3La plupart de ces travaux ont permis d’enrichir les connaissances sur les mutations du travail industriel, mais peu d’enquêtes ont été menées auprès de celles et ceux qui ont mis en œuvre ces changements, les patrons. C’est bien le constat établi par Jean-Claude Daumas, en introduction au Dictionnaire historique des patrons français : « l’histoire du capitalisme français de la fin du xix^e siècle à nos jours est depuis longtemps un objet de recherche, mais paradoxalement elle conserve, aujourd’hui encore, une face mal connue : les patrons eux-mêmes » (Daumas, 2010, p. 8). Sans prétendre à l’exhaustivité, l’ouvrage collectif dirigé par Michel Offerlé Patrons en France donne pourtant à voir toute l’importance d’étudier au plus près cette « élite » que sont les patrons (Offerlé, 2017 ; Daumas, 2010 ; Chauvin et al., 2014). Loin d’être un groupe homogène, petits, moyens et grands patrons ont d’abord en commun d’être en dehors du monde salarial et d’être l’une des catégories socio-professionnelles les moins féminisées. Même si « le vide historiographique a commencé d’être comblé » (Zalc, 2012), certaines questions demeurent, notamment à propos des petits patrons.

La coutellerie thiernoise : un district industriel en mutation

5La région thiernoise est un bassin industriel ancien. Les activités papetières et textiles développées dès le Moyen-Âge ont laissé la place au xix^e siècle à la coutellerie (apparue à Thiers dès le xiv^e siècle), qui s’est progressivement imposée comme mono-industrie au xx^e siècle. En 1827-1828, on estime à 5000 le nombre de personnes travaillant dans la coutellerie, elles sont 15 000 à 18 000 à la fin du xix^e siècle (Faure, 1986). Thiers est alors le principal centre de la production de couteau de poche, les couteaux de luxe étant produit dans d’autres bassins (Langres, Nogent). Comme l’explique Alain Faure, « tout ce qui se débitait à bas prix sur le marché français en matière de couteaux, pour l’étal ou le comptoir, la table et surtout la poche, était thiernois d’origine ou à peu près ». La chaîne de production est extrêmement segmentée et ce, très précocement, dès le xvi^e siècle (Combe, 1956) : forgeage de la lame, trempe, découpage, émouture, polissage, fabrication du manche, montage, essuyage, gravure, gainerie et emballage. En 1863, la partie métallique du couteau passe entre huit mains, le manche entre trois mains différentes, puis le monteur assemble, et enfin le mitreur, le poseur, l’affileur, l’essuyeuse et le plieur terminent le travail. Un couteau est ainsi passé entre dix-sept mains différentes (Combe, 1956). C’est une spécificité thiernoise, puisqu’à la même époque, dans d’autres bassins couteliers (Nogent ou Steyer en Autriche), c’est le même ouvrier qui réalise toutes les opérations. Cette industrie est alors, toujours selon A. Faure, « une véritable mosaïque d’ouvriers à domicile, de façonniers et de petits patrons ». Le travail à domicile est extrêmement répandu et reste majoritaire jusqu’aux années 1960-1970. Le donneur d’ordre (qu’on appelle couramment « le fabricant ») distribue le travail au sein des ateliers familiaux, à Thiers et dans la campagne environnante. Il organise aussi ses tournées pour récupérer les produits finis. La rémunération est fixée aux pièces (à la douzaine) et il est notable que le prix du travail est très faible dans le bassin thiernois, ce qui permet à cette industrie d’avoir des débouchés nombreux (notamment à l’étranger). Peu à peu, le travail à domicile laisse place au travail en usine, au fur et à mesure de l’installation des fabriques, qui arrivent avec la vapeur et l’électricité, au début du xx^e siècle.

7Bassin industriel, aujourd’hui essentiellement constitué de PME, le territoire thiernois a subi, au tournant des années 2000, de profondes restructurations qui se sont traduites par la perte d’un tiers des effectifs de ses salariés industriels (Albert-Cromarias, 2014). Cette contraction des emplois, qui s’est opérée en plusieurs étapes, a laissé des traces dans le paysage : les fermetures d’usines sont terriblement visibles dans le paysage et les friches industrielles constituent les stigmates de la désindustrialisation.

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11Suivant la suggestion de Jean-Claude Daumas, qui mentionne que « le monde des entrepreneurs des districts est mal connu » (Daumas, 2007, p. 145), nous souhaitons contribuer en particulier à l’histoire des petits entrepreneurs de districts industriels.

Méthodologie

Les trois entreprises étudiées font partie de l’écrasante majorité des entreprises. Rappelons à cet égard que 95 % des entreprises françaises (hors auto-entrepreneurs) sont des entreprises de 0 à 9 salariés, 138 000 entreprises sont des PME (10 à 250 salariés), 5000 sont des entreprises de taille intermédiaire (250 à 5000 salariés) et 243 sont des grandes entreprises (plus de 5000 salariés) (Offerlé, 2017, p. 607).
L’entreprise sous-traitante, Polyer, est aujourd’hui un établissement de 14 salariés ayant compté jusqu’à une cinquantaine dans les années 1980 ; l’entreprise Moulin-Marin employait jusqu’à 33 personnes, mais seulement 12 au moment de sa liquidation il y a deux ans ; et l’entreprise artisanale Guérin n’a jamais employé plus de 6 personnes, et au moment où elle disparaît il y a quelques mois, le patron est seul dans l’atelier. Si l’on reprend nos trois figures, on voit alors que le fabricant et l’artisan ont disparu, seul le sous-traitant a survécu.
Ces patrons ont été rencontrés dans le cadre d’une recherche menée au sein du LESCORES (Laboratoire d’études sociologiques sur la construction et la reproduction sociales, Université Clermont Auvergne). Les entretiens se sont déroulés le plus souvent à domicile et les entreprises ont fait l’objet d’observations ethnographiques.
Cette recherche s’inscrit également dans le cadre d’une enquête collective monographique sur le bassin thiernois entreprise depuis 2018 au sein du LESCORES. Le bassin thiernois se caractérise par un niveau élevé de chômage, une croissance forte de la pauvreté et de nombreuses actions publiques innovantes (comme l’expérimentation 0 chômeur) dans un contexte de recomposition de l’activité économique locale liée notamment à la désindustrialisation. Dans le cadre de cette monographie, plusieurs enquêtes sont ou ont été menées auprès des usagers des services sociaux, des salariés des entreprises à but d’emploi, des ouvriers de la coutellerie, des cadres de l’action politique locale, mais aussi des patrons de l’industrie coutelière.

Polyer : des ciseaux aux couteaux, patrons de gendre en gendre

13L’histoire de la première entreprise commence en 1903 à Saint-Rémy-sur-Durolle (commune qui jouxte Thiers), dans une impasse où exerce un coiffeur, Monsieur Polyer. Adroit de ses mains, ses descendants racontent qu’il commence par fabriquer lui-même ses ciseaux pour passer le temps, en attendant des clients. Un jour, un fabricant de ciseaux passe les portes du salon de coiffure et lui propose de lui acheter l’ensemble de sa production de branches de ciseaux forgées s’il continue cette activité. Monsieur Polyer accepte l’offre et achète alors une forge. L’entreprise ne cessera de se développer pour s’installer dans les années 1930, dans la ville de Thiers. Les deux fils Polyer, Jacques et Paul, reprennent l’entreprise vingt ans plus tard, puis seul Jacques poursuivra l’aventure. En 1982, l’entreprise qui ne change pas de nom, change d’associé au décès de Jacques Polyer. Un de ses gendres, Auguste Amandier, âgé de 31 ans, rachète les parts aux héritières. Polyer qui ne cesse de se développer, installe sa nouvelle usine à Saint-Rémy-sur-Durolle comme un retour aux sources entre 1987 et 1988.

14En octobre 2001, le gendre d’Auguste Amandier, Benjamin Belin entre dans l’entreprise. D’abord opérateur, puis chef d’atelier, Benjamin Belin se chargera du rachat de deux entreprises en 2003 et en 2007 pour sauver l’entreprise au tournant des années 2000. Pour faire face à l’arrêt des bons de commande des branches de ciseaux forgés l’entreprise doit diversifier sa production. Polyer rachète alors une affaire de fourniture de coutellerie avec les machines, les clients et toutes les pièces en fer qui composent un couteau fermant, puis une autre entreprise produisant des pièces pour le machinisme agricole. Benjamin Belin fait alors entrer l’entreprise familiale dans le champ de la coutellerie. Lorsqu’Auguste Amandier part en retraite, Benjamin Belin, 38 ans, devient le nouveau patron de Polyer en juillet 2012 en rachetant l’entreprise au prix qu’il aura lui-même fixé. Six mois après ce rachat, il investit dans une machine de découpage laser. L’investissement rend la santé économique de Polyer fragile mais permet à l’entreprise de trouver de nouveaux clients et de nouvelles commandes. L’entreprise familiale de 1903 est aujourd’hui la propriété de Benjamin Belin, séparé de Claire Amandier en janvier 2013.

D’où viennent les patrons : des repreneurs-héritiers aux trajectoires similaires

15Les similitudes sont frappantes entre les trajectoires d’Auguste Amandier et de Benjamin Belin. Auguste Amandier entre dans l’entreprise en 1973. Originaire du Gers, fils et petit-fils de vétérinaire, il rencontre sa future épouse en 1972, lors d’une réunion de famille. Cousine éloignée, Anne-Marie Polyer suit une formation de kinésithérapie à Clermont-Ferrand. À cette époque, Auguste Amandier fait des études de sciences économiques à la Faculté de Toulouse sans grand succès. Il décide alors d’arrêter, rejoint sa nouvelle épouse et intègre l’entreprise de son beau-père en attendant « de trouver autre chose ». Il restera finalement dix années au cours desquelles il apprendra tous les métiers de l’atelier mais aussi celui de son beau-père. En 1982, au décès de ce dernier, il rachète l’entreprise familiale et développe l’entreprise à l’international avec les exportations de ciseaux. À la fin des années 1990, l’entreprise doit composer avec les évolutions des modes de consommation mais aussi avec la concurrence des pays émergents. Il prendra sa retraite en 2012 suite à la vente de son entreprise à son gendre, Benjamin Belin.

16Benjamin Belin, lui, entre dans l’entreprise en octobre 2001. Originaire de Clermont-Ferrand, issu d’une grande famille d’affineurs de fromage, son père est technicien chez Michelin. Il rencontre sa future épouse en fin d’études à Clermont-Ferrand. Comme son beau-père, Benjamin Belin tente de suivre des études de sciences économiques mais ne valide pas sa première année. Au bout de deux ans, il décide d’arrêter et s’inscrit en DUT gestion des entreprises et des administrations en alternance dans une enseigne du secteur bancaire. À l’issue de sa formation, il n’obtiendra pas d’offre d’emploi de la part de la banque. Il décide alors d’économiser de l’argent en travaillant comme vendeur pour pouvoir financer une école de commerce privée par correspondance et se spécialiser dans le management du sport. En 1998, il est embauché par un athlète de triathlon pour organiser des événements sportifs outdoors. Fin 2000, il est licencié et se retrouve au chômage avec sa compagne, enceinte de son premier enfant. Claire Amandier est jeune infirmière. Auguste Amandier propose alors à Benjamin de venir travailler à l’usine.

17Au-delà du partage d’origines sociales proches, ils ont tous deux entamé des études de sciences économiques à l’Université qu’ils ne termineront pas. Pour Auguste Amandier cette fin avortée précipitera son entrée dans l’usine de son beau-père, comme une solution transitoire face à une situation de chômage. Pour Benjamin, finalement passé par un DUT puis une école de commerce, son entrée à l’usine de son beau-père s’est réalisée dans les mêmes circonstances d’inactivité professionnelle. Enfin, si les différences de qualification entre les deux paraissent importantes, puisque le premier n’a que le baccalauréat et le second un diplôme de niveau bac+4, ces trajectoires scolaires doivent être resituées dans le contexte historique d’augmentation du niveau de diplôme de la population et des patrons en particulier (Merle, 2017 ; Offerlé, 2017).

18Ces deux futurs patrons ne décrivent pas leur entrée à l’usine comme le résultat d’un projet mûrement réfléchi : elle apparaît plutôt comme une opportunité familiale d’accès à un emploi. Ainsi, leurs trajectoires professionnelles sont d’abord marquées par l’expérience de la condition salariale ouvrière. Pour Auguste, cette expérience s’inscrit dans une réalité productive où l’atelier était le principal lieu de création de richesse. Comme il le rappelle, à l’époque la gestion de l’entreprise était succincte, tout le monde travaillait dans l’atelier et les patrons partageaient les conditions de travail des ouvriers. Auguste développera des liens amicaux avec certains des ouvriers qu’il maintiendra après être devenu, à son tour, le patron de l’entreprise familiale. Sorti diplômé d’une école de commerce, les premiers pas à l’usine pour Benjamin ont d’abord été marqués par sa volonté de faire « sa place » parmi les ouvriers : 

Je me donnais des petits challenges, je me disais il faut que je produise tant pour prouver aux autres, comme j’étais le gendre de […] J’essayais d’être fort sur les rendements, de m’améliorer, d’aller vers eux, de comprendre leur travail pour leur prouver que je n’étais pas que là pour… que j’étais comme eux en fin de compte.

19Ainsi, si Auguste et Benjamin ont commencé comme ouvrier, de par leur niveau de qualification, leur origine sociale et leur filiation, ils n’étaient évidemment pas comme les autres. Ils s’appuieront néanmoins sur le partage de cette condition salariale pour reprendre l’entreprise lorsque les circonstances le permettront.

20Auguste accède au statut de patron dans des circonstances douloureuses, puisque c’est le décès de son beau-père qui précipitera le rachat de l’entreprise en 1982. Il doit alors racheter la part aux trois autres filles de Monsieur Polyer. Aucune n’est intéressée par l’entreprise, comme leur sœur Anne-Marie, l’épouse d’Auguste, elles ont construit leur vie professionnelle en dehors de l’univers industriel paternel. L’une est éducatrice, une autre institutrice et la dernière préparatrice en pharmacie. À l’époque, le patronat coutelier est un univers très masculin et comme Monsieur Polyer n’a pas d’héritiers directs, l’entreprise sera reprise par un des gendres, faisant d’Auguste un « repreneur héritier par alliance ». Ce cas de transmission à un gendre est plutôt classique dans l’histoire du capitalisme familial. C’est le cas par exemple pour l’entreprise SEB dans les années 2000 (Daumas, 2012), pour l’Énergie Industrielle dans les années 1930 (Catherine Vuillermot, in Daumas, 2003) ou encore pour l’entreprise lyonnaise Gillet. On y observe, comme ici, que « l’alliance matrimoniale précède généralement le recrutement dans l’entreprise » (Daumas, 2010, « Fondateurs, héritiers et managers », p. 781).

21Si Auguste parle de son accès au statut de patron comme le fruit des circonstances et des hasards de la vie, Benjamin Belin lui, parle davantage de « volonté ». Entré comme opérateur mais rapidement associé aux décisions stratégiques, Benjamin souhaite développer l’entreprise et mettre sa propre « patte ». Le rachat se réalisera dans des circonstances familiales compliquées au moment du départ à la retraite d’Auguste Amandier. En effet, dans un premier temps, le montant demandé par son beau-père lui paraît déraisonnable. Il voit cette offre comme une négation de son investissement passé. Les relations se tendent et il décide de se mettre en retrait des décisions. Touchée par la crise économique de 2008, l’entreprise connaît des résultats catastrophiques en 2009, 2010 et 2011. Auguste Amandier, qui aimerait partir en 2012, n’a toujours pas trouvé de repreneur. Benjamin Belin propose alors de racheter l’entreprise à ses conditions. En juillet 2012, l’entreprise du gendre Polyer est transmise au gendre Amandier pour quelques mois seulement. En janvier 2013, Benjamin Belin se sépare de Claire Amandier, ce qui dans le monde local des couteliers sera plus ou moins bien perçu.

Les transformations à l’usine : de l’atelier au bureau

Ça s’expliquait directement. Les gars entraient dans le bureau sans frapper, ils disaient il y a ça qui ne va pas c’était comme ça. C’était des fois un peu la paye, mais c’était surtout sur la gêne au travail. […] En fait j’ai beaucoup fait d’aménagement de travail. On traitait directement et tout de suite. Le gars venait, fallait traiter le problème. C’était informel dans le couloir de l’usine ou dans le bureau. […] Ils arrivaient en hurlant, au début tu te dis… bon ils arrivaient avec le marteau à la main en gueulant, donc… […] Le problème c’est de gueuler aussi fort qu’eux pour essayer de calmer un peu le jeu et puis après on arrive à discuter.

23En dehors de l’usine, les relations étaient différentes :

Il y avait des gens qui travaillaient chez moi avec qui j’étais copain quoi, des salariés de l’usine. On allait au rugby ensemble, on sortait ensemble. Après il y a une frange d’irréductibles qui disent qu’un « bon patron est un patron mort », donc cette petite partie c’est sûr qu’on ne sortait pas ensemble. […] Après le patron c’est à part, ça reste le patron.

24Lorsque Benjamin reprend l’entreprise, il met du temps à trouver sa place et vit assez mal certaines postures. Formé au management et aux nouvelles formes d’organisation du travail, il a pour projet de transformer l’usine en « entreprise libérée ». Son objectif est de rendre possible l’expression créative des opérateurs, de valoriser les prises d’initiatives mais ses efforts ne sont pas récompensés. Voici le récit qu’il fait de cet échec :

J’ai hérité de gens qui ont été, tout le temps, dirigés. Il y avait un directeur, un chef d’atelier et des opérateurs. Et c’est des gens qui ont fait des carrières en étant sur un poste avec quelqu’un qui leur disait : « faites ci, faites ça, comme ci, comme ça. » Donc très peu ont de l’autonomie en fait. Quand j’ai repris, j’ai voulu assez rapidement passer vers l’entreprise libérée avec une responsabilisation des gens… et la remise en confiance des gens. Ça, je n’ai pas réussi à le manager comme il faut. Je pensais que les mecs allaient être super contents de retrouver de l’autonomie pour faire ce qu’ils voulaient. En fait tu te rends compte que non. Il y a des gens qui veulent arriver le matin et savoir ce qu’ils ont à faire, point.

25Comme de nombreux patrons, Benjamin aimerait faire disparaître les postures salariales traditionnelles. Il regrette que ses opérateurs ne se sentent pas solidaires de sa condition patronale et n’adhérent pas aux besoins supérieurs de la pyramide de Maslow, comme le besoin de s’épanouir au travail. On retrouve dans l’entretien une critique forte de la condition salariale et une plainte de la condition patronale. Les travaux sur les patrons ont montré qu’au-delà de leurs différences, ce discours était partagé par la plupart des patrons : discours négatif du fonctionnaire, de celui qui ne fait pas plus, de celui qui compte son temps de travail, d’un temps de travail trop réglementé, etc. Ces propos, qui n’ont rien de nouveau, semblent pourtant trouver un nouvel élan dans les nouvelles formes de management prônant l’implication des salariés (Linhart, 2018). Pour Benjamin, salariés et patrons sont sur le même bateau. Benjamin regrette les tensions qui peuvent exister dans son entreprise mais aussi dans la société. Pris à partie sur un rond-point par des gilets jaunes à cause de sa « voiture un peu classe », il ne comprend pas que les gens qui ne partagent pas les mêmes opinions n’arrivent plus à vivre ensemble.

Industrie, commerce international, nouvelles technologies

26Le vécu de patrons d’Auguste et Benjamin comme nous venons de le voir n’est pas tout à fait identique. Pour mieux contextualiser les raisons de ces différences il faut revenir sur l’impact des évolutions économiques sur l’industrie Polyer.

27À 31 ans, Auguste Amandier prend la tête d’une entreprise familiale qui produit des branches de ciseaux. Il profite d’un nouveau procédé, l’estampage à froid, pour exporter sa production en Italie et en Allemagne, « les plus gros producteurs de ciseaux mondiaux estampés ». L’estampage à froid permet de taper le métal sans avoir à le chauffer pour le transformer. De très grosses presses font leur apparition et remplacent peu à peu marteaux-pilons et fours. Cette innovation permet ainsi de baisser les coûts tout en augmentant la production. L’entreprise connaît un essor sans précédent dans les années 1980. Un seul produit, une cinquantaine de clients, toute l’entreprise est tournée vers la production. Pour 10 000 paires en vente, 100 000 paires étaient produites et toujours écoulées.

28Les difficultés commencent dans le courant des années 1990 avec l’émergence de nouveaux modes de consommation comme l’utilisation des ciseaux à anneaux plastiques. Le départ de nombreux clients qui se tournent vers la Chine renforce les difficultés. Pour Auguste Amandier « c’était la logique de la mondialisation ». Polyer perd alors de nombreux clients et se voit contraint d’abandonner la production de ciseaux, « balayé par les chinois ». De cette époque il garde un goût amer. Il regrette le rôle joué par la chambre de commerce locale, comme il le raconte :

Notre marché s’est éteint parce que nos clients sont partis en Chine, début des années 2000. La chambre de commerce multipliait les voyages en Chine sous couvert de vendre aux chinois… enfin ils ne se cachaient pas vraiment, ils emmenaient nos clients pour acheter leurs ciseaux là-bas quoi. Ils nous disaient qu’on allait inonder la Chine en leur vendant nos produits français et en fait on a acheté leurs produits ! C’était la logique de la mondialisation.

29Ces évolutions feront basculer Polyer dans l’univers de la coutellerie par le rachat de deux entreprises qui sauveront, pour un temps, l’établissement. En effet, en 2009, l’entreprise est au plus mal et son redressement interviendra en 2013, à la suite de la reprise de Benjamin Belin qui investira dans une machine de découpe laser. Les effectifs se réduiront, principalement par le non remplacement des ouvriers partis à la retraite. Aujourd’hui Polyer ne compte plus que quatorze salariés. Cette contraction de la main d’œuvre s’explique moins par les évolutions technologiques que par la baisse des commandes. On retrouve dans les évolutions de l’entreprise Polyer toutes les transformations contemporaines du capitalisme : les innovations technologiques, les nouveaux modes d’organisation et de management, la concurrence des pays étrangers mais aussi la division internationale du travail. Voici ce qu’Auguste Amandier raconte à propos de la disparition de « l’aristocratie de la coutellerie » que constituait la fabrication des instruments de chirurgie :

On subit la mondialisation, la conjoncture. Politiquement c’est difficile comme pour la chirurgie, il y avait des usines à Nogent qui étaient dans les premières mondiales, c’était exceptionnel, des pinces sur-mesure pour certaines opérations. Il y avait une industrie de pointe, c’était l’aristocratie de la coutellerie, les instruments de chirurgie. À l’époque, Giscard a vendu une centrale nucléaire au Pakistan et le Pakistan leur grande spécialité c’est les instruments de la chirurgie. Voilà, fin de la chirurgie à Nogent. Alors est-ce que ça a amené beaucoup plus à la France de vendre une centrale ? Est-ce que ça valait le coup de tuer l’industrie chirurgicale à Nogent ? Je ne sais pas. À mon niveau, je ne le sais pas. Quand on est impliqué on fait la gueule, c’est tout, on ne peut rien faire d’autre.

30Avec l’histoire de l’entreprise Polyer, nous sommes face à un capitalisme familial fondé sur des capitaux personnels et familiaux, éprouvé par les assauts de la mondialisation. En effet, face à la quasi disparition de la production de ciseaux en France au début des années 2000, l’entreprise doit réorienter entièrement sa production. Cette gageure est plutôt réussie, puisque l’entreprise parvient à survivre. Ce capitalisme de notables par les gendres parvient, par l’investissement dans la technologie et par une bonne utilisation de sa notoriété locale, à éviter le désastre. En effet, d’une part, l’achat d’une machine coûteuse mais très performante donne à l’entreprise un atout non négligeable et, d’autre part, l’inscription de ses dirigeants dans les réseaux d’interconnaissance thiernois rend possible une réorientation réussie vers la sous-traitance en coutellerie.

31La transmission, question toujours délicate pour une entreprise, s’opère ici par les gendres. S’il y a bien un avantage à régler ses affaires en famille, il faut malgré tout pour le gendre (lors de la première transmission) effectuer un rachat des parts des autres membres de la famille, transaction forcément coûteuse. Quant à la seconde transmission, il s’agit en réalité bien plus d’un achat que d’un héritage familial, achat d’autant plus périlleux qu’il intervient en 2012, dans une conjoncture peu favorable.

32L’entreprise Polyer, malgré ces écueils, survit. Ce n’est pas le cas pour toutes les entreprises thiernoises de la coutellerie. Certaines, pourtant anciennes et reconnues, ont disparu. Parmi elles, de célèbres enseignes dont la renommée internationale avait été assurée par certains modèles de couteaux comme l’entreprise Moulin-Marin.

Moulin-Marin : la fin d’une petite entreprise indépendante

34Leur fils Bernard, né en 1946, aide très tôt ses parents à l’atelier, passe un CAP de mécanicien-outilleur et entre dans l’entreprise à son retour de l’armée. L’entreprise familiale (le père, la mère, le fils aîné et sa femme, rejoints par le fils cadet qui entre à son tour à l’atelier) se développe et le nombre de salariés augmente. Au moment de la retraite des parents à la fin des années 1970, les deux fils deviennent les patrons. Bernard est gérant, assurant les commandes, et de fait la direction de l’entreprise, le cadet se consacrant plutôt à la production. Ils élargissent leur production au couteau fermant en 1985 : c’est un couteau de meilleure qualité, qui exige plus de savoir-faire. Ils recourent à un designer pour dessiner un nouveau modèle qui va faire la notoriété de cette petite entreprise et lui assurer des ventes nombreuses. Dans les années 1990-2000, les effectifs atteignent trente-trois salariés (une dizaine à l’atelier, une vingtaine d’ouvriers à domicile et deux représentants), ce qui les classe dans la catégorie des entreprises de taille moyenne, à Thiers.

35Lorsque Bernard arrive à l’âge de la retraite, sa fille aînée, Emmanuelle, aurait bien envie de reprendre l’entreprise. Mais les obstacles sont nombreux. Bernard vend son entreprise en 2008. Le repreneur, Pierre Tombel, est un cadre d’une entreprise de la région, passionné de couteaux. L’entreprise connaît alors de nombreuses transformations, organisationnelles, technologiques, P. Tombel multiplie les canaux de distribution et se tourne vers les produits fabriqués en Chine. Ces choix ne seront pas payants et moins de dix ans plus tard, il dépose le bilan, les actionnaires (essentiellement des banques), ayant refusé de continuer à financer l’entreprise. En novembre 2017, c’est la fin de l’entreprise Moulin-Marin, après 71 ans d’existence.

D’où viennent les patrons ? D’un fondateur à un héritier par défaut

37Ce qui est sans doute le plus saillant dans la trajectoire de Bernard, c’est qu’il entre dans l’entreprise familiale, à la sortie du service militaire, sans goût pour l’industrie, ni pour le produit fini, le couteau : « J’ai eu mon CAP de mécanicien outilleur, j’ai fait deux ou trois outillages mais ça ne me plaisait pas particulièrement, et puis je suis allé travailler à l’usine [l’entreprise familiale]. » Il complète sa formation par de la comptabilité : « C’était du secrétariat et de la comptabilité, c’était la mère machin, c’était un petit truc privé à Thiers… le diplôme il devait pas avoir beaucoup de valeur, mais on passait un examen ».

38Bernard, au cours de l’entretien, finit par dire que les couteaux ne l’ont jamais véritablement intéressé : « Les couteaux, ça me sort par les yeux. » Sa passion, ce sont les voitures et il n’est entré dans l’entreprise familiale, d’une certaine façon, que par obligation : « Je suis entré dans l’entreprise, c’est pas que ça m’intéressait pas du tout, mais j’étais pas un passionné. » Son père l’a impliqué très tôt dans l’entreprise, ce qui rend la transmission assez « naturelle » : « J’ai commencé très jeune, il nous a fait travailler très jeune comme lui il avait travaillé jeune aussi, à 10 ans j’empilais les lames, des petites bricoles, les vacances ça nous occupait. »

39Même s’il ne compte pas ses heures et que son engagement dans l’entreprise est très fort, son intérêt pour le couteau et son industrie est faible. Cet élément est sans doute une clé pour comprendre la transmission ratée de l’entreprise à sa fille et donc la vente à un « repreneur ». En effet, lorsque Bernard décide de prendre sa retraite, sa fille cadette Emmanuelle, a 32 ans. Exactement l’âge auquel il a hérité de l’entreprise. Elle y travaille alors depuis dix ans et semble avoir toutes les cartes en main pour hériter dans de bonnes conditions. Comme son père, elle est entrée dans l’entreprise un peu comme une évidence :

Emmanuelle : Mon père m’a dit « il faut que tu trouves quelque chose qui te plaise », […] et il m’a dit « nous à l’usine on a besoin d’une commerciale, quelqu’un pour faire la route » et il m’a dit « si tu veux tu prends les valises et tu vas voir si ça te plaît. ».
Enquêteur : Prendre les valises ?
Emmanuelle : Oui, prendre les valises de couteaux, avec les échantillons, donc j’ai commencé, mais bon c’était mieux pour moi d’avoir un bac+2, donc j’ai fait un BTS à Clermont par alternance.

40Titulaire d’un BTS force de vente, elle assure les débouchés commerciaux de l’entreprise familiale pendant une dizaine d’années. Passionnée par les produits, elle connaît toutes les étapes de la fabrication. Alors qu’elle est désireuse de reprendre l’entreprise, elle doit faire face à de nombreux obstacles. D’une part, il faudrait qu’Emmanuelle rachète à son oncle la moitié des parts de l’entreprise. D’autre part, il faudrait que Bernard passe la main et aide sa fille quelques années. Or, il a envie d’arrêter et sa femme – présente lors de l’entretien – souhaite également qu’il prenne sa retraite, pour qu’ils puissent plus souvent profiter de leur mobil-home dans le midi. De plus, selon Emmanuelle, son père a toujours considéré que « ce n’était pas un métier de femme ». Tout comme pour l’entreprise Polyer la transmission de l’entreprise ne s’est pas faite à l’une des filles renforçant au passage le poids des hommes dans le patronat coutelier. Cette faible proportion de femmes se retrouve également dans le patronat français (Offerlé, 2017). Emmanuelle mettra quelques années à « faire le deuil » de la perte de l’entreprise familiale.

41C’est un « repreneur », cadre supérieur d’une entreprise de la région, passionné de couteaux, qui va donc acheter l’entreprise en 2008. Cette reprise se réalise dans un contexte de relative confiance puisqu’« il avait travaillé chez B., une boîte qui vend de l’acier et puis il était intéressé, il s’est trouvé que son grand-père connaissait mon père, ils avaient été à la pêche ensemble, enfin il est resté six mois à éplucher tous les dossiers, il venait sans arrêt, il était super sympa ». Néanmoins, les relations avec ce nouveau patron se détérioreront progressivement et la dernière Moulin-Marin, Emmanuelle, quittera définitivement l’entreprise familiale en 2017, six mois avant le dépôt de bilan.

Les transformations du travail : d’un patron proche des ouvriers à un manager tourné vers le « développement »

42Bernard est un patron qui se dit proche des ouvriers. Comme chez Polyer, la distance entre patron et ouvriers est faible, les relations sont décrites par Bernard comme plutôt bonnes :

Moi j’ai un caractère assez souple […] si je ne passe pas les voir quelques temps, ils disent à Emmanuelle :« Ouais ton père il passe pas, tu lui diras de passer. » Tout le monde, les fournisseurs, les ouvriers, j’ai jamais eu de problème. Je suis allé une fois aux prud’hommes et j’ai gagné parce que c’était pas ma faute.

43Le changement est radical avec le repreneur de l’usine, qui pourtant affiche sa passion pour les couteaux. Il confie la direction de la production à Emmanuelle, qui supervise également l’aspect commercial, ainsi que la comptabilité. Quant à lui, il se concentre principalement sur le développement de l’entreprise. Il met rapidement en place des nouveaux projets avec l’ouverture de boutiques. Il trouve également de nouveaux fournisseurs en Chine. Il assure le financement de ces projets grâce à ses relations avec les banques et les actionnaires. Ce nouveau patron n’est plus dans l’atelier. Il se situe bien aux antipodes du capitalisme familial traditionnel. Ce capitalisme, que certains ont pu qualifier d’archaïque, se caractérise par l’ancrage local et la place de la famille : on le voit à l’œuvre chez Moulin-Marin, mais aussi chez Polyer. Il permet aussi au patron et à sa famille (Bernard pour Moulin Marin, Auguste chez Polyer) de vivre correctement, mais sans ostentation. Sur cet aspect également, le modèle porté par P. Tombel, qui affiche ouvertement sa volonté de faire fortune dans la coutellerie, est radicalement différent.

Les évolutions des modes de consommation et de la production : une fabrique qui monte en gamme et finit rattrapée par la Chine

44Fondée en 1946, l’entreprise produit dans un petit atelier situé en face de la maison d’habitation avec quelques ouvriers. L’entreprise emploie également quelques ouvriers à domicile. Cette forme de production est très commune dans les villages de la montagne thiernoise à cette époque. L’entreprise produit au départ les couteaux les plus faciles à fabriquer : « Ils font le couteau de table, le plate-semelle, c’est des couteaux avec des rivets en bois, c’est la base du couteau, c’est les couteaux les moins chers […] il ne fallait pas un outillage sophistiqué. »

45Pour assurer des débouchés à ces produits, deux représentants de commerce sillonnent la France pour l’entreprise familiale. Ensuite, c’est Bernard qui assurera en partie cette mission : « On faisait du porte à porte, les clients, de la prospection. » L’entreprise prospérant, ils produisent des couteaux de meilleure qualité, avec des manches en corne, en ivoire par exemple. Et en 1985, le passage au couteau fermant est une évolution notable, car elle nécessite un outillage plus sophistiqué. Ces couteaux se vendent bien, la commercialisation est réalisée par Emmanuelle et deux autres représentants.

46Les années 1990 marquent l’heure de gloire du couteau et de l’entreprise familiale. Moulin-Marin produit des Laguiole mais aussi un couteau conçu par un designer qui remporte un énorme succès. Ce modèle phare représente alors 30 % de leur chiffre d’affaires. Ils profitent également du lancement de la marque « Thiers », qui relance la production coutelière en 1995. En effet, Bernard participe à la création en 1994 de la confrérie des couteaux de Thiers. Cette confrérie est composée de neuf couteliers artisans et chefs d’entreprise thiernois qui s’associent pour financer les pièces mécaniques servant à confectionner le « Thiers », achètent les fournitures en commun, chacun produisant ensuite à sa manière ce modèle de couteau.

47Mais cette embellie ne dure pas, car la concurrence est sévère selon Bernard : « Il y en a beaucoup qui se sont mis sur le marché et puis plus l’importation chinoise. » Au moment de la retraite de Bernard et de la vente de l’entreprise en 2008, même si l’entreprise est « moyen haut de gamme », on est dans une période de basses eaux et l’entreprise ne compte plus que douze salariés, alors qu’elle en comptait trente-trois dans les années 1990.

48Le nouveau patron, P. Tombel reprend l’entreprise en ayant de nombreuses idées pour la développer. Tout d’abord il souhaite augmenter la qualité des produits. Passionné de couteaux, il veut faire de la marque, une entreprise leader. À son arrivée, il modifie les procédés de production et déménage l’entreprise dans des locaux plus modernes. Il développe le site internet de l’entreprise et décide d’ouvrir des points de distribution directe de la marque. Au cours de la même année, il ouvre la boutique de l’usine, une à Clermont-Ferrand et une à Thiers.

49Pierre Tombel, comme d’autres patrons du secteur, se tourne également vers la Chine. Ce choix est assez mal vécu par Emmanuelle. Moulin-Marin ayant toujours fabriqué ses couteaux avec des matières premières produites localement, l’utilisation de fournitures produites en Chine lui apparaît comme une vraie rupture avec l’histoire de l’entreprise familiale. Les relations atteignent un point de non-retour pour Emmanuelle, lorsque P. Tombel décide de mettre ces produits dans des emballages aux couleurs de la France au motif que l’emballage est bien fabriqué en France. Au début P. Tombel parvient même à faire produire en Chine des couteaux, qu’il achète 3 euros et qu’il revend 35 euros dans sa boutique, en ayant simplement apposé la gravure « Thiers, by Moulin-Marin ».

50Ainsi, pendant quelques années, l’entreprise commercialise deux types de couteaux : des couteaux « traditionnels » fabriqués dans l’usine et des couteaux fabriqués en Chine qui sont simplement gravés et conditionnés dans l’usine thiernoise. Mais P. Tombel est rapidement rattrapé par les logiques du commerce international. Les fournisseurs chinois ne travaillent avec des entreprises françaises que pour de grandes quantités :

Le problème c’est qu’il fallait rentrer beaucoup de stock, parce que quand il passait les commandes en Chine, c’était énorme par référence, par couleur c’était 2000 minimum. Donc il fallait trouver de l’argent et ce n’est pas avec ce qu’ils produisaient, non les produits traditionnels, ça nous permettait de vivoter, de faire tourner la boîte, mais lui il avait besoin d’énormément de fond pour pouvoir faire rentrer tous les stocks et après les revendre.

51La petite entreprise thiernoise n’est donc plus adaptée au type de développement souhaité par son nouveau manager : il lui manque de la trésorerie. Pierre Tombel a alors recours à l’actionnariat des banques pour lever de nouveaux fonds et fait entrer Moulin-Marin dans le capitalisme financier. Malheureusement ces mêmes actionnaires voteront la fin de l’entreprise, neuf ans plus tard.

52Chez Moulin-Marin, on est donc passé de la figure du petit patron à celle du manager. La reprise familiale, pourtant possible, a été écartée (sans doute en partie parce que l’héritière était une fille, mais aussi vraisemblablement à cause d’une mésentente familiale qui rend délicate une reprise au sein de la famille) au profit d’un cadre dirigeant d’une entreprise locale qui inspire confiance du fait de l’interconnaissance locale. Ce patron d’un nouveau genre semble plus adapté au capitalisme d’aujourd’hui : il n’hésite pas à chercher des fournisseurs moins chers, il recourt aux banques pour être financé et pour ses débouchés il développe la vente directe à l’usine mais aussi les ventes en ligne. Outre ses imprudences financières (pratique de la « cavalerie ») il commet un impair de taille : il sape la notoriété de l’entreprise en trichant sur le « made in France ». De ces deux faux pas, il ne se relèvera pas.

53On voit bien dans cette histoire d’entreprise ce qui constitue le talon d’Achille de ce capitalisme familial : d’une part, la famille peut être le théâtre de dissensions et de déchirements, d’autre part, l’héritier ne vit pas toujours son statut de patron sous le mode de la vocation et de la grâce. Patron par défaut, l’héritier peut alors fragiliser l’entreprise. Cette question de la transmission, également déterminante pour d’autres types d’indépendants, a fait l’objet de célèbres travaux (Champagne, 2002). Les sociologues et les historiens qui ont étudié les conditions de réussite du capitalisme familial insistent sur l’importance de la transmission du pouvoir d’une génération à l’autre. Par exemple, Pierre Lamard, dans ses travaux sur les entreprises franc-comtoises oppose deux cas : une entreprise « Japy » qui n’a pas réussi à régler la question du pouvoir entre les branches de la famille, a finalement éclaté en plusieurs sociétés autonomes. L’autre entreprise « Viellard-Migeon » a choisi, dans le cadre d’un « pacte de famille », de recentrer l’entreprise à chaque succession sur l’une des deux branches. La seconde est indemnisée, cette stratégie a permis à l’entreprise de se pérenniser (Lamard, 1988, 1996).

L’entreprise Guérin : la fin d’un petit artisan passionné

54L’histoire de la famille Guérin commence lorsque Baptiste, né dans les années 1880, responsable d’atelier dans une grosse coutellerie, décide de « se mettre à son compte ». Il est le premier de la lignée de cette toute petite entreprise qui se consacre à la finition des couteaux (montage, polissage, essuyage). Quand elle démarre, l’entreprise Guérin fait travailler trois ouvriers à domicile pour le polissage.

55La fille de Baptiste, Marie, seule enfant, hérite de l’entreprise et avec son mari Jacques, originaire d’une famille d’ouvriers couteliers, ils deviennent leur propre patron. À la fin des années 1950, l’entreprise familiale connaît des difficultés économiques et ne peut pas offrir un emploi aux héritiers. Les deux fils sont contraints d’aller chercher du travail à l’extérieur. Il faudra attendre les années 1970, pour que le fils cadet, Paul, relance l’entreprise familiale grâce au rachat de la partie coutellerie de l’entreprise Male et Palice dans laquelle il travaillait jusqu’alors.

56Louise, originaire de Chabreloche, mariée à Paul depuis 1958, élève leurs deux enfants (Thierry né en 1961 et Gilles né en 1967), jusqu’à ce que Paul se mette à son compte. Elle travaille alors à l’essuyage. En 1977, Thierry arrête l’école et vient aider son père à l’atelier. Quelques ouvriers à domicile complètent l’équipe. Paul a également embauché deux représentants multicartes. La petite entreprise fabrique des couteaux professionnels, sous la marque Male et Palice, ainsi que des couteaux de table, sous la marque familiale Guérin au signe de la raquette.

57Dans les années 1980, Paul rachète une petite entreprise qui fait du couteau de table avec manches en plastique (Roussel Bechon) avec trois salariés (un monteur et deux essuyeuses). Dans ces mêmes années, comme ils sont plus nombreux, il construit un nouvel atelier, attenant à leur maison. Les affaires sont florissantes. Gilles, le fils cadet, entre à son tour dans l’entreprise en 1985. Son frère aîné, lui, décide d’arrêter en 1990 pour réaliser son rêve d’enfant, devenir gendarme.

59Suite à la retraite de Paul en 1993, l’entreprise Guérin retourne à la figure de l’artisan, seul dans son atelier. Gilles se réoriente alors vers le couteau de poche : l’arrivée du « Thiers » en 1995, aventure à laquelle il participe, est bienvenue. Gilles est l’un des neuf entrepreneurs de la confrérie des couteaux de Thiers. Gilles maintiendra cette activité jusqu’en 2018. Cette même année, il ferme son entreprise et entre chez Polyer comme chef d’atelier.

Qui sont les patrons ? Du salariat au petit patron et retour au salariat

60Paul est le second enfant de Jacques et Marie, né en 1933. Issu d’un milieu qui s’apparente plus à l’artisanat (quand il parle de ses grands-parents, il les qualifie d’ailleurs d’artisans), Paul ne fréquente l’école que jusqu’à 14 ans, ce qui est monnaie courante dans les années 1940 pour les enfants des classes populaires. En effet, très jeune, sa mère « le sort de l’école » et le pousse à travailler dans l’atelier familial. Il commence au polissoir. Rapidement son père l’envoie travailler dans une forge, pour parfaire son expérience.

Mon père un jour me dit : « Je vais te trouver une place à l’extérieur, ça t’apprendra à travailler, au lieu de rester ici à regarder les mouches. » Et je suis rentré dans une usine et j’ai travaillé, j’avais 16 ans, dans une forge.

61Il y perdra une partie d’un de ses doigts. Il part ensuite effectuer son service militaire. À son retour, en 1957, l’entreprise familiale va mal et il ne peut pas reprendre l’activité. En possession du permis poids lourds obtenu au service militaire, il trouve un emploi salarié dans une entreprise de transport pendant une douzaine d’années. Il achemine les fournitures et pièces pour la coutellerie dans la région. Puis il travaille à partir de 1970 comme chef d’atelier dans une entreprise de la Monnerie, qui fabrique des couteaux professionnels et des cutters pour lino. Cette entreprise est en déclin et sur le point de fermer au moment de la mort du patron. Paul décide alors d’emprunter et de racheter la partie coutellerie de l’entreprise.

62Paul devient patron lorsqu’une opportunité se présente mais aussi par passion pour les couteaux. Au moment de sa retraite, ce n’est pas son fils aîné qui va lui succéder, mais son fils cadet, Gilles, à qui il transmet également son ethos d’artisan. Gilles intègre l’entreprise familiale par goût, dès ses 18 ans, après son baccalauréat construction mécanique au lycée Jean Zay de Thiers. Il semble aussi attaché que son père à ce travail qui est aussi un mode de vie :

Ben tout, le travail ici, avec mon père, mes parents et j’aimais bien fabriquer du poche, je touchais à tout et, en étant là, je faisais des choses toujours différentes, un jour vous faites le polissage, un jour vous montez les couteaux, un jour vous faites des factures et puis je voyais aussi les ouvriers à domicile, un jour je faisais la finition de couteaux de poche, un jour la finition de couteaux fixes et puis au niveau qualité de vie c’est top, j’habitais à côté, ma femme est de la Monnerie, à 16 heures quand il fallait aller chercher ma fille à l’école c’est mon père qui y allait, c’est l’avantage de travailler comme ça.

Les transformations du rôle : être patron dans une toute petite entreprise – travailler, encore et toujours, côte à côte avec des ouvriers

64Les relations entre Paul et les quelques salariés qui travaillaient pour lui étaient quasiment des relations amicales. Il faisait également travailler quelques ouvriers à domicile, chez qui il amenait les fournitures, puis récupérait les couteaux montés. L’atelier d’environ 100 m², construit en contrebas de la maison dans les années 1980, comprenait une pièce pour la fabrication (polissage), une pour le stockage des produits, une pour la comptabilité et une pour l’essuyage et l’emballage. Outre Paul puis Gilles, deux ou trois ouvrier·es travaillaient dans cet espace (un monteur et deux polisseuses au maximum), les deux ou trois autres salariés travaillant à domicile. Le « patron » travaillait alors au cœur de l’atelier : « On avait le grade de patron, mais on travaillait autant qu’un autre et on avait la responsabilité. »

65Cette façon de travailler et cette proximité avec les ouvriers perdureront lorsque Gilles reprendra les rênes de l’entreprise. Contrairement aux deux cas évoqués plus haut, le patron reste, ici, dans l’atelier. Il est ainsi conforme à l’idéaltype de l’artisan, dans lequel « ouvriers et patrons de l’artisanat, sans distinction de statut, maîtrisent l’ensemble du procès de fabrication, sans spécialisation de tâches » (Mazaud, 2013, p. 78).

Les transformations de la production et de la consommation – une entreprise artisanale malmenée par les changements

66Deux éléments ont particulièrement fait évoluer l’entreprise Guérin : les modes de consommation (déclin du couteau de table de qualité) et les normes d’hygiène dans les cuisines (disparition du manche en bois et hégémonie du manche en plastique).

67La grande vogue des arts de la table, dans les années 1980, est pain béni pour la petite entreprise Guérin, qui rachète une très petite entreprise qui produit des couteaux de table avec manche en plastique très à la mode à l’époque :

Quand on a racheté cette société qui faisait les couverts de table, elle travaillait avec Geneviève Lethu et donc on a fait des couverts pour Geneviève Lethu, ça marchait bien. Et en même temps ça a commencé à être compliqué, l’importation a commencé à arriver, les sociétés du coin qui n’avaient pas de difficultés, les grosses ont commencé à venir sur les marchés des petites parce qu’il y avait moins de boulot, donc fin des années 1990, Geneviève Lethu on se l’est fait piquer par la SCOF, c’était une grosse boîte. C’est des petits marchés qui disparaissaient pour certains donc on commençait à avoir des difficultés. Mais on rebondissait, quand on perdait un client, on allait en chercher un autre mais c’était plus compliqué que dans les 1970 où il y avait du boulot pour tout le monde.

68Le déclin du couteau de table va aussi contraindre l’entreprise à des changements importants :

Les marchés ont commencé à baisser, les professionnels et « le table » pouh… parce que « le table » était trop cher à cause des importations, si vous allez à Ikea vous avez six cuillères, six fourchettes, six couteaux pour 40 euros, et nous 40 euros c’est le prix d’un couteau, parce qu’on fait des lames en inox forgé, avec des manches montés à la main, donc le prix d’un couteau paye une ménagère entière chez Ikea. Donc là, le marché du couteau de table haut de gamme entre guillemets a plongé.

69Si ce sont les modes de consommation qui sont en cause pour le couteau de table, pour le couteau professionnel, autre produit fabriqué par l’entreprise Guérin, c’est le changement des normes d’hygiène qui est en cause :

Les deux ou trois grosses sociétés qui fabriquaient du professionnel ont tout pris parce que le manche plastique est devenu roi et nous on faisait que du manche bois, juste un peu de manche plastique à rivets, ça a été supprimé parce que les bouchers n’ont plus eu le droit d’utiliser des manches bois pour l’hygiène, donc que des manches plastique, et qui dit manche plastique dit machine à injecter, et donc les grosses qui faisaient du professionnel sur Thiers avaient des machines à injecter et nous on ne pouvait assembler qu’avec des rivets, mais très vite on n’était plus compétitifs. Ceux qui arrivaient avec un manche moulé, c’était plus beau, c’était moins cher, c’était plus hygiénique, petit à petit on a perdu des marchés.

70Gilles, seul à travailler dans l’entreprise ces dernières années, s’est replié sur la production du couteau de poche, qui demeure un produit haut de gamme :

Le couteau de poche m’a ramené du travail et ça a pris une grosse partie de mon chiffre d’affaires. Parce que le couteau de poche a continué à se faire et il a une grosse valeur ajoutée. Un Laguiole bien fait, un Thiers bien fait, il se vend toujours.

71Les mutations du capitalisme mondialisé ont profondément transformé les petites entreprises, car les grands groupes qui faisaient travailler ces petites entreprises ont disparu ou font désormais produire en Chine :

• 19 Le groupe Couzon, fondé en 1947, spécialisé dans la fabrication de couverts, plats et vaisselle en (...)

Il y a 10 ans on travaillait pour le groupe Couzon, on leur faisait le montage des couverts haut de gamme, parce que notre savoir-faire les intéressait, donc pour ce qu’ils envoyaient aux États-Unis, c’était nous qui faisions le montage, mais le groupe Couzon il existe plus, pourtant c’était 300 ou 400 emplois19.

72L’entreprise Guérin a mis la clé sous la porte en 2018 sous les effets conjugués de ces évolutions. L’activité de Gilles s’est progressivement restreinte, il a alors travaillé de temps en temps en sous-traitance pour l’entreprise Polyer et s’est fait peu à peu à l’idée de travailler comme salarié dans cette entreprise. Il s’entend bien avec Benjamin dont il partage l’ethos de petit patron, ce qui a sans doute facilité le passage au statut de salarié dans cette entreprise. Lorsque Benjamin cherche un nouveau chef d’atelier, c’est une opportunité pour Gilles. Mais, même si son travail chez Polyer est intéressant et les conditions de travail sont satisfaisantes, c’est tout de même la fin du travail indépendant : « la fin de l’entreprise familiale… c’est la fin de tout ».

73L’histoire de l’entreprise Guérin illustre les difficultés auquel est confronté le capitalisme artisanal : extrêmement sensible à la conjoncture, il se situe en réalité à la frontière du salariat et les historiens des petits patrons ont d’ailleurs bien mis en évidence que « les allées et venues du salariat à l’indépendance sont fréquentes, au gré des rythmes biographiques et des conjonctures locales » (Zalc, 2012, p. 62). Ce capitalisme artisanal partage avec les deux autres types précédents une forte inscription locale : la notoriété, l’inscription dans une histoire ancienne constituent un atout pour survivre. Cet atout n’est pas suffisant dans un contexte de concurrence internationale accrue, mais permet une reconversion réussie dans le salariat.

Trois histoires de petites entreprises à l’aune des évolutions économiques et sociales

74À travers ces trois histoires d’entreprises thiernoises apparaissent des grandes transformations économiques et sociales qui ont touché la société française. Prendre la mesure de l’histoire industrielle de la filière coutelière locale permet de mieux saisir les conséquences de ces transformations sur le territoire et sur le métier de petit patron.

75Ainsi, l’arrivée de nouvelles techniques de production (l’estampage à froid, les nouvelles machines, la découpe laser, etc.), la division internationale du travail avec l’arrivée des pays émergents (essentiellement la Chine et le Pakistan), l’évolution des modes de consommation avec la consommation de produits de faible qualité (souvent obsolètes et souvent remplacés) et le déclin du couteau de poche comme objet du quotidien ou la diminution des listes de mariage (Bologne, 1995 ; Bianco & Martin, 2018), la diffusion des normes, principalement les normes d’hygiène dans le secteur alimentaire (Bruegel & Stanziani, 2004) et enfin la diffusion de nouveaux modes de management, sont autant d’évolutions qui ont impacté directement l’industrie thiernoise.

76Parmi les conséquences les plus marquantes, on peut relever la baisse significative du nombre de fabricants et la concentration de l’activité sur quelques entreprises qui parviennent à tirer leur épingle du jeu, plutôt sur des produits haut de gamme et de gamme moyenne. Pour le territoire, cela s’est principalement traduit par une baisse importante du nombre de salariés du secteur. On peut comparer la coutellerie thiernoise au secteur de la chaussure, étudié notamment par Florent le Bot. Le district de Romans, spécialisé dans la chaussure a été durement touché par la concurrence internationale. Le nombre d’entreprises a drastiquement chuté dans la seconde moitié du xx^e siècle (204 entreprises en 1948, 3 en 2000) et la concentration de l’emploi s’est accrue (22 salariés par entreprises en 1948, plus de 400 salariés dans les trois entreprises en 2000). Les entreprises qui ont survécu se sont spécialisées dans la chaussure de luxe (Le Bot & Perrin, 2011).

78La constitution en confrérie a également permis de faire du couteau de Thiers une marque déposée et de se distinguer ainsi de la concurrence internationale. Le festival international du couteau d’Art et de tradition « Coutellia » organisé depuis 1991 participe aussi de la mise en scène d’une tradition locale, qui permet à Thiers de s’afficher comme la capitale mondiale de la coutellerie. Cette démarche n’est là encore, pas spécifique à l’industrie coutelière. Le travail de Marie-France Garcia-Parpet (2009) sur le secteur viticole analyse finement les stratégies, notamment de labellisation, mises en place par les viticulteurs pour s’adapter à la fois à la mondialisation mais aussi à l’évolution des pratiques de consommation. Tout comme l’ont montré les travaux pionniers de Norbert Elias et Pierre Bourdieu sur les processus de diffusion des pratiques sociales, l’utilisation des couteaux et la consommation de vin ont connu des évolutions notables. Le couteau comme le vin ont longtemps été des marqueurs de classes populaires. Le couteau, utilisé autrefois comme outil, est aujourd’hui devenu un objet d’art et de distinction sociale. Quant au vin, il est davantage consommé par les professions des classes supérieures (Laisney, 2013).

80Le rôle joué par ces petits patrons dans le jeu de la mondialisation n’a pas toujours été couronné de succès. Comme nous l’avons vu, Benjamin a fait le pari de l’investissement technique pour relancer l’activité et diversifier la production. Mais ce choix a finalement mis en péril le système économique de l’entreprise. Il a également tenté de mettre en œuvre un changement managérial fondé sur l’implication des travailleurs, choix qui s’est révélé impossible à appliquer. Quant à P. Tombel, il a détruit sa réputation par son choix de commercialiser des produits chinois étiquetés « made in France » et s’est coupé du soutien des réseaux locaux d’interconnaissance. Face au déclin du secteur coutelier, Gilles, petit patron artisan a finalement mis un terme à l’entreprise familiale pour ne pas rester seul dans un atelier techniquement dépassé et désormais délaissé.

81Pour poursuivre l’étude des petits patrons, il conviendrait d’engager des recherches sur d’autres secteurs d’activité afin de comparer et de préciser les contours et les résistances de ce monde social face à ces évolutions économiques et sociales.