hes » (N=7), il s’agit toujours de position de conférencier·e, au sein de conférences semi-plenières (6) ou de sessions sur l’ESR (1). Si bien que la différence est frappante entre la part des personnes « non-blanc·hes » parmi les speakers sans lien avec le champ académique français (6 sur 34, soit 18%) et la part des personnes « non-blanc·hes » parmi les speakers rattaché·es à des institutions en France, en Belgique, en Suisse ou au Luxembourg (11 sur 364, soit 3%). Il faut en outre croiser la catégorisation raciale et la catégorisation de genre pour s’apercevoir que les speakers « noir·es » (deux personnes concernées) sont toujours des femmes étrangères et que les hommes « noir·es » sont, plus largement, quasiment absents des postes distinctifs à l’AFS (une seule personne concernée12). Ces données, malgré des effectifs et une comparabilité limitées, semblent ainsi soutenir l’hypothèse d’une division raciale du travail à l’AFS, qui vient redoubler et croiser les divisions genrées et générationnelles déjà mises en évidence.
- 13 Dans le cas des doubles affiliations (thèses en cotutelle, positions de professeur·e associé·e, etc (...)
- 14 On sait que « la province » ne constitue pas un ensemble homogène. En l’espèce, les universités pro (...)
12Une quatrième et dernière caractérisation d’ordre sociodémographique des positions distinctives peut être établie sur la base de la géographie de la principale institution de rattachement des individus qui les occupent13. Dans leur ensemble, les positions distinctives sont, sans surprise, détenues massivement par des individus rattachés à des institutions françaises : c’est le cas pour 93,6% d’entre elles. La seule exception (relative) concerne la position de speaker, plus souvent occupée par des individus rattachés à des institutions étrangères (12,4%), principalement situées en Europe et secondairement en Amérique du Nord. Ce caractère nationalement marqué n’est pas spécifique aux positions distinctives à l’AFS mais concerne pareillement la position de congressiste ordinaire. Ce qui est plus spécifique à ces positions distinctives est cependant le parisianisme de leurs occupant·es. Sur l’ensemble de la période, plus d’une sur deux (50,8%) sont rattachées à une institution située en Île-de-France (dont Paris). La comparaison à la position de congressiste ordinaire en 2004 et 2009 (tableau 5) montre une nette surreprésentation des Francilien·nes et une sous-représentation équivalente des individus rattachés à des institutions provinciales14, d’environ 20 points.
Tableau 5. Comparaison géographique des positions à l’AFS d’après la principale affiliation institutionnelle (2004 et 2009, en %)
|
Villetaneuse 2004
|
Paris 2009
|
|
Positions distinctives à l’AFS (N=71)
|
Position de congressiste ordinaire (N=1015)
|
Positions distinctives à l’AFS (N=113)
|
Position de congressiste ordinaire (N=1198)
|
|
Île-de-France
|
75
|
50
|
65,5
|
48
|
|
Province
|
21
|
42
|
20,4
|
39,8
|
|
Étranger
|
4
|
6,3
|
14,2
|
11,7
|
|
Indéterminée
|
0
|
1,7
|
0
|
0,5
|
13Cette surreprésentation de l’Île-de-France est cependant variable selon la position distinctive occupée (tableau 6). D’abord, elle ne concerne pas le CO, qui est pour sa part massivement provincial (81,9%). Cette composition spécifique s’explique par le fait que les membres de CO appartiennent nécessairement à l’université qui accueille le congrès ; or, seuls trois congrès sur neuf ont eu lieu en Île-de-France entre 2004 et 2021, tandis que les six autres ont eu lieu en province métropolitaine. En outre, les équipes des CO se sont élargies entre le début et la fin de la période, ce qui donne plus de poids aux CO des congrès les plus récents, tous situés en province. Le cas des CO mis à part, les positions distinctives à l’AFS sont toutes composées majoritairement de Francilien·nes, avec une surreprésentation particulièrement notable pour les positions de conférencier·e de session consacrée à l’ESR et, plus encore, pour les positions liées à la présidence du CE. En distinguant Paris du reste de l’Île-de-France, on s’aperçoit que ces dernières positions sont surtout occupées par des Francilien·nes non parisien·nes, tandis que les Parisien·nes stricto sensu sont particulièrement bien représenté·es au sein de la position de speaker, plus d’une position de speaker sur trois étant rattachée à Paris (34,7%). Ils et elles occupent donc les positions les plus reconnues comme intellectuelles, mais également les plus visibles, lors des congrès.
Tableau 6. Distribution géographique des positions distinctives à l’AFS (2002-2021, en %)
|
CE
Prez
(N=57)
|
CE
Autres
(N=170)
|
CO
(N=105)
|
Sessions
Anim
(N=199)
|
Sessions
ESR
(N=54)
|
Sessions
Speakers
(N=418)
|
TOTAL
(N=1003)
|
|
Île-de-Fr.
|
63
|
53,5
|
18,1
|
54,3
|
61
|
53,3
|
50,8
|
|
dont Paris
|
25
|
30,0
|
4,8
|
26,6
|
31
|
34,7
|
28,4
|
|
hors Paris
|
39
|
23,5
|
13,3
|
27,6
|
30
|
18,7
|
22,4
|
|
Province
|
35
|
44,1
|
81,9
|
42,7
|
37
|
34,2
|
42,8
|
|
Étranger
|
2
|
2,4
|
0,0
|
3,0
|
2
|
12,4
|
6,4
|
14Cette division géographique du travail suggère que les différentes positions distinctives ne nécessitent pas toutes les mêmes ressources et, en particulier, les mêmes capitaux académiques.
- 15 Les « rangs A » englobent les professeur·es d’université et les directeur·ices de recherche ; les « (...)
- 16 31,7% des communications en RT ont été réalisées par des doctorant·es en 2006 (Boudesseul, 2006) et (...)
- 17 La catégorie « autres enseignant·es-chercheur·es » rassemble quasi exclusivement des docteur·es, so (...)
15Les positions distinctives à l’AFS sont en effet également discriminantes sur le plan académique, et en premier lieu sur le plan du statut. Près de trois positions sur quatre (73,7%) sont ainsi occupées par des enseignant·es-chercheur·es titulaires (rangs A et B15). On peut prendre la mesure du caractère sélectif de ces positions en les comparant à celle de congressiste ordinaire : alors que plus de 30% des communications en RT ont pour auteur·es des doctorant·es16, ces dernier·es occupent seulement 8,1% des positions distinctives. Ces positions sont également distinctives entre elles (tableau 7) : on trouve, à un extrême de la hiérarchie statutaire, des doctorant·es presque absent·es des sessions mais mieux représenté·es aux CE et CO, et, à l’autre extrême, des rangs A pour qui la situation est inverse (les positions intermédiaires étant occupées par les rangs B et les « autres EC17 »). Le fait que la plus faible représentation des rangs A et la plus forte représentation des doctorant·es s’observent dans les CO indique que cette position (à la fois locale et d’organisation) est la moins distinctive au regard du statut ; c’est d’ailleurs celle où le personnel administratif des universités est, logiquement, le plus présent. Aux CE, les doctorant·es sont surtout présent·es dans la fonction de membre ordinaire, ce qui est aussi le cas dans une moindre mesure des rangs B et des autres EC ; à l’inverse, les rangs A sont fortement surreprésenté·es dans les responsabilités au CE. Sur ce point, il faut noter que la présidence de l’AFS a toujours été occupée par un·e rang A. Au niveau des sessions, on observe également une nette hiérarchisation statutaire en fonction du type d’intervention, les rangs A étant largement surreprésentés dans la position de speaker, là où les autres catégories sont toutes sous-représenté·es par rapport à leur poids dans l’ensemble des positions distinctives. Par ailleurs, 12 des 16 conférencier·es de séance inaugurale sont des rangs A (75%).
Tableau 7. Distribution des positions distinctives à l’AFS selon le statut (2002-2021, en %)
- 18 Cette catégorie comprend les individus non enseignants-chercheurs et le personnel administratif des (...)
|
CE
Prez
(N=57)
|
CE
Autres (N=170)
|
CO (N=105)
|
Sessions
Anim
(N=199)
|
Sessions
ESR (N=55)
|
Sessions
Speakers (N=418)
|
TOTAL (N=1004)
|
|
Rangs A
|
49
|
14,7
|
21
|
28,6
|
22
|
47,6
|
34,2
|
|
Rangs B
|
32
|
42,9
|
46,7
|
46,7
|
36
|
34,5
|
39,5
|
|
Autres EC
|
9
|
18,2
|
1,9
|
15,1
|
11
|
7,2
|
10,4
|
|
Doctorant·es
|
4
|
13,5
|
18,1
|
4,5
|
7
|
5,7
|
8,1
|
|
Non EC18
|
7
|
10,6
|
12,4
|
5
|
24
|
5
|
7,9
|
16Des résultats complémentaires peuvent être apportés par l’analyse du cumul de ces positions distinctives. Le fait d’avoir cumulé au moins deux des trois types de position (CE, CO, session), au même moment ou successivement, concerne quasi exclusivement (et à part égale) les rangs A et B, qui représentent à eux seuls plus de 80% de ce cumul. Ce constat n’est pas étonnant puisque ce multi-positionnement nécessite souvent une participation à plusieurs congrès pouvant être éloignés dans le temps, donc un statut inscrit dans la durée. Au niveau des sessions, ce sont les rangs A qui cumulent le plus d’interventions (tableau 8). Leur cumul concerne en outre avant tout les conférences plénières et semi-plénières, tandis que les cumuls des rangs B et des autres EC concernent autant les animations de sessions que les conférences (hors ESR).
Tableau 8. Nombre moyen d’interventions en session selon le statut (2002-2021)
|
Nombre moyen d’interventions
|
dont nombre moyen d’animations
|
dont nombre moyen de conférences (hors ESR)
|
|
Rangs A
|
1,5
|
0,4
|
1,0
|
|
Rangs B
|
1,2
|
0,5
|
0,6
|
|
Autres EC
|
1,2
|
0,6
|
0,5
|
|
Doctorant·es
|
1,1
|
0,3
|
0,7
|
|
TOTAL
|
1,3
|
0,4
|
0,8
|
N.B. : les calculs sont effectués sur la base des seuls individus intervenus en sessions ; le total intègre les « non EC ».
- 19 Par exemple, pour les conférences inaugurales (et si l’on excepte un cas de conférencier n’apparten (...)
17L’analyse d’autres indicateurs vient confirmer le fait que les positions distinctives sont le lieu d’inégalités de capital académique. Si l’on s’attache tout d’abord aux types d’institutions auxquelles sont rattachés les individus occupant ces positions (tableau 9), on observe que les membres du CNRS, des grandes écoles et des autres établissements prestigieux (tous statuts confondus) sont surreprésenté·es au sein de la position de speaker, tandis que les membres des universités y sont sous-représenté·es mais sont surreprésenté·es dans l’animation de conférences. Si ces dernier·es sont aussi logiquement les seul·es à être (très largement) surreprésenté·es dans la position de membre de CO (puisque les congrès ont lieu dans des universités), ils et elles le sont aussi notablement dans les fonctions de responsabilité aux CE, à l’exception de la présidence de l’AFS à proprement parler, qui est quant à elle essentiellement le fait de directeur·ices de recherche au CNRS (7 président·es sur 10). Les membres des universités ont par ailleurs un nombre moyen de mandats au CE plus élevé que leurs collègues du CNRS et des grandes écoles. Se dessine ainsi un espace où les fonctions d’animation et d’organisation de la profession sont davantage et plus durablement remplies par les membres des universités, là où la parole proprement scientifique au sein des congrès – si elle les concerne aussi du fait de leur poids global dans l’ESR19 – est le lieu d’une surreprésentation des membres des institutions les plus prestigieuses. Ces dernier·es ont en outre un nombre moyen d’interventions en conférence plénière ou semi-plénière (hors sessions sur l’ESR) plus élevé que les membres des universités.
Tableau 9. Distribution des positions distinctives à l’AFS selon le type d’institution de rattachement (2002-2021, en %)
|
CE
Prez (N=57)
|
CE
Autres (N=170)
|
CO (N=105)
|
Sessions
Anim (N=199)
|
Sessions
ESR (N=55)
|
Sessions
Speakers (N=418)
|
TOTAL
(N=1004)
|
|
CNRS
|
16
|
17,6
|
19
|
18,6
|
15
|
21,1
|
19,1
|
|
Grande École
|
5
|
9,4
|
1
|
6
|
4
|
11,5
|
8,2
|
|
Autre étab.
prestigieux
|
4
|
5,9
|
0
|
6
|
4
|
7,9
|
5,9
|
|
Université
|
68
|
54,1
|
79
|
63,3
|
55
|
51,4
|
58,3
|
|
Autres
|
7
|
12,9
|
1
|
6
|
24
|
8,1
|
8,6
|
- 20 Pour l’obtention d’une médaille du CNRS et la nomination à l’IUF, seuls les individus inscrits dans (...)
18Les indicateurs de reconnaissance pris en compte dans notre base (médailles CNRS, nominations à l’Institut universitaire de France [IUF] et pages Wikipédia) permettent de confirmer et d’affiner cette corrélation entre positions et propriétés académiques (tableau 10). Dans l’ensemble, les positions associées à la présidence de l’AFS et celles de speaker sont aussi plus fréquemment occupées par les individus les plus reconnus, même si la forme de la reconnaissance varie entre ces deux types de position. Les premières sont plutôt caractérisées par une reconnaissance académique nationale, avec une légère surreprésentation des médaillé·es CNRS et surtout une proportion deux fois plus importante de membres de l’IUF en comparaison à leur poids parmi l’ensemble des positions distinctives20. La position de speaker est quant à elle caractérisée davantage par une reconnaissance sociale moins exclusivement nationale, étant le lieu d’une surreprésentation très importante des individus présent·es sur Wikipédia. Il en va logiquement de même de la position de conférencier·e inaugural·e : au moment de leur intervention, 12 sur 16 (75%) avaient une page Wikipédia alors qu’aucun·e n’était médaillé·e du CNRS.
Tableau 10. Distribution des positions distinctives à l’AFS selon les indicateurs de reconnaissance (2002-2021, en %)
|
CE
Prez
(N=57)
|
CE
Autres (N=170)
|
CO (N=105)
|
Sessions
Anim
(N=199)
|
Sessions
ESR (N=55)
|
Sessions
Speakers (N=418)
|
TOTAL (N=1004)
|
|
Méd. CNRS
|
4
|
2,3
|
0,9
|
1,5
|
3,6
|
3,6
|
2,7
|
|
Nominations IUF
|
9
|
2,3
|
3,8
|
5
|
2
|
4,5
|
4,3
|
|
Page Wiki
|
9
|
3,5
|
2,9
|
6
|
9
|
20,8
|
11,7
|
19Un dernier indicateur suggère une autre dimension de l’occupation des positions distinctives à l’AFS, celui du temps écoulé entre l’obtention du doctorat et l’obtention d’un poste de titulaire en tant qu’enseignant·e-chercheur·e en France (de rang B le plus souvent). Alors que ce délai est en moyenne de 3 ans pour l’ensemble des positions distinctives, il est de 3,7 ans au sein des fonctions au CE et de 5,7 ans pour les seules fonctions du CE associées à la présidence. Il est aussi légèrement supérieur à la moyenne pour les fonctions d’animation de session ou d’intervention en session consacrée à l’ESR. Au contraire, dans la position de speaker, le temps d’attente est légèrement inférieur à la moyenne. Ceci s’explique en partie par le fait que les speakers sont plus âgé·es que la moyenne, puisque le délai d’obtention d’un poste a eu tendance à augmenter. Tout en confirmant le caractère plus distinctif des fonctions de conférencier·e par rapport à celles d’organisation et d’animation, ces données laissent deviner l’existence d’un investissement pour le collectif professionnel d’autant plus fort que l’entrée dans ce collectif a pu être retardée, comme s’il s’agissait de venir confirmer ou affirmer une appartenance professionnelle incertaine. Le fait que celles et ceux qui ont cumulé au moins deux des trois types de position (CE, CO, session) aient également un délai d’attente supérieur à la moyenne (3,6 ans) va dans le sens de cette hypothèse, tout comme le fait que l’on observe une corrélation positive entre le délai d’obtention d’un poste, d’une part, et la durée des mandats au CE et le nombre d’interventions en session sur l’ESR, d’autre part (alors que la corrélation avec le nombre de conférences plénières ou semi-plénières est, elle, légèrement négative).
- 21 Les ACM spécifiques (avec choix des modalités actives) ont été réalisées avec le logiciel SPAD, ver (...)
20L’espace des positions distinctives à l’AFS que nous avons ainsi esquissé en analysant successivement plusieurs propriétés de leurs occupant·es peut être représenté grâce à la méthode de l’analyse des correspondances multiples (ACM)21. Les deux ACM qui suivent donnent à voir cet espace, construit à partir des modalités liées aux positions occupées à l’AFS (modalités actives en noir), dans lequel sont projetées (modalités supplémentaires en couleur) les propriétés sociodémographiques (ACM 1) et académiques (ACM 2) des individus associés à ces positions. Il est ainsi possible d’analyser conjointement les différentes variables sociodémographiques et académiques traitées précédemment, auxquelles s’ajoutent, dans l’ACM 2, une nouvelle variable de position académique (le nombre de participations à des jurys de thèse) et deux nouvelles variables relatives au capital scolaire (la détention d’une agrégation et le degré de prestige des études menées avant la thèse).
ACM 1. Espace des positions distinctives à l’AFS (projection des propriétés sociodémographiques)
ACM 2. Espace des positions distinctives à l’AFS (projection des propriétés académiques)
21L’espace des positions distinctives à l’AFS apparaît ainsi structuré selon deux logiques complémentaires. L’axe horizontal (axe 1, qui explique 18% de la variance) oppose les positions essentiellement organisationnelles à gauche (les modalités relatives aux fonctions au CE et à la fonction d’animation de session) aux positions au contenu scientifique le plus évident (les modalités relatives aux speakers), les positions de conférencier·e sur l’ESR et de membre de CO apparaissant comme intermédiaires. L’axe vertical (axe 2, qui explique 13,8% de la variance) est quant à lui structuré selon le degré de visibilité, avec les positions de membre de CO, de membre ordinaire au CE et les mandats uniques au CE en bas, alors que la position de speaker et les positions de cumul (au CE ou en congrès) sont situées dans la partie supérieure du graphique. Dans le cadran Nord-Est de l’ACM 1, où se concentrent les positions les plus prestigieuses, on trouve les hommes, les individus les plus âgés, les postes à Paris et à l’étranger ainsi que les personnes « blanc·hes », tandis que les femmes, les individus les plus jeunes, les postes en Île-de-France (hors Paris) et les personnes « noir·es » se situent dans le cadran opposé (Sud-Ouest). Quant à l’assignation « Arabe » et au statut de doctorant·e, ils se situent plutôt du côté scientifique mais dans une position de faible visibilité, notamment en raison de leur forte corrélation à la position de membre de CO. Suivant une logique similaire à celle de l’ACM 1, le cadran Nord-Est de l’ACM 2 rassemble la plupart des indicateurs renvoyant à un haut niveau de capital académique (postes de rang A, dans une grande école ou un autre établissement prestigieux, détention d’une médaille d’argent du CNRS ou d’une page Wikipédia, participation à plus de 3 jurys de thèse, possession d’une agrégation et études dans une grande école avant le doctorat). Dans le cadran opposé (Sud-Ouest), on trouve les postes dans des universités publiques ou à l’AFS, les autres EC et les BIATSS (mais aussi les postes de rang B, plus près de l’origine), les individus dépourvus de page Wikipédia et d’agrégation ainsi que les études non prestigieuses avant la thèse. Le cadran Nord-Ouest des deux ACM apparaît quant à lui dans une situation intermédiaire, étant caractérisé par la racisation « Autres » et rassemblant des individus socialement reconnus (possession d’une page Wikipédia en deux langues) mais moins dotés que leurs homologues du cadran Nord-Est (membres de l’IUF, participation à 1 à 3 jurys de thèse) ou moins insérés dans le champ académique (postes hors université, non EC, attente d’un poste supérieure à 3 ans). Ces deux ACM permettent ainsi de montrer non seulement que les différentes positions à l’AFS sont distinguées par les propriétés de leurs occupant·es, mais aussi que les propriétés associées à ces positions sont cohérentes au niveau des ressources qu’elles confèrent, ces dernier·es se cumulant entre elles. Les inégalités sociodémographiques et académiques ainsi décrites ne sont toutefois pas figées dans le temps.
22Les données recueillies ont été historicisées et permettent donc de décrire les positions distinctives depuis la création de l’AFS par le biais des caractéristiques que leurs occupant·es avaient au moment où ils et elles y étaient investi·es. Il est ainsi possible d’analyser dans quelle mesure et comment la distribution de ces positions a évolué entre 2002 et 2021. Plusieurs tendances peuvent être dégagées : une démocratisation de l’accès à ces positions, une autonomisation de ces dernières et, enfin, leur internationalisation.
23Basés sur l’agrégation des positions distinctives de 2002 à 2021, les résultats présentés dans la partie précédente ne disent rien des évolutions des hiérarchies sociales à l’AFS. Si celles-ci apparaissent parfois contradictoires d’un congrès à l’autre, une tendance générale à la démocratisation des positions distinctives semble néanmoins se dégager.
- 22 Malgré les exceptions relatives des congrès de 2009 et 2019, la position de speaker apparaissant al (...)
24C’est d’abord le cas du point de vue du genre. Le premier congrès de février 2004 apparaît, de loin, comme celui pour lequel la division genrée du travail est la plus manifeste : sur 33 communications cumulées en sessions plénières et semi-plénières, seulement 5 sont le fait de femmes, soit un maigre 15%, alors que 47% des communications en RT ont été données par des femmes cette année-là (Boudesseul, 2005). Inversement, le CO compte cette même année 4 femmes pour 2 hommes, tandis qu’on dénombre au CE 8 femmes (dont une secrétaire) pour 7 hommes parmi les membres ordinaires ayant participé à l’organisation du congrès, soit un taux de féminisation global de 57% pour ces deux fonctions. En 2004, les femmes apparaissent donc majoritaires dans les positions organisationnelles les moins prestigieuses tandis qu’elles sont quasiment absentes des positions intellectuelles les plus visibles. Si cette logique de division genrée du travail ne disparaît pas par la suite22, elle s’atténue néanmoins considérablement. Dès le congrès suivant, en 2006, les femmes sont près de trois fois mieux représentées dans la position de speaker (16 positions sur 36, soit 44%). En 2009, elles deviennent pour la première fois majoritaires (35 positions sur 65, soit 54%), avant de redevenir minoritaires entre 2011 et 2015 (entre 36 et 44%). Depuis 2017, la position de conférencier·e de plénière ou semi-plénière est relativement paritaire, avec des taux de féminisation compris entre 48% et 55%. Ce mouvement de féminisation des positions distinctives (graphique 1) s’inscrit dans une évolution plus large de la discipline : si les hommes étaient encore légèrement majoritaires parmi les candidat·es à la qualification en section 19 entre 2007 et 2011, les femmes sont majoritaires depuis 2012, avec une tendance continue à la féminisation. Ce processus s’observe également à partir du cas spécifique des conférences inaugurales. Alors qu’un plafond de verre semble empêcher les femmes d’occuper cette position jusqu’en 2015, celui-ci se fissure à partir de 2017, seule année où la conférence inaugurale a présenté une composition paritaire (une femme, un homme). Depuis, la position de conférencier·e inaugural·e s’ouvre chaque année aux femmes, même si elles restent minoritaires (une femme pour deux hommes en 2019 et 2021, encore que l’intervenante ait dû annuler sa participation en 2019 et la reporter en 2021).
Graphique 1. Évolution de la part des femmes aux congrès de l’AFS selon les positions occupées
25La démocratisation est également perceptible du point de vue de l’âge, quoiqu’au sein des seules positions organisationnelles (CO, CE et animation de conférence). Tandis que les plus âgé·es se maintiennent dans la position de speaker et apparaissent dans les conférences sur l’ESR, ils et elles disparaissent quasiment du CO et complètement du CE au cours de la période. En particulier, les positions liées à la présidence du CE connaissent un rajeunissement radical entre les premiers et les derniers congrès (tableau 11). Alors que les moins de 40 ans en étaient soit absent·es soit très minoritaires et les plus de 60 ans majoritaires sur la période 2002-2011, la composition générationnelle des équipes de direction s’inverse en 2013-2021, avec une majorité de moins de 40 ans et une absence totale d’individu de plus de 60 ans.
Tableau 11. Distribution des positions liées à la présidence du CE de l’AFS selon l’âge (2002-2021)
|
2002-2011 (N=25)
|
2013-2021 (N=20)
|
|
< 40 ans
|
12%
|
65%
|
|
60 ans et +
|
52%
|
0%
|
|
Âge min.
|
31
|
29
|
|
Âge max.
|
70
|
49
|
|
Moyenne
|
56
|
38
|
26Du point de vue racial, l’évolution observée est similaire, la période la plus récente témoignant d’une plus grande représentation des personnes « non-blanc·hes » au sein des positions distinctives, même si elles y demeurent peu représentées. Ainsi, on constate un doublement du nombre et de la part des individus « non-blancs » entre 2004-2013 et 2015-2021, cette augmentation concernant cependant uniquement des personnes « non-noires » (tableau 12). Incontestablement, c’est le congrès de 2019 qui a permis la plus grande représentation des personnes « non-blanc·hes » (14,5% des positions sont alors occupées par des personnes racisées). On compte en particulier cette année-là 8 conférences sur 40 données par des personnes « non-blanc·hes » (20%), contre 7 conférences sur 319 entre 2004 et 2017 (2,2%). Cette soudaine augmentation s’explique principalement par la programmation en 2019 d’une conférence semi-plénière sur le thème « Sociologies, sociologues en Afrique et au Moyen-Orient ».
Tableau 12. Distribution raciale des positions distinctives à l’AFS (2004-2021, en %)
|
2004-2013 (N=484)
|
2015-2021 (N=450)
|
|
Blanc·hes
|
95,5
|
90,2
|
|
Non-blanc·hes
|
3,9
|
8,4
|
|
dont Noir·es
|
1,9
|
1,3
|
|
dont Arabes
|
1
|
3,8
|
|
dont Autres
|
1
|
3,3
|
|
Équivoques
|
0,6
|
1,3
|
27Ce mouvement de dé-blanchisation (relative) des positions distinctives s’observe également à partir du cas spécifique des conférences inaugurales. Si l’on a déjà indiqué qu’on ne compte qu’une seule personne « non-blanc·he » (« noire ») sur 16 conférencier·es intervenu·es en ouverture de congrès, il faut également souligner que son intervention est particulièrement récente (2021). Le plafond de verre se maintient cependant, jusqu’à ce jour, pour les hommes racisés.
28Enfin, la tendance est à la provincialisation des positions distinctives. Initialement, ces dernier·es étaient majoritairement détenues par des Francilien·nes (dont Parisien·nes) : trois positions sur quatre en 2004 et encore près de deux sur trois en 2009. Les positions sont ensuite devenues majoritairement occupées par des individus rattachés à un établissement situé en province métropolitaine, d’abord de manière relative en 2011 (44,4%) puis de manière absolue à partir de 2013 (entre 51,7% et 60,2%), à l’exception significative de l’année 2015 (32%), où le congrès était organisé à Versailles (ce qui impliquait un recrutement du CO exclusivement francilien). Le graphique 2 montre également que l’année où les positions distinctives ont été le plus significativement occupées par des individus en poste à l’étranger (14,2%) est aussi celle du seul congrès qui se soit tenu dans la capitale, ce qui suggère que les universités parisiennes sont à la fois plus enclines et plus en mesure de se tourner vers l’international.
Graphique 2. Évolution de la distribution géographique des positions distinctives à l’AFS (N=1003)
- 23 On note également que les postes à l’étranger apparaissent deux fois moins fréquents à l’AFS cette (...)
29Le caractère notablement provincial des derniers congrès se laisse encore mieux saisir si l’on compare la principale affiliation des occupant·es des positions distinctives à l’AFS à celle des candidat·es à la qualification pour l’année 2021, puisque les institutions franciliennes et provinciales s’avèrent inversement représentées entre les deux populations23 (tableau 13).
Tableau 13. Comparaison géographique des positions distinctives à l’AFS et des candidat·es à la qualification d’après la principale affiliation institutionnelle (2021, en %)
|
Positions distinctives à l’AFS (N=134)
|
Établissement de soutenance des candidat·es à la qualif en section 19 (N=466)
|
|
Île-de-France (dont Paris)
|
37,3
|
54,7
|
|
Province
|
59,7
|
38,2
|
|
Étranger
|
3,0
|
5,8
|
|
Indéterminée
|
0
|
1,3
|
- 24 Le poste de secrétaire de l’association, seul poste non élu du CE, n’est pas pris en compte dans le (...)
30Une même tendance à la démocratisation peut être observée au niveau des statuts, variable que l’on sait fortement corrélée à l’âge. Du côté des CO, on peut noter que les doctorant·es n’y font leur apparition qu’en 2011 et qu’ils et elles représentent à partir de 2013 entre un cinquième et un tiers des effectifs. L’analyse de la composition des CE24 (qui comportent un nombre de membres stable au fil des années) confirme cette tendance. Le graphique 3 montre une apparition des doctorant·es en 2006 et une présence stabilisée autour de 4 à 5 membres depuis 2017, tandis que, parallèlement, la place des rangs A tend à se réduire, leur présence devenant particulièrement faible à partir de 2015 (2 à 3 membres).
Graphique 3. Évolution de la composition statutaire des membres élu·es du CE de l’AFS (en effectifs)
31L’examen des seules fonctions du CE associées à la présidence permet de confirmer ce constat. On observe en effet un effacement progressif des rangs A de ces fonctions, en particulier à partir de 2015 : de deux tiers en 2002, leur part diminue à une proportion comprise entre un cinquième et un tiers à partir de 2015. Ces membres sont remplacé·es à la fois par les autres EC, qui font précisément leur apparition dans ces fonctions à partir de 2015, et par les rangs B, qui y deviennent majoritaires à partir de 2019. On note également une tendance à la démocratisation de la position de speaker (tableau 14). Alors qu’elle était occupée à 70% par des rangs A en 2004, elle ne l’est plus qu’à 47% en 2021, tandis que la part des rangs B est au contraire en augmentation (de 27 à 37%). En outre, cette position devient davantage occupée par les autres EC à partir de 2015 (à hauteur de 10% environ) et voit apparaître en son sein quelques doctorant·es à partir de 2009 (avec une interruption en 2013 et 2015). La proportion des doctorant·es est particulièrement importante en 2017 (25%), en raison de la programmation cette année-là d’une conférence semi-plénière de présentation d’un atelier de recherche intitulé « groupe DOC 2000 » composé notamment de neuf doctorant·es (et deux « autres EC »).
Tableau 14. Distribution de la position de speaker à l’AFS par statut et par congrès (2004-2021, en effectifs)
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2004
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2006
|
2009
|
2011
|
2013
|
2015
|
2017
|
2019
|
2021
|
TOTAL
|
|
Rangs A
|
23
|
16
|
32
|
36
|
16
|
21
|
13
|
19
|
23
|
199
|
|
Rangs B
|
9
|
13
|
23
|
12
|
16
|
17
|
22
|
14
|
18
|
144
|
|
Autres EC
|
1
|
3
|
2
|
4
|
1
|
4
|
6
|
4
|
5
|
30
|
|
Doctorant-es
|
0
|
0
|
2
|
3
|
0
|
0
|
14
|
3
|
2
|
24
|
|
Non EC
|
0
|
4
|
6
|
6
|
3
|
1
|
1
|
0
|
0
|
21
|
|
TOTAL
|
33
|
36
|
65
|
61
|
36
|
43
|
56
|
40
|
48
|
418
|
32Le même constat peut être fait s’agissant des types d’institution (tableau 15), la position de speaker tendant à accueillir de manière croissante les membres des universités entre 2004 et 2021 (de 49 à 58%), tandis qu’elle accueille une part décroissante de membres du CNRS et des grandes écoles (respectivement de 30 à 23% et de 15 à 4%).
Tableau 15. Distribution de la position de speaker à l’AFS par type d’institution et par congrès (2004-2021, en effectifs)
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2004
|
2006
|
2009
|
2011
|
2013
|
2015
|
2017
|
2019
|
2021
|
TOTAL
|
|
CNRS
|
10
|
8
|
7
|
12
|
7
|
7
|
17
|
9
|
11
|
88
|
|
Grande Ecole
|
5
|
6
|
6
|
7
|
4
|
7
|
7
|
4
|
2
|
48
|
|
Autre étab. prestigieux
|
2
|
2
|
2
|
10
|
4
|
5
|
3
|
1
|
4
|
33
|
|
Université
|
16
|
15
|
42
|
24
|
17
|
23
|
26
|
24
|
28
|
214
|
|
Autres
|
0
|
5
|
8
|
8
|
4
|
1
|
3
|
2
|
3
|
34
|
|
TOTAL
|
33
|
36
|
65
|
61
|
36
|
43
|
56
|
40
|
48
|
418
|
33Cette tendance à la démocratisation des positions distinctives, observée aussi bien au niveau du genre, de l’âge, de la racisation, du lieu d’exercice, du statut ou de l’institution de rattachement, témoigne d’un abaissement des barrières à l’entrée dans ces fonctions. S’agissant des positions les plus organisationnelles (CE et CO), on peut faire l’hypothèse d’une baisse d’attractivité (la position de président·e de l’AFS mise à part ?), liée à leur rentabilité décroissante dans le champ académique – autorisant notamment de jeunes sociologues, souvent précaires, à occuper des positions désormais moins convoitées, alors que les premiers congrès représentaient sans doute un enjeu de placement plus important. Dans le cas du CE, cette démocratisation pourrait s’expliquer secondairement par une évolution de la composition des congressistes dans leur ensemble, qui constituent le corps électoral décidant de l’accession au CE. Cette hypothèse d’une baisse d’attractivité n’est pas incompatible avec celle d’une volonté croissante des membres des CE et CO de distribuer plus équitablement ces positions, encouragée par la transformation sociodémographique de ces dernières. Ceci serait à même d’expliquer également la démocratisation (néanmoins plus relative) des speakers, du fait de leur désignation aux deux-tiers par les membres des CE et CO.
- 25 Le personnel administratif des universités n’est pas concerné par les positions en session.
- 26 L’analyse des types d’institution donne à voir une tendance très similaire, les non EC étant exclus (...)
34Parallèlement à ce mouvement de démocratisation, deux autres tendances se dégagent. Premièrement, on assiste à une autonomisation des positions distinctives, dans la mesure où ces positions se recentrent sur les enseignant·es-chercheur·es (quel que soit leur statut, des doctorant·es aux rangs A) et sur les établissements relevant de l’ESR. En effet, alors que certaines de ces positions étaient, dans les premières années de l’AFS, le lieu d’une représentation parfois non négligeable de personnes ayant d’autres statuts que ceux d’enseignant·es-chercheur·es (formateur·ices, consultant·es, médecins, chargé·es de mission, etc.) et travaillant hors de l’ESR, la présence de ces dernières tend à s’amenuiser voire à disparaître. Si, jusqu’en 2015, on dénombrait entre 1 et 3 individus non enseignant·es-chercheur·es parmi les membres élu·es du CE, les non EC disparaissent à partir de 2017 (graphique 3). Tout se passe comme si les non EC avaient progressivement cédé leur place aux doctorant·es au sein des CE. De la même manière en session, les non EC, après une augmentation entre 2004 et 2011 (de 1 à 17 non EC), voient leur participation diminuer, passant de 8 à 2013 à 0 ou 1 pour les années suivantes25. En particulier, alors que les non EC étaient bien représenté·es dans la position d’intervenant·e en session sur l’ESR entre 2006 et 2013 (ce qui s’explique notamment par la programmation de table-rondes sur des sujets comme « l’insertion professionnelle » ou « les savoirs sociologiques dans la cité »), ils et elles en sont absent·es à partir de 2015. De plus, bien que n’ayant jamais été très représenté·es dans la position de speaker, ces non EC ne le sont plus qu’à titre exceptionnel en 2015 et 2017 (N=1) et plus du tout depuis 2019 (tableau 14)26. Mis en regard du processus de démocratisation, ce mouvement d’autonomisation, qui tend à exclure des positions distinctives les individus les plus éloignés du champ universitaire, laisse à penser que le rôle de l’AFS en tant qu’instance de socialisation et d’intégration à l’ESR des doctorant·es et jeunes docteur·es s’est renforcé au cours de la période.
35Deuxièmement, on assiste à une (relative) internationalisation des positions distinctives, qui profite aux individus fortement dotés en capitaux académiques internationaux et peut s’expliquer par l’« évolution de la définition nationale de l’excellence scolaire, au profit de nouvelles normes internationales » (Wagner, 1998, p. 88). Cette internationalisation ne concerne toutefois pas toutes ces positions. Les CO, en effet, présentent un recrutement presqu’exclusivement national sur l’ensemble de la période, à l’exception du CO du congrès aixois de 2019, qui a accueilli trois chercheur·es CNRS (2,9% de l’ensemble des membres de CO) ayant effectué leur doctorat à l’étranger (Lausanne et Montréal) ou en cotutelle (entre Paris et Berlin).
36Le CE présente également un recrutement fortement national, quoiqu’une tendance à l’internationalisation y soit observable. 11 des 227 positions occupées (4,8%) l’ont été par des individus ayant soutenu leur thèse soit à l’étranger (6 sur 11), soit en cotutelle avec un établissement étranger (2) et/ou étant actuellement en poste à l’étranger (5). Dans le cas des CE, cette internationalisation se limite à l’Europe de l’Ouest, ce qui s’explique vraisemblablement en partie par le fait que la participation au CE suppose de pouvoir être à proximité immédiate de la France. En outre, les membres de CE en poste à l’étranger sont exclusivement des doctorant·es (1) ou des docteur·es non titulaires (4) ; dans de tels cas, la participation au CE est sans doute un moyen de continuer à s’inscrire dans le champ académique national, dans la perspective de campagnes de recrutement futures. Surtout, cette internationalisation va croissante sur la période : on ne compte aucun individu en poste à l’étranger ou ayant effectué sa thèse à l’étranger (dont cotutelle) au sein des CE avant 2011 ; puis 4 entre 2011 et 2015 (5,7%) ; puis 7 entre 2017 et 2021 (10,3%).
37Le même mouvement historique est observable pour la position d’animateur·ice de session (semi-)plénière. Alors qu’aucune ne présentait un profil international en 2004 et 2006, c’est désormais le cas d’au moins une d’entre elles à chaque congrès depuis 2009 et d’au moins deux d’entre elles depuis 2019. Parmi les 11 positions d’animation concernées (5,5%), 7 sont occupées par des individus ayant soutenu leur thèse en Europe et 6 par des individus en poste à l’étranger (5 en Europe et 1 au Québec). Au sein de la position de conférencier·e sur l’ESR, les profils internationaux se font plus rares (3,6%) ; seuls 2 congrès sur 7 en ont accueillis (en 2015 et 2017).
38Dans le cas de la position de speaker, la tendance est beaucoup moins marquée : si la part la plus importante de conférencier·es internationaux (30%) correspond à un congrès situé en fin de période (2019), elle s’avère également très élevée (24,6%) pour le congrès de Paris, tandis qu’elle est la plus faible en milieu de période, au congrès de Nantes (2,8%). Cependant, si l’on ne considère que les speakers des conférences inaugurales, l’internationalisation est tout à fait manifeste. Parmi les 16 personnes concernées, seulement 9 sont en poste en France (56%) et 6 autres sont en poste à l’étranger (2 au Royaume-Uni, 2 ailleurs en Europe de l’Ouest et 2 en Amérique du Nord). La dernière conférencière a quant à elle une double affiliation, à la fois en France et en Afrique de l’Ouest. Ce profil international des conférences inaugurales tend à être de plus en plus fréquent. On ne compte ainsi aucun·e conférencier·e en poste à l’étranger aux deux premiers congrès ; le premier à intervenir le fait au congrès de Paris en 2009. Depuis 2015, un·e conférencier·e étranger·e est systématiquement invité·e à l’occasion de la conférence inaugurale, même si celle-ci se fait désormais souvent à plusieurs voix.
39Afin d’analyser les manières dont évoluent les propriétés des occupant·es des positions distinctives à l’AFS au fil des congrès et de donner à voir ces tendances de long terme, nous avons réalisé une nouvelle ACM, dans la perspective cette fois de représenter l’espace des positions académiques dans lequel s’inscrit notre population (ACM 3), construit à partir d’une sélection des variables positionnelles (modalités actives en noir). On a ensuite projeté dans cet espace (modalités supplémentaires en couleur) les différents congrès ainsi que les modalités des variables sociodémographiques.
ACM 3. Espace des positions académiques aux congrès de l’AFS
40L’axe horizontal de l’ACM (axe 1, 10,6% de la variance expliquée) apparaît structuré en fonction d’un principe d’intégration croissante au champ académique avec, le plus à l’ouest, les modalités relatives à des statuts et lieux d’exercice extérieurs à l’ESR. Au fur et à mesure du rapprochement vers l’origine, on trouve les postes administratifs au sein de l’ESR (AFS et BIATSS) puis les autres EC et les doctorant·es qui, bien que membres de l’ESR, ne sont pas pleinement intégrés à l’espace académique professionnel. À l’est au contraire, on trouve les postes en université, au CNRS et en grande école ainsi que les statuts de titulaires de l’ESR (rang B et rang A). L’axe vertical (axe 2, 9% de la variance expliquée), quant à lui, apparaît structuré autour d’un principe d’avancée dans la carrière et de reconnaissance académique et sociale avec, au sud, les postes de rang B et en université, la participation à aucun ou un seul jury de thèse, les temps d’attente les plus longs pour l’obtention d’un poste de titulaire, l’absence de marques de consécration ou de visibilité et l’absence d’agrégation et d’études prestigieuses avant la thèse. Au nord au contraire, on trouve les postes au CNRS, de rang A et en grande école, les études prestigieuses, les plus faibles temps d’attente pour l’obtention d’un poste de titulaire, les participations à plusieurs jurys de thèse, les agrégations et les marques de reconnaissance scientifique et sociale (page Wikipédia en français et parfois également dans une langue étrangère, médaille CNRS, nomination à l’IUF). Le fait que les statuts et lieux d’exercice extérieurs à l’ESR (non EC, postes hors université, en institut privé ou en observatoire) soient situés également très au nord indique que les individus concernés accèdent aux positions distinctives moyennant un haut degré de visibilité sociale (possession d’une page Wikipédia, à l’instar du journaliste Edwy Plenel) ou un capital scolaire important (études prestigieuses, à l’instar du sondeur Stéphane Rozès). La projection des variables sociodémographiques dans cet espace montre que les positions académiques les plus prestigieuses (dans le cadran Nord-Est) sont liées aux modalités renvoyant à une position sociodémographique dominante (« blanc·he », hommes, au moins 40 ans, en poste à Paris), tandis que se situent dans le cadran opposé les postes en Île-de-France (hors Paris) et en Province, les femmes, les individus les plus jeunes et les personnes racisées (à l’exception de la modalité « Noir·e », qui apparaît, avec les postes à l’étranger, caractéristique des positions les plus éloignées du champ académique français).
41Quant aux modalités renvoyant aux années de congrès, si elles apparaissent globalement situées à proximité de l’origine, elles ne sont pas pour autant distribuées au hasard dans l’espace des positions académiques. Les congrès de 2004 à 2011 sont en effet tous situés dans la partie haute du graphique, du côté des carrières les plus avancées et les plus reconnues, alors que les congrès ultérieurs sont tous situés en bas, ce qui va dans le sens du mouvement de démocratisation et de moindre sélectivité sociale et attractivité scientifique des congrès de l’AFS, précédemment mis en évidence. Plus encore, le premier et le troisième congrès sont situés dans le cadran Nord-Est alors que les autres manifestent une distance plus grande aux positions académiques les plus prestigieuses. Par ailleurs, plusieurs congrès de début et milieu de période (2006, 2011, 2013) se situent dans la partie gauche du graphique alors que les congrès de fin de période (2019 et 2021) sont situés à droite, du côté des statuts et établissements proprement académiques, ce qui appuie l’hypothèse d’autonomisation formulée plus haut. Il faut souligner enfin la position excentrée du tout dernier congrès, situé à la fois à droite, du côté de l’autonomisation, et très en bas, du côté de la démocratisation, semblant ainsi approfondir des tendances de long terme, même si le contexte sanitaire (Covid-19) a pu également peser sur sa sociographie.
42Cet article a proposé une analyse quantitative des positions distinctives à l’AFS. Celle-ci pourrait bien sûr être prolongée par des recherches qualitatives sur cette association, notamment par archives et entretiens, qui devraient permettre d’apporter des éléments sur les logiques d’accès à ces différentes positions, sur la place qu’elles occupent dans les trajectoires académiques des individus, sur les manières dont ces derniers les investissent et sur le sens qu’ils leur donnent. Néanmoins, et au-delà du cas particulier de cette association professionnelle, ce travail a permis de fournir de premiers résultats sur la structuration de l’espace de la sociologie française. En particulier, il s’est employé à mettre en évidence le poids des rapports sociaux de genre, d’âge et de race dans la (re)production des hiérarchies scientifiques, tout en montrant que celui-ci tend à s’amenuiser ou, du moins, que ces rapports tendent à se transformer. Corollairement, il témoigne d’une diversification croissante – et plus encore d’une précarisation – des statuts académiques au sein de cet espace, tout en indiquant que l’expérience à l’international y constitue une ressource de plus en plus rentable. De plus, le processus d’autonomisation observé au niveau de l’AFS, marqué par une mise à l’écart progressive des individus extérieurs au monde professionnel de l’enseignement supérieur et de la recherche, permet de faire l’hypothèse d’un processus analogue d’éviction des profanes de l’espace de la sociologie dans son ensemble, à l’instar de ce qui a pu être observé dans d’autres espaces à mesure de leur professionnalisation (Abbott, 1988). Déterminer ce qui relève de processus relatifs à l’espace de la sociologie dans son ensemble se donnant à voir à l’AFS ou, au contraire, de processus qui lui sont spécifiques, supposerait de situer la position de l’association dans cet espace ainsi que l’évolution historique de cette position – analyse qui reste encore à mener.
43Enfin, cet article contribue à dresser le portrait de la population des enseignant·es-chercheur·es en sociologie – pour l’heure très imprécis – afin d’analyser leur place dans le champ académique, même si tou·tes les membres des congrès ne sont pas inscrit·es institutionnellement dans la discipline. Si les données disponibles via la section 19 du CNU apportent des informations utiles, celles-ci restent limitées en termes de variables prises en compte et excluent les doctorant·es ainsi que les docteur·es ne prétendant pas (encore) à une carrière académique, n’offrant ainsi qu’une représentation partielle de l’espace de la sociologie. Quant aux données disponibles sur l’ensemble des enseignant·es-chercheur·es en poste, elles ne permettent pas d’étudier les seul·es sociologues et donc de déterminer ce qui les rapproche ou les différencie de leurs homologues des autres disciplines27. A contrario, l’entrée par l’AFS permet de saisir le champ sociologique dans toute la diversité de ses positions et statuts. Une analyse pleine et entière en termes de champ supposerait toutefois d’aller plus loin qu’il n’a été possible de le faire dans cet article, en mettant en relation l’espace des sociologues étudié ici avec l’espace de leurs productions sociologiques, pour interroger leur relation d’homologie.
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