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2020
Les élites par leurs marges : (im)perméabilité et performativité des frontières sociales

Les diplomates palestiniens : une élite à la marge du mouvement national palestinien ?

Palestinian diplomats: an elite on the fringes of the Palestinian national movement?
Romain Damien

Résumés

Aux débuts du mouvement national palestinien, les représentants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) étaient avant tout des membres proches du leadership palestinien, en particulier du Fatah et de Yasser Arafat. Mais le développement d’une profession diplomatique réglementée ainsi que l’intégration massive de fonctionnaires dans la nouvelle administration diplomatique au sein des Territoires palestiniens occupés après les accords d’Oslo de 1993 favorisent l’émergence d’une nouvelle génération de diplomates. Ces nouveaux membres, censés représenter le visage du professionnalisme de la diplomatie palestinienne, doivent composer avec des pratiques clientélistes qui se pérennisent et faire valoir leurs capitaux propres pour légitimer leurs positions au sein de cet espace.

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Texte intégral

  • 1 L’OLP est fondée en 1964 à Jérusalem. Jusqu’en 1968, l’organisation reste sous la tutelle étroite d (...)
  • 2 Al-Fatah : mouvement nationaliste palestinien fondé en 1959 au Koweït par plusieurs fedayin et diri (...)
  • 3 Je tiens à remercier Yves Mirman, Aude Signoles, Philippe Aldrin ainsi que l’équipe en charge de ce (...)

1À la sortie de son ouvrage Guide to Diplomatic Practice en 1917, Sir Ernest Satow défendait l’idée que la diplomatie était le domaine réservé des hautes sphères de l’État et de son aristocratie, soient des membres de l’élite de la société incarnés par les statesman (Neumann, 2012). Dans le cas palestinien, les ambassadeurs ne sont pas certes des aristocrates mais appartiennent aux élites du mouvement national palestinien. Cette recherche s’inscrit donc à la suite des travaux portant sur ces élites : politiques (Picaudou, 1984), économiques (Hanafi, 1997) ou encore notabiliaires (Legrain, 1996). Dans le cadre de notre thèse sur la professionnalisation du corps diplomatique palestinien, nous nous intéressons à un autre groupe d’élite : les diplomates. Les premiers représentants palestiniens étaient des membres de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) 1 qui développe progressivement son réseau diplomatique à travers le monde après sa reconnaissance en 1974 par les Nations-Unies comme le seul représentant légitime du peuple palestinien. Les personnes nommées pour représenter l’organisation sont avant tout des personnes de confiance, membres du Fatah 2 pour la grande majorité et qui soutiennent les positions de Yasser Arafat sur le futur de la Palestine 3.

2Bien que ces représentants ne soient pas absents de la littérature scientifique sur le mouvement national palestinien (Cobban, 1984) ils sont toutefois éclipsés par les figures dirigeantes des fedayin (Picaudou, 1989) ou encore par les négociateurs des accords d’Oslo (Enderlin, 2002). Cette absence des représentants dans la littérature leur confère une première position de marginalité dans le sens où ils ne rassemblent pas les grands noms de la résistance palestinienne. De plus, si beaucoup d’ouvrages portent sur la diplomatie palestinienne selon les périodes (Brynen, 2000), peu se réfèrent aux représentants eux-mêmes. La littérature dédiée aux diplomates se concentre finalement sur l’Occident (Kessler, 2012 ; Neumann, 2012). Mais à la grande différence du cas palestinien, ces études peuvent porter sur plusieurs siècles, la constitution puis les changements des corps diplomatiques évoluant au gré des changements des régimes politiques (Bély, 2007). À l’inverse, l’histoire de la diplomatie de l’OLP remonte à moins de 60 ans. De fait, il est difficile d’évaluer les conséquences de la professionnalisation des diplomates palestiniens, ce processus étant encore en cours.

3Par professionnalisation, nous nous référons ici à la sociologie des professions anglo-saxonne qui définit cette notion comme un processus de monopolisation d’une activité professionnelle par un groupe limité via l’instauration de règles, de normes et d’une éthique régissant le fonctionnement d’une profession (Hugues, 1996). Ce processus s’incarne pour le corps diplomatique par le recrutement massif puis la « fabrique » réglementée de diplomates répondant aux canons internationaux de la bonne gouvernance promulgués par les bailleurs de fonds de l’Autorité palestinienne. L’objectif de cet article est donc de saisir les effets de ce processus sur les profils des diplomates palestiniens qui, jusqu’à présent, s’assimilaient aux élites politiques étudiées par Nadine Picaudou (Picaudou, 1984). De nouvelles recherches mettent en exergue l’émergence d’une élite professionnelle au sein des Territoires palestiniens occupés (TPO) favorisée par les donations des bailleurs de fonds internationaux (Hanafi & Tarar, 2004 ; Sbeih, 2014). Cette élite du monde associatif palestinien bénéficie toutefois d’une certaine autonomie vis-à-vis du leadership palestinien. Or, le corps diplomatique reste une composante importante de ces institutions.

  • 4 L’Autorité palestinienne a été mise en place en 1996 au sein des TPO après la signature des accords (...)
  • 5 Hamas : parti islamiste fondé en 1989. En 2006, le Hamas remporte les élections législatives et dev (...)

4Dès lors, l’objectif de cet article est de déterminer en quoi la professionnalisation instaure une configuration (Elias, 2008) dotée d’un double enjeu positionnel avec d’un côté l’entrée d’une nouvelle élite au sein de l’espace diplomatique mais dont les positions dominantes restent contrôlées par des membres qui sont eux-mêmes à la périphérie des élites dirigeantes. Nous avons donc à la fois une première compétition au sein de l’espace diplomatique et une seconde avec ses rapports au mouvement national palestinien. À la suite des travaux de Robert Putnam, nous souhaitons nous concentrer sur les filières d’accès, les critères de sélection, les prérequis nécessaires ainsi que leurs temporalités pour saisir les changements au sein de ce groupe d’élite (Putnam, 1976). En ce sens, nous envisageons les diplomates palestiniens comme des « nouvelles catégories sociales nées à l’articulation du développement du système éducatif et de l’État moderne, qui se légitiment par un savoir socialement valorisé, et fondant une compétence professionnelle moderne » (Longuenesse, 2007, p. 95). Dans le cas palestinien, plutôt que d’un « État moderne », nous resituons notre analyse dans le contexte de la genèse d’une administration nationale palestinienne, incarnée par l’Autorité palestinienne (AP) 4, soumise à la fois à des contraintes internes (l’occupation des TPO, la division entre le Fatah et le Hamas 5) et à des pressions externes (injonction à la bonne gouvernance par les bailleurs de fonds).

5Nous diviserons notre travail en deux temps. Tout d’abord, nous reviendrons sur les changements dans les profils des diplomates palestiniens à travers une approche générationnelle pour analyser dans un second temps les nouveaux rapports de force instaurés par la professionnalisation du corps.

Note méthodologique
Cette enquête repose sur plusieurs terrains réalisés auprès de huit missions palestiniennes en Europe et du ministère des Affaires étrangères palestinien basé à Ramallah. Les données utilisées se basent sur 40 entretiens biographiques réalisés auprès du personnel diplomatique, dont 33 diplomates. Précisons dès maintenant les difficultés liées à cette méthodologie, ne serait-ce que par l’accès difficile à nos enquêtés. Peu de nos entretiens ont été enregistrés car peu d’acteurs ont accepté et, étant visiblement dérangés par ce type d’interaction, nous avons fini par abandonner cette pratique. Pour compléter les entretiens, nous avons établi des fiches biographiques. Au total, nous avons pu reconstituer 130 profils de diplomates palestiniens à partir de nos données empiriques (entretiens compris). À partir de ces profils, nous avons dégagé quatre générations de diplomates que nous présenterons plus en avant : la génération de la Nakba (36 profils), des cadres de l’OLP (38 profils), du MOPIC (16 profils) et d’Oslo (40 profils). Cette démarche générationnelle suscite toutefois un véritable déséquilibre entre les profils, aussi bien en termes quantitatifs que qualitatifs. Les membres des deux premières générations étant des personnalités publiques, il a été plus simple pour nous de les rencontrer ou de récupérer des informations détaillées sur leur parcours, à l’aide d’articles de presses et d’interviews, de biographies, de pages personnelles ainsi que des who’s who. À l’inverse pour la dernière, nous nous basons sur six entretiens et des CV collectés en ligne.

Générations de diplomates : d’une élite politique à une élite professionnelle ?

Les représentants de l’OLP : des élites politiques comme les autres ?

6Les travaux de Nadine Picaudou sur le mouvement national palestinien (Picaudou, 1984) mettent en évidence un changement dans les profils de ses leaders après la guerre de 1948. Avant le conflit, le mouvement était essentiellement dirigé par les élites traditionnelles de la Palestine mandataire issues des grandes familles et dont la légitimité reposait principalement sur la propriété terrienne et l’économie marchande ce qui leur permettaient d’occuper des postes influents comme celui de maire. Or, avec la Nakba (catastrophe en arabe), l’exil de plus de 750 000 Palestiniens provoqué par la guerre, plusieurs grandes familles ont perdu leurs propriétés. Les leaders politiques ont dû se réfugier dans les pays arabes voisins, perdant ainsi une partie de leur autonomie. Les États arabes se sont alors faits les champions de la cause palestinienne jusqu’à ce qu’une nouvelle génération de Palestiniens conteste ce monopole en revendiquant la lutte armée contre l’État d’Israël. L’appel à la lutte a cristallisé l’opinion des réfugiés palestiniens ce qui a permis aux fedayin de prendre le contrôle de l’OLP en 1968.

7Les profils de ces nouveaux leaders palestiniens divergent des précédents. Nadine Picaudou distingue deux groupes : les « leaders historiques » (fondateurs des partis) et les « cadres » mais dont les profils sont similaires. L’historienne les définit avant tout comme une bourgeoisie intellectuelle marquée par les deux exils du peuple palestinien (1948 puis 1967). À l’inverse des élites traditionnelles, ces nouveaux dirigeants viennent d’un milieu plus modeste ou de petite bourgeoisie. Mais plus que sur la question des origines sociales, ils se distinguent surtout par leurs appartenances aux groupes de fedayin, victimes de la Nakba puis de l’exil de 1967, ainsi que par un capital scolaire plus développé en ayant suivi leurs études dans des universités arabes. Ces dernières furent des espaces cruciaux en termes de socialisation politique à la cause palestinienne. C’est à travers les réseaux internationaux des syndicats étudiants, en premier lieu la GUPS (General Union of Palestinian Students), que ces leaders ont pu rassembler les cadres puis organiser et entraîner les groupes armés. En ce sens, les fedayin se caractérisent par leur expérience transnationale. L’exil les a poussés à circuler dans plusieurs pays pour leurs études, leurs activités professionnelles ou politiques.

  • 6 Nous avons fait le choix d’anonymiser les diplomates avec lesquels nous avons effectué un entretien

8Les représentants de l’OLP réunissent ces mêmes caractéristiques. Toutefois, nous y distinguons deux générations : celle de la Nakba, née avant le conflit de 1948 et celle des cadres, plus marquée par la guerre de 1967. Dans ces deux générations, nous retrouvons les éléments composants un capital international (Dezalay, 2004) plus forts que chez les autres membres de l’OLP. Ce capital se décline entre autres par l’exil, les études à l’étranger, l’appartenance à la GUPS et/ou à un groupe armé (notamment le Fatah) et la maîtrise de langues étrangères. Si nous prenons comme exemple le cas de Naïm Khader (représentant à Bruxelles de 1974 à 1981), ce capital international se décline par ses études de droit international en Belgique, sa maîtrise du français et de l’anglais ou encore son réseau auprès d’associations, de syndicats ou de personnalités belges. Il rejoint également le Fatah en 1968 après la guerre des Six jours mais soutient malgré tout l’idée d’une solution pacifique au conflit. C’est ce profil qui incite Yasser Arafat à le nommer représentant de l’OLP. Ce capital international incarné notamment par les études hors du monde arabe se renforce avec la génération suivante. En effet, la majorité des cadres de l’OLP sont diplômés dans des universités arabes et/ou occidentales à leur entrée dans la carrière diplomatique, comme l’illustre le profil de Majed 6 ci-dessous. Sur les 38 profils de cette génération, 29 sont diplômés d’universités internationales contre douze sur 36 pour ceux de la Nakba.

Majed (1950) est né à Gaza. Sa famille est l’une des plus influentes de la ville où son père était propriétaire terrien. En 1967, il doit fuir Gaza avec l’occupation israélienne et se réfugie à Amman où il finit par obtenir son baccalauréat. Il part pour l’Algérie où il enseigne pendant quatre ans avant de rejoindre la France pour suivre des études de littérature à l’université de Nancy. Il y obtient sa licence et devient le responsable de la GUPS dans la section Est de la France. Il obtient un master en relations internationales à l’IEP d’Aix-en-Provence en 1982. Il est alors recruté par Ibrahim Souss, représentant de l’OLP à Paris, comme numéro 2 du bureau de représentation. En 1989, il est nommé ambassadeur en Afrique. En 2005, il occupe deux autres postes d’ambassadeur avant de prendre sa retraite en 2015. (Entretien réalisé le 12 mai 2016 à Paris).

9À partir du début des années 1970, l’OLP cherche à recruter des cadres qui ont ces mêmes ressources universitaires. C’est le cas du Département Politique de l’OLP, alors dirigé par Farouk al-Qaddoumi (membre fondateur du Fatah), en charge des relations extérieures de l’organisation. Les cadres recrutés dans les bureaux de représentation doivent être diplômés du supérieur et maîtriser la langue du pays. Ces personnes sont recrutées sur place par les représentants mais la décision doit être validée par Yasser Arafat ou Farouk al-Qaddoumi. De cette façon, la nomination des représentants relève avant tout de pratiques discrétionnaires instaurées par la direction. Yasser Arafat bâtit ainsi un réseau de fidèles, qui ne devaient rendre des comptes qu’à lui seul, au travers des bureaux de représentation de l’OLP.

  • 7 Entretien avec Nabil Shaath, Ministre du MOPIC (1994-2003), le 2 avril 2017.

10Avec les accords d’Oslo signés en 1993 entre Yitzhak Rabin, Premier ministre d’Israël, et Yasser Arafat, Président du Comité exécutif de l’OLP, les dirigeants palestiniens peuvent retourner en Palestine. L’accord signé entre les deux parties initie une période intérimaire de cinq ans au cours de laquelle les Palestiniens devaient mettre en place une Autorité nationale palestinienne censée aboutir à terme à un État palestinien dont les frontières reposeraient sur la Cisjordanie et la bande de Gaza. Les premières institutions de l’Autorité palestinienne (AP) sont mises en place dès 1994. Parmi elles, nous retrouvons le Ministry of Planning and International Cooperation (MOPIC) qui a pour principale mission de gérer les donations internationales de l’AP. Mais dans les faits, le ministère partage la charge des missions diplomatiques avec le Département Politique notamment vis-à-vis des bailleurs de fonds 7.

11Dans ce contexte, les dirigeants palestiniens doivent recruter de nouveaux effectifs aussi bien au sein des TPO que dans la diaspora. Du fait de la situation, il n’existait pas de cadre légal pour le recrutement de ces fonctionnaires. Dans le cas du MOPIC, les candidats doivent passer un entretien avec au moins un ambassadeur afin de pouvoir entrer dans le ministère. Les qualités recherchées pour travailler au MOPIC restent très similaires à celles de l’OLP, à savoir être diplômé du supérieur et maîtriser des langues étrangères. C’est pourquoi les profils de cette génération changent peu des précédents bien que, du fait de leur âge, ils ne disposent pas de la même relation avec l’élite dirigeante à leur recrutement. Ces diplomates sont nés en Palestine ou en exil, ils viennent de milieux sociaux différents, ils sont diplômés du supérieur (dont onze dans des universités internationales) et ont été membres de syndicats étudiants pendant leurs études avant de rejoindre un parti politique, notamment le Fatah, comme l’illustre le cas d’Abdallah :

Abdallah (1976) est né à Alep dans une famille de réfugiés originaire d’Haïfa. Sa famille part en Tunisie pour le travail de son père (enseignant) où il suit ses études primaires et secondaires. À l’obtention de son bac, il se rend en France en 1994 pour suivre des études en économie à l’université de Clermont-Ferrand. Il rejoint alors le syndicat des étudiants étrangers où il devient vice-président. Sa licence d’économie obtenue, il apprend par ses amis que le MOPIC recrute des fonctionnaires. Il se rend alors à Gaza pour passer un entretien et il est recruté en 1999. Il y occupe plusieurs postes dans le département d’Afrique, du monde arabe puis du protocole. Entretemps, il suit plusieurs stages de formation en Chine et en Inde. Il revient en France en 2003 pour suivre un master en organisations internationales. En 2005, il passe l’examen du MOFA pour continuer sa carrière. Il est alors censé partir en poste à l’étranger mais la décision est reculée avec le changement au pouvoir. Il part finalement à Bruxelles en 2008 et s’occupe des affaires bilatérales avant d’être nommé conseiller pour les affaires européennes. Il y occupe également la charge de consul. En parallèle, il est le représentant du Fatah auprès de l’UE. En 2018, il a été nommé ambassadeur en Afrique. (Entretien réalisé le 11 mai 2016 à Bruxelles).

12En résumé, les profils de ces premières générations se distinguent avant tout par la détention d’un capital international qui se définit par l’articulation d’un capital scolaire (études dans des universités étrangères, maîtrise de langues étrangères) et d’un capital social militant (membre d’un syndicat étudiant puis d’un parti politique). Les représentants constituent un groupe influent grâce à leurs liens avec Yasser Arafat mais aussi par leur position d’intermédiaire auprès des autres sociétés à l’international. Se noue ainsi une relation d’interdépendance entre le dirigeant palestinien et ses représentants diplomatiques. Toutefois, peu d’entre eux appartiennent à l’élite dirigeante palestinienne du fait de leur éloignement géographique des centres de décisions.

La professionnalisation des diplomates de l’AP

  • 8 Loi diplomatique palestinienne (2005), Al qànoùn as-sak al-dibloùmàsy.
  • 9 Article 11 de la loi diplomatique.
  • 10 Annonce du recrutement parue dans le Journal officiel en mai 2018.
  • 11 Article 15 de la loi diplomatique.

13À la fin de la période intérimaire, le processus de paix est définitivement enlisé et une nouvelle intifada éclate en septembre 2000, plus violente que la précédente. Yasser Arafat est de plus en plus isolé sur la scène internationale et l’AP est touchée par plusieurs scandales de corruption, touchant notamment le MOPIC qui est suspecté de détourner de l’argent des donateurs internationaux aux profits de plusieurs membres du Fatah qui ont pénétré les diverses couches de l’Autorité (Salingue, 2014). Dès lors, Israël et les bailleurs de fonds font pression sur l’AP pour mener une politique de réforme visant à plus de transparence, ce qui conduit à une « dépolitisation » des institutions. Pour la diplomatie, cette réforme se traduit d’abord par la création d’un ministère officiel des Affaires étrangères (Ministry of Foreign Affairs, MOFA) puis par l’élaboration d’une loi diplomatique 8 régulant les conditions d’entrée dans la carrière. Elle vise à organiser le fonctionnement interne du MOFA. Avec l’adoption de cette loi en 2005, les conditions d’entrée dans la carrière se restreignent. Il est obligatoire d’avoir la nationalité palestinienne, d’être diplômé du supérieur (premier cycle), de maîtriser l’anglais et de passer le concours d’entrée du Ministère 9. Les annonces du MOFA parues dans le journal officiel ou sur son site web précisent que les candidats doivent être diplômés en relations internationales, en droit international ou en économie afin de pouvoir postuler 10. Le concours d’entrée se divise en plusieurs étapes : une première sélection avec un test de langue, puis un examen écrit sur un sujet décidé par le Ministre accompagné de questions de culture générale sur le droit international, les institutions internationales ou encore l’histoire du mouvement national. Enfin, les derniers candidats doivent passer un entretien devant un comité dirigé par un ambassadeur. Cet entretien passe en revue le parcours du candidat et a pour but de juger ce que la future recrue peut apporter au MOFA. Après leur entrée au Ministère, les nouveaux diplomates devront suivre des formations diplomatiques devenues obligatoires. La loi diplomatique organise également les conditions pour grimper les échelons de la carrière diplomatique 11. Avant de pouvoir postuler à chaque nouveau grade, une durée d’expérience est exigée, variant selon les échelons, sauf en cas de dérogation se légitimant par la qualité du dossier. Après l’examen du dossier, les diplomates doivent passer un nouveau test pour juger leurs compétences et leur expérience diplomatique afin d’être promus.

  • 12 Sur la question de l’appartenance à un syndicat ou un parti, nous nous basons uniquement sur nos en (...)

14En conséquence, les profils des diplomates entrant au MOFA après 2005 changent de leurs aînés. Ils sont nés à partir de la fin des années 1980 et, la loi diplomatique exigeant d’avoir la citoyenneté palestinienne pour postuler au Ministère, nous pouvons supposer que la majorité d’entre eux soit née au sein des TPO. L’autre possibilité étant qu’ils disposent de la carte verte, équivalent d’une carte d’identité, via leurs parents. Si les diplomates d’Oslo sont tous diplômés du supérieur, peu ont été membres d’un syndicat étudiant 12. De plus, à l’inverse des générations précédentes qui reflétaient un large spectre disciplinaire, nous avons pu observer que les jeunes diplomates étaient majoritairement diplômés en science politique (17) dont treize en RI, en droit (12), économie (10) mais aussi en lettres (9) et en communication (4) avant leur entrée au ministère. Les CV que nous avons pu collecter montrent aussi qu’ils disposent d’importantes ressources en termes d’internats, de stages, d’écoles d’été ou encore de bénévolat en Palestine ou dans des écoles à l’étranger. La très grande majorité a eu des expériences professionnelles en lien avec l’international dans le secteur privé (firmes de droit, médias) ou civil (ONG, associations). Enfin, dernier élément d’importance, aucun des diplomates que nous avons pu rencontrer ne revendique son appartenance à un parti politique. Le cas d’Amina nous permet d’illustrer les caractéristiques de cette génération de diplomates recrutés après la loi de 2005.

Amina (1991) est née à Ramallah. Son père travaille dans l’immobilier et sa mère est professeure d’anglais à l’université. Après avoir achevé ses études secondaires à Ramallah, où elle apprend l’anglais et le français, elle obtient une bourse en 2011 pour faire ses études aux États-Unis (Arkansas), en littératures anglaises. En parallèle, elle travaille dans une école où elle enseigne l’anglais. À son retour en Palestine, elle continue dans cette voie et devient professeur d’anglais et d’histoire dans une école évangélique. À cette époque, elle voulait s’occuper des enfants, mais souhaite également se rendre « plus utile et à plus grande échelle ». Elle décide alors de reprendre ses études en 2013. Elle s’inscrit dans le master relations internationales de l’institut Abu Loghod de l’université de Birzeït. Elle obtient son diplôme en 2015. Entretemps, elle répond à l’annonce du MOFA, postule et reçoit une réponse positive lui demandant de passer le concours d’entrée du Ministère. Acceptée, elle est recrutée fin 2015, envoyée en Malaisie puis en Thaïlande pour suivre des formations diplomatiques. Elle travaille dans le département chargé des relations Sud-Sud comme attachée. Elle obtient le grade de troisième secrétaire en 2017 et travaille désormais au Département de l’Asie, Pacifique et Afrique. (Entretien réalisé le 27 novembre 2016 à Ramallah).

15En conclusion, le recours à l’analyse générationnelle permet de voir que la génération d’Oslo rassemble des profils plus homogènes avec des ressources plus concentrées sur le domaine de l’international ainsi qu’une forte dépolitisation partisane. Elle constitue ainsi une élite professionnelle plus propre à la diplomatie dans le sens où ses membres sont dénoués des relations qu’entretiennent leurs prédécesseurs avec le mouvement national palestinien. C’est donc au sein de cette nouvelle configuration, impulsée par la professionnalisation du corps diplomatique, qu’évolue cette nouvelle élite. Pourtant cette nouvelle configuration n’échappe pas au contrôle du mouvement national palestinien mais institue un nouvel espace de négociation en concurrence avec celui mis en place par Yasser Arafat pour nommer ses représentants.

Rapports de force au sein de la nouvelle configuration : les espaces de négociation entre l’élite et sa marge

Les ambassadeurs, une catégorie à part ?

  • 13 Article 7 de la loi diplomatique.
  • 14 Article 8 de la loi diplomatique.

16Les réformes touchant le corps diplomatique s’inscrivent dans un contexte de transition politique avec la mort de Yasser Arafat. Le système de nomination mis en place par le président de l’OLP auprès de ses représentants diplomatique est repris par son successeur Mahmoud Abbas puis légalisé par la loi diplomatique. C’est en effet le Président de l’AP qui nomme les ambassadeurs palestiniens sur recommandation du Ministre 13 mais il peut aussi nommer des personnes de son choix propre. Ce sont alors des nominations politiques 14. L’adoption de la loi diplomatique s’accompagne d’une refonte profonde du corps des ambassadeurs puisqu’en 2005 et 2006 le MOFA organise la première rotation de ces membres. Cet épisode est l’occasion d’envoyer plusieurs représentants à la retraite et d’en nommer de nouveaux, plus proche de la nouvelle ligne politique impulsée par le nouveau dirigeant mais qui apparaissent aussi comme moins politisés. Ainsi, des personnalités palestiniennes d’horizons divers rejoignent le corps : des administrateurs des médias, de la société civile, des universitaires, des intellectuels, etc. La loi diplomatique a également un impact politique car trois ans après son adoption, Farouk Qaddoumi, opposant connu aux accords d’Oslo, est écarté de la scène politique palestinienne en perdant son poste de chef du Département Politique dont l’existence est devenue éphémère.

  • 15 Traduit de l’arabe, Aman, At-ta’yynàtwa at-tarqiàt fi al-watàef al-dibloumasya (2015-2010), (« Les (...)

17La fondation Aman (acronyme pour « Coalition pour la transparence ») a rédigé un rapport en février 2016 sur les nominations et les promotions du corps diplomatique palestinien. Elle met en avant la signature de plus de 70 décrets présidentiels en cinq ans (de 2010 à 2015) pour nommer des ambassadeurs 15. Le rapport souligne que la plupart de ces ambassadeurs ne sont pas des cadres professionnels promus au sein du corps diplomatique mais des proches de Mahmoud Abbas ou des personnalités politiques n’ayant pas d’expérience diplomatique préalable. Au cours de notre enquête, nous avons retrouvé plusieurs situations semblables où la nomination d’un ambassadeur sert des intérêts clientélistes. Ainsi, nous avons rencontré deux ex-ambassadeurs qui ont été nommés à leur poste après qu’ils aient perdu leur siège de député de la liste Fatah aux élections de 2006. Cette pratique permet ainsi au pouvoir de nommer des personnes de confiance aux postes d’ambassadeur mais aussi de récompenser des alliés politiques. Dans d’autres cas de figure, le Président nomme des proches comme Husam Zomlot (1973), actuel ambassadeur à Londres, qui fut pendant des années son principal conseiller pour les affaires internationales, ou des personnalités politiques comme Khouloud Daibes (1965), ambassadrice à Berlin et ancienne Ministre du tourisme et des affaires de la femme. Les nominations aux postes d’ambassadeur permettent ainsi de cumuler du capital politique en occupant de nouvelles positions influentes bien qu’éloignées du centre décisionnel. Pourtant elles ne se limitent pas seulement à une pratique purement clientéliste puisque ces ambassadeurs disposent eux aussi d’un capital international tel que défini précédemment. Pour reprendre le cas de Khouloud Daibes, l’ambassadrice a réalisé des études d’architecture à Berlin, parle allemand et avant de devenir Ministre, elle a travaillé dans des projets de valorisation du patrimoine en partenariat avec des bailleurs de fonds comme pour le projet Bethléem 2000. Dès lors, ces nominations politiques ne constituent pas une rupture avec les pratiques instaurées par Yasser Arafat mais bien une continuité institutionnalisée par la loi diplomatique. Le Président de l’AP se positionne ainsi en arbitre au sein de cette configuration en distribuant les postes influents ce qui n’est pas sans rappeler la Société de cour de Norbert Elias (Elias, 2008).

  • 16 Entretien avec Omar réalisé le 29 janvier 2018 à Paris.
  • 17 Certains cas sont connus de la presse palestinienne. En exemple, l’ambassadrice au Venezuela nomme (...)

18L’influence du pouvoir présidentiel ne se limite pas uniquement aux seuls ambassadeurs. En effet, un Palestinien venant d’une autre administration peut intégrer le corps diplomatique grâce à une lettre présidentielle. C’est le cas d’Omar, aujourd’hui en poste à Paris, qui travaillait avant de rejoindre le MOFA aux services protocolaires du bureau présidentiel 16. Ce type de nomination doit recevoir l’aval du Ministre et, selon les témoignages que nous avons reçus, peut être source de tension avec la présidence. Ce recours permet également à des fils de familles influentes d’intégrer le corps sans avoir à passer les étapes préalables. Ces diplomates « héritiers » (Bourdieu & de Saint-Martin, 1982), généralement issus de familles de notables ou encore héritiers d’hommes politiques, entrent dans la carrière diplomatique grâce au soutien de la présidence et avec l’accord du Ministre. Notre enquête n’exclut pas l’existence de tels diplomates 17. Seulement, elle établit combien ces profils ont été très peu mis en avant par l’institution. En effet, les chefs des départements du MOFA nous encourageaient à rencontrer tel ou tel diplomate de leurs services en nous amenant directement à eux. C’est donc par leur intermédiaire que nous avons pu rencontrer les diplomates de la génération d’Oslo, ceux-ci représentant le nouveau visage du ministère. Enfin, l’envoi de diplomates dans les missions à l’étranger fait aussi l’objet de négociations entre le MOFA, la Présidence et l’OLP. En effet, les dossiers de candidatures passent devant un comité spécial composé d’un représentant du MOFA (généralement le vice-ministre), de la Présidence et du Fonds national palestinien (organe financier de l’OLP basé à Amman). Ce comité illustre la particularité du fonctionnement de la diplomatie palestinienne dont la gestion reste partagée entre l’OLP et le MOFA, Amman et Ramallah. L’OLP reste l’organe politique principal dans les TPO, y compris pour la représentation internationale malgré la disparition du Département Politique.

19Ces différents cas de figure illustrent l’exceptionnalité que forme le groupe des ambassadeurs au sein de l’espace diplomatique. D’un côté, cette exceptionnalité est inscrite dans le droit par la loi diplomatique du fait de sa procédure nominative. De l’autre, cette nomination n’est pas tant l’objet d’une procédure légale que de négociations entre plusieurs acteurs de l’élite dirigeante : la présidence, l’OLP, le MOFA, les ambassadeurs, etc. Au sein de ces négociations, le Président de l’AP (et de l’OLP) joue un rôle central en particulier pour les ambassadeurs faisant partie de l’élite palestinienne. Ces pratiques sont facilitées par l’absence de système législatif dans les TPO. Aujourd’hui, le Conseil législatif a perdu son autorité et le système fonctionne au gré des décrets présidentiels de Mahmoud Abbas. Le corps diplomatique n’échappe pas à cette réalité. Les autres diplomates, exclus de ces espaces, car ne disposant pas des mêmes ressources, sont ainsi relégués à la marge du groupe. Pourtant cette même marge a fait l’objet de négociations et de compétitions avec ces nouveaux venus devant valoriser leurs propres ressources pour affirmer leur place dans l’institution.

Négocier par le bas : au sein de la marge et/ou pour sortir de la marge

  • 18 Entretien avec un membre de la GUPS en France par téléphone le 15 novembre 2019.

20En retraçant les profils des diplomates, nous avons relevé une forte dépolitisation en termes partisans, en particulier chez les plus jeunes diplomates. Pour les générations précédentes, l’appartenance au mouvement national était un moyen avant tout de se revendiquer comme Palestinien dans un contexte de lutte pour la libération nationale. Nous pouvons supposer que cette dimension disparaît après les accords d’Oslo. D’autant plus que le Fatah a perdu une partie de son image de fedayin au profit de celle d’un partenaire de l’occupation israélienne. Les jeunes Palestiniens des TPO se détournent des partis politiques englués dans des scandales de corruption au sein de l’AP et dont les institutions démocratiques ne fonctionnent plus, à l’exemple du Conseil législatif. Cette perception les pousse à se tourner vers d’autres modes de mobilisation (Ouchaklian, 2016). La GUPS pâtit également de cette situation car trop assimilée à l’AP et à ses pratiques 18. Plusieurs de nos enquêtés ont eu des expériences engagées mais plus tournées vers la société civile et le bénévolat comme la défense des droits de l’Homme, des femmes, etc. En ce sens, ils sont plus dotés d’un capital militant associatif (Sbeih, 2014) que d’un capital militant partisan. La valorisation de ces capitaux fait dès lors l’objet de nouvelles négociations pour ces nouveaux venus en quête de légitimité au sein de l’institution.

  • 19 Titre honorifique car cette école n’a jamais vu le jour.

21Au-delà de la question générationnelle, il faut prendre en compte comment la professionnalisation du corps diplomatique favorise un discours d’institution mettant en avant la compétence (les diplômes, les formations diplomatiques), l’expérience et le fait d’appartenir à la carrière diplomatique, c’est-à-dire d’être passé par toutes les étapes légales pour devenir diplomate. Ces trois éléments constituent un capital professionnel que nous avons défini en nous basant sur nos entretiens et les profils qui en sont ressortis. Nous retrouvons ces logiques dès les débuts du MOPIC avec la mise en place d’un système de recrutement ainsi que la possibilité de suivre des formations diplomatiques. Mais c’est avec la création du MOFA qu’elles s’institutionnalisent. Dès 2004, un comité organise une évaluation complète du ministère. Le comité est composé de trois personnes : le vice-ministre du MOFA, Dr. Abdullah Abdullah (ex-représentant de l’OLP au Canada puis en Grèce), Dr. Nabil Ramlawi, alors en poste à Genève et directeur de l’école diplomatique 19 et Ibrahim Kraisheh, actuel ambassadeur à Genève. Cette évaluation vise à renouveler le corps diplomatique. Elle se base sur une grille de dix points afin de jauger les compétences des diplomates. Selon les résultats, les diplomates obtiennent de nouveaux grades. En 2005, Nasser al-Qudwa, qui fut le représentant permanent de l’OLP aux Nations-Unies depuis 1989, est nommé Ministre des Affaires étrangères. Ce dernier réorganise entièrement le ministère et déplace les locaux à Ramallah. C’est également lui qui pilote le comité en charge de la rédaction de la loi diplomatique en se basant sur les exemples égyptiens et jordaniens. Les personnes à l’initiative de cette professionnalisation sont donc des acteurs ayant une longue expérience de la diplomatie mais qui font aussi partie des élites politiques du mouvement national. L’injonction au professionnalisme est donc le fruit d’une politique négociée et mise en place par des anciens représentants de l’OLP, qui connaissent les rouages de la diplomatie en Occident et qui appartiennent à l’élite politique palestinienne.

22Le discours professionnel qui résulte de cette politique est repris par les fonctionnaires des deux dernières générations où la qualité d’un diplomate ne se juge plus seulement par rapport à son appartenance à la cause palestinienne mais à son capital professionnel basé sur sa compétence, son expérience et le fait qu’il appartienne à la carrière diplomatique.

« Et moi je peux dire que, quand je suis arrivé ici à Bruxelles, moi, à la différence de la collègue ici, je peux ; je fais partie des diplomates de formation et de carrière. Parce qu’on a beaucoup de diplomates qui travaillent dans la diplomatie mais qui n’ont pas commencé dans le système politique, n’ont pas commencé dans le système diplomatique dès le début » (Entretien avec Abdallah le 11 mai 2016 à Bruxelles)

23À travers ce type de discours, les diplomates comme Abdallah cherchent à légitimer leur position au sein d’une institution qui a été longtemps gérée par des membres du mouvement national qui n’ont pas été spécifiquement formés à ce travail. Pourtant, la légitimité de ces derniers n’est pas totalement reniée car ils détiennent un capital symbolique à travers leur rôle dans la lutte et bénéficient d’une expérience de la diplomatie dont les nouvelles générations ne sont pas encore dotées. Aujourd’hui la concurrence provient d’autres « professionnels » mais aussi de personnes venant d’autres administrations ou encore des diplomates « héritiers ». Cela souligne aussi à quel point les diplomates ont intégré le discours d’institution impulsé par la direction du MOFA car ils citent rarement la loi diplomatique dans le cadre des entretiens. Ces propos apparaissent alors comme allant de soi. En ce sens, ces diplomates se font les champions du professionnalisme défendu par le ministère créant ainsi une autre forme d’interdépendance.

24Toutefois, ce discours ne constitue pas une frontière figée entre une élite professionnelle et une élite politique au sein de la configuration. Cette barrière fait aussi l’objet de négociations. En effet, il est possible pour un diplomate cumulant un capital militant et un capital professionnel de sortir de la marge. Nous avons par exemple le cas d’Hala, responsable d’un département du MOFA. À plusieurs occasions, Hala nous a été présentée, aussi bien par des diplomates que par d’autres sources, comme l’image même de la diplomate professionnelle. Pourtant, son parcours professionnel ne s’inscrit pas totalement dans l’institution diplomatique.

Hala est née en 1972 à Bethléem. Elle grandit dans le camp de réfugiés d’Aïda près de la ville. Son père décède alors qu’elle est jeune et sa mère est enseignante. Lorsqu’elle 13 ans, sa mère décide de quitter le camp alors que la première intifada éclate pour aller à Bethléem où Hala finit ses études. Diplômée en 1995, elle décide de poursuivre un master en relations internationales à l’Institut Abu Loghod de l’université de Birzeït qu’elle obtient en 2000. En parallèle de ses études, elle reste active au sein du camp dont elle est originaire. Elle travaille avec des associations et des ONG internationales afin de défendre la cause des réfugiés mais aussi des prisonniers politiques. Elle rejoint également le Mouvement de la jeunesse du Fatah à Birzeït. Après l’obtention de son master, elle se rend aux États-Unis pour suivre une thèse en diplomatie et relations internationales. Elle obtient son diplôme en 2009. Entre 2003 et 2005, elle est diplômée de l’université d’Harvard dans son programme « médiations et négociations ». En 2005, elle commence sa carrière professionnelle au bureau du Premier ministre comme conseillère pour les affaires internationales. Après les élections législatives de 2006 et le changement de gouvernement, Hala est recrutée par le bureau présidentiel comme directrice générale des affaires internationales. Par son statut, elle participe aux négociations de la conférence d’Annapolis en 2008. Après l’obtention de son doctorat, elle reste aux États-Unis comme chef adjointe de la délégation de l’OLP à Washington. En 2012, elle revient à Ramallah au MOFA comme chef d’équipe avec le statut d’ambassadeur avant d’être nommée Ministre-assistante à la tête de son département. (Entretien réalisé le 22 novembre 2016 à Ramallah).

25Le cas d’Hala montre bien que la frontière entre l’élite politique au sein du corps et sa marge n’est pas aussi imperméable pour les personnes combinant capital professionnel et capital militant.

  • 20 PARC (Agricultural Development Association) fait partie des ONG les plus importantes dans les TPO. (...)

26Plus généralement, le discours sur la professionnalisation du corps reste le registre d’une nouvelle élite palestinienne dont les attributs reposent avant tout sur des compétences professionnelles plus que sur son appartenance à la cause. Ce phénomène ne s’observe pas uniquement au sein du corps diplomatique. Nous le retrouvons également dans la société civile, davantage émancipée du mouvement national palestinien. En s’appuyant sur l’exemple de l’ONG PARC 20, Sbeih Sbeih montre qu’un déclassement des militants bénévoles s’opère progressivement au sein du milieu associatif palestinien au profit de professionnels de la gestion ou spécialisés dans le monde du développement (Sbeih, 2014). Nous observons un phénomène proche parmi les diplomates. Par ses attributs, cette nouvelle élite tire donc profit de la professionnalisation du corps (en termes de politique mais aussi de discours) pour s’imposer dans cet espace mais reste limitée à sa marge puisque la place des ambassadeurs est rarement remise en cause dans les entretiens ce qui conforte finalement l’idée que le groupe des ambassadeurs constitue une catégorie à part, supérieure, et qui échappe aux logiques purement professionnelles.

***

27En définitive, la professionnalisation du corps diplomatique palestinien instaure des pratiques différenciées relevant de logiques d’interdépendances à la fois politiques, professionnelles mais aussi élitistes. Les représentants de l’OLP constituaient une partie de l’élite politique du mouvement national palestinien, sans pour autant faire partie de l’élite dirigeante à quelques exceptions près, de par leur profil, leur proximité avec le leadership ainsi que la position influente qu’ils occupaient en tant qu’intermédiaires de l’OLP mais aussi en tant qu’intellectuels palestiniens, favorables à la paix, auprès des sociétés à l’étranger. Loin d’avoir rompu avec cette situation, la professionnalisation du corps diplomatique entérine ces pratiques. Émergeant dans un contexte important de transition politique et de refonte de la société palestinienne en quête d’étatisation, la loi diplomatique officialise les pratiques clientélistes instaurées par Yasser Arafat avec le système de nomination des ambassadeurs qui reste l’objet de négociations au sein de l’élite dirigeante. Pourtant, l’intégration de nouveaux fonctionnaires, disposant de capitaux qui divergent en partie des générations précédentes, recrutés sur des critères plus stricts dans un système sélectif, n’appartenant pas au mouvement national et mieux formés au travail diplomatique, modifie le jeu des négociations au sein de cette nouvelle configuration. En effet, avec cette génération, les négociations ne se font plus seulement par le haut mais aussi par le bas avec la réappropriation et la valorisation par les acteurs d’un discours d’institution basé sur le savoir-faire et le respect de la carrière. De fait, ce nouvel espace de négociation révèle des pratiques différenciées constituant ainsi une frontière entre l’élite politique du corps incarnée par les ambassadeurs, nommés par le pouvoir et sa marge, les diplomates du ministère défendant leur légitimité par leur savoir-faire, qui n’existait pas dans les décennies précédentes du fait du groupe restreint que constituaient les représentants de l’OLP. Pour ces derniers il n’existait pas de groupe d’élite à proprement parler. Nous pourrions dissocier ceux qui appartenaient à l’élite dirigeante, à l’élite économique ; etc. mais ils ne forment pas une élite propre à l’espace diplomatique. C’est donc au sein d’une nouvelle configuration, intégrant de nouveaux acteurs et instituant de nouvelles pratiques, que se constitue cette marge et donc cette frontière.

28Pourtant, cette dernière ne constitue pas une barrière imperméable comme le souligne le cas des diplomates de la génération du MOPIC. La majorité des membres de cette dernière effectue des missions à l’étranger, occupe certains postes d’ambassadeurs ainsi que de chefs de départements du MOFA. Le profil de cette génération combine à la fois capital international, professionnel et militant, ce qui leur permet de grimper les échelons de la carrière. « La hiérarchie instaurée au nom de la professionnalisation ne dépend pas seulement de compétences professionnelles, c’est-à-dire du capital professionnel » (Sbeih, 2014, p. 491). Toutefois, il est encore difficile d’en tester la perméabilité malgré le changement générationnel qui s’opère actuellement chez les ambassadeurs, puisqu’aucun membre de la génération d’Oslo n’a atteint à ce jour un poste équivalent à celui d’ambassadeur ou même de conseiller et peu d’entre eux occupent encore des postes à l’étranger. Cela nous pousse à nous demander jusqu’où peut aller la logique de réappropriation du discours d’institution pour grimper les échelons sans pour autant diversifier ses ressources.

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Bibliographie

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Annexe

Sources :

Aman (2016), At-ta’yynàtwa at-tarqiàt fi al-watàef al-dibloumasya (2015-2010), (« Les nominations et les promotions dans le personnel diplomatique (2010-2015) »).

Loi diplomatique palestinienne (2005), Al qànoùn as-sak al-dibloùmàsy.

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Notes

1 L’OLP est fondée en 1964 à Jérusalem. Jusqu’en 1968, l’organisation reste sous la tutelle étroite des États arabes, en particulier l’Égypte de Nasser. Après la nouvelle défaite des États arabes contre Israël en 1967 lors de la guerre des Six jours, les fedayin (membres de la lutte armée) prennent position au sein des instances législative et exécutive de l’OLP. Yasser Arafat est alors nommé président de l’organisation en 1969.

2 Al-Fatah : mouvement nationaliste palestinien fondé en 1959 au Koweït par plusieurs fedayin et dirigé par Yasser Arafat.

3 Je tiens à remercier Yves Mirman, Aude Signoles, Philippe Aldrin ainsi que l’équipe en charge de ce dossier thématique pour leurs relectures et leurs précieux conseils.

4 L’Autorité palestinienne a été mise en place en 1996 au sein des TPO après la signature des accords d’Oslo. L’AP était, à l’origine, censée gérer les affaires civiles palestiniennes pendant une période temporaire de cinq années afin de faciliter l’instauration d’un vrai État palestinien.

5 Hamas : parti islamiste fondé en 1989. En 2006, le Hamas remporte les élections législatives et devient le premier parti palestinien devant le Fatah. Cette victoire entraîne une crise politique opposant les deux mouvements qui se transforme en guerre civile. En juin 2007, le Hamas prend le contrôle de la bande de Gaza.

6 Nous avons fait le choix d’anonymiser les diplomates avec lesquels nous avons effectué un entretien.

7 Entretien avec Nabil Shaath, Ministre du MOPIC (1994-2003), le 2 avril 2017.

8 Loi diplomatique palestinienne (2005), Al qànoùn as-sak al-dibloùmàsy.

9 Article 11 de la loi diplomatique.

10 Annonce du recrutement parue dans le Journal officiel en mai 2018.

11 Article 15 de la loi diplomatique.

12 Sur la question de l’appartenance à un syndicat ou un parti, nous nous basons uniquement sur nos entretiens car ces aspects n’apparaissent pas dans les CV que nous avons consultés.

13 Article 7 de la loi diplomatique.

14 Article 8 de la loi diplomatique.

15 Traduit de l’arabe, Aman, At-ta’yynàtwa at-tarqiàt fi al-watàef al-dibloumasya (2015-2010), (« Les nominations et les promotions dans le personnel diplomatique (2010-2015) »), 02/2016, pp. 8-12.

16 Entretien avec Omar réalisé le 29 janvier 2018 à Paris.

17 Certains cas sont connus de la presse palestinienne. En exemple, l’ambassadrice au Venezuela nomme sa fille consul dans son ambassade dès la fin de ses études avec l’approbation de la présidence. Al-Quds, « Chibaht fasàd : Ibnat as-safirat qounsoul ! » (« Soupçon de corruption : la fille de l’ambassadrice nommée consul ! »), 09/06/2016, https://www.qudsn.ps/article/94089, consulté la dernière fois le 10/06/2017.

18 Entretien avec un membre de la GUPS en France par téléphone le 15 novembre 2019.

19 Titre honorifique car cette école n’a jamais vu le jour.

20 PARC (Agricultural Development Association) fait partie des ONG les plus importantes dans les TPO. Son domaine de compétence est principalement l’agriculture mais s’élargit à d’autres domaines du développement.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Romain Damien, « Les diplomates palestiniens : une élite à la marge du mouvement national palestinien ? »SociologieS [En ligne], Dossiers, mis en ligne le 28 février 2020, consulté le 12 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/sociologies/12951 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sociologies.12951

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Auteur

Romain Damien

Doctorant, CHERPA, Sciences Po Aix-en-Provence (France) - damien.romain@orange.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont susceptibles d’être soumis à des autorisations d’usage spécifiques.

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