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2022
Sociologie de l’argent

Sociologie des usages de l’argent : ouvertures

Discussion du Grand résumé de l’ouvrage de Damien de Blic et Jeannne Lazarus, Sociologie de l’argent, Paris, Éditions La Découverte, 2ème édition, 2021.
Caroline Henchoz

Notes de la rédaction

Le Grand résumé par ses auteur.e.s est accessible à l’adresse : https://journals.openedition.org/sociologies/19005 et la discussion par François Cusin à l’adresse : https://journals.openedition.org/sociologies/19015

Texte intégral

1Les recensions francophones consacrées aux études portant sur l’argent, cet objet sociologique à la fois central, marginal et méconnu, sont d’autant plus précieuses qu’elles sont rares. Il n’est en effet pas évident de synthétiser les recherches menées dans ce vaste domaine aux contours encore flous. Il n’existe pas de théorie unifiée (Beamish, 2007) et celles qui sont à disposition semblent encore peu satisfaisantes (Neumann, 2020). Comme le relèvent Damien de Blic et Jeanne Lazarus dans leur grand résumé, la centralité de l’argent dans le monde contemporain n’a pas donné lieu à la constitution d’un champ de recherche bien établi. Selon eux, le développement relativement récent des études sur le sujet doit beaucoup à la place nouvelle prise par l’argent dans les enjeux politiques et sociaux contemporains. Ils lient le regain d’intérêt des sociologues pour l’argent dans les années 2000 à la conjonction de trois causes : la crise des subprimes ; la « réévaluation de la dimension monétaire des inégalités » ; et enfin « la prise en compte par la sociologie de l’argent de questions qui traversent les sciences sociales comme celle du genre ou des inégalités raciales ».

  • 1 Jérôme Blanc relève quatre principales directions prises par les travaux sur l’argent en sociologie (...)

2M’inscrivant plus particulièrement dans le champ des recherches portant sur la pluralité des usages modernes de l’argent à travers les représentations et les pratiques 1, ma discussion de leur grand résumé se fonde sur une approche microsociologique. Elle aborde la sociologie de l’argent par le bas, soit du point de vue des utilisateurs et utilisatrices et non pas des instances productrices de l’argent. Je me propose de revenir sur les conditions structurelles de l’émergence de ce champ de recherche et notamment sur la dernière thèse proposée par Damien de Blic et Jeanne Lazarus selon laquelle la sociologie de l’argent aurait intégré les questions de genre. Je suggère ici une causalité inverse, à savoir que c’est l’intérêt suscité par les questions de genre qui a contribué au développement de la sociologie de l’argent. C’est en effet selon moi le développement et l’institutionnalisation des études genre dans les pays francophones dans les années 2000 qui a favorisé la prise de conscience que l’argent peut s’avérer un révélateur particulièrement puissant et efficace des inégalités. En ce sens, à l’instar de Nigel Dodd (2014), je suggère, en reprenant les termes de Jeanne Lazarus et Damien de Blic, que c’est moins « l’effet d’événements ayant affecté le monde social » que le retour de la question des inégalités (de genre, de classe, de race) qui a favorisé « les conditions d’une pensée renouvelée de l’argent dans la sociologie ». M’appuyant sur la littérature anglo-saxonne, je reviendrai ensuite sur les limites de la sociologie actuelle des usages de l’argent pour suggérer deux pistes de développement théorique et empirique qui vont au-delà de l’examen de la question des inégalités.

La question des inégalités de genre et le retour de l’argent sur le devant de la scène sociologique

  • 2 Piste également évoquée dans Henchoz (2007, pp. 263 et suivantes).

3Comme mentionné par Damien de Blic et Jeanne Lazarus, les crises économiques ont bien sûr contribué au développement de la sociologie de l’argent. Toutefois, elles ne suffisent pas à elles seules à expliquer le décalage que l’on observe entre le monde francophone et le monde anglo-saxon dans le développement de la sociologie de l’argent. En effet, alors que plusieurs auteur.es (par exemple Baker & Jimerson, 1992 ; Dodd, 2014 ; Ingham, 1998) situent le regain d’intérêt des sociologues anglo-saxons pour l’argent à partir des années 1990, voire des années 1980 (Nyman & Dema, 2007 ; Vogler, 1998), Damien de Blic et Jeanne Lazarus le fixent aux années 2000. Ce décalage peut selon moi être relié à l’institutionnalisation plus précoce des études genre dans les pays anglo-saxons 2.

4Au sein des études genre, la dimension économique des rapports sociaux de sexe a été abordée essentiellement du point de vue du travail et de sa division sexuée. Les recherches qui s’y rapportent se sont développées en deux axes. Le premier concerne la sphère professionnelle et notamment l’activité salariée des femmes, soit la féminisation du marché du travail, l’accès féminin à l’emploi ou encore le modèle du male breadwinner (homme gagne-pain) au fondement d’un certain nombre de politiques et d’organisations du travail salarié (Bereni et al., 2008). Excepté l’accès à un revenu, la question financière en tant que telle est toutefois moins étudiée qu’elle ne l’est dans le second axe. Celui-ci interroge aussi le modèle du male breadwinner mais cette fois-ci dans la sphère privée, par le biais de la répartition du pouvoir et du travail non rémunéré au sein du couple (Crompton, 1999 ; Lewis, 2001 ; Vogler, 1998). Pour ce faire, deux outils théoriques intégrant la question monétaire ont tout particulièrement été mobilisés. D’une part, les théories féministes matérialistes qui considèrent la famille comme un lieu de travail, d’exploitation économique et de rapports de pouvoir (Delphy, 2002 [1998]). D’autre part, la théorie des ressources (Blood & Wolfe, 1960) qui lie les rapports de pouvoir au sein du couple à la possession de ressources dérivées du travail salarié et socialement valorisées, comme le revenu, le statut social ou le prestige.

5Ces deux approches figurent parmi les premières tentatives visant à ouvrir la « boîte noire » de la famille encore largement considérée par les économistes et les sociologues comme une unité fondée sur le désintérêt, la solidarité et le partage. De ce point de vue, l’augmentation significative d’études anglo-saxonnes sur l’argent dans le couple à partir des années 1980 peut être vue comme la conséquence d’un intérêt croissant pour les inégalités de genre (Nyman & Dema, 2007, p. 11). Dans la sociologie anglo-saxonne, cela s’est traduit par deux orientations de recherche (Ibid.) : d’une part, les études initiées par les travaux de la britannique Jan Pahl sur l’organisation des finances domestiques, avec un intérêt marqué pour la question du contrôle et de la gestion de l’argent (Pahl, 1989) ; d’autre part, les études sur la signification sociale de l’argent (dont Viviana Zelizer est l’auteure phare).

  • 3 À l’exception notable du Québec qui connaît un développement des études féministes et des études ge (...)
  • 4 Par exemple, le programme de recherche ATIP, Le partage au sein des couples : normes juridiques et (...)

6Dans les régions francophones, les études genre connaissent un essor plus tardif, à partir de la seconde moitié des années 1990 3 (Bereni et al., 2008). Auparavant, les études francophones sur le rapport à l’argent au sein de la famille ne sont pas inexistantes mais elles l’abordent souvent de manière secondaire, notamment au travers du don et des réseaux de solidarité (Belleau & Ouellette, 2005). En France, la perspective de genre est diffusée au sein de cursus en sciences humaines et sociales déjà existants alors qu’en Suisse et au Québec, des unités de recherche et diplômes en études genre se mettent sur pied (Guionnet & Neveu, 2004, p. 26). En favorisant l’interdisciplinarité, ces spécialisations ont bouleversé les barrières disciplinaires entre sociologie et économie qui ont longtemps freiné le développement des théories sociologiques de l’argent (Ingham, 1998). Ce brassage disciplinaire a également été favorisé par l’essor d’Internet et un accès plus aisé aux publications scientifiques, notamment anglo-saxonnes, sur le sujet ainsi que par la constitution de réseaux de recherche francophones internationaux 4.

7L’intérêt renouvelé pour les inégalités de classe, particulièrement suite aux travaux de Thomas Piketty sur les inégalités inhérentes au capitalisme contemporain (Piketty, 2013), a renforcé l’attention des sociologues pour l’argent en tant que revenu et patrimoine à transmettre (Dodd, 2014) mais aussi en tant qu’arrangements économiques familiaux genrés (Bessière & Gollac, 2020). Il est en revanche moins évident de faire un lien entre les études sur les inégalités raciales et celles sur l’argent. Le constat de Bruce Carruthers semble encore valable aujourd’hui (Carruthers, 2005, p. 354). Si l’inégale distribution de l’argent entre les races occupe une place centrale dans la sociologie des inégalités anglo-saxonne, l’argent en tant que tel préoccupe peu les sociologues qui s’y penchent.

La sociologie sur les usages de l’argent et ses limites

  • 5 Pour Jérôme Blanc, Viviana Zelizer développe davantage une théorie de l’entremêlement que de l’enca (...)

8Pour définir la sociologie de l’argent anglo-saxonne des années 1990, Wayne Baker et Jason Jimerson comparent les approches sociologiques, anthropologiques et économiques qui intègrent explicitement et de manière centrale une conception sociologique de l’argent (Baker & Jimerson, 1992). Ils relèvent plusieurs tendances qui semblent encore valables actuellement en ce qui concerne l’analyse sociologique des usages de l’argent et que l’on peut voir comme autant de limites à questionner : l’étude presque exclusive de l’argent moderne et matériel (euros, francs, etc.) ; la considération des multiples usages, significations et traitements de l’argent ; et enfin, la domination des théories de l’encastrement (cf. Karl Polanyi, Mark Granovetter, Viviane Zelizer 5) dans ce champ de recherche.

  • 6 Jérôme Bourdieu et Johan Heilbron relèvent ce risque dans leur préface de La Signification sociale (...)

9Examinons plus en détail les implications de cette dernière tendance. Pour certain.es critiques (dont Neumann, 2020), le fait de considérer les actions économiques comme étant encastrées dans « le système concret des relations sociales » (Granovetter, 1985, p. 487) revient implicitement à distinguer les actions économiques des relations sociales. Il arrive alors que les comportements rationnels, égoïstes ou la recherche de profits financiers soient assignés à la logique économique sans être davantage analysés d’un point de vue sociologique (Neumann, 2020). En ce sens, la « logique économique » reste encore relativement inexpliquée (Sparsam, 2015). Nombre de sociologues traitent des aspects non économiques de l’argent (confiance, relations et significations sociales, etc.) (Baker & Jimerson, 1992 ; Ingham, 1998), ce qui conduit indirectement à pratiquer la perspective des mondes hostiles dénoncée depuis plus de 30 ans par Viviana Zelizer. Les approches sociologiques qui se confrontent aux aspects économiques, en appliquant notamment une perspective culturelle de l’argent, en viennent de leur côté souvent à placer l’argent dans un rôle subordonné par rapport à la culture qui serait en position dominante par rapport à l’économie 6 (par exemple, chez Viviana Zelizer les relations sociales « marquent » l’argent) (Baker & Jimerson, 1992, p. 687).

L’approche relationnelle de l’argent intime de Viviana Zelizer et ses conséquences sur la constitution du champ de recherche sur les usages contemporains de l’argent

10Comme le relèvent Damien de Blic et Jeanne Lazarus, l’approche développée par Viviana Zelizer a marqué des générations de chercheur.es au point qu’il est difficile de trouver des études en sciences sociales sur les pratiques économiques qui ne s’y réfèrent pas. Dans son ouvrage La Signification sociale de l’argent (1994, traduit en français en 2005) qui reprend d’ailleurs certains travaux sur l’organisation financière des ménages (notamment ceux de Jan Pahl cités précédemment), Viviana Zelizer propose une approche relationnelle de l’argent en démontrant que la différenciation monétaire, le marquage de l’argent et diverses formes de calculs économiques sont liés à la manière dont on gère nos liens aux autres (Dodd, 2014, p. 291).

  • 7 Voir par exemple (Lazarus, 2015, 2016, 2020).

11Cette approche certes inspirante a également eu conséquences sur les orientations de recherches privilégiées. Tout comme l’a fait Viviana Zelizer, les chercheur.es qui s’en inspirent se sont surtout concentré.e.s sur les relations intimes, laissant les pratiques économiques du marché aux économistes (par exemple les stratégies de placement ou encore les comportements face aux risques financiers). En outre, l’approche de Viviana Zelizer est parfois mobilisée moins comme un outil d’analyse que comme un résultat de recherche. On relève des usages et représentations différenciés en matière d’argent mais sans forcément en expliquer les mécanismes de production. Comme le relevait déjà Florence Weber en 2006, il reste encore un énorme travail empirique et théorique à faire sur la socialisation économique (Weber, 2006). Malgré un certain nombre de travaux sur le sujet (dont ceux de Jeanne Lazarus 7), ce constat reste dans une certaine mesure encore valable aujourd’hui. Par exemple, la question de l’éducation et de la culture financière (la financial literacy) reste largement le champ d’investigation des économistes et des psychologues sociaux (Henchoz, 2016 ; Henchoz et al., 2015).

12Dans le même sens, l’attention accordée aux relations pour aborder les questions financières laisse parfois en arrière-plan le contexte social. L’ancrage des pratiques et significations de l’argent dans des cultures et des contextes nationaux spécifiques relève là aussi largement de l’expertise des économistes et des psychologues sociaux (Henchoz et al., 2019). Il est par conséquent un peu caricatural d’affirmer, comme on le lit parfois, que les analyses des économistes se cantonnent aux dimensions quantitatives, fonctionnelles et instrumentales de la monnaie. Des ponts entre les disciplines restent à construire pour développer une approche sociologique des usages de l’argent plus largement et solidement ancrée contextuellement.

Ouvertures théoriques et empiriques pour une analyse sociologique des usages contemporains de l’argent

13Deux pistes théoriques offrent, me semble-t-il, des pistes intéressantes pour franchir les limites qui viennent d’être évoquées. On peut schématiquement situer la première dans un courant de recherches à prédominance anglo-saxonne et la seconde germanique.

L’argent comme relations sociales

14Nigel Dodd est professeur de sociologie à la London School of Economics. Il est l’auteur de plusieurs livres sur la sociologie de l’argent. Dans The Social Life of Money paru en 2014, il reprend l’idée développée par Georg Simmel que l’argent peut être conçu comme une « revendication sur la société ». Selon sa perspective, l’argent exprime une forme de dette entre un individu et la « société » dans son ensemble. S’appuyant sur les travaux de l’anthropologue anglais Keith Hart (voir par exemple, Hart, 2001), il plaide toutefois pour une compréhension large de la « société ». Il peut s’agir de l’État, de la nation ou d’une communauté particulière d’utilisateurs et utilisatrices. L’argument qu’il développe est que l’argent n’est pas une chose mais un processus. L’argent est relations sociales. Il n’est jamais indépendant des relations sociales. Ce n’est pas une entité objective, il a une vie sociale dépendante de la « société » auquel il est rattaché. L’argent est basé sur la confiance et les valeurs sociales. Dans la pratique, il peut se matérialiser sous forme de métaux précieux, de papiers, de bits et d’octets, etc. – mais il tire toujours sa valeur et sa signification des relations sociales.

15Cette approche semble prometteuse pour aborder les « nouvelles » monnaies, soit l’argent dématérialisé (crédit, argent en ligne, factures, etc.) et l’argent numérique. Selon Nigel Hart par exemple, étudier l’argent numérique permet de dépasser la perspective culturelle de l’argent car ce dernier n’est pas seulement marqué socialement, il est continuellement réinventé par les usager.es (Hart, 2000). En outre, dans l’économie numérique, le pouvoir (de production et de contrôle) est transféré des instances productrices d’argent aux usager.es. En ce sens, l’argent numérique n’est pas imbriqué dans les relations sociales mais bien activement et continuellement créé et constitué par elles. Le marquage de l’argent implique qu’il y aurait des monnaies personnelles (marquées) et des monnaies impersonnelles (non marquées). Pour Nigel Hart, au contraire, l’argent doit être impersonnel pour connecter les gens dans des relations plus larges. Selon cette perspective, l’argent est un moyen de rendre le monde plus signifiant. L’argent dématérialisé remet en question la conception économique de l’argent comme étant anonyme ou encore la notion de marquage de l’argent. Les transactions monétaires dématérialisées sont traçables que ce soit en termes de montants, de flux, de partenaires de l’échange mais aussi en termes de préférences et d’habitudes. En ce sens, l’argent numérique est un instrument de la mémoire collective (Hart, 2001). C’est une banque de mémoires qui retrace et prouve différents échanges sociaux

L’argent comme mode de pensée

  • 8 Voir Matthias Neumann pour une présentation de ses travaux en anglais (Neumann, 2020).

16L’autre piste théorique que l’on peut évoquer s’inspire des considérations de Max Weber sur l’effet de la monétarisation sur les subjectivités des individus ou encore de celles d’Alfred Sohn-Rethel (2010). Ce sociologue rattaché à l’École de Francfort postulait, dès les années 1930, que ce ne sont pas seulement les contenus de la pensée qui sont influencés par l’apparition et le développement de la monnaie mais ses formes même, notamment le fait de penser le rapport au monde et à autrui comme un rapport marchand. En ce sens, l’argent peut se concevoir comme un système intellectuel comparable aux mathématiques (Codere, 1968) et qui s’apprend (Strauss, 1952). C’est l’approche privilégiée par le philosophe et économiste allemand Karl-Heinz Brodbeck 8 pour qui la monnaie est une forme de pensée caractérisée par l’instrumentalisation, la rationalité, le calcul, la généralisation et l’objectivation performée collectivement et apprise dans les interactions sociales et les actes d’échanges sur les marchés monétarisés (Brodbeck, 2014, 2016). Dans son étude sur les conséquences sociales et culturelles de l’essor des cartes de crédit dans les années 1980, Aldo Haesler, sociologue franco-suisse spécialiste d’Alfred Sohn-Rethel, va plus loin en relevant qu’on ne peut désormais plus considérer le système financier comme étant extérieur aux opérateurs et opératrices (Haesler, 1995). Il n'est plus analysable et objectivable en tant que tel. Les cartes de crédit sont le prolongement des individus : elles recèlent leur identité, elles sont leur laisser-passer tout en contenant toutes les informations nécessaires à leur contrôle. En d’autres termes, elles deviennent leur « première nature sociale » (Haesler, 1991, p. 132).

17Ces deux propositions théoriques entrent dans une perspective sociologique de l’argent que l’on peut qualifier d’expérientielle. L’argent est défini comme un processus relevant d’une expérience intime, relationnelle et collective (au sens de la « société » discutée avant), ces trois dimensions étant liées. Toutefois, comme le mentionnent Damien de Blic et Jeanne Lazarus, il manque d’enquêtes empiriques pour valider, tester et développer les intuitions théoriques propres au champ de la sociologie de l’argent. J’aimerais par conséquent conclure en me joignant à l’invitation qu’ils lancent aux chercheur.es d’intégrer la dimension monétaire à leurs interrogations. Quelques champs de recherche sur les usages de l’argent peuvent être évoqués. Outre les pratiques économiques du marché, la socialisation et l’éducation financière ainsi que les nouvelles monnaies discutées précédemment, d’autres terrains de recherche, dont certains ont déjà été identifiés dans les années 1990 par Wayne E. Baker et Jason B. Jimerson, restent encore à développer (Baker & Jimerson, 1992). Par exemple, l’organisation de la finance, soit les liens entre les banques, l’État et l’industrie ; le rôle des corporations privées et du gouvernement dans la création et le contrôle de l’argent (invention de nouveaux produits financiers, politiques monétaires, campagnes de contributions et de redistribution) ; ou encore les usages de l’argent hors de la sphère familiale (dans les institutions religieuses, les organisations, les entreprises, etc.).

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Notes

1 Jérôme Blanc relève quatre principales directions prises par les travaux sur l’argent en sociologie économique et en socioéconomie : la nature de la monnaie et son rapport à la souveraineté et à la confiance ; la pluralité des formes de monnaies ; les pratiques de crédit et les relations de dettes ; en enfin, les pluralités des usages modernes de l’argent à travers les représentations et les pratiques (Blanc, 2009, 2013, p. 676) .

2 Piste également évoquée dans Henchoz (2007, pp. 263 et suivantes).

3 À l’exception notable du Québec qui connaît un développement des études féministes et des études genre à partir des années 1980 (Guionnet & Neveu, 2004, p. 26).

4 Par exemple, le programme de recherche ATIP, Le partage au sein des couples : normes juridiques et usages sociaux de l’argent et des biens (Belgique, France, Québec, Suisse), sous la direction d’Agnès Martial (2005-2008).

5 Pour Jérôme Blanc, Viviana Zelizer développe davantage une théorie de l’entremêlement que de l’encastrement, la monnaie étant façonnée par celles et ceux qui l’emploient (Blanc, 2009, 2013, p. 682).

6 Jérôme Bourdieu et Johan Heilbron relèvent ce risque dans leur préface de La Signification sociale de l’argent (Zelizer, 2005).

7 Voir par exemple (Lazarus, 2015, 2016, 2020).

8 Voir Matthias Neumann pour une présentation de ses travaux en anglais (Neumann, 2020).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Caroline Henchoz, « Sociologie des usages de l’argent : ouvertures »SociologieS [En ligne], Grands résumés, mis en ligne le 25 mai 2022, consulté le 18 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/sociologies/19025 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sociologies.19025

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Auteur

Caroline Henchoz

Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL | HES-SO) (Suisse) - caroline.henchoz@hetsl.ch

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