1Le monde associatif contemporain est le sujet d’un grand paradoxe : il ne cesse de se voir attacher une mission d’innovation démocratique et de transformation sociale tout en étant de plus en plus soumis à des conditions et contraintes faisant obstacle à cette mission. À travers des notions comme « tiers secteur », « société civile » ou « écoles de démocratie », un ensemble de travaux et de discours développent l’idée que les États démocratiques auraient avantage à tirer d’une vie associative dynamique pour faire face aux problèmes émanant du marché et à la crise de la représentation politique (Putnam, 2000 ; Laville et al., 2016). À partir des années 1970, ces États sont appelés à transformer leurs manières de conduire l’action publique en s’ouvrant aux demandes sociales formulées en dehors de la politique électorale et de l’économie de marché (Barthélémy, 2000). Or, cette logique de partenariat et d’intégration à l’action publique a rapidement pris une autre tournure à travers les principes du nouveau management public et la politique austéritaire qui se sont généralisés en Europe comme aux États-Unis (Laville & Salmon, 2015 ; Enjolras et al., 2018). À travers une pluralité de processus d’institutionnalisation et de professionnalisation, les associations se muent en « entreprises associatives » sujettes à l’instrumentalisation et à l’alignement de leur action sur les logiques étatiques et marchandes (Smith & Lipsky, 1993 ; Salamon, 1993 ; Enjolras, 1996 ; Hély, 2009 ; Cottin-Marx et al., 2017).

2Pour expliquer ce phénomène, un consensus existe, au sein du monde académique comme en dehors, pour désigner le rôle central joué par les financements. Les têtes de réseau comme le Collectif des associations citoyennes (CAC), le Mouvement associatif, ou même la coordination « Pas sans nous » interpellent toutes les institutions, certes chacune à leurs manières, sur les effets délétères des baisses et des évolutions des modalités du financement public sur les associations (Fraisse, 2018b). Au sein de la sociologie du monde associatif, de la sociologie de l’action publique locale et de la sociologie de l’économie sociale et solidaire, de plus en plus de travaux se sont intéressés aux manières dont les dispositifs d’emplois aidés d’insertion, la montée en puissance de la commande publique, la diffusion de l’impératif d’évaluation, entre autres mécanismes, ont influencé et précarisé l’action des associations. Mais les recherches s’arrêtent toujours sur le palier des logiques financières et budgétaires, laissant ces dernières à l’état de boîte noire, comme s’il n’était pas nécessaire d’étudier les transactions qui les composent pour comprendre qu’elles, et surtout comment elles ont des effets sur l’initiative associative.

3Pour dépasser cet écueil, la sociologie du monde associatif gagne à s’inspirer de certaines approches de la sociologie économique dédiées à l’étude des effets sociaux de l’argent. En effet, à travers des notions telles que le marquage social de la monnaie (Zelizer, 2005) ou l’hybridation des ressources (Gardin, 2008), de telles approches incitent à questionner les manières dont des ressources de différentes provenances (marché, redistribution, réciprocité) et obtenues selon des modalités spécifiques (vente de biens ou services, subventions ou recettes d’activités, bénévolat ou philanthropie) peuvent donner lieu à des pratiques et représentations différenciées. Si elle a surtout été consacrée à l’étude des budgets de familles populaires, l’ethnocomptabilité peut aussi inspirer une approche se plaçant au plus près des usages budgétaires des associations, prenant en compte « ce que les gens prennent en compte » (Cottereau & Marzok, 2012, p. 14), la manière dont des stabilités ou fluctuations dans les sources de revenus peuvent avoir des effets sur les pratiques associatives, et les « dispositifs, évaluations, arbitrages » que ces mouvements suscitent au sein des organisations (Blavier, 2018, p. 9). En évitant de tomber dans l’« économicisme » (Quirós, 2016), cet article montre l’intérêt de mettre en lien l’étude des budgets associatifs avec les pratiques observées à la fois en interne des organisations associatives et dans l’interaction avec leur environnement, et plus spécifiquement avec leurs financeurs. En partant d’études de cas exploratoires, il s’agit de chercher à mieux comprendre comment les financements tendent à limiter l’autonomie des associations vis-à-vis des institutions qui en assurent la distribution, c’est-à-dire de découvrir les ressorts à travers lesquels une relative instrumentalisation se réalise aux différentes échelles d’action (individuelle, relationnelle, institutionnelle, etc.).

Tisserands du lien (TdL) est une association de proximité et d’animation socioculturelle orientée vers le lien social, qui a été initiée en 2003 par des acteurs catholiques mais dont l’action est, dès son lancement, largement déconfessionnalisée. Elle est composée d’un directeur salarié employé à durée indéterminée et à temps plein, et de quelques travailleur·ses associatifs employé·es via divers dispositifs de contrats aidés ou de stages imposant un fort turn-over. Elle est soutenue par une cinquantaine d’adhérent·es habitant le quartier et issus de franges précaires des classes populaires, pour partie sujettes à l’ethnicisation. Elle déploie des activités telles qu’un atelier tricot, un accueil de loisirs pour enfants, de l’accompagnement scolaire et des moments de convivialité.

L’Association pour le droit au logement (ADL) se conçoit comme militante et oriente son action vers l’accompagnement social gratuit des habitant·es mal-logé·es et vers l’interpellation des pouvoirs publics par le biais d’actions collectives et d’activités de plaidoyer. Pendant l’enquête, elle est composée de trois puis deux personnes salariées à durée indéterminée et à temps plein, dont une directrice, et est soutenue par une trentaine de militant·es et une cinquantaine d’adhérent·es qui se partagent entre une majorité de profils diplômés et des personnes plus faiblement dotées, souvent sujettes à l’ethnicisation et qui se sont engagées après avoir été aidées par l’association.

7Ensemble, TdL et l’ADL sont deux petites associations employeuses représentatives d’une part importante des structures financées par les dispositifs publics dans les quartiers populaires. En effet, comme le tiers de ces associations, elles emploient entre une et cinq personnes salariées et comptent parmi les 30 % dont le budget se situe entre 50 000 et 200 000 euros (Acsé, 2013). De plus, leurs membres se connaissent et elles sont toutes les deux ancrées dans la programmation Politique de la ville du quartier depuis plusieurs années même si c’est sur des thématiques distinctes. D’après la typologie de Matthieu Hély (2009), elles comptent donc toutes deux parmi les « entreprises associatives partenaires ». Pourtant, elles se différencient, comme nous le verrons, du point de vue de la stabilité des financements, des modalités de leur professionnalisation, de leur rapport au politique et de leur capacité à négocier avec les institutions. Autrement dit, elles attestent de positions spécifiques vis-à-vis des formes de gouvernance « professionnalisée » et « militante » (Bucolo et al., 2014). Ainsi, ces deux cas permettent de remettre en perspective l’idée d’autonomie associative en montrant qu’elle renvoie à des aspects à la fois objectifs et matériels – dépendance financière relative, locaux –, et à des dimensions plus subjectives et symboliques – acceptabilité des contraintes et prescriptions, sentiments d’agir en adéquation avec ses idées, « représentation collective de la réalité » (idem., p. 18).

8L’article s’appuie sur des matériaux recueillis à l’occasion d’une enquête de terrain réalisée entre 2013 et 2018, reposant sur l’immersion ethnographique, sur des entretiens réalisés auprès des acteurs associatifs et institutionnels (n = 20), et sur l’analyse de documents administratifs et plus particulièrement des comptes de résultat des deux associations étudiées (voir encadré). Le développement de l’article se fera en trois temps. D’abord, le propos portera sur l’autonomie budgétaire des deux associations en proposant trois dimensions à partir desquelles la mesurer, à savoir la part et la nature des dépenses contraintes, la capacité à financer l’implication de travailleur·ses sur le long terme et la question de la dépendance aux financements publics. Ensuite, la focale sera portée sur les logiques conduisant à précariser les budgets des deux associations : on verra d’abord que, pour celles-ci, on observe moins une diminution qu’une instabilité des modalités et montants de certains financements, puis on s’intéressera aux pratiques attestant d’une disposition différenciée des institutions à stabiliser leurs financements dans la durée. Enfin, seront étudiées les voies à travers lesquelles les institutions influent sur l’action associative elle-même, en distinguant la rhétorique de crise budgétaire maniée par les institutions, l’appel à projets et les dispositifs qui rendent les subventions de plus en plus engageantes, mais aussi les pratiques d’ingérence par l’informel.

L’apport de l’ethnographie pour analyser les données financières des associations

Les données financières des associations sont certes censées être ouvertes au public. Mais leur accès est souvent de prime abord rendu difficile et ce pour diverses raisons. D’abord, les documents produits, notamment sous formes comptables, ne sont pas facilement lisibles pour une personne non initiée. Plus encore, leur production et les pratiques financières dont ils rendent compte sont marquées par certains choix plus ou moins informels effectués par les responsables associatifs et dont la compréhension ne peut être fournie au sociologue que par ces dernier·es : quels dispositifs, quels choix, quelles contraintes, quels débats se dissimulent, par exemple, derrière les différentes « subventions d’exploitation » ou encore derrière le poste de dépense « prestations extérieures » ? Enfin, ces données sont surtout destinées à rendre des comptes aux financeurs si bien qu’elles sont perçues comme des informations sensibles par les acteurs. Dépasser ces obstacles n’a ainsi pu être possible que par l’immersion ethnographique intense et sur une longue durée auprès des deux organisations associatives enquêtées et notamment par la participation de l’ethnographe aux conseils d’administration des deux structures. La relation de confiance construite avec leurs responsables a ainsi permis d’établir une connaissance chiffrée, détaillée et informée de leurs financements et dépenses entre 2013 et 2018^a, ainsi que des relations partenariales qui en étaient à l’origine.

^a Voir les tableaux contenant l’ensemble des données financières en annexe électronique, https://journals.openedition.org/​sociologie/​11077.

Mesurer l’autonomie budgétaire des associations

Des dépenses contraintes

10Dans quelle mesure l’ADL et TdL témoignent-elles d’une maîtrise ou d’une absence de maîtrise de leurs propres budgets ? Dans quelle mesure parviennent-elles à utiliser leurs ressources pour assurer l’implication de travailleur·ses ? Pour répondre à une telle question, une première démarche a été de construire des indicateurs concernant les dépenses, à commencer par un indicateur agrégeant l’ensemble des dépenses qui bénéficient aux employé·es, que ces dernier·es soient contractuel·les ou stagiaires. Cet indicateur correspond donc à la somme des lignes comptables renvoyant aux rémunérations, aux cotisations, aux dépenses de formation et au soutien apporté aux coûts du transport et de restauration : tout ce qui soutient la présence et l’engagement des personnes salariées ou des autres statuts de travailleur·ses. Un coefficient budgétaire est ensuite calculé pour chaque année, ainsi que pour la moyenne des années considérées (Tableau 1). Un premier résultat est que, tant au niveau des montants alloués que du point de vue du coefficient budgétaire, la capacité de l’ADL à financer le travail est globalement meilleure que celle de TdL (Figure 1). En effet, l’ADL dédie en moyenne 88 % de ses dépenses aux employé·es et un montant moyen de plus de 100 000 euros, tandis que TdL n’alloue que trois cinquièmes de ses dépenses, pour un montant moyen plus de deux fois inférieur (44 609 euros).

11Ce différentiel dans l’usage des ressources financières entre les deux associations se mesure encore sur d’autres aspects, comme les locaux ou les prestations extérieures. Sauf dans le cas de dépenses d’investissement par l’achat de biens immobiliers (réservées à la minorité des organisations les mieux dotées), les dépenses liées à l’hébergement des activités peuvent être considérées comme des dépenses contraintes. Dans le tableau 2, les dépenses liées aux locaux correspondent à une agrégation des loyers, des charges liées à l’eau et l’électricité, et aux assurances. Le coefficient relatif à ces dépenses n’est en moyenne que de 1 % pour l’ADL, alors qu’il est de 7 % pour TdL, atteignant 12 % à son plus haut niveau en 2014. Pendant la période étudiée, les locaux de l’ADL sont mis à disposition gratuitement par la Ville de Lille. Ces locaux se situent au pied d’un grand ensemble de logements sociaux de l’Office public de l’habitat de la Métropole européenne de Lille, présidé par un membre de la majorité municipale à Lille. Les charges liées à l’eau et à l’électricité sont également offertes par la mairie, si bien que l’association « valorise » dans ses rapports d’activité l’ensemble du soutien communal lié aux locaux en parlant d’un montant estimé de 14 500 euros. Dans l’esprit des responsables, il s’agit donc à la fois d’une forme de « subvention en nature » et d’un ensemble de dépenses dont ils et elles sont dispensés.

12De son côté, TdL siège dans des locaux paroissiaux. Cette occupation est liée à son histoire, puisque l’association a d’abord été initiée grâce au soutien du diocèse, que ce soit par le financement de postes ou par la mise à disposition de lieux. Mais Simon, le coordinateur, a pris progressivement le leadership de l’association et, par lui, celle-ci est devenue un partenaire privilégié de la mairie, amenant les cadres diocésains à remettre en question cette occupation. Cela les a conduits en 2013, non seulement à demander des loyers, mais aussi à faire apparaître une dette de loyers que les membres du CA de l’époque, catholiques engagés, ont accepté d’honorer en étalant le paiement sur plusieurs années. Dans leurs discussions, ils et elles ne cessent néanmoins de regretter un tel niveau de dépenses.

13Le poste de dépenses « prestations extérieures » peut également être un indice de contrainte budgétaire. Celles-ci comprennent l’ensemble des sommes payées à des tiers pour des services tels que des interventions lors d’actions organisées par les associations ou encore la constitution des bilans financiers par des comptables. Comme le montre le tableau 2, elles ne représentent que 4 % des dépenses moyennes de l’ADL contre 18 % dans le cas de TdL. À première vue, ces dépenses peuvent concerner certains projets que l’association a choisi de mettre en place de manière autonome. C’est d’ailleurs le cas pour l’ADL en 2014, lorsque le CA et les salarié·es décident de mener une recherche-action au sein de l’association sur les discriminations racistes liées au logement. Pour ce faire, les responsables associatifs répondent à un appel à projet spécifique de l’Acsé et missionnent un organisme privé d’études sociologiques animé par des proches issus de leur réseau militant : pour cette mission, l’ADL leur alloue 15 000 euros. Mise à part cette année exceptionnelle, le niveau de dépenses liées aux prestations extérieures, notamment aux honoraires du comptable, ne dépasse pas 3 %.

14À TdL, le haut niveau de prestations extérieures est, en revanche, moins lié à des dépenses « choisies ». Dans les quatre premières années de notre période, il dépasse 14 000 euros, atteignant plus de 25 000 euros en 2015, soit 27 % des dépenses totales. Se référer à la connaissance ethnographique constituée sur cette période plus spécifique permet de mieux comprendre la dimension contrainte de ces dépenses. En 2014 et 2015, TdL se voit confier par la municipalité un projet culturel financé grâce à des crédits exceptionnels réunis avec l’État dans le cadre de la Politique de la ville. Dans cette politique reposant sur une logique de contrat entre les différentes institutions publiques – successivement, les contrats urbains de cohésion sociale, puis les contrats de ville –, le principe est celui d’un cofinancement paritaire entre l’État et une collectivité, en l’occurrence ici la Ville : en plus des 6000 euros octroyés à cette époque de manière récurrente par les deux financeurs pour le projet associatif de TdL, ces derniers financent le projet culturel par l’allocation de deux fois 14 000 euros en 2014, et deux fois 19 000 euros en 2015. Ces crédits permettent certes à l’association d’employer une personne à temps plein pendant six mois pour exercer la fonction de « médiateur culturel », mais une partie d’entre eux sont en même temps « fléchés » pour reprendre le terme utilisé par la trésorière de l’époque. Or, pour bien saisir cette dimension de fléchage, il faut revenir aux conditions qui ont présidé au lancement du projet.

15Au début de l’année 2014, Lucie, la cheffe de projet Politique de la ville pendant la majeure partie de l’enquête, donne rendez-vous à Simon dans son bureau de la mairie de quartier. Lors de l’entrevue à laquelle Simon m’invite à assister, elle lui explique que l’État a cent mille euros « de rab » sur la programmation Politique de la ville consacrée à Lille et que la municipalité a déjà pensé à coupler cette enveloppe exceptionnelle à des crédits complémentaires pour financer un projet culturel participatif dans le quartier. Elle lui présente l’idée préconçue par les agent·es et élu·es de la municipalité, à savoir de mettre en place une résidence d’artiste à travers laquelle « l’expérience habitante » serait traduite en « gestes artistiques ». Si Lucie propose alors à Simon que TdL porte ce projet à la fois financièrement et au niveau de l’animation des différents partenaires institutionnels et associatifs, la traduction artistique doit être confiée à un intervenant extérieur choisi par le biais d’un appel d’offres. Ainsi, sur les 66 000 euros que l’association perçoit pour le projet, une partie substantielle est destinée au paiement de l’artiste. Sur la figure 2, on voit en effet que l’augmentation des dépenses dédiées aux employé·es en 2015 est moindre que celle des prestations extérieures. On peut penser que leur prise en charge financière par l’association s’inscrit ici dans une démarche institutionnelle d’externalisation et de réduction des coûts (Eynaud, 2019), traduisant la situation de subordination dans laquelle TdL se trouve vis-à-vis de la municipalité. De « partenaire », TdL glisse ici vers un rôle d’entreprise associative « délégataire » (Hély, 2009), ou encore d’une régulation « conventionnée » vers une régulation plus « tutélaire » (Laville & Nyssens, 2001).

La capacité à financer de bonnes conditions de travail

16Dans les deux cas étudiés, l’évaluation de leur autonomie budgétaire peut donc se mesurer à travers leurs dépenses contraintes et leur capacité différenciée à financer l’implication de travailleur·ses. L’évaluation de cette dernière ne doit toutefois pas se limiter aux flux financiers, elle doit aussi inclure des éléments plus qualitatifs. En effet, l’implication des travailleur·ses dépend aussi de la durée des contrats ou autres engagements et plus globalement des conditions, notamment de rémunération, qui leur sont offerts. Sur ce plan, là encore, les deux cas divergent fortement. L’activité de l’ADL repose exclusivement sur des contrats à durée indéterminée (CDI), dont la rémunération et les conditions sont annexées à une convention collective. Il s’agit là d’une volonté des militant·es bénévoles au CA, ou encore de la directrice salariée, marqués par des valeurs de gauche, marxistes ou syndicales, qui considèrent que la qualité du travail d’accompagnement des personnes faisant face à des problèmes de logement dépend des conditions de travail offertes aux salarié·es. Christine est directrice, sa rémunération est meilleure que celle des deux autres salarié·es de l’association, et l’ensemble des employé·es voient, selon les indices de la convention collective, leur salaire augmenté avec l’ancienneté. Au moment de l’enquête, Christine est employée depuis vingt ans à l’ADL et Riad, son subordonné, depuis plus de dix ans. Cette volonté d’offrir de bonnes conditions de travail propice à garder les employé·es sur un temps long dépend d’une capacité à capter des financements adaptés et stables. A contrario, après les élections départementales de 2015 et le passage à une majorité de droite au conseil départemental, la remise en question du financement octroyé par ce dernier a poussé l’association à licencier la dernière arrivée de leurs trois salarié·es.

17En comparaison, le travail au sein de TdL est beaucoup plus précaire, cette précarité résultant d’une grande dépendance aux offres institutionnelles et notamment aux contrats aidés. Simon, coordinateur de l’association, est le seul employé en CDI. Soutenu par la mairie qui cherchait à faire de lui un « médiateur local », il a commencé à être employé par l’association en 2007 à travers un contrat unique d’insertion (CAE-CUI) de deux ans qui s’est ensuite prolongé par un contrat de professionnalisation de trois ans. Ce n’est qu’après avoir épuisé les dispositifs aidés par l’État que la municipalité finit par construire un montage de financements permettant de garantir son emploi en CDI à temps plein, mais en dehors de toute convention et sans qu’aucune condition de revalorisation ne soit prévue : ainsi, en 2018, Simon est toujours rémunéré au minimum légal et doit ainsi compter, pour faire vivre sa famille – une femme et trois enfants –, sur un certain nombre de prestations octroyées par la Caf.

19Par ailleurs, ces dispositifs ne sont pas seulement destinés à soutenir l’emploi associatif : ils s’inscrivent aussi dans une politique d’insertion et donc dans une « régulation d’insertion » (Laville & Nyssens, 2001). Qu’il s’agisse des CAE-CUI ou des emplois d’avenir, leurs bénéficiaires doivent être préférentiellement jeunes, éloignés de l’emploi, sans diplôme et habitant·es des quartiers prioritaires. Toutes ces conditions sont autant de contraintes pour des associations comme TdL obligées de chercher leurs employé·es chez des personnes peu compétentes, qui n’auront au mieux que le temps de se former et d’initier certains projets mais qui resteront la plupart du temps dans un entre-deux difficile à surmonter « entre l’emploi et l’assistance » (Hély, 2009, p. 75). De même, du côté des bénévoles du conseil d’administration (CA) et du coordinateur salarié, la sélection et l’accompagnement-encadrement de ces employé·es sont difficiles à appréhender. À TdL, ces épreuves donnent souvent lieu à des tensions relatives aux rationalités devant guider les choix : dans quelle mesure doivent-ils et elles chercher des personnes déjà formées et compétentes, ou bien se projeter dans un hypothétique potentiel de progression ? Doivent-ils et elles employer des proches ? Lorsque, pour le premier contrat d’avenir octroyé à l’association, Simon parvient à convaincre une partie du bureau, et notamment la présidente, d’embaucher sa compagne, Laurent, vice-président, proteste et décide finalement de quitter le CA. Confrontées à la fonction employeur et aux conditions contraignantes des dispositifs d’insertion, les personnes en charge de la gestion de l’association sont relativement démunies, ce qui favorise les processus de dépossession et les séquences de conflictualité.

20En moyenne, les contrats aidés représentent 17 % des financements obtenus par TdL sur la période étudiée et atteignent même un tiers de ces derniers en 2016 : des ressources dont les modalités d’utilisation sont donc largement encadrées, contraignant l’association à offrir des conditions de travail beaucoup moins bonnes qu’à l’ADL. Les stages et services civiques ne sont quant à eux pas budgétisés par l’association, les dispositifs qui permettent leur financement étant portés par des organismes externes – organismes de formation dans le cas des stages, mission locale de Lille dans le cas des services civiques. Après la clôture des dispositifs d’emplois aidés existants par le gouvernement Philippe en 2018, les services civiques se succèdent à TdL en 2017 et 2018 à raison d’engagements d’un an non renouvelables. Si la mise à disposition permet à l’association d’économiser tout le temps nécessaire à la prise en charge administrative de ces postes, cette substitution des services civiques aux emplois aidés n’entérine pas moins une nouvelle étape de précarisation du travail au sein de l’association, les bénéficiaires n’étant indemnisés qu’à hauteur de six cents euros et en dehors de toute disposition contractuelle obligatoire liée au droit du travail (Simonet-Cusset, 2010 ; Ihaddadene, 2015).

La question de la dépendance au public : de la diversification à l’enchevêtrement des sources de financement

21En France comme dans d’autres pays tels que l’Allemagne, le secteur non lucratif est en majorité financé par le public, surtout dans certains domaines comme les services sociaux, la santé ou la culture (Archambault et al., 2013). Cela est une spécificité par rapport à d’autres modèles qui peuvent s’observer par exemple aux États-Unis où le financement par les fondations privées est plus développé (Talpin, 2016). À partir des années 1990, des travaux posent la question des effets d’une trop grande dépendance aux financements publics sur l’action associative, notamment en termes d’institutionnalisation ou d’« isomorphisme institutionnel » (Enjolras, 1996). Dans les deux cas étudiés, on retrouve une large dépendance au public : plus des trois quarts des financements obtenus par l’ADL proviennent en moyenne du public et cette part atteint 96 % dans le cas de TdL (Tableau 3). À travers les débats sur les « modèles socio-économiques » des associations, les travaux français récents s’interrogent ainsi sur la question de la diversification et de l’« hybridation » des ressources (Gardin, 2008).

22Depuis les années 1980, les lois de décentralisation et le transfert de compétences de l’État vers les collectivités et certains organismes publics ont conduit à une multiplication des guichets et des sources potentielles de financement public (Cottin-Marx, 2019). Cette multiplicité des guichets peut favoriser des stratégies de diversification des financements et donc de dilution de la dépendance puisque les différentes entités – agences et services de l’État, collectivités territoriales – ne poursuivent pas exactement les mêmes logiques selon les compétences qui sont les leurs, les majorités politiques qui les pilotent et les contraintes qui leur sont imposées. Comme le tableau 3 le montre, chaque association dépend d’au moins cinq financeurs publics. On pourrait estimer que cette diversité de sources publiques serait propice à une certaine autonomie budgétaire, d’autant plus dans le cas de l’ADL qui parvient aussi à obtenir des financements des fondations, et notamment de la fondation Abbé Pierre, fournissant près du quart de ses ressources sur la période considérée. Pourtant, une enquête plus approfondie montre que cette diversification des sources publiques est en partie en trompe-l’œil.

24Les crédits Politique de la ville ne suffisent toutefois pas à financer ces actions : comme pour beaucoup des projets soutenus par cette politique, ces financements sont associés à d’autres subventions dites « de droit commun », c’est-à-dire provenant des délégations thématiques des différentes collectivités (habitat, éducation, culture, etc.). Par ailleurs, dans le cas des associations étudiées, le financement octroyé par le biais de l’appel à projets Politique de la ville concerne le plus souvent le soutien à plusieurs actions particulières mais à travers une unique subvention. De plus, un critère important pour qu’un dossier de demande soit recevable est aussi la sollicitation d’autres sources de financement. Au final, de telles procédures donnent lieu à l’édification de montages financiers difficilement lisibles dans lesquels les financements sont liés entre eux, ce qui crée une logique de dépendance en chaîne. Le dispositif budgétaire sur lequel les associations s’appuient s’avère ainsi fragile et parfois peu transparent pour ces dernières, et il semble que le désengagement d’un seul partenaire financier soit susceptible de mettre en danger l’ensemble de l’édifice. Cela conduit dans un deuxième temps de cet article à porter l’attention sur les manières dont l’autonomie budgétaire des associations est limitée par la précarisation de leurs sources de financement.

La précarisation des budgets associatifs

25La limitation de l’autonomie budgétaire des associations intervenant dans l’action publique ciblant les quartiers populaires doit donc être mise en rapport avec le niveau et le type des financements obtenus. Cette deuxième section montre ainsi comment les budgets et l’action des acteurs étudiés sont contraints par l’instabilité et le court-termisme des financements octroyés par les différentes institutions publiques. Là encore, cette précarisation est différenciée selon les deux acteurs, de même que selon les institutions concernées : elle dépend des ressources dont disposent les associations mais aussi beaucoup des logiques propres que suivent leurs financeurs.

Une instabilité des financements, plutôt qu’une diminution

26Depuis longtemps invoquée par les acteurs associatifs, la diminution des crédits publics dédiés aux associations commence à peine à être objectivée par des études récentes, notamment l’enquête « Paysage associatif » (Tchernonog & Prouteau, 2019). Dans une étude commanditée par la Métropole européenne de Lille ayant bénéficié de la collaboration des principales collectivités, Laurent Fraisse (2018a) montre que les subventions aux associations du territoire ont globalement baissé entre 2013 et 2016, avec des baisses atteignant - 18 % pour le Conseil régional Nord-Pas-de-Calais, - 13 % pour le Conseil départemental du Nord et - 5 % pour la Ville de Lille. Cette diminution est le fruit d’une politique d’austérité, de la baisse des dotations de l’État aux collectivités et de l’injonction à réduire leurs déficits à laquelle elles sont soumises. Toutefois, son effet sur les budgets des associations n’est souvent pas directement perceptible. Si on prend les deux cas étudiés, les variations que connaissent les financements publics obtenus sont loin d’être univoquement marqués par une diminution. Les figures 3 et 4 montrent en effet par le biais des montants et des taux de variation en base 100 que TdL a, sur la période étudiée, d’abord connu une augmentation importante de ses ressources, puis une chute, alors que l’ADL a fait l’expérience inverse, bien que dans des proportions moins importantes.

27La réalité est donc surtout celle d’une instabilité plus que d’une diminution des financements : les budgets des petites associations employeuses intervenant dans les quartiers sont très sensibles aux évolutions de l’offre institutionnelle, que celles-ci correspondent à des réductions ou retraits de subventions, ou bien à des crédits nouveaux ou exceptionnels. On a évoqué le cas du projet culturel participatif que TdL se voit confier par la municipalité et qui explique, combiné à un emploi d’avenir, la grande augmentation de revenus en 2014 et 2015 allant jusqu’à un quasi doublement lors de cette dernière année et à un dépassement de l’ADL. Dans le cas de cette dernière, la diminution temporaire en 2015 et 2016 correspond à la remise en question, également évoquée, des financements du conseil départemental suite à l’alternance à droite de la collectivité en 2015.

La disposition différenciée des institutions à stabiliser leurs financements

28De quelles institutions l’instabilité provient-elle ? À l’inverse, quelles sont les institutions qui témoignent d’une disposition à assurer des financements stabilisés dans le temps ? Avant tout, il faut préciser que l’annualisation des financements, par le biais du renouvellement des appels à projets, ouvre aux institutions la possibilité de se désengager à relativement court terme. Pour les deux associations, la grande majorité des financements sont octroyés dans le cadre d’appels à projets annualisés : seule la subvention allouée par le département à partir de 2017 s’inscrit dans une convention pluriannuelle, assurant un montant annuel de 31 500 euros pendant trois ans pour l’activité structurante de l’association, à savoir l’accompagnement des personnes en situation de mal-logement. Ce n’était pas le cas avant cette période et c’est notamment parce que le financement départemental prenait une forme annualisée qu’une fois arrivée au pouvoir à la faveur des élections de 2015, la nouvelle majorité de droite, dans l’optique de prioriser la lutte contre le chômage par rapport aux autres politiques sociales, a pu immédiatement le remettre en question.

29Les financements octroyés par la Caf à TdL, que ce soit dans le cadre du contrat local d’accompagnement scolaire (CLAS) ou de l’accueil de loisirs sans hébergement (ALSH), s’appuient aussi sur des conventions pluriannuelles, mais leur principe n’en est pas moins porteur d’une certaine instabilité. En effet, dans ces dispositifs, le financement prend surtout la forme de recettes d’activités. Par une convention pluriannuelle, la Caf impose une tarification de la participation des publics selon leur quotient familial puis subventionne l’association en fonction du nombre et du profil des enfants accueillis l’année précédente. Par ce principe de financement différé, une forte baisse de fréquentation des publics, comme l’association en connaît en 2014 et 2015, a des répercussions financières d’autant plus déstabilisantes qu’elles sont difficiles à anticiper et qu’elles concernent ici une petite structure dénuée de fonds propres. Sur la figure 5, on voit comment cette baisse de fréquentation se répercute en 2016 et 2017 jusqu’à ce que l’association décide de sortir du dispositif ALSH en 2018.

31Que ce soit pour TdL (Figure 5) ou l’ADL (Figure 6), on voit que l’État est source d’instabilité. À travers la nouvelle posture de « gouvernement à distance » qu’il a eu tendance à assumer depuis les années 2000, celui-ci tend en effet à piloter par la contrainte et l’incitation, notamment financières (Epstein, 2013). Si cette nouvelle posture a surtout été étudiée par Renaud Epstein pour le volet rénovation urbaine de la Politique de la ville, les deux cas étudiés montrent qu’il en va de même pour le volet social de cette politique comme pour les contrats aidés : l’État impulse, mais n’a pas vocation à pérenniser son financement. En effet, dans sa philosophie initiale, la Politique de la ville est vouée à soutenir des initiatives innovantes susceptibles d’être ensuite reprises par le « droit commun » ou par les habitant·es eux et elles-mêmes et ainsi de changer les manières de faire l’action publique dans les quartiers (Dubedout, 1983). Pourtant, l’effectivité de cet impératif d’innovation est toute relative puisque, par la volonté municipale, une grande part des financements octroyés concerne des reconduites d’action (Epstein & Kirszbaum, 2005), comme dans le cas des deux associations étudiées. Alors que la municipalité assume de s’appuyer sur les crédits Politique de la ville de l’État pour financer des actions récurrentes, ce dernier ne l’entend pas ainsi, ce qui le conduit à régulièrement remettre en question son soutien. Lors d’un entretien, l’adjoint au maire à la Politique de la ville pendant la période étudiée a plusieurs fois regretté la manière qu’avait l’État de « cogner » ainsi que l’éloignement du terrain des fonctionnaires de la préfecture, notamment sous Nicolas Sarkozy, et fait valoir une autre approche marquée par la proximité et le partenariat :

On ne gère pas une ville comme on gère un ministère […] C’est pas l’élu, c’est pas moi qui vais aller donner des cours aux gamins le soir, c’est pas moi qui vais aller jouer au foot, […] si on donne pas les moyens à ces structures de bosser, je vois pas qui est-ce qui fait le job (Entretien, Lille le 22 septembre 2021).

32Face à ces sources de déstabilisation des budgets des deux associations, on peut en effet remarquer, notamment dans le cas de l’ADL, une disposition de certaines institutions comme la commune ou l’intercommunalité à inscrire les associations dans une politique de continuité et même d’accroissement du soutien financier. Cette disposition semble toutefois rare au regard de l’ensemble des financements octroyés aux deux associations. De plus, il semble qu’elle soit aussi, en retour, très dépendante de la capacité des associations à s’ancrer dans le territoire et les dispositifs institutionnels, à gagner la confiance des financeurs et à s’imposer à eux comme des acteurs incontournables, dont les élu·es et technicien·nes perçoivent qu’ils font un travail important et qu’il serait, par là, coûteux de ne plus financer (Lasserre, 2015). Ce résultat converge avec l’attention portée par certains travaux aux modes de réencastrement sociopolitique des associations (Gardin, 2008). Dans nos deux cas, cette capacité d’ancrage serait plus grande à l’ADL qu’à TdL, ce qui se manifesterait dans la volatilité des financements pour cette dernière et une meilleure assise pour la première. Ces derniers éléments montrent que l’instabilité et la précarité des financements ne suffisent pas pour expliquer l’influence des institutions sur l’action associative, ce qui conduit au dernier temps de l’article.

L’influence institutionnelle sur l’action associative

33Dans quelle mesure et comment ces logiques de contrainte et de précarisation des budgets deviennent-elles des supports à l’ingérence des institutions dans l’action des associations intervenant dans les quartiers ? Le terme ingérence est le plus souvent utilisé dans les domaines de la politique internationale, de l’humanitaire et des politiques de développement pour désigner les manières dont un État peut intervenir ou doit s’abstenir d’intervenir dans les affaires d’un autre État. Il a du sens ici dans la mesure où la forme associative, notamment par la loi de 1901, s’inscrit dans la logique libérale d’un État de droit garant des libertés publiques. Pourtant, les dispositifs de contractualisation et de partenariat instituent certains modes d’intervention des pouvoirs publics dans les affaires des associations. Dans ce dernier temps de l’analyse, on s’intéressera à certains de ces dispositifs permettant cette ingérence par la contrainte financière. De tels dispositifs sont régis non seulement par des procédures formalisées mais aussi par des normes plus informelles nourries dans le cadre des relations entretenues entre responsables associatifs et représentant·es institutionnels. C’est alors la présence de certaines ressources et dispositions collectives et individuelles qui permettent de résister à l’instrumentalisation.

La rhétorique de la crise budgétaire

35En fait, pour les deux associations étudiées, la contrainte budgétaire passe surtout par l’exposition à une rhétorique de crise budgétaire. Dans la continuité de « l’argument de la dette » (Lemoine, 2016), une telle rhétorique consiste pour les acteurs institutionnels à agiter la menace d’une baisse des financements pour ainsi présenter le maintien de ces derniers comme un effort de l’institution justifiant en échange une hausse des exigences et des contraintes imposées aux associations. L’argent public se fait de plus en plus rare ; ainsi, son allocation devient une faveur et les acteurs associatifs doivent rendre des comptes aux pouvoirs publics qui se posent en garants de sa bonne utilisation. Alors que nous parlons en entretien du haut degré d’exigences techniques imposées aux associations, Raphaël, l’actuel chef de projet du quartier, argue : « on est quand même sur de l’argent public, donc c’est normal » (entretien, Lille le 27 février 2019). Dans les interactions partenariales qui se sont données à observer dans l’enquête, cette rhétorique, maniée tantôt par les technicien·nes, tantôt par les élu·es, est surtout latente, à la fois structurante et le plus souvent laissée dans l’implicite, émergeant à travers des expressions du type : « dans le contexte financier actuel… ». Mais elle s’inscrit aussi parfois dans des démarches plus explicites, comme dans le cas de l’ADL.

Lors d’une réunion du CA, Christine, la directrice salariée, lit un courrier adressé à l’association par quatre élu·es municipaux de la majorité socialiste. Celui-ci commence par annoncer l’octroi de la subvention habituelle au titre de l’appel à projets habitat. Puis il annonce cependant que, devant de « fortes tensions budgétaires », la mairie sera sûrement prochainement amenée à remettre en question cette subvention, sinon « plus encore » à revenir sur la mise à disposition gracieuse du local, notamment « par souci d’équité au regard des autres associations accompagnées par la mairie ». D’autant que, au vu des bilans d’activité, l’« ancrage territorial » de l’ADL et des trois autres associations intervenant sur le logement et implantées dans d’autres quartiers de Lille serait de moins en moins avéré, « ce qui pourrait poser la question de la pertinence » de l’existence d’associations dans les différents quartiers.« Nous vous invitons à réfléchir » à la possibilité d’une « mutualisation de moyens avec les autres associations » (Notes d’observation, Lille le 6 septembre 2016).

36En invoquant de « fortes tensions budgétaires », les élu·es signataires font ici référence à une contrainte extérieure qui serait indépendante de leur volonté, en laissant dans l’implicite que celle-ci serait concomitante à la baisse des dotations de l’État et à l’injonction à diminuer la dette à laquelle sont soumises les collectivités telles que les municipalités. En se présentant comme étant eux et elles-mêmes assujettis à une telle contrainte généralisée, ils et elles invitent implicitement les acteurs associatifs à les comprendre et à partager le fardeau des efforts à accomplir. Par-là, ils et elles peuvent se permettre de faire planer sur l’ADL la menace d’une remise en question des formes de leur soutien matériel – les locaux notamment. Ils et elles vont même jusqu’à remettre en cause « l’ancrage territorial » de l’ADL et des autres associations intervenant sur le logement et, par là, à leur prescrire de « mutualiser leurs moyens », ce qui revient à les inviter à remettre en question leurs projets associatifs respectifs fondés sur l’implantation dans des quartiers spécifiques et sur la dynamique habitante.

37On a vu à quel point le soutien financier et matériel de la Ville pèse dans le budget de l’ADL (Tableau 3) et il apparaît que l’effet de la menace de remise en question du soutien soit susceptible d’être d’autant plus grand selon le degré de dépendance relative à l’institution qui la formule. Pourtant, la discussion qui suit la lecture du courrier est l’occasion pour les militant·es de réactiver les catégories militantes à travers lesquelles ils et elles conçoivent leur inscription dans l’action publique ; les observations montrent dans quelle mesure ils et elles refusent le « fatalisme de la baisse des subventions publiques » (Fraisse, 2018b) en rappelant que la distribution des ressources publiques fait toujours l’objet de choix qu’ils et elles jugent contestables et qualifient de « politiques ». Lorsque le conseil départemental remet en question son financement et conduit l’ADL à licencier une de leurs salarié·es, l’association organise une manifestation devant le siège de l’institution à l’occasion de laquelle elle mobilise des familles accompagnées.

38À TdL, ce type de prise en charge collective des injonctions institutionnelles et cette « politisation de l’argent public » (Hmed, 2011) n’ont quasiment pas lieu. Au moment de l’enquête, Simon, le directeur salarié, prend seul en charge les enjeux de financement et de rapport aux institutions. La plupart du temps, ces enjeux ne sont pas partagés avec les bénévoles et les publics dont beaucoup sont à la fois peu compétents pour les comprendre, peu disponibles pour s’y atteler et peu enclins à les investir d’un sens militant. Même les membres du CA ont surtout tendance à rester à distance de ces enjeux, ce qui laisse libre cours à l’exposition de Simon aux prescriptions institutionnelles. Seul Laurent, vice-président au début de l’enquête, témoigne, jusqu’à ce qu’il quitte le CA, d’une certaine méfiance envers les institutions et notamment la mairie. Lors d’une réunion de CA portant sur les problèmes financiers, alors que les membres parlent des manières de trouver des ressources alternatives aux subventions comme des dons ou de l’auto-financement, il réagit : « Moi, je vous suis pas là-dessus. On assure un service public, la mairie est très contente qu’on soit là pour le faire, on doit donc être financé pour ce service. » Déjà rare, ce type de discours disparaît complètement après son départ.

Des subventions de plus en plus engageantes ?

Après, nous, on essaye d’être souples, mais du coup il y a un gros travail d’accompagnement avec ces assos qui ont du mal à comprendre pourquoi on les embête avec des actions spécifiques, alors que bon leur fonctionnement c’est vrai répond aux besoins des populations, mais l’État ne l’entend pas comme ça. Donc voilà on a beaucoup de règles auxquelles on doit répondre. Et je me dis [sur le ton de la confidence] qu’au final ces règles, mêmes si elles peuvent paraître contraignantes, elles permettent aussi d’innover ; des actions qui étaient reconduites à l’aveugle, sur lesquelles on n’avait pas trop de prise, ben là en mettant du spécifique, ben moi je trouve ça plutôt positif, ça permet que le technique reprenne un peu la main.

41Si le dispositif de l’appel à projets ne peut servir à dicter aux associations candidates ce qu’elles doivent faire, il peut leur imposer des conditions de plus en plus drastiques d’éligibilité propices à permettre aux institutions de « reprendre la main ». Dans leurs dossiers Politique de la ville qui sont à déposer à la fin du mois de septembre, les associations doivent annoncer des objectifs et des indicateurs pour évaluer leurs projets : ces éléments doivent être quantifiés et concernent souvent la fréquentation des actions par les publics ciblés. Si l’appel à projets n’est pas censé induire de « cahier des charges » à proprement parler, il n’est pas rare que Simon utilise une telle expression pour parler des objectifs qu’il doit atteindre dans tel ou tel projet. Avant l’été, les associations doivent ensuite produire un bilan, ce qui est parfois l’occasion pour l’État et la mairie de revenir sur les sommes octroyées, parfois en réduisant les crédits prévus, mais le plus souvent surtout en réduisant le financement de l’année n + 1. L’adjoint à la Politique de la ville raconte en entretien : « Quand on avait un doute sur le bilan, ben écoute il a mis 5 euros, il avait promis qu’il allait faire ça, il l’a pas fait, ben l’année prochaine 2 euros : c’était vraiment un travail super bien fait. »

42Ce type de modalité de financement sur objectifs se rapprochant des procédures de commande publique tend en fait de plus en plus à s’insinuer dans les dispositifs régissant l’octroi de subventions. On le retrouve par exemple dans les modalités de financement de l’ADL mises en place par le conseil départemental à partir de 2017. Dans un premier temps, après les élections, la nouvelle majorité remet en cause le financement habituel de l’ADL dans le cadre du dispositif d’accès aux droits. Puis elle incite celle-ci, si elle souhaite continuer à être financée, à inscrire son action dans le Plan départemental d’insertion en proposant une subvention forfaitaire pour l’accompagnement de cent familles allocataires du revenu de solidarité active (RSA). L’ADL produit déjà chaque année un travail substantiel de production statistique sur son action à destination de la Ville et de l’intercommunalité lilloise. La Ville lui demande déjà une liste nominative des personnes accompagnées, ce que les salarié·es et bénévoles se sont toujours refusé de faire, défendant le principe de l’anonymat. Face au conseil départemental, ils et elles choisissent une voie intermédiaire, en rendant une liste anonymisée de cent personnes accompagnées.

43Face à de telles règles, les acteurs associatifs sont encore une fois inégaux du point de vue de leur disposition à résister, de leur sentiment de légitimité à ne pas se conformer (Nicourd, 2009). À l’ADL, les salarié·es et membres bénévoles du CA sont mieux dotés en capital culturel, ont connu des trajectoires de socialisation militante depuis leur jeunesse – dans des mobilisations de sans-papiers, syndicales, anarchistes, etc. – et partagent une identité collective forte et sans cesse renforcée dans leurs réunions : autant d’éléments qui les rendent confiants face aux institutions. En comparaison, les responsables salariés et bénévoles de TdL sont plus souvent issus de milieux populaires et, lorsque ce n’est pas le cas, n’ont pas souvent été exposés à des rhétoriques ou organisations militantes : ainsi, leur disposition à ne pas protester, à ne pas politiser leur rapport aux institutions, sinon à se conformer s’en ressent.

L’ingérence par l’informalité

44Il est clair que les règles formelles régissant les dispositifs ne suffisent pas à assurer l’influence des institutions. Le suivi ethnographique des responsables des deux associations étudiées montre à quel point ces règles et leurs appropriations s’appuient sur des interactions et des relations sociales dans lesquelles l’informalité joue un rôle important. En effet, l’ajustement des associations aux règles et attentes des institutions ne se fait pas seulement par la contrainte, mais aussi par « l’accompagnement » (Cottin-Marx, 2019). Dans les quartiers populaires, cet accompagnement est largement pris en charge par les municipalités qui représentent l’échelon le plus proche des populations. Cette municipalisation est aussi le fruit des voies prises par l’institutionnalisation de la Politique de la ville à partir des années 1990 (Neveu, 2003). À Lille, l’accompagnement des associations est réalisé par les chef·fes de projet et les élu·es de quartier dont les bureaux sont situés dans des mairies de quartier. Il passe par de véritables rapports de proximité entretenus avec les responsables associatifs. Comme dans le travail social, le terme d’accompagnement permet de signifier que les agent·es ne sont pas censés « faire pour » mais « faire avec », qu’ils et elles doivent conseiller sans contraindre, s’appuyer sur le volontarisme des acteurs pour construire avec eux des projets réalistes, adaptés à leur environnement (Astier, 2007). En entretien, Raphaël donne bien à voir une telle représentation de son travail d’accompagnement :

Moi avec mes assos du territoire, je suis en contact, quasiment trois fois par semaine, surtout en fait comme on est dans la mairie de quartier c’est facilité : on bosse tout le temps ensemble ! J’ai même limite parfois l’impression d’être une ressource, un support, parce que les projets je les ai défendus et j’y crois quoi.

45Parmi les deux associations étudiées, TdL est la plus concernée par une telle modalité de l’interaction partenariale. Dès sa création en 2003, l’association bénéficie d’un accompagnement particulier de la part de la cheffe de projet Politique de la ville de l’époque. Jérôme, figure centrale du projet associatif à ses débuts, parle même en entretien d’une « alliée ». Il noue par ailleurs des liens avec Simon, qui est alors un jeune habitant du quartier en décrochage scolaire, qui s’engage à TdL. En 2004, à ses dix-huit ans, Simon entre au conseil d’administration et devient secrétaire de la structure. À son départ de l’association en 2005, Jérôme propose à la municipalité que Simon le remplace au collège « forces vives » du conseil de quartier. Dès lors, celle-ci porte une attention particulière à accompagner la montée en compétences et en responsabilités de Simon. En 2007, ce dernier est embauché par l’association en tant que « médiateur local » par le biais d’un contrat aidé cofinancé par l’État et la mairie. Ce dispositif et les autres financements publics deviennent à partir de là les supports d’une ingérence municipale diffuse mais grandissante. Dans la fiche de poste de Simon, il est inscrit tout un ensemble d’items liés à la tâche de favoriser le lien entre les institutions et les habitant·es. Si Simon est réglementairement censé répondre aux ordres du conseil d’administration de TdL, la municipalité, qui n’y est pas formellement représentée, devient une sorte de « hiérarchie qui ne dit pas son nom » (Collectif Rosa Bonheur, 2017).

46En 2009, lorsque les dispositifs d’emplois aidés à durée déterminée ont été épuisés, se pose la question du prolongement de la mission de Simon. Par l’intermédiaire d’un nouveau chef de projet, la mairie pousse alors TdL à ouvrir un accueil de loisirs pour les enfants, ce qui lui permet de bénéficier du dispositif dédié de la Caf ainsi que d’un financement de la direction municipale des affaires éducatives. En entretien, Simon raconte un tel épisode :

TdL est ce qu’elle est aujourd’hui en grande partie grâce à la Politique de la ville, qui a accompagné, qui a structuré, qui a développé… et qui a suivi les choix qui étaient faits en interne… donc on garde notre indépendance mais en même temps, ils sont capables de mettre un coup de pression tu vois. Je prends l’exemple de 2009 quand on crée le centre de loisirs : la mairie nous dit, enfin en gros, pour avoir des financements pérennes et suffisants pour pouvoir fonctionner, c’est soit vous passez en centre de loisirs, soit on va être en difficulté pour vous financer réellement et du coup les financements seront à la baisse… c’était clairement le discours de la mairie. Alors il y avait une volonté des habitants et de la structure de développer la présence sur l’enfance tu vois, mais en même temps, eux clairement ils nous ont mis un peu le couteau sous la gorge (Entretien, Lille le 30 avril 2013).

47Au nom de la contrainte financière, la mairie pousse à une réorientation forte du projet associatif. En 2013, lorsque je démarre l’enquête, le quotidien de l’association est largement accaparé par le fonctionnement du centre de loisirs au détriment du développement de dynamiques habitantes plus ascendantes. Dans des discussions informelles, ce virage est regretté par certains bénévoles, même si beaucoup d’autres le normalisent. En 2018, après des baisses de fréquentation importantes, le CA décide néanmoins de mettre fin à cette activité.

48On a aussi évoqué la manière dont TdL s’est vue confier le projet culturel exceptionnel en 2014 et 2015. La scène observée lors de laquelle Lucie la cheffe de projet présente le projet n’est pas à prendre à la légère : tout est présenté sur le ton de l’évidence, l’aubaine dans un contexte budgétaire compliqué, l’intervention artistique avec construction d’une participation descendante. Cette familiarité tient aussi au rapport de coopération étroit et même à l’amitié que Simon entretient avec Lucie. Cette proximité n’est pas sans ambiguïté puisqu’elle permet aussi à la municipalité de surveiller les associations. C’est une dimension que l’adjoint délégué à la Politique de la ville permet aussi d’identifier en entretien à propos des bilans :

Ils rendent compte de l’argent utilisé l’année d’avant, et puis nous, on n’était pas dans nos bureaux quand les actions se déroulaient, on savait tout, parce qu’on est présent dans les actions, chaque action il y avait toujours un élu ou deux, des conseillers de quartier, le chef de projet, le directeur de la mairie de quartier.

49Dans les interactions et dans les discours des acteurs institutionnels, cette proximité permet néanmoins de mettre en scène l’égalité, le partenariat librement consenti, sinon la cohésion (de Maillard, 2000). L’asymétrie entre les financeurs et les associations qui en dépendent est ainsi relayée à l’état d’impensé. Après que le même adjoint a évoqué les réunions lors desquelles les associations sont confrontées aux décalages entre leurs objectifs et leurs résultats effectifs, il défend un principe de « transparence » :

J’avais des assos mécontentes, mais pas au point d’aller au clash, on en discutait quoi, et… il arrive des fois qu’on soit pas d’accord sur le diagnostic, mais en général on arrivait à se mettre d’accord à la fin de la réunion quoi.

50Face à leurs financeurs, les responsables associatifs sont-ils et elles vraiment capables de tout dire ? En fait, il est aussi attendu des associations qu’elles jouent le jeu du partenariat et de la transparence, c’est-à-dire qu’elles ne se plaignent pas trop ou en tout cas qu’elles ne déclenchent pas de « clash ».

Conclusion

52Si un ensemble de travaux s’intéressent aux logiques à travers lesquelles la participation à l’action publique entraîne une limitation de l’autonomie des associations, cet article montre les apports que ces travaux peuvent tirer d’une prise en compte conjointe des dimensions budgétaires, pratiques, relationnelles et de socialisation. Il s’agit ici certainement d’une démarche exploratoire qui gagnerait à être approfondie. À partir de l’enquête ethnographique auprès de deux petites associations implantées dans le même quartier populaire de Lille, cette démarche a déjà conduit à certains résultats importants. D’abord, il est possible d’évaluer et de comparer l’autonomie budgétaire des associations à partir d’indicateurs concernant la répartition des dépenses et, notamment, la capacité des associations à dédier leurs dépenses au financement du travail, et qui plus est de bonnes conditions de travail. Ce faisant, on a été amené à porter attention aux conditions et contraintes liées aux différentes sources de financement : dans quelle mesure les subventions sont-elles fléchées sur des actions ou des types d’emplois (précaires) ou, à l’inverse, dans quelle mesure permettent-elles de financer le fonctionnement global des structures ? À cette occasion, on a vu que la question de la dépendance au secteur public méritait d’être complexifiée dans la mesure où, dans les deux cas étudiés, les sources publiques de financement sont multiples (services et agences de l’État, collectivités territoriales, organismes publics) mais toutes reliées entre elles par des montages de cofinancement.

53Ainsi, il est important d’aborder la question des logiques propres suivies par les institutions publiques et des rapports particuliers qu’elles entretiennent à la fois avec chaque association et entre elles. Par cette voie, les cas donnent à penser comment les institutions, et certaines plus que d’autres, alimentent par leurs modes de financement certaines formes de précarisation des budgets associatifs : pour des associations comme celles de l’enquête, la réduction des dépenses publiques entraîne moins une diminution qu’une instabilité des financements alloués et une exacerbation des contraintes et exigences imposées par les institutions. Certaines institutions sont plus déstabilisantes que d’autres, comme l’État, le département du Nord, la Caf, tandis que d’autres montrent une disposition relative à pérenniser un même niveau de financement, comme la commune ou l’intercommunalité dans un des cas étudiés. Cette disposition des institutions à stabiliser leurs financements et à offrir les conditions d’une certaine autonomie d’action dépend aussi des ressources dont les associations disposent pour s’ancrer dans le territoire et l’action publique, voire pour politiser le rapport partenarial et la question du financement.

54C’est aussi de ces ressources que dépend la capacité des associations à accepter ou à refuser la rhétorique de crise budgétaire qui leur est imposée par les institutions et en vertu de laquelle celles-ci tendent à accroître leur niveau d’exigences. En prenant au sérieux la question des modalités de financement, nous avons notamment été amené à interroger l’instrument de l’appel à projet, qui reste un objet peu étudié et dont on gagnerait à faire la sociohistoire tant il a eu tendance à institutionnaliser une zone de flou entre la subvention et la commande publique. Enfin, les deux cas ont permis de prendre la mesure de la manière dont les dispositifs de déstabilisation budgétaire s’articulent à des modes d’interaction et de relation plus ou moins informels dans lesquels des acteurs institutionnels, notamment municipaux, sous couvert d’accompagnement et de partenariat, cherchent à ajuster les acteurs associatifs à leurs attentes et priorités.

55Ces résultats gagneraient à être approfondis et mis à l’épreuve à travers trois aspects. D’abord, dans quelle mesure les dispositifs d’influence par la contrainte financière, identifiés ici pour des associations intervenant dans un quartier populaire, s’observent-ils dans d’autres régions du monde associatif ? Certains travaux mettent l’accent sur les spécificités des modes de régulation régissant les relations de financement dans le secteur médico-social ou la culture (Laville & Nyssens, 2001 ; Quercia, 2020), et il conviendrait de compléter ces observations par des études budgétaires comme dans le présent article pour mettre en exergue l’interaction avec d’autres phénomènes – par exemple, la tarification à l’activité ou individualisé, ou le statut d’intermittent du spectacle. Ensuite, il est aujourd’hui urgent de développer des protocoles à la fois quantitatifs et qualitatifs permettant d’étudier de manière fine les logiques régissant l’allocation des subventions selon les institutions, leurs échelles et territoires d’intervention, les majorités politiques et impératifs qui les gouvernent. Cela pose notamment la question de la transparence et de l’opendata sur ce type de données. Enfin, il faudrait approfondir la dimension des conditions d’un pouvoir effectif de la réciprocité, des bénévoles et des travailleur·ses associatifs et des dynamiques collectives face aux injonctions institutionnelles (Gardin, 2008). Les deux cas étudiés donnent en quelque sorte à voir les deux facettes d’un même phénomène. Face à l’ingérence grandissante des pouvoirs publics dans les affaires associatives, la culture civique est un élément clé qui peut, selon les trajectoires individuelles et collectives, réagir à la fois par la conformation et par la résistance – et le plus souvent, en fait, par une certaine articulation des deux. À travers de tels approfondissements, la sociologie pourra aider à mieux penser, conserver et faire évoluer la spécificité de l’action associative et empêcher que celle-ci ne devienne qu’un avatar de l’action publique.