• 1 Segalen M. (1985), Quinze générations de Bas-Bretons : parenté et société dans le pays bigouden-sud (...)

1Martine Segalen, décédée le 23 juin 2021, est une figure marquante de la sociologie de la famille. Née le 20 juillet 1940 à Pornichet (Loire-Atlantique), elle intègre l’Institut d’études politiques de Paris, dont elle sort diplômée en 1960. Elle s’inscrit à l’Université Paris-V pour préparer une thèse d’État sous la direction de l’ethnologue Jean Cuisenier. Elle la soutiendra en 19841 tout en intégrant, dans l’entre-temps, le CNRS comme chercheuse au Centre d’ethnologie française, laboratoire dont elle sera directrice de 1986 à 1996. Elle y restera trois décennies. En 1996, elle quitte le CNRS pour devenir professeure d’ethnologie à l’Université de Nanterre.

• 2 Segalen M. (1981), Sociologie de la famille, Paris, Armand Colin.

2C’est sans conteste dans le domaine de l’analyse des familles que sa contribution à la sociologie a été la plus marquante. Il faut d’emblée noter que Martine Segalen a construit son agenda de recherche et de publications sur la famille à l’intersection de l’ethnologie, de l’histoire, de la démographie et de la sociologie. Martine Segalen n’est donc pas seulement ou même peut-être « principalement » sociologue. Cette mixité des disciplines (toutes cependant résolument ancrées dans les sciences sociales), lui a permis de contrer de fait l’influence qu’elle a toujours estimée réductrice de la sociologie américaine de la famille, d’inspiration fonctionnaliste, pour un temps largement présente en Europe2.

• 3 Segalen M. (1980), Mari et femme dans la société paysanne, Paris, Flammarion.

3Martine Segalen semble de fait avoir été en porte-à-faux avec plusieurs thèses sociologiques dominantes portant sur la famille dans les années 1950 à 1980, qui insistaient sur la radicale rupture des modes de fonctionnements familiaux contemporains d’avec la situation des familles dans les sociétés d’avant la modernité. De fait, en privilégiant une démarche empirique diachronique, elle démontre la variabilité des comportements familiaux du passé et les continuités reliant les modèles familiaux à travers le temps historique. C’est aussi un des grands mérites de son œuvre d’avoir documenté et analysé les différences de développement des formes familiales à travers les périodes de l’histoire selon les classes sociales et selon le genre, génératrices de variabilité dans les logiques et attentes familiales présentes dans la société contemporaine3.

• 4 Segalen M. & Attias-Donfut C. (1998), Grands-parents. La Famille à travers les générations, Paris, (...)

6Plus récemment les recherches de Martine Segalen se sont portées sur les relations intergénérationnelles4, notamment entre grands-parents et petits-enfants. Ces recherches ont souligné le rôle fondamental de la famille dans les transmissions mémorielles, garantes du lien social et de l’autonomie individuelle. De tous ces points de vue, les travaux de Martine Segalen ont encouragé plusieurs générations de chercheurs et chercheuses européens à développer des agendas de recherche qui innovaient par rapport à ce qui se faisait outre-Atlantique, où les questions touchant à la fonctionnalité ou dysfonctionnalité des familles (en termes de contribution de la famille au bien-être des adultes et à la socialisation des enfants) ont toujours été très importantes, au détriment d’une attention plus poussée à leurs logiques de constitution ou de fonctionnement et à leur inscription dans des contextes historiquement et spatialement situés. L’œuvre de Martine Segalen a rendu les sociologues attentifs aux continuités historiques et leur a rappelé l’importance de la famille et de la parenté comme structures sociales fondamentales, au même titre que le marché du travail ou que l’État social. Tout ceci dans des ouvrages à la lecture passionnante, tant la plume de leur auteure était claire, précise et alerte.