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Les transformations du vote de classe en Suisse entre 1975 et 2011

Trends in class voting in Switzerland between 1975 and 2011
Amal Tawfik

Résumés

Dans cet article, nous étudions l’évolution du vote de classe entre 1975 et 2011 dans le contexte suisse afin de tester les thèses du déclin du vote de classe, de la persistance des alignements et du réalignement. Nous utilisons des modèles log-multiplicatifs d’association pour mettre en lumière les variations de la structure et de la force des alignements entre les classes et les partis. Nos résultats montrent la persistance d’une structure complexe d’alignements composée principalement d’un vote de classe traditionnel, associant gauche, classes populaires mais aussi spécialistes socioculturels, qui s’affaiblit légèrement et de manière linéaire, ainsi qu’un alignement secondaire et complémentaire associant droite populiste, ouvriers et travailleurs non qualifiés qui persiste au cours du temps et s’en trouve de fait renforcé.

Trends in class voting in Switzerland between 1975 and 2011

This article examines trends in class voting in Switzerland between 1975 and 2011. Its aim is to test the respective theses of decline of class voting, persistence of traditional alignments and novel realignments. Based on log-multiplicative association models, it sets out to uncover variations in the structure and strength of alignments between social classes and political parties. The results highlight, firstly, the persistence of a complex pattern of traditional class voting involving the political left and the working class but also sociocultural specialists. This alignment, however, experiences slight but linear weakening. The results also demonstrate a secondary and complementary alignment, associating the populist right with blue-collar and unskilled workers. Unlike the first one, this one persists over time and is thereby strengthened.

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Texte intégral

1Depuis plusieurs décennies, la question de la disparition des classes sociales suscite de nombreux débats et controverses intellectuelles. Les thèses du déclin des classes sociales qui ont trouvé leurs premières formulations dans les travaux de Robert Nisbet (1959) considèrent que la grille de lecture de la société en termes de classes sociales ne permet plus de rendre compte des changements sociaux contemporains (Clark & Lipset, 1991 ; Beck, 1992 ; Beck et al., 1994) car les classes sociales seraient mortes (Pakulski & Waters, 1996).

2Participant de ces controverses, la question du déclin du vote de classe a nourri une abondante littérature. Défini a minima comme une relation systématique entre l’appartenance de classe et le vote, le vote de classe occupe en effet le centre de ces débats dans la mesure où il suppose un sens de la position occupée dans la structure sociale et engage une perception des intérêts collectifs, notamment économiques, qui en découlent (Bourdieu, 2001). Mettant principalement en jeu les intérêts de classe et un inconscient de classe, si ce n’est le sentiment d’appartenir à une classe, le vote de classe apparaît comme le révélateur d’une identité collective qui favorise la mobilisation, l’orientation du vote et l’action politique (Chauvel, 2001) visant à peser sur les fins vers lesquelles s’oriente la société dans son ensemble et sur les moyens pour y parvenir (Bihr, 2012). De ce point de vue, le vote de classe peut constituer une manifestation de la classe pour soi, la classe mobilisée en vue de défendre ses intérêts économiques dans et par la lutte des classes « démocratique » (Lipset, 1960).

3Dans cet article, nous chercherons à établir si, en Suisse, la position de classe conserve un effet sur les préférences politiques ou si l’importance politique des classes décline. Nous testerons les trois thèses qui ont structuré ces débats : la thèse du déclin du vote de classe, celle de la persistance des liens et celle du réalignement. L’analyse de trois enquêtes transversales réalisées en 1975, 1995 et 2011 permettra de déceler les variations du vote de classe, à savoir la forme, la force et l’évolution des alignements entre classes et partis ces dernières décennies. Pour ce faire, nous utiliserons des modèles d’association log-multiplicatifs qui sont des outils particulièrement puissants et flexibles pour capter les variations temporelles de la structure et de la force des alignements, indépendamment des effets liés aux changements structurels et à l’évolution de l’offre politique.

4La Suisse est une démocratie libérale avec des institutions politiques et un système de partis stables et consolidés à l’instar de la plupart des pays démocratiques occidentaux. Elle présente des caractéristiques structurelles similaires à celles de bon nombre de ces pays, telles qu’une structure de classe post-industrielle et une économie de marché. Au niveau politique, elle partage avec ces autres démocraties un ensemble de conditions sociétales, comme des structures de clivage et un contexte culturel et économique, qui crée un potentiel politique latent similaire (Dolezal, 2008). Tout comme au sein d’un certain nombre de ces démocraties occidentales, telles que la France et les Pays-Bas, on observe, en Suisse, une montée de la droite populiste qui a modifié la compétition électorale en créant un troisième pôle concurrençant les deux pôles traditionnellement antagonistes qui ont structuré et dominé l’espace politique des démocraties occidentales au cours du xxe siècle, composés d’un côté des partis de gauche et de l’autre des partis de droite (Oesch & Rennwald, 2010).

5Sur d’autres aspects, le système de démocratie semi-directe suisse se différencie nettement des démocraties représentatives. Les instruments de la démocratie directe (initiative et référendum) permettent aux citoyens de désavouer le Parlement et le Conseil fédéral (gouvernement national en Suisse) lors des nombreuses votations populaires sans pour autant remettre en question leur légitimité. Ces instruments de la démocratie directe relativisent quelque peu l’importance des élections. De surcroît, le Conseil fédéral en Suisse, composé de sept conseillers fédéraux, n’est pas élu par les citoyens mais par le Parlement. Ces caractéristiques font du système suisse un cas d’étude particulier pour observer le vote de classe lors des élections dans la mesure où les aléas de la « politique politicienne » et la personnalisation de la vie politique pèsent moins qu’au sein des démocraties représentatives. Dans le contexte suisse, le vote sur enjeu se cristallise davantage sur les votations populaires que sur les élections, dont le taux de participation au cours de la période 1975-2015 varie entre 42,2 % (1995) et 52,2 % (1975). On peut s’attendre à ce que le choix électoral soit moins orienté par un vote sur enjeu qu’au sein des autres démocraties représentatives, comme la France, et davantage guidé par des intérêts économiques ou des valeurs politiques.

6Nous présentons ci-après le cadre théorique et les hypothèses. Puis nous décrivons les données et la méthode utilisées. Ensuite, viennent les analyses et les résultats. En conclusion, nous revenons sur les leçons et les principales conclusions de nos analyses.

Le vote de classe

7Dans sa définition la plus simple, le vote de classe renvoie à la relation entre la classe sociale et le vote. Comme le montre Florent Gougou (2017), il existe une multiplicité de définitions du vote de classe mobilisées dans les recherches, qui varient notamment selon les générations de recherches (Nieuwbeerta, 1996), celles-ci se distinguant par les mesures, les méthodes et les questions de recherche utilisées (Gougou, 2017). Ces générations de recherche ont donné lieu à trois principales thèses concurrentes : le déclin du vote de classe, la persistance des liens et le réalignement.

  • 1 Bien qu’il n’y ait jamais eu d’homogénéité culturelle ouvrière (Mallet, 1963), le processus de form (...)

8Ces recherches succèdent aux premiers travaux qui ont mis en évidence, principalement en Europe, le lien fort entre les ouvriers et les partis de gauche ainsi qu’entre les classes moyennes et supérieures et les partis de droite (Lipset & Rokkan, 1967). En France, le lien s’est opéré, d’un côté, entre les ouvriers et le Parti communiste et, de l’autre, entre les classes moyennes catholiques et la droite (Michelat & Simon, 1977)1.

La thèse du déclin du vote de classe traditionnel

9Depuis les années 1980, un ensemble de travaux conclut au déclin du vote de classe dans la plupart des sociétés occidentales (Lipset, 1981 ; Inglehart, 1984 ; Franklin, 1985 ; Clark & Lipset, 1991 ; Nieuwbeerta & de Graaf, 1999). Pour les tenants du déclin des classes sociales, l’affaiblissement de la conscience de classe, la tertiarisation de l’économie, la déstructuration de la classe ouvrière, l’augmentation généralisée des niveaux de vie et de la mobilité sociale, l’affaiblissement des syndicats et l’émergence de clivages fondés sur des valeurs se traduit par la dissolution des liens entre la classe ouvrière et les partis de gauche.

10Ce processus de désalignement entre une classe sociale et son parti « naturel » (Heath et al., 1995) a souvent été mesuré avec l’indice d’Alford qui se calcule en soustrayant le pourcentage des non ouvriers votant pour les partis de gauche au pourcentage d’ouvriers votant pour les partis de gauche (Alford, 1962). Le vote de classe est réduit à l’association entre les ouvriers et les partis de gauche, d’un côté, et entre les autres classes et les partis de droite. L’alignement entre les ouvriers et les partis de gauche est qualifié de vote de classe traditionnel car il prend ses racines dans le conflit économique entre possédants et travailleurs, abondamment nourri par les écrits de Karl Marx, qui a constitué, au début du xxe siècle, une des bases structurelles de la division politique entre les partis de droite et les partis de gauche (Lipset & Rokkan, 1967). Ce vote de classe repose sur des intérêts économiques. Dans cette perspective, les ouvriers, faiblement dotés en capital économique, votent pour les partis de gauche qui défendent une redistribution des ressources économiques, alors que les classes moyennes et supérieures, relativement mieux dotées en ressources économiques, votent pour les partis de droite qui s’opposent à une telle redistribution. Ainsi, dans la mesure où la traduction politique du conflit entre possédants et travailleurs, d’intensité variable selon le contexte national, s’est opérée dans une configuration socio-historique spécifique, les profondes transformations structurelles et politiques à l’œuvre depuis le milieu du xxe siècle sont susceptibles de produire d’autres alignements pouvant soit concurrencer le vote de classe traditionnel, soit le supplanter. De ce point de vue, le vote de classe traditionnel constitue un cas particulier d’alignement parmi ceux qui sont possibles entre les classes et les partis (Hout et al., 1995).

Les mesures de la classe sociale et du choix partisan

11La simple distinction entre ouvriers et non ouvriers ne permet pas de saisir les rapports et la structure de classe des sociétés occidentales qui se sont profondément modifiés depuis les années 1960 (Evans, 1999 ; Müller , 1999 ; Oesch, 2008). Seule une mesure détaillée de la classe sociale permet d’analyser l’ensemble des alignements entre les classes sociales et les partis politiques, qualifié de « vote de classe total » (Hout et al., 1995). Une mesure inadéquate des classes sociales ou l’utilisation d’un schéma trop agrégé peut en effet dissimuler des liens entre des catégories et des partis mais aussi des réalignements (Oesch, 2008).

  • 2 La notion de service class est difficile à traduire en français. Elle regroupe les cadres, les prof (...)

12Plusieurs schémas de classe ont été élaborés pour mesurer le concept de classe sociale. Le schéma le plus utilisé dans les comparaisons internationales est celui d’Erikson-Goldthorpe (1992) qui, s’inscrivant dans une filiation wébérienne, distingue, à un niveau agrégé, une petite bourgeoisie, une service class2, les employés et les ouvriers. Dès la fin des années 1980, le développement du secteur des services et la croissance numérique de professions dont la logique de travail rompt avec celles prévalant chez les ouvriers ou les managers, a généré le besoin de réactualiser les outils permettant de saisir les clivages sociaux contemporains. De nouveaux schémas de classe ont été élaborés (Kriesi, 1998 ; Oesch, 2006) et de nouvelles divisions ont été proposées au sein de la service class du schéma Erikson-Goldthorpe (Güveli et al., 2007) qui distinguent différentes fractions des classes moyennes présentant des caractéristiques et des comportements spécifiques : les managers ou technocrates et les spécialistes socioculturels (voire aussi les spécialistes techniques). Ces schémas de classe relativement détaillés permettent de tester différentes hypothèses relatives à l’évolution du vote de classe et de déceler d’éventuels réalignements.

13De la même manière, la distinction entre les partis de gauche et les autres masque l’éventail de l’offre politique, notamment dans les pays caractérisés par un système multi-partisan. De surcroît, elle ne permet pas de rendre compte de l’émergence de nouveaux partis, qualifiés de « nouvelle droite » ou de « nouvelle gauche », qui ont modifié le paysage politique de plusieurs pays européens (Evans, 2010).

14C’est notamment pourquoi l’utilisation de l’indice d’Alford comme mesure du vote de classe a été abondamment critiquée dans la littérature (Cautrès, 1997 ; Evans, 1999). Outre le fait qu’il a été développé pour analyser les systèmes politiques anglo-saxons (Lehingue, 2011), il ne permet pas de dissocier ce qui relève des fluctuations marginales – les transformations résultant de la modification de la distribution des classes et de la force électorale des partis – et ce qui relève des changements de la structure et de l’intensité de l’association entre classe et choix partisan (Evans, 1999 ; Heath et al., 1995). De surcroît, l’indice d’Alford ne permet pas de distinguer les désalignements des réalignements (Heath et al., 1995 ; Cautrès & Heath, 1996). Les limitations de cet indice ont conduit les chercheurs à utiliser des modèles logistiques, log-linéaires ou log-multiplicatifs qui, reposant sur l’odds ratio (le rapport de côtes), ne confondent pas les changements structurels ou ceux liés à l’évolution de la popularité des partis et les changements d’une association statistique. Du fait que les odds ratio présentent la propriété d’être indépendants des fluctuations marginales (Wong, 2010), ils constituent des mesures relatives du vote de classe particulièrement adaptées pour déceler la permanence des divisions sociales et politiques dans des configurations caractérisées par des changements morphologique et politique.

La persistance du vote de classe : entre stabilité et réalignements

15En utilisant des techniques statistiques fondées sur l’odds ratio et des mesures détaillées de la classe et du choix partisan, un ensemble de travaux réfutent le constat du déclin du vote de classe et concluent à des fluctuations sans tendance claire dans l’évolution du vote de classe traditionnel (Heath et al., 1985 ; Heath et al., 1995 ; Hout et al., 1995 ; Brooks & Manza, 1997 ; Goldthorpe, 1999), même sous contrôle des clivages de race, de religion et de sexe (Brooks & Manza, 1997). Toutefois, ce constat de la persistance d’un vote de classe traditionnel vaut principalement pour les pays anglo-saxons, caractérisés notamment par un système politique dans lequel deux partis dominent et s’affrontent.

16La persistance d’un vote de classe peut également s’accompagner de changements dans la structure des alignements, d’autant plus probables dans le cadre d’un système politique caractérisé par le multipartisme. Ainsi, l’affaiblissement ou la disparition du vote de classe traditionnel peut être compensé par des réalignements entre classes et partis qui n’affectent pas l’effet global de la classe sur le choix partisan (Müller, 1999 ; Mayer, 2003 ; Cautrès & Mayer, 2004 ; Oesch, 2012).

17Au cours de ces dernières décennies, la tertiarisation de l’économie et le développement de l’État social a favorisé l’expansion des catégories intermédiaires (et supérieures) salariées qualifiées de petite bourgeoisie nouvelle (Bourdieu, 1979), de new class (Gouldner, 1979) ou de spécialistes socioculturels (Kriesi, 1998 ; Müller, 1999 ; Oesch, 2008), qui requièrent des compétences spécialisées et une expertise. Leur travail comporte une forte dimension relationnelle, nécessite de la tolérance pour la diversité culturelle et vise la défense de l’autonomie de leur clientèle. Bénéficiant de l’expansion du système scolaire, ces catégories se sont retrouvées à l’avant-garde de la révolution culturelle des années 1960 et ont constitué l’ossature des mouvements sociaux (féminisme, écologique, gay, pour la paix, etc.) qui se sont développés dans les années 1970 et 1980 (Kriesi, 1989, 2010). Leur trajectoire sociale ascendante, leur capital culturel et la nature de leur travail les inclinent au libéralisme culturel qui associe les valeurs d’autonomie individuelle et d’épanouissement personnel (Schweisguth, 1983 ; Oesch, 2008). Les spécialistes socioculturels votent davantage à gauche, notamment pour les partis de la nouvelle gauche, qu’incarnent les partis écologistes ou verts. À l’inverse, les managers exercent un pouvoir et une autorité déléguée afin de réaliser les objectifs de l’entreprise (Kriesi, 1989 ; Müller, 1999). La position hiérarchique des managers et la loyauté qu’ils affichent vis-à-vis de l’entreprise favorise des orientations politiques proches de celles de leurs employeurs. La logique de leur travail qui comporte de fortes responsabilités et des tâches de supervision et de contrôle les incline à des préférences culturelles teintées d’autoritarisme et de traditionalisme, à des préférences économiques orientées vers le libre marché et à voter pour les partis de la droite libérale.

18Les « anciennes » classes moyennes, constituées des petits indépendants, commerçants et artisans, se caractérisent par un conservatisme social, politique et moral qui les incline à voter à droite (Bourdieu, 1979) ou, selon le contexte national, pour les partis de la droite conservatrice, populiste et nationaliste (Oesch, 2012). Elles constituent en quelque sorte le miroir inversé des spécialistes socioculturels.

19Certains chercheurs expliquent le vote de gauche des spécialistes socioculturels par la poursuite d’intérêts économiques, à savoir la défense du service public et de l’interventionnisme étatique qui fournit de l’emploi et favorise les carrières professionnelles (Brint, 1984). Pour d’autres, il trouve ses origines dans un conflit culturel qui oppose, sur le plan des valeurs, une orientation libertaire à une orientation autoritaire (Kitschelt, 1994 ; Houtman & Achterberg, 2010 ; Kriesi, 2010).

  • 3 Dans une perspective bourdieusienne, cette distinction entre vote de classe et vote culturel ne fai (...)

20Cet ancrage du comportement électoral dans des valeurs et des orientations culturelles est qualifié de « vote culturel » par distinction au « vote de classe » qui repose sur des intérêts socioéconomiques (Houtman & Achterberg, 2010 ; Van der Waal et al., 2007). Le vote culturel dépend davantage du capital culturel – à l’instar du post-matérialisme de Ronald Inglehart (1987) qui peut être considéré comme une composante du vote culturel – que de la classe sociale (Houtman & Achterberg, 2010). La distinction opérée ici entre le capital culturel et la classe sociale révèle, en creux, une définition wébérienne des classes sociales, c’est-à-dire que la position de classe est définie par l’insertion sur le marché du travail, alors que d’autres définitions des classes sociales sont beaucoup plus englobantes et multidimensionnelles en incluant, par exemple, une dimension culturelle3.

21Dans la perspective du vote culturel, les orientations de valeurs (orientation values) qui sont un ensemble d’attitudes façonnées par les valeurs (van Deth & Scarbrough, 1995) influencent le choix électoral. Plusieurs orientations de valeurs ont été mises en évidence, dont certaines dérivent du modèle des clivages dégagés par Seymour Lipset et Stein Rokkan (1967) : l’idéologie économique qui oppose des valeurs gauche-droite sur le plan économique, l’orientation de valeurs religieuses versus séculaires, l’orientation de valeurs qui oppose la croissance économique à l’environnement, celle qui distingue le libéralisme et l’autoritarisme, l’orientation de valeurs en faveur de l’immigration versus contre l’immigration (van Deth & Scarbrough, 1995 ; Knutsen, 2018). Les trois dernières orientations de valeurs sont reliées aux conflits post-industriels (New Politics) et les deux premières aux conflits de la société industrielle (Old Politics).

22L’intérêt de ces travaux réside moins dans le substitut de la classe sociale comme facteur explicatif du vote par des orientations de valeurs que dans la possibilité d’évaluer l’impact des orientations de valeurs comme variables intermédiaires entre la classe sociale et le vote. Cela revient à introduire, comme le préconise Mark Franklin (2017), des enjeux comme variables médiatrices dans l’analyse du choix électoral.

23Le conflit culturel entre libéralisme et autoritarisme/traditionalisme, caractéristique des conflits postindustriels, s’est, dans un premier temps, traduit par l’émergence des partis de la nouvelle gauche et par l’intégration, variable selon le contexte national, des valeurs libertaires-universalistes dans les programmes des partis socialistes (Oesch & Rennwald, 2010). Ce clivage aurait favorisé, dans le sillage des mouvements sociaux des années 1960-1970, le rapprochement des spécialistes socioculturels et des partis de la (nouvelle) gauche (Kriesi, 1998 ; Oesch, 2008). Par exemple, aux États-Unis, les professionals sont passés entre 1952 et 1982 d’un vote Républicain à un vote Démocrate (Manza & Brooks, 1999) – les spécialistes socioculturels constituant une fraction des professionals.

24Au cours des années 1990, le renforcement du processus de globalisation et de dénationalisation a contribué à la formation d’un nouveau clivage entre les gagnants et les perdants de la mondialisation (Kriesi et al., 2008). Cette nouvelle division structurelle a été utilisée par la droite conservatrice, populiste et nationaliste, qualifiée de nouvelle droite, ce qui a conduit à une réinterprétation du conflit culturel (Bornschier, 2010 ; Kriesi, 2010). Dans une tentative de restauration de l’ordre social et moral ébranlé par les mouvements sociaux et la nouvelle gauche, la nouvelle droite oppose les valeurs traditionnelles et communautaires qu’elle défend aux valeurs libertaires-universalistes de la nouvelle gauche (Kriesi, 2010). Ce nouveau clivage fondé sur des valeurs renvoie à un conflit entre intégration et démarcation qui oppose une vision cosmopolite et universaliste à une position affirmant la nécessité de la défense de la culture, des traditions et de l’identité nationales (Kriesi et al., 2008). Il expliquerait le vote croissant des ouvriers et des travailleurs non qualifiés pour la droite populiste et conservatrice (Kitschelt & McGann, 1995 ; Oesch & Rennwald, 2010). Ainsi, les facteurs de réalignement des ouvriers et des travailleurs peu qualifiés ne seraient plus à chercher dans des questions d’intérêts économiques et de redistribution des ressources mais dans des enjeux culturels relatifs à l’identité ou la communauté. En France, le désalignement électoral des ouvriers avec, notamment, un vote croissant des ouvriers pour le Front national (Mayer, 2003) découle principalement de la diminution du vote ouvrier pour le Parti communiste français et d’une montée de l’abstentionnisme dans les milieux ouvriers qui votent traditionnellement à gauche (Gougou, 2012 ; Gougou & Martin, 2014). Ce processus de désalignement résulte en partie d’un renouvellement générationnel dans lequel les plus jeunes cohortes d’ouvriers sont davantage polarisées sur des enjeux et conflits culturels, notamment autour des questions d’immigration et de mondialisation, alors que pour les cohortes plus âgées, les enjeux économiques pèsent davantage que les enjeux culturels (Gougou, 2012).

25Le réalignement des classes populaires vers les partis de droite et celui des spécialistes socioculturels vers les partis de gauche traduiraient la prééminence des enjeux culturels sur les enjeux économiques, ce qui signifie que la position dans les rapports de production ne constitue plus, comme le suppose la notion de vote de classe traditionnel, le déterminant exclusif du vote.

Les effets de l’offre politique sur le vote de classe

26Le vote de classe est le résultat d’un processus complexe qui construit sa dynamique dans la rencontre entre une offre politique et les préférences politiques des électeurs. Les transformations du champ politique et celles qui touchent à la stratification sociale recomposent les alignements entre les partis politiques et les groupes sociaux.

27Pour saisir les évolutions du vote de classe, certains travaux adoptent non plus une perspective bottom-up, centrée sur l’analyse de la demande politique – et particulièrement sur la stratification sociale des préférences et choix politiques –, mais une perspective top-down centrée sur l’offre politique. Cette dernière perspective suppose que les variations dans la stratification sociale des préférences politiques dérivent des alternatives et des choix offerts aux votants par les partis et politiciens (Evans, 2017). L’intensité du vote de classe dépend de la « différentiation entre les partis sur les dimensions idéologiques pertinentes » (idem, p. 185). Les travaux qui analysent le lien entre la convergence ou la polarisation des programmes des partis politiques – approche par les party manifesto programs – et la force du vote de classe (Evans & Tilley, 2012 ; Evans & De Graaf, 2013 ; Janssen et al., 2013 ; Elff, 2009) montrent que lorsque les partis politiques n’offrent pas différentes alternatives idéologiques (situation de convergence idéologique), le vote de classe est faible. À l’inverse, une forte polarisation idéologique entre les partis renforce le vote de classe. Dans une perspective top-down, le vote de classe est principalement le résultat de l’offre politique des partis. Les variations du vote de classe entre pays s’expliqueraient par un attrait des partis et des positionnements et programmes politiques différents selon le contexte politique et l’état du champ politique.

Persistance, déclin ou réalignement du vote de classe ?

28Les trois hypothèses suivantes seront testées :

29H1 : Le vote de classe traditionnel est constant au cours du temps (thèse de la persistance des liens). On s’attend à ce que la propension des ouvriers à voter à gauche et celle des classes moyennes à voter à droite soit constante au cours de la période analysée.

30H2 : Le vote de classe décline, les liens entre classes et partis se dissocient (thèse du déclin du vote de classe). Dans le cas d’un déclin du vote de classe, est attendue soit l’absence d’un effet de la position de classe des individus sur leur choix partisan – cela signifierait que le processus de déclin s’est enclenché bien avant 1975 –, soit une diminution de l’effet de la position de classe sur le choix partisan entre 1975 et 2011.

31H3 : Des nouveaux liens se dessinent entre classes et partis (thèse du réalignement). Dans le cas d’un réalignement, on s’attend à ce que la force de la relation entre la position de classe et le choix partisan reste approximativement constante au cours du temps mais que la structure des alignements change avec, notamment, les spécialistes socioculturels qui votent de plus en plus à gauche et les ouvriers et travailleurs peu qualifiés qui passent d’un vote pour les partis de gauche à un vote pour les partis de la droite populiste.

Données et stratégie d’analyse

Données

  • 4 Voir le site de FORS : https://forscenter.ch/projects/selects/?lang=fr.

32Les données sont issues des enquêtes Attitudes politiques en Suisse 1975, Selects 1995 et Selects 20114. L’échantillon sur lequel reposent les analyses est composé de 13 206 citoyens suisses âgés de 18 ans et plus (soit 1 254 pour l’enquête 1975, 7 561 pour l’enquête 1995 et 4 391 pour l’enquête 2011). Deux raisons ont motivé le choix de ne retenir que trois élections pour déceler l’évolution temporelle du vote de classe. Premièrement, parmi toutes les enquêtes réalisées avant 1995, seule celle de 1975 contient des variables suffisamment précises et standardisées pour construire un schéma de classe relativement détaillé et surtout comparable à travers le temps – les problèmes de comparabilité relevant principalement de l’enregistrement et de la mesure de la profession. Deuxièmement, pour ne pas donner trop de poids dans le modèle aux élections récentes, nous avons renoncé à intégrer les enquêtes de 1999, 2003 et 2007. Nous présenterons succinctement le choix partisan des classes sociales pour ces trois années afin de montrer que les élections retenues pour la modélisation ne constituent pas des points aberrants. L’échantillon a fait l’objet d’une pondération qui corrige les distorsions liées au design de l’enquête, à savoir le sur-échantillonnage dans certains cantons en 1995 et 2011.

Variables

33La variable dépendante est le parti voté lors des dernières élections fédérales. Elle distingue quatre familles politiques qui regroupent plusieurs partis :

34– Gauche : Parti socialiste suisse (PSS), Parti suisse du travail (PST), Solidarité, Parti socialiste autonome (PSA), Alternative socialiste verte et groupements féministes (AVF), Organisations progressistes suisses (POCH), Parti écologiste suisse (PES), partis de gauche, autres partis de gauche.

35– Partis du centre droit et chrétiens démocrates : Parti démocrate-chrétien suisse (PDC), Alliance des Indépendants (AdI), Parti évangélique populaire suisse (PEV), Parti chrétien-social (PCS), Vert’libéraux (PEL), partis du centre.

36– Droite libérale : Parti radical suisse (PRD), Parti libéral suisse (PLS), Parti libéral-radical suisse (PLR), Parti bourgeois démocratique (PBD).

37– Droite populiste, nationaliste et radicale : Union démocratique du centre (UDC), Démocrates Suisses (DS), Union démocratique fédérale (UDF), Mouvement républicain (Rep.) & Vigilance, Parti suisse de la Liberté (PSL), Mouvement citoyen genevois (MCG), partis de droite, Lega dei Ticinesi (Lega).

38Nous avons renoncé à distinguer la nouvelle gauche de la gauche traditionnelle car, d’une part, le parti emblématique de la nouvelle gauche (Les Verts) n’existait pas en 1975 et, d’autre part, le Parti socialiste suisse a intégré dans son programme la défense de valeurs libertaires-universalistes qui définit la nouvelle gauche.

  • 5 Les CSP 1990 au deuxième niveau de classement sont divisées en vingt catégories selon la profession (...)
  • 6 Cette catégorie regroupe les ingénieurs, les cadres techniques et les intermédiaires techniques.
  • 7 Cette catégorie regroupe les cadres et intermédiaires des services aux entreprises et de communicat (...)
  • 8 Cette catégorie regroupe les professions intellectuelles, les cadres et intermédiaires des services (...)

39Nous utiliserons une mesure détaillée de la classe sociale car l’utilisation d’un schéma trop agrégé peut en effet dissimuler des liens entre des catégories et des partis mais aussi des réalignements (Oesch, 2008). La classe sociale sera mesurée avec les catégories socio-professionnelles suisses qui permettent de capter au sein des classes moyennes salariées les divisions mises en évidence par Hanspeter Kriesi (1998) et Daniel Oesch (2006). Nous utiliserons une version modifiée et simplifiée des catégories socio-professionnelles suisses (CSP 1990) au deuxième niveau de classement5. Les catégories socio-professionnelles modifiées (CSP) sont divisées en huit catégories : 1) dirigeants et professions libérales ; 2) autres indépendants ; 3) spécialistes techniques6 ; 4) managers7 ; 5) spécialistes socioculturels8 ; 6) employés qualifiés ; 7) ouvriers qualifiés ; 8) travailleurs non qualifiés. En raison de la petite taille de l’échantillon de 1975, nous avons renoncé à distinguer le niveau intermédiaire et le niveau supérieur au sein des spécialistes techniques, des managers et des spécialistes socioculturels. Les interviewés non actifs se sont vus attribuer la CSP correspondant à leur dernière profession.

Comparaison temporelle

40La comparaison temporelle implique de s’interroger sur la stabilité des mesures au cours du temps, sur les sources du changement et sur les méthodes utilisées pour rendre compte des dynamiques d’évolutions. L’analyse de l’évolution du vote de classe pose le problème de la stabilité au cours du temps des nomenclatures et des partis. Les évolutions ne peuvent être enregistrées que selon deux manières qui ne peuvent être mises en œuvre simultanément : « soit au moyen de comptage dans des catégories stables, soit […] par une remise en question de ces catégories elles-mêmes » (Desrosières & Thévenot, 2002, p. 98).

  • 9 Bien que des évolutions morphologiques s’observent au cours de cette période, on peut raisonnableme (...)

41Le paysage et l’état de l’offre politiques (nombre et types de partis politiques) ont changé au cours de la période 1975 et 2011. Comme les partis politiques ne sont pas stables dans le temps, un regroupement des partis politiques en quatre familles politiques a été opéré. Ces quatre familles politiques (gauche, partis du centre droit et chrétiens démocrates, droite libérale, droite populiste, nationaliste et radicale) sont considérées comme relativement stables au cours du temps. Évidemment, l’agenda et les positions des partis composant ces familles politiques sur les enjeux les plus saillants se sont modifiés. D’autant plus que certains enjeux – l’environnement ou l’égalité entre les sexes pour les partis de gauche – sont devenus des enjeux centraux qu’ils n’étaient pas en 1975, alors que d’autres sont devenus secondaires – par exemple, l’adhésion de la Suisse à l’Union Européenne qui polarisait fortement les partis politiques dans les années 1990 n’est plus un enjeu saillant aujourd’hui. Si l’attribution d’une famille politique à un parti comporte toujours une certaine forme d’arbitraire, le regroupement opéré s’appuie sur les acquis de la littérature et sur le positionnement relatif des partis dans l’espace politique qui se traduit aussi dans le positionnement de leurs élus dans l’hémicycle du Parlement. Pour procéder aux comparaisons temporelles, nous avons utilisé des catégories socio-professionnelles stables9.

Méthode

  • 10 L’indice de Kappa est « the standard deviation of class differences in vote choice in a given elect (...)

42Diverses méthodes ont été utilisées par les chercheurs pour mesurer le vote de classe et son évolution au cours du temps. Comme nous l’avons montré précédemment, l’indice d’Alford n’est pas un indicateur satisfaisant. Plus récents que l’indice d’Alford, les indices Kappa (relatif et absolu) permettent de mesurer la force des clivages (Hout et al., 1995 ; Brooks & Manza, 1997 ; Manza & Brooks, 1999). Ces mesures synthétisent les différences dans le comportement de vote des groupes sociaux à une élection donnée10. D’abord utilisées pour analyser les clivages de classe, elles ont également été appliquées à d’autres clivages (religion, race, genre). Ces indices peuvent être estimés sous contrôle d’autres variables, ce qui permet d’estimer la force d’un clivage nette des effets des autres clivages (Lachat, 2007). De plus, ils peuvent être calculés avec un nombre de partis et de groupes sociaux différents, ce qui ouvre la possibilité de procéder à des comparaisons temporelles entre les élections et les systèmes de partis. Si les indices Kappa mesurent l’évolution de la force du vote de classe au cours du temps – notamment en contrôlant pour les autres clivages –, ils ne disent rien quant aux variations de la structure d’association entre classes et partis et aux potentiels réalignements – l’intensité du vote de classe peut en effet rester constante alors même que les affiliations entre les classes et les partis se sont profondément modifiées.

43Les variations temporelles du vote de classe seront modélisées avec des techniques statistiques qui permettent de déceler les variations de la structure et de la force d’une association statistique au cours d’une période de temps déterminée. Nous utiliserons des modèles log-multiplicatifs d’association conditionnelle qui sont particulièrement adaptés pour modéliser le vote de classe relatif et les éventuels réalignements (Weakliem, 1995). Extensions de l’analyse multivariée de tableaux de contingence et de l’analyse log-linéaire, ces modèles sont une généralisation des modèles d’association log-multiplicatifs effets lignes et colonnes (RC). Sur un plan statistique, ils cherchent à dériver les scores des lignes et des colonnes à partir de la structure d’association des odds ratio et supposent que les paramètres des lignes et des colonnes sont liés dans une forme log-multiplicative (Clogg, 1982 ; Clogg & Shihadeh, 1994 ; Goodman, 1991 ; Wong, 2001, 2010). Comme les odds ratio sont indépendants des fluctuations marginales, ces modèles permettent de mettre au jour la variation de la structure et de l’intensité du vote de classe indépendamment des effets résultant de la modification de la distribution des classes sociales au cours du temps (changements de la structure de classe) ou de l’évolution de la force électorale des partis (succès ou échecs électoraux des partis).

  • 11 De ce point de vue, les résultats d’un modèle d’association présentent certaines affinités avec l’a (...)

44Ces modèles supposent qu’une échelle latente entre les catégories de la variable en ligne et de la variable en colonne permet d’établir la position relative des catégories et les équivalences de position11. Davantage que chercher à mettre en évidence la présence d’interactions entre variables plus ou moins complexes, ils visent à dégager l’ensemble de la structure de l’association, c’est-à-dire à produire une image de l’évolution de l’ensemble des alignements entre les classes sociales et les partis. De surcroît, par rapport aux modèles logistiques ou log-linéaires, les modèles d’association sont généralement plus parcimonieux.

45La comparaison temporelle sera réalisée avec des modèles d’association conditionnelle et multidimensionnelle RC(M)-L (voir encadré). La lettre R correspond à la variable en ligne (les CSP), C à la variable en colonne (le parti voté), L à la variable de strate (la période) et M au nombre de dimensions des composantes log-multiplicatives. La modélisation vise à établir si l’association entre les CSP (8 modalités) et le parti voté (4 modalités) varie selon la période (3 modalités). L’analyse porte sur un tableau 8 x 4 x 3. Notre stratégie de modélisation est de partir du modèle le plus simple, puis de complexifier le modèle afin de trouver celui qui s’ajuste le mieux aux données. Nous commencerons par tester un modèle homogène RC(1)-L qui postule l’absence de variation temporelle du vote de classe. Si l’association entre les CSP et les partis n’est pas constante au cours du temps, plusieurs scénarios sont possibles. La structure d’association (les alignements) peut être constante mais la force de l’association peut varier avec soit une convergence du vote des classes (déclin du vote de classe), soit une divergence (renforcement du vote de classe). La structure d’association peut varier, ce qui signifie que l’on observe des réalignements entre classes et partis. Le modèle hétérogène RC(1)-L (variation au cours du temps de la structure et de l’intensité du vote de classe) permet de modéliser des réalignements. Si ce modèle ne s’ajuste pas de manière satisfaisante aux données, il est nécessaire d’ajouter une ou des dimensions log-multiplicatives supplémentaires pour saisir la variation des alignements entre classes et partis. Une fois le nombre de dimensions (M) fixé, une série de modèles RC(M)-L incluant des restrictions partiellement homogènes ou partiellement hétérogènes permettront de mettre au jour la forme des réalignements, c’est-à-dire de déterminer pour chaque dimension retenue si la structure et la force de l’association varie au cours du temps. Enfin, si sur l’une ou l’autre dimension la distance entre deux ou plusieurs classes ou partis votés est faible, le modèle sera simplifié en imposant des contraintes d’égalité sur les paramètres lignes ou colonnes. Cela nous permettra de dégager précisément la structure du vote de classe et son évolution.

  • 12 Les scripts permettant d’estimer les modèles sont disponibles en annexe électronique 2 (scripts lEM (...)

46Pour évaluer la qualité d’ajustement des modèles testés, nous utiliserons le test du rapport des vraisemblances (L2, aussi nommé déviance) et le critère BIC (Bayesian information criterion). Le test du rapport des vraisemblances compare la proximité de l’estimation de la vraisemblance selon un modèle donné à l’estimation de la vraisemblance selon le modèle saturé (Clogg & Shihadeh, 1994). Le BIC est fondé sur le test du rapport des vraisemblances et introduit des pénalités selon le nombre de paramètres et la taille de l’échantillon. Contrairement au test du rapport des vraisemblances, le BIC peut être utilisé pour comparer des modèles qui ne sont pas emboîtés. Le modèle le mieux ajusté aux données est celui qui a la valeur BIC la plus négative. Les modèles ont été estimés avec lEM (Vermunt, 1997), ainsi que les packages R gnm (Heather & Firth, 2015) et logmult (Bouchet-Valat et al., 2017)12.

47Avant de présenter les modèles d’association log-multiplicatifs, nous commencerons par décrire la distribution du parti voté selon la CSP en Suisse entre 1975 et 2011.

L’évolution du vote de classe et de la composition de l’électorat des partis

  • 13 L’utilisation d’une catégorisation plus fine distinguant différentes catégories d’employés qualifié (...)
  • 14 Ce banal constat statistique soulève l’épineuse question de ce que recouvre le phénomène de vote de (...)

48Le tableau 1 présente le choix partisan selon la CSP pour les trois périodes. En 1975, on distingue un vote de classe traditionnel avec les travailleurs non qualifiés, les ouvriers et les employés qui votent davantage que les autres classes pour la gauche13. Toutefois, le niveau de vote pour la gauche des spécialistes socioculturels est déjà proche de celui des ouvriers, ce qui suggère soit qu’un réalignement du vote des spécialistes socioculturels s’est opéré avant 1975, soit que cette catégorie a toujours davantage voté pour la gauche que les autres fractions des classes moyennes et supérieures. En 1995, les différences de vote de gauche entre les classes s’affaiblissent. En 2011, le vote de classe traditionnel ne s’observe plus : le vote de gauche ne distingue plus les classes populaires – travailleurs non qualifiés, ouvriers et employés – des autres classes sociales. En revanche, comme en 1995, une majorité des spécialistes socioculturels donne sa voix à la gauche. Enfin, il est à noter que lors de ces trois élections, aucune fraction des classes populaires, excepté les travailleurs non qualifiés en 1975, affiche un vote pour la gauche égal ou supérieur à 50 %, ce qui signifie qu’ils votent habituellement majoritairement pour un parti positionné à droite – du centre droit à l’extrême droite14.

Tableau 1 : Choix partisan selon la CSP et la période (% en ligne)

1975

Gauche

Centre & démocrates chrétiens

Droite

libérale

Droite populiste

Total

n

Dirigeants et professions libérales

8

33

42

17

100

12

Autres indépendants

12

36

19

32

100

77

Spécialistes techniques

28

37

24

11

100

54

Managers

29

27

37

7

100

70

Spécialistes socioculturels

38

35

24

3

100

37

Employés qualifiés

38

44

15

4

100

48

Ouvriers qualifiés

41

31

10

18

100

39

Travailleurs non qualifiés

50

22

17

10

100

105

Ensemble

33

32

22

13

100

n

146

140

97

59

442

1995

Gauche

Centre & démocrates chrétiens

Droite

libérale

Droite populiste

Total

n

Dirigeants et professions libérales

36

20

39

6

100

121

Autres indépendants

26

16

30

29

100

532

Spécialistes techniques

38

13

22

27

100

494

Managers

32

15

33

20

100

719

Spécialistes socioculturels

55

15

22

7

100

730

Employés qualifiés

42

14

22

22

100

736

Ouvriers qualifiés

42

18

15

25

100

206

Travailleurs non qualifiés

34

22

21

23

100

235

Ensemble

39

16

25

20

100

n

1472

589

958

754

3773

2011

Gauche

Centre & démocrates chrétiens

Droite

libérale

Droite populiste

Total

n

Dirigeants et professions libérales

29

24

41

7

100

76

Autres indépendants

25

20

19

37

100

224

Spécialistes techniques

29

23

23

25

100

181

Managers

33

27

23

17

100

335

Spécialistes socioculturels

52

22

13

13

100

460

Employés qualifiés

34

21

21

24

100

416

Ouvriers qualifiés

29

20

15

36

100

118

Travailleurs non qualifiés

33

23

10

33

100

30

Ensemble

36

23

19

22

100

n

665

414

357

404

1840

49Au cours de cette période, le vote pour les partis du centre droit et chrétiens démocrates ne distingue pas les classes sociales, alors que celui pour les partis libéraux se retrouve davantage au sein des classes les mieux dotées en capital économique. Le vote pour la droite populiste semble donner lieu à des réalignements : la popularité de ces partis a fortement augmenté au sein des classes populaires entre 1975 et 2011 mais également, dans une moindre mesure au sein des classes moyennes salariées, ce qui explique les succès électoraux de l’UDC depuis les années 1990. Les autres indépendants constituent toujours la catégorie qui vote le plus pour la droite populiste, alors que l’adhésion pour ce courant politique reste relativement faible au sein des classes les mieux dotées en capital culturel.

  • 15 Voir le tableau A1 en annexe électronique 1, https://journals.openedition.org/sociologie/5792.

50Les tendances dégagées à partir de l’analyse des élections de 1975, 1995 et 2011 s’observent également lors des élections non retenues pour la modélisation (1999, 2003 et 2007)15. Entre 1999 et 2007, le vote de classe traditionnel a disparu et les spécialistes socioculturels sont toujours un peu plus de 50 % à voter pour la gauche. Les partis libéraux sont davantage plébiscités chez les classes les mieux dotées en capital économique. Enfin, le réalignement des classes populaires vers la droite populiste s’est confirmé lors de ces élections. La seule différence notable est le vote majoritaire des ouvriers pour la droite populiste en 2007 (52 %), alors qu’il s’établit pour les autres élections, depuis 1999, à environ 36 %. Cette majorité d’ouvriers votant pour la droite populiste constitue, jusqu’à présent, une exception.

51Du fait que la structure de classe s’est largement modifiée depuis les années 1970, de profondes transformations dans la composition des électorats s’observent. Le tableau 2 montre la composition socio-professionnelle de l’électorat des quatre familles politiques. En 1975, plus d’un tiers de l’électorat de la gauche est constitué des travailleurs non qualifiés et un peu plus de 10 % des ouvriers, alors que ces deux catégories ne composent plus ensemble que 11 % de l’électorat de gauche en 1995 et 7 % en 2011. Ces évolutions sont en grande partie liées à la forte diminution numérique des catégories ouvrières et non qualifiées au cours de cette période. En prenant en compte les employés qualifiés dont certaines franges constituent le pendant dans le secteur des services des ouvriers qualifiés, c’est-à-dire un prolétariat des services (Chenu, 2005), il en ressort que la part populaire de l’électorat de gauche a diminué de moitié entre 1975 et 2011 (de 60 % à 28 %). À l’inverse, la proportion des spécialistes socioculturels dans l’électorat de gauche est passée d’un dixième en 1975 à plus d’un tiers en 2011. Presque la moitié de l’électorat de la droite populiste en 1975 est composé des autres indépendants. En raison des changements structurels et du comportement de vote des différentes classes, cette proportion est retombée à un cinquième en 1995 et 2011. Un changement notable s’observe : les employés qualifiés qui ne représentaient que 3 % de l’électorat de la droite populiste en 1975 constituent un peu plus d’un cinquième de l’électorat en 1995 et un quart en 2011. Enfin, alors que le pourcentage des travailleurs non qualifiés qui votent pour la droite populiste augmente sensiblement au cours du temps (voir tableau 1), la part de cette catégorie au sein de l’électorat de la droite populiste s’est fortement rétrécie en raison de sa diminution numérique : elle est passée de 19 % en 1975 à 3 % en 2011.

Tableau 2 : Composition socio-professionnelle des électorats (% en colonne)

1975

Gauche

Centre & démocrates chrétiens

Droite

libérale

Droite populiste

Ensemble

Dirigeants et professions libérales

1

3

5

3

3

Autres indépendants

6

20

16

42

17

Spécialistes techniques

10

14

13

10

12

Managers

14

14

27

9

16

Spécialistes socioculturels

10

9

9

2

8

Employés qualifiés

12

15

7

3

11

Ouvriers qualifiés

11

8

4

12

9

Travailleurs non qualifiés

36

16

19

19

24

Total

100

100

100

100

100

n

146

140

97

59

442

1995

Gauche

Centre & démocrates chrétiens

Droite

libérale

Droite populiste

Ensemble

Dirigeants et professions libérales

3

4

5

1

3

Autres indépendants

9

14

17

20

14

Spécialistes techniques

13

11

11

18

13

Managers

16

19

25

19

19

Spécialistes socioculturels

27

19

17

7

19

Employés qualifiés

21

18

17

21

20

Ouvriers qualifiés

6

6

3

7

6

Travailleurs non qualifiés

5

9

5

7

6

Total

100

100

100

100

100

n

1472

589

958

754

3773

2011

Gauche

Centre & démocrates chrétiens

Droite

libérale

Droite populiste

Ensemble

Dirigeants et professions libérales

3

4

9

1

4

Autres indépendants

8

11

12

20

12

Spécialistes techniques

8

10

12

11

10

Managers

16

22

21

14

18

Spécialistes socioculturels

36

24

16

15

25

Employés qualifiés

22

21

24

25

23

Ouvriers qualifiés

5

6

5

10

6

Travailleurs non qualifiés

2

2

1

3

2

Total

100

100

100

100

100

n

665

414

357

404

1840

Les dynamiques temporelles du vote de classe

  • 16 À ce stade de l’analyse, nous sommes typiquement confronté à une limite de la modélisation log-liné (...)
  • 17 Le modèle saturé possède M composantes, avec M = min(I, J) – 1, où I indique le nombre de catégorie (...)

52Les modèles log-multiplicatifs permettent d’établir un diagnostic précis de l’évolution du vote de classe, indépendamment des transformations de la structure de classe et de la force électorale des partis. Le tableau 3 montre une série de modèles log-linéaires et d’association. Le modèle d’indépendance complète (modèle 1) ne s’ajuste pas aux données (p < 0,001), tout comme le modèle avec toutes les interactions d’ordre deux (modèle 2), ce qui indique qu’un modèle avec une interaction d’ordre trois doit être considéré. Comme le modèle avec une interaction d’ordre trois correspond au modèle saturé, nous avons estimé des modèles log-multiplicatifs plus parcimonieux que le modèle saturé mais qui permettent de conserver l’interaction entre les trois variables16. Le modèle d’indépendance conditionnelle (modèle 3) n’est pas consistant avec les données (p < 0,001). Le modèle postulant l’absence de variation temporelle du vote de classe (modèle 4) ne s’ajuste pas aux données. Cela signifie que l’on doit considérer un modèle qui prenne en compte des modifications au cours du temps de la structure et/ou de la force du vote de classe. Le modèle qui postule que les modifications de la structure et/ou de la force du vote de classe peuvent être captées avec une dimension log-multiplicative (modèle 5) ne présente pas non plus un ajustement satisfaisant (p < 0,001). Les modèles 6 à 9 permettent de déterminer le nombre de dimensions des composantes log-multiplicatives requises pour capter les variations du vote de classe au cours du temps. Les modèles 6 et 7, qui supposent que deux dimensions sont nécessaires pour capter les variations du vote de classe, ne présentent pas un ajustement satisfaisant (respectivement, p < 0,001 et p = 0,043). Le modèle homogène avec trois dimensions (modèle 8) ne s’ajuste pas non plus de manière satisfaisante aux données, alors que le modèle hétérogène à trois dimensions (modèle 9) correspond au modèle saturé avec 0 ddl (degré de liberté)17. La différence de déviance entre les modèles homogènes à deux et trois dimensions (modèles 6 et 8) n’est pas significative (3,81 pour 5 degrés de liberté). D’autre part, dans l’ensemble du tableau 3, la statistique BIC qui prend en compte la qualité d’ajustement du modèle, mais aussi sa parcimonie, sélectionne très nettement le modèle 6. L’analyse sera poursuivie à partir du modèle 6 en relaxant les contraintes d’homogénéité afin de rendre visible la dynamique temporelle du vote de classe. Ainsi, deux dimensions sont requises pour capter la structure des alignements et leur variation au cours du temps.

Tableau 3 : Modèles d’association conditionnelle

Description des modèles

ddl

L2

BIC

ID

p

1

Indépendance complète {R, C, L}

83

941,35

218,53

,141

,000

2

Toutes les interactions de second-ordre {RC, RL, CL}

42

94,84

–270,93

,042

,000

3

RC(0)-L homogène – indépendance conditionnelle {RL, CL}

63

498,39

50,26

,107

,000

4

RC(1)-L homogène

54

204,97

–265,29

,064

,000

5

RC(1)-L hétérogène

36

159,85

–153,66

,057

,000

6

RC(2)-L homogène

47

98,65

–310,66

,043

,000

7

RC(2)-L hétérogène

15

25,56

–105,07

,017

,043

8

RC(3)-L homogène

42

94,84

–270,93

,042

,000

9

RC(3)-L hétérogène

0

0,00

Notes : N = 6055, R = CSP, C = partis, L = période

53En utilisant les modèles 3 à 9 du tableau 3, une analyse des associations (ANOAS) permet de partitionner les statistiques du chi-carré et ainsi de décomposer leur qualité d’ajustement afin de déterminer la contribution relative de chacune des dimensions dans la relation (Wong, 2010). La partie A du tableau 4 est fondée sur les modèles homogènes complets (absence de variations de la structure et de l’intensité de l’association). Il en ressort que 59 % (avec 9 degrés de liberté) de la relation globale entre les CSP et le parti voté réside dans la première dimension, 21 % dans la seconde et seulement 1 % dans la troisième dimension. Enfin, presque 20 % est dû à l’hétérogénéité des composantes log-multiplicatives, ce qui indique que la relation varie selon la période. La partie B du tableau 4 repose sur les modèles hétérogènes complets. La première dimension capte 68 % de la relation totale, la seconde dimension 27 % supplémentaires et la troisième 5 %. Ces résultats confortent notre choix de retenir deux dimensions des composantes log-multiplicatives.

Tableau 4 : Analyses des associations (ANOAS)

Source

Modèles utilisés

Composante du L2

Pourcentage du total

ddl

A, Composante basée sur les modèles homogènes complets

Première dimension

(3) – (4)

293,42

58,87

9

Deuxième dimension

(4) – (6)

106,32

21,33

7

Troisième dimension

(6) – (8)

3,81

0,76

5

Hétérogénéité

(8)

94,84

19,03

42

Total

(3)

498,39

100,00

63

B, Composante basée sur les modèles hétérogènes complets

Première dimension

(3) – (5)

338,54

67,93

27

Deuxième dimension

(5) – (7)

134,29

26,94

21

Troisième dimension

(7) – (9)

25,56

5,13

15

Total

(3)

498,39

100,00

63

N = 6055.

54Le fait que le modèle postulant une structure et une force d’association constantes au cours du temps au sein de chacune des deux dimensions (modèle 6) ne s’ajuste pas aux données indique que l’association varie dans sa structure et/ou sa force selon la période. Pour déterminer précisément la forme de cette variation, plusieurs modèles partiellement homogènes seront testés en relaxant les contraintes d’homogénéité du modèle RC(2)-L homogène (modèle 6).

55Le tableau 5 présente une série de modèles RC(2)-L comportant différents types de restrictions (modèles 10 à 13). Le modèle 10 postule que la structure complexe d’association captée par les deux dimensions est constante au cours du temps et que seule la force de l’association varie au cours du temps pour les deux dimensions (homogénéité des paramètres lignes et colonnes sur les deux dimensions et hétérogénéité des paramètres d’association intrinsèque). Il présente, par rapport au modèle 6, une amélioration significative de la qualité d’ajustement avec une diminution de 18,38 points du chi-deux du rapport de vraisemblance (L2) pour une perte de seulement 6 degrés de liberté. En revanche, la valeur du BIC (qui prend en compte la qualité d’ajustement du modèle et sa parcimonie) sélectionne encore le modèle 6.

Tableau 5 : Modèles partiellement homogènes RC(2)-L

Description des modèles

ddl

L2

BIC

ID

p

10

Homogène dans µi1, νj1, µi2 et νj2

41

80,27

–276,79

,042

,000

11

Homogène dans µi1, νj1, µi2, νj2 et ϕ2

43

81,98

–292,49

,042

,000

12

Homogène dans µi1, νj1, µi2, νj2 et ϕ2, avec tendance linéaire dans ϕ1

44

84,46

–298,72

,042

,000

13

Homogène dans µi1, νj1, µi2, νj2 et ϕ2, avec tendance linéaire dans ϕ1 et contraintes d’égalité

52

90,00

–362,85

,042

,001

N = 6055.

56Le modèle 11 teste l’homogénéité dans les scores lignes et colonnes des deux dimensions et dans le paramètre d’association intrinsèque de la deuxième dimension, mais l’hétérogénéité dans le paramètre d’association intrinsèque de la première dimension. Cela implique que la structure d’association captée par la seconde dimension ne varie pas au cours du temps. Par rapport au modèle 10, celui-ci ne détériore pas la qualité d’ajustement avec une augmentation de seulement 1,71 points du chi-deux de vraisemblance (L2) pour un gain de 2 degrés de liberté. Le modèle 12, comparé au modèle 11, ajoute une restriction supplémentaire en postulant que la variation au cours du temps de la force du vote de classe captée par la première dimension suit une tendance linéaire (dans ϕ1) et ne présente pas une détérioration significative de la qualité d’ajustement (1 ddl, L2 = 2,48). Le modèle 12 présente toutefois une statistique BIC toujours inférieure à celle du modèle 6.

57Des restrictions sur les paramètres lignes et colonnes peuvent nous faire gagner des degrés de liberté et ainsi trouver un modèle qui présente une statistique BIC avec une valeur plus négative que celle du modèle 6. L’examen des paramètres estimés du modèle 12 (voir tableau 6) révèle que, sur les deux dimensions, plusieurs CSP (paramètres lignes) sont très proches, tout comme certains partis (paramètres colonnes).

58Par rapport au modèle 12, le modèle 13 (voir tableau 5) impose des contraintes d’égalité sur les paramètres lignes et colonnes, mais il ne détériore pas la qualité d’ajustement avec une augmentation de seulement 5,54 points du chi-deux de vraisemblance (L2) pour un gain de 8 degrés de liberté. Il présente par ailleurs la valeur du BIC la plus négative (-368,17), inférieure également à celle du modèle 6. Le modèle 13 satisfait les principes de qualité d’ajustement et de parcimonie. L’indice de dissimilarité (ID) entre la distribution observée et la distribution modélisée – qui donne la proportion d’observations qui devraient changer de cellules pour que le modèle s’ajuste parfaitement (Clogg & Shihadeh, 1994) – montre que notre modèle ne classe incorrectement que 4,2 % des observations.

59Les paramètres estimés du modèle final (modèle 13) sont reportés dans le tableau 6. Les scores (paramètres) estimés des lignes et colonnes s’interprètent en termes de distances (ou différences) relatives (Powers & Xie, 2008). La première dimension ordonne les partis selon un continuum qui oppose les partis de gauche aux partis de la droite populiste avec en position intermédiaire et un score similaire les partis du centre droit et chrétiens démocrates et les partis de la droite libérale. Les ouvriers, les travailleurs non qualifiés et les spécialistes socioculturels, qui ont un score identique sur cette dimension, sont fortement associés à la gauche. Les dirigeants et professions libérales, les autres indépendants et les managers sont associés au pôle opposé. Seuls les spécialistes techniques ne se distinguent pas sur cette dimension (leur score n’étant pas significativement différent de zéro). Cette dimension correspond dans une certaine mesure au vote de classe traditionnel : sur le continuum gauche-(extrême)droite, elle oppose les classes ouvrières aux classes moyennes et supérieures, excepté les spécialistes socioculturels qui affichaient déjà en 1975 une forte propension de vote pour la gauche. La diminution linéaire de la force de l’association captée par le paramètre d’association intrinsèque montre que le vote de classe traditionnel s’affaiblit au cours du temps, sans disparaître pour autant. Le déclin du paramètre d’association intrinsèque est calculé sur une base annuelle (-0,038). Entre 1975 et 2011, la force du vote de classe traditionnel est passée de 4,068 à 2,700, ce qui fait une diminution de 33,6 %.

60Tableau 6 : Paramètres estimés des modèles d’association 12 et 13

Modèle 12

Modèle 13

Dimensions

Dimensions

Paramètres

1

e.s.

2

e.s.

1

e.s.

2

e.s.

ϕmk

1975a

6,741

11,495

6,656

11,277

4,068

1,045

3,757

0,565

(association

1995

5,941

-

6,656

11,277

3,308

-

3,757

0,565

intrinsèque)

2011

5,301

-

6,656

11,277

2,700

-

3,757

0,565

Tendance linéaire dans ϕ1k

–0,040

0,018

–0,038

0,012

µim

Dirigeants et professions libérales

0,639

0,147

0,728

0,110

0,558

0,078

–0,712

0,049

(scores

Autres indépendants

0,313

0,153

0,190

0,182

0,351

0,047

–0,138

0,052

lignes)

Spécialistes techniques

–0,036

0,089

–0,082

0,088

–0,025

0,044

0,104

0,026

Managers

0,295

0,066

0,271

0,072

0,351

0,047

–0,301

0,049

Spécialistes socioculturels

–0,372

0,182

–0,215

0,216

–0,380

0,017

0,104

0,026

Employés qualifiés

–0,144

0,059

–0,148

0,055

–0,095

0,034

0,104

0,026

Ouvriers qualifiés

–0,402

0,095

–0,435

0,085

–0,380

0,017

0,419

0,026

Travailleurs non qualifiés

–0,292

0,092

–0,487

0,084

–0,380

0,017

0,419

0,026

νjm

Gauche

–0,520

0,136

0,419

0,128

–0,534

0,041

–0,356

0,015

(scores

Centre droit & chrétiens démocrates

–0,164

0,051

0,170

0,053

–0,137

0,029

–0,140

0,036

colonnes)

Droite libérale

–0,142

0,178

0,264

0,141

–0,137

0,029

–0,356

0,015

 

Droite populiste

0,826

0,053

–0,852

0,019

0,817

0,017

0,853

0,007

a Référence pour la tendance linéaire dans ϕ1k.

Notes : N = 6055, « e.s. » signifie erreur standard.

61La deuxième dimension s’interprète comme une variation complémentaire et secondaire qui s’écarte du vote de classe traditionnel, capté par la première dimension. Sur cette seconde dimension, les partis de la droite libérale et les partis de gauche, qui ont un score identique, s’opposent aux partis de la droite populiste. Les partis du centre droit et chrétiens démocrates sont assez proches des partis de gauche et de la droite libérale, quoiqu’avec un score moins élevé. Les travailleurs non qualifiés et les ouvriers sont fortement associés avec les partis de la droite populiste, alors que les dirigeants et professions libérales et, dans une moindre mesure, les managers sont clairement associés à l’autre pôle qui combine la droite libérale et la gauche. Les autres classes se situent en position intermédiaire – leur score étant relativement proche de zéro –, avec toutefois un positionnement des autres indépendants relativement proche de celui des managers. Contrairement à la première dimension, la force de l’association de la seconde dimension est constante au cours du temps. De plus, dès 1995, la force d’association de la seconde dimension est supérieure à celle de la première dimension qui diminue linéairement au cours du temps – en 2011, sa valeur est 1,4 fois plus élevée.

62Une représentation graphique et géométrique des paramètres estimés en ligne et en colonne sur les deux premières dimensions permet de faciliter l’interprétation de la variation de l’interaction. Étant donné que l’interaction est définie à la fois par les scores des paramètres lignes et colonnes, et par les paramètres d’association intrinsèques, la représentation graphique simultanée des deux premières dimensions requiert d’ajuster les scores des paramètres par la force de l’association.

Figure 1 : Scores estimés des partis et des CSP du modèle d’association 13

Figure 1 : Scores estimés des partis et des CSP du modèle d’association 13

63La figure 1 montre en haut le positionnement des partis sur les deux premières dimensions pour les trois élections et en bas, celui des classes sociales. Sur le graphique du haut, les partis de gauche s’opposent aux partis de la droite populiste sur les deux dimensions. La distance entre ces deux types de partis s’est réduite au cours du temps sur la première dimension. Sur le graphique du bas, trois classes s’opposent clairement sur les deux dimensions : les dirigeants et professions libérales d’un côté (situés dans le quadrant droit en bas) et les ouvriers et les travailleurs non qualifiés de l’autre (situés dans le quadrant gauche en haut). Ces classes affichent la distance la plus grande sur les deux dimensions. Sur la première (vote de classe traditionnel), cette distance diminue au cours du temps, renforçant de ce fait la seconde dimension. Si, à première vue, la seconde dimension semble prendre une importance relative plus grande au cours du temps, la plus grande partie de la variabilité de la seconde dimension réside dans le contraste entre ces trois classes sociales (dirigeants et professions libérales, ouvriers et travailleurs non qualifiés), les autres classes, excepté les managers, ayant un score relativement proche de zéro, mais néanmoins significativement différent. Bien que la première dimension s’affaiblisse au cours du temps, elle contraste, pour sa part, toutes les classes sociales, sauf les spécialistes techniques. C’est pourquoi, l’ANOAS (voir tableau 4) montre que 59 % de la relation globale est constituée par le vote de classe traditionnel (la première dimension). Ainsi, au cours de la période étudiée, en dépit de son affaiblissement, la contribution du vote de classe traditionnel (première dimension) au vote de classe total reste supérieure à celle du vote pour la droite populiste (seconde dimension).

Conclusions

64Dans ses premières manifestations, le vote de classe découlait des intérêts économiques. Pour certains observateurs, cette relation a disparu au cours du xxe siècle en raison, notamment, des nombreuses transformations sociales et économiques qui ont façonné ce siècle. D’autres auteurs, en revanche, considèrent que le vote de classe perdure mais que l’on assiste à des changements dans la structure des alignements entre classes et partis, et que les ressorts du vote de classe ne sont plus strictement fondés sur des enjeux et intérêts économiques mais plutôt sur des enjeux culturels.

65En utilisant trois enquêtes transversales, nous avons examiné l’évolution du vote de classe en Suisse entre 1975 et 2011. Nous avons testé les trois thèses classiques de la littérature sur le vote de classe, à savoir la thèse du déclin du vote de classe, la thèse de la persistance des alignements et la thèse du réalignement. Des modèles log-multiplicatifs ont été utilisés pour décrire la forme, la force et l’évolution des alignements entre les classes sociales et les partis.

66Nos résultats montrent que deux composantes log-multiplicatives sont nécessaires pour capter la structure et l’évolution du vote de classe dans le contexte suisse. La première dimension correspond au vote de classe traditionnel avec, d’un côté, l’association entre les ouvriers et les partis de gauche et, de l’autre, l’association entre les classes moyennes et supérieures et les partis de la droite populiste – les partis du centre droit et chrétiens démocrates se situant au centre du continuum gauche-droite populiste. La seule exception notable concerne les spécialistes socioculturels – la catégorie la plus fortement dotée en capital culturel – qui, en 1975, sont déjà distinctement associés avec la gauche. La deuxième dimension qui constitue une variation complémentaire et secondaire au vote de classe traditionnel oppose les partis de la droite populiste aux autres partis, avec d’un côté, une association des ouvriers qualifiés et des travailleurs non qualifiés avec ces premiers et, de l’autre, une association des dirigeants et professions libérales avec ces seconds. Notons que cette seconde dimension oppose les trois classes situées aux extrémités de la hiérarchie sociale et qui sont numériquement les plus petites en 1995 et 2011.

67L’utilisation de modèles d’association conditionnelle permet de capturer la temporalité de cette structure complexe d’association. Si cette structure d’association est constante au cours du temps, la force du vote de classe traditionnel – première dimension – diminue, en revanche, linéairement entre 1975 et 2011, alors que la force des alignements sur la seconde dimension reste stable pendant cette période. Ainsi, contrairement aux arguments avancés par les tenants du réalignement, l’association entre les perdants de la mondialisation – ouvriers et travailleurs non qualifiés – et les partis de la droite populiste ne s’est pas renforcée au cours du temps. Seule son importance relative a augmenté du fait de la diminution de l’intensité du vote de classe traditionnel.

68Ces résultats ne permettent pas de trancher définitivement en faveur d’une des trois hypothèses. La mise en évidence d’une structure complexe d’alignements entre classes et partis, et d’un affaiblissement linéaire du vote de classe traditionnel tend à infirmer la thèse de la persistance des liens (H1) avec cependant une réserve. D’une part, le vote de classe dans la dernière période considérée présente une structure d’alignements plus complexe que le vote de classe traditionnel. D’autre part, le vote de classe traditionnel, capté par la première dimension, tend à s’affaiblir graduellement. Néanmoins, et c’est notre réserve, le vote de classe traditionnel n’a pas disparu en 2011. L’affaiblissement linéaire de la force du vote de classe traditionnel, qui n’est pas compensé par une augmentation de la force du vote des ouvriers pour la droite populiste, va dans le sens de la thèse du déclin du vote de classe. Cependant, cet affaiblissement n’est pas suffisamment important pour pouvoir conclure à une dissociation des liens entre classe et parti telle que le postule la thèse du déclin. Tout au plus, observe-t-on un recul, et non une disparition, du vote de classe traditionnel sur une période de 36 ans. L’amplitude de ce désalignement couplée à la persistance d’une structure complexe d’alignement entre partis et classes sociales tend à nuancer, à défaut d’infirmer, la thèse du déclin du vote de classe (H2). L’affaiblissement du vote de classe traditionnel et la persistance de l’alignement entre les classes ouvrières et la droite populiste signifie que l’on assiste à un renforcement relatif de la seconde dimension (vote pour la droite populiste) au cours du temps, ce qui plaide pour la validation de la thèse du réalignement (H3). Toutefois, certaines réserves peuvent être avancées. La thèse du réalignement implique un renforcement au cours du temps du vote pour la gauche des spécialistes socioculturels qui ne s’observe pas dans le cas suisse. Ainsi, en 1975, les spécialistes socioculturels sont déjà fortement associés aux partis de gauche, ce qui nuance les conclusions des travaux qui montrent un réalignement de cette classe dans le contexte suisse (Kriesi, 1998 ; Oesch, 2012 ; Oesch & Rennwald, 2010). De plus, l’association entre les ouvriers et travailleurs non qualifiés et la droite populiste reste constante au cours du temps, alors que la thèse du réalignement suppose un renforcement de cette association.

69En définitive, ces trois thèses comportent chacune une part de vérité. Le résultat le plus saillant de nos analyses est la persistance au cours du temps d’un vote de classe. Ainsi, en dépit de l’affaiblissement relatif du vote de classe traditionnel, la structure complexe d’alignements entre classes et partis ne s’est pas, encore, profondément modifiée. Si la tendance linéaire à la diminution du vote de classe traditionnel se poursuit au cours des prochaines décennies, les alignements captés par la seconde dimension qui associe, entre autres, la droite populiste, les ouvriers et les travailleurs non qualifiés, supplanteront les alignements traditionnels. Mais comme ces deux catégories sont en déclin numérique et qu’elles affichent les taux d’abstention les plus élevés, ce réalignement ne devrait pas contribuer substantiellement au succès, ou à l’échec, électoral des partis de la droite populiste, ou de la gauche. Dans ce contexte, le récent succès électoral de l’Union démocratique du centre (UDC), qui incarne la droite populiste et nationaliste, doit être recherché ailleurs qu’au sein des catégories ouvrières et non qualifiées. Les électeurs susceptibles de peser sur l’issue des élections se recrutent en effet principalement au sein des classes moyennes, notamment au sein de ses composantes salariées, et des employés qualifiés dont certaines composantes constituent une nouvelle forme de prolétariat des services.

70Les transformations de la structure sociale – diminution numérique des ouvriers et des travailleurs non qualifiés et augmentation des classes moyennes salariées – et celles, corrélatives, du profil des électeurs, couplées aux évolutions du champ politique avec l’émergence et la disparition de partis politiques, ainsi que l’abandon par les partis de gauche d’un discours centré sur la lutte des classes, ce qui témoigne de la perte d’influence et de référence de l’approche marxiste, ont conduit les principaux partis à adapter leur rhétorique et leur programme pour capter le maximum d’électeurs (Tawfik, 2016). Tout cela a contribué à affaiblir les affiliations traditionnelles entre classes et partis (Müller, 1999, p. 141). Pour autant, le lien entre les partis de gauche et les ouvriers, et plus généralement entre un parti et une classe sociale, n’a rien de mécanique ni de « naturel », mais procède d’un travail de mobilisation et de représentation qui passe par tous les agents, individus comme institutions, du champ politique (Bourdieu, 2000 ; Müller, 1999). Sans processus de mobilisation collective, les intérêts de classe, économiques ou culturels, peuvent rester à l’état latent. Par conséquent, l’explication du changement ou de l’affaiblissement des liens entre classes et partis nécessite de porter aussi une attention aux transformations du champ politique dont l’histoire propre et les institutions déterminent en partie les stratégies des partis, des organisations et des groupes de professionnels (Bourdieu, 2000 ; Müller, 1999 ; Evans, 2010). Mais cela dépasse le cadre de cet article.

71Pour finir, revenons sur deux difficultés posées par l’analyse temporelle. Premièrement, la comparaison temporelle pose la question de la stabilité au cours du temps des indicateurs et des nomenclatures utilisées. Dans cet article, nous supposons que les catégories mesurant la classe (CSP) sont stables au cours de la période analysée. Toutefois, on se heurte à une difficulté qui réside dans le fait que la structure des professions, leur prestige et les ressources rattachées à ces professions sont susceptibles de se modifier au cours du temps. Le profil sociodémographique de certaines catégories a également pu évoluer – par exemple, la part des Suisses, la part des femmes, etc. En outre, la perception des professions et la manière dont elles sont vécues par les individus peuvent également varier selon les cohortes et la période. Dès lors, on s’expose au piège de la constance du nominal – l’utilisation de catégories que l’on suppose stables alors qu’elles masquent des variations réelles. L’intitulé d’une catégorie ne garantit en aucune manière sa stabilité au cours du temps.

72Deuxièmement, le choix d’une méthode pour l’analyse temporelle va de pair avec un type de raisonnement qui ne rend pas compte de l’ensemble du phénomène. Les modèles d’association log-multiplicatifs qui ont été utilisés dans cet article sont des outils particulièrement puissants et flexibles pour déceler les variations temporelles de la structure et de la force d’une association statistique. Les forces de ces modèles fondés sur l’odds ratio – et plus largement de tous les modèles de type logistique – constituent également leurs limites. Si, dans les comparaisons temporelles, l’analyse de l’évolution des structures de relations entre les variables devrait être privilégiée par rapport à l’analyse de l’évolution du niveau d’un phénomène, il ne faut pas, comme le relève Bruno Cautrès (1997, p. 93), raisonner uniquement en termes de structure mais « réfléchir au lien que ces deux niveaux de raisonnement peuvent avoir ». Une réflexion approfondie sur ces deux types de raisonnement reste encore à faire.

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Notes

1 Bien qu’il n’y ait jamais eu d’homogénéité culturelle ouvrière (Mallet, 1963), le processus de formation de la « classe ouvrière » a associé des acteurs collectifs (partis, syndicats, associations, coopératives) et certaines catégories d’ouvriers dotées d’une forte identité sociale. Le porte-parole politique de la classe ouvrière a été, selon les pays, le parti communiste ou socialiste.

2 La notion de service class est difficile à traduire en français. Elle regroupe les cadres, les professions intellectuelles supérieures et certaines franges des professions intermédiaires (Bidou-Zachariasen, 2000).

3 Dans une perspective bourdieusienne, cette distinction entre vote de classe et vote culturel ne fait pas de sens dans la mesure où le capital culturel est, avec le capital économique, une composante centrale dans la construction de l’espace social et dans la définition des classes sociales.

4 Voir le site de FORS : https://forscenter.ch/projects/selects/?lang=fr.

5 Les CSP 1990 au deuxième niveau de classement sont divisées en vingt catégories selon la profession, la situation dans la profession, la capacité d’organisation du travail, le niveau de formation et la branche professionnelle – agriculture, production et construction, services aux entreprises et de communication, services sociaux et personnels (Joye & Schuler, 1995).

6 Cette catégorie regroupe les ingénieurs, les cadres techniques et les intermédiaires techniques.

7 Cette catégorie regroupe les cadres et intermédiaires des services aux entreprises et de communication.

8 Cette catégorie regroupe les professions intellectuelles, les cadres et intermédiaires des services sociaux et personnels.

9 Bien que des évolutions morphologiques s’observent au cours de cette période, on peut raisonnablement considérer que la catégorisation utilisée mesure au cours de cette période des catégories relativement équivalentes. Dans cet article, l’analyse du vote de classe et de son évolution au cours de ces dernières décennies se centrera sur le niveau de la demande (les choix et préférences politiques des électeurs). L’investigation laissera en partie de côté les effets du champ politique et de ses transformations dans la détermination du vote.

10 L’indice de Kappa est « the standard deviation of class differences in vote choice in a given election » (Hout et al., 1995, p. 813).

11 De ce point de vue, les résultats d’un modèle d’association présentent certaines affinités avec l’analyse des correspondances (Goodman, 1986), mais les modèles d’association traitent de manière plus satisfaisante la question d’une éventuelle variation selon une troisième dimension, ici, l’année de l’enquête.

12 Les scripts permettant d’estimer les modèles sont disponibles en annexe électronique 2 (scripts lEM) et en annexe électronique 3 (scripts R), https://journals.openedition.org/sociologie/5792.

13 L’utilisation d’une catégorisation plus fine distinguant différentes catégories d’employés qualifiés et d’autres indépendants montre des variations importantes en termes de choix partisan en 1995 et 2011. Malheureusement, la taille de l’échantillon de 1975 ne permet pas d’utiliser une telle catégorisation.

14 Ce banal constat statistique soulève l’épineuse question de ce que recouvre le phénomène de vote de classe traditionnel en Suisse mais aussi celle de sa mesure. Suffit-il d’un écart en points de pourcentages (ou dans un modèle de régression d’un coefficient positif et significatif) pour affirmer l’existence d’un vote de classe traditionnel, à savoir un vote pour la gauche des ouvriers plus fort que celui des autres classes moyennes et supérieures ? Comment interpréter le fait que les ouvriers ne votaient pas majoritairement pour la gauche déjà en 1975 ? Est-ce un phénomène propre au contexte helvétique ? L’inclusion de l’abstention comme une modalité du choix électoral modifierait par ailleurs le tableau d’ensemble et l’image du vote de classe, sachant que les différences de participation aux élections entre les classes sociales sont importantes en Suisse (Tawfik & Horber, 2010 ; Rennwald, 2014).

15 Voir le tableau A1 en annexe électronique 1, https://journals.openedition.org/sociologie/5792.

16 À ce stade de l’analyse, nous sommes typiquement confronté à une limite de la modélisation log-linéaire standard, en l’occurrence, le choix entre le modèle saturé et le modèle incluant toutes les interactions d’ordre deux. Dans une logique de modélisation, conserver le modèle saturé est dénué de sens car cela contrevient au principe de parcimonie (Mair, 2006). Le modèle avec les interactions d’ordre deux ne présente pas une bonne qualité d’ajustement et n’est donc pas satisfaisant. Cette situation (conserver une interaction entre les trois variables et ajuster un modèle plus parcimonieux que le modèle saturé) nécessite d’imposer des restrictions ou des contraintes d’égalité dans le cadre d’un modèle log-linéaire ou, c’est l’option prise dans cet article, d’utiliser des modèles plus sophistiqués comme les modèles log-multiplicatifs, particulièrement appropriés pour déceler les dynamiques temporelles d’une association statistique.

17 Le modèle saturé possède M composantes, avec M = min(I, J) – 1, où I indique le nombre de catégories de la variable en ligne et J le nombre de catégories de la variable en colonne (M = min(8,4) – 1 = 3).

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Table des illustrations

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Titre Figure 1 : Scores estimés des partis et des CSP du modèle d’association 13
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Pour citer cet article

Référence électronique

Amal Tawfik, « Les transformations du vote de classe en Suisse entre 1975 et 2011 », Sociologie [En ligne], N° 3, vol. 10 |  2019, mis en ligne le 04 septembre 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/sociologie/5759

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Auteur

Amal Tawfik

amal.tawfik@unil.ch
Docteur, chercheur FNS senior, sociologie, Université de Lausanne - NCCR LIVES, Université de Lausanne, Bâtiment Geopolis, CH-1015 Lausanne, Suisse

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Droits d’auteur

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