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Livraison 2025/1

  • 1 Ce dossier a été coordonné par Audran Aulanier, Juliette Duclos-Valois, Alice Latouche et Laura Oda (...)

Une livraison bien nourrie pour cette première mise en ligne 2025. Dans le Dossier « Intimités en migration », Audran Aulanier et Laura Odasso1 transforment la notion d’intimité en opérateur analytique permettant de comprendre ce que la migration fait aux subjectivités des personnes migrantes, mais aussi, la façon dont, dans des conditions sociales parfois difficiles, les personnes migrantes « font intimité ». Original, cet angle d’analyse éclaire l’intimité sous l’angle des pratiques matérielles qui la produisent, via notamment des modes d’appropriations de l’espace, des objets quotidiens et des mobilités. Le Dossier est constitué de cinq articles.

Maxime Felder et Joan Stavo-Debauge interrogent, par exemple, les configurations d’hébergement constituées dans les situations d’exil où la « potentialité des espaces intérieurs » est limitée. Hébergés chez des tiers ou en centre d’accueil collectif, les migrants vivent souvent sous la menace de se faire congédier. Ils s’efforcent alors d’effacer les traces de leur présence pour ne pas envahir l’intimité de leurs hôtes, d’où les difficultés à construire une familiarité avec le lieu et à se projeter dans un futur.

Marie Trossat et Clothilde Arnaud se penchent quant à elles sur des exilés en situation de grande précarité et montrent a contrario combien un réseau d’habitudes intimes peut se développer dans des espaces publics urbains. De la même manière, dans son ethnographie du quotidien des exilés à Paris, Naoual Mahroug insiste sur la marche et les pérégrinations dans l’espace public qui, à la faveur des rencontres qu’elles induisent, peuvent permettre de « fabriquer du commun » et d’autoriser, par là même, un dévoilement progressif de soi. C’est ici, non pas depuis l’espace privé, mais à travers les circulations entre les différents espaces publics qu’une intimité peut se déployer.

La production de l’intimité peut aussi passer par le tissage de liens, comme le propose Yohann Caradec. Attentifs aux ressources spatiales et matérielles, les professionnels intervenant auprès de familles migrantes précarisées sont alors poussés à revisiter leur vision de l’intimité, en envisageant l’espace domestique comme un support à la production d’une « communauté relationnelle ». L’intime s’y fait alors « technique d’attache » permettant d’entretenir un lien, parfois mis à l’épreuve par la séparation, comme le montre Constance De Gourcy à propos des familles en attente de regroupement familial. L’intimité se joue alors dans « les non-dits, les évitements » ou les pratiques faisant exister les absents.

Par-delà leurs apports spécifiques, les cinq contributions font de l’intimité un aiguillon épistémologique et méthodologique, imposant de se questionner sur l’appréhension même de ce qui est « intime ». D’abord sur le terrain : quels sont les définitions et périmètres de l’intime observés dans les terrains d’enquête ? Comment la catégorie même d’intime est-elle mobilisée par les acteurs ? Et bien sûr dans la relation entre enquêteur et enquêté lorsque, par exemple, le chercheur estime avoir établi une relation intime alors que ses interlocuteurs sont bien loin de penser cela.

Ismael Bechla et Svetoslava Urgese questionnent, dans la rubrique Théories et recherches, les liens entre processus groupal et processus langagier à l’exemple du champ de la santé. Ils nous montrent ainsi comment la construction d’un espace langagier partagé dans des groupes pluri-professionnels, avec le travail des frontières que cela implique, contribue à l’élaboration d’une culture commune en même temps qu’à l’aménagement de repaires singuliers, ménageant des replis salutaires.

Deux articles viennent alimenter la rubrique Premiers textes. Celui de Marion Alves, tout d’abord, en appui à une synthèse des travaux en sciences humaines et sociales consacrés aux relations entre enfants et animaux, pointe la place centrale de ces derniers dans le monde de l’enfance (éducation par et pour les animaux) et suggère, dans la perspective d’une sociologie des socialisations, de se pencher sur la transmission des dispositions envers les animaux en tenant compte de la diversité des instances de socialisation. Celui de Nikita Aleinikov, ensuite, se centre sur l’appropriation des objets techniques, à l’exemple des compétences numériques par les personnes âgées. Il privilégie, grâce à une lecture ethnométhodologique des usages socialisés à l’occasion d’ateliers d’initiation, la thèse selon laquelle cette appropriation, loin de se réaliser via la mobilisation de savoir-faire techniques préétablis et figés, repose principalement sur un accomplissement pratique du caractère ordinaire et compétent de l’action grâce aux interactions concrètes et focalisées entre utilisateurs experts et utilisateurs novices.

Le Grand résumé de l’ouvrage de Michel Peroni, Diptyque. L’enquête, le sociologue et sa grand-mère, discuté par Laurence Kauffmann et Fabienne Malbois d’un côté, et Daniel Bizeul de l’autre, nous emmène sur les rives escarpées de l’identité avec une mise en abyme par des épreuves renouvelées. Car, c’est bien d’épreuves d’identité dont il s’agit : tant par le choix original du format proposé, avec en miroir un texte théorique issu de la thèse d’habilitation de l’auteur et une série commentée de photographies de la grand-mère, que par l’enquête sur l’enquête que mène l’auteur pour nous permettre à la fois de saisir le lien fort qui unit identité et identifications – plurielles, souvent troublées, voire troubles –, et d’interroger la continuité des identités entre traces, existence et essence.

La rubrique Découverte/Redécouverte nous offre une réflexion sur la place du mal dans l’analyse sociologique. Brieg Capitaine nous invite à découvrir le texte, traduit par ses soins, « Signifier le mal » de Jeffrey Alexander, paru en 2013, dans lequel ce dernier nous propose de prendre sociologiquement au sérieux le mal, à le construire comme un objet sociologique comme un autre et à ne pas le situer à l’extérieur de la culture mais en son centre.

Enfin, pour clore cette livraison, une contribution de Joseph Zambo-Belinga vient alimenter le Débat sur « les enjeux des sciences sociales en Afrique ». Celle-ci s’attache à souligner un déficit d’autonomie des sociologues sub-sahariens dans l’initiative de définition des priorités de recherche à cause de l’attrait que les thématiques retenues par la recherche occidentale continuent d’exercer sur les sociologues locaux. Attrait tout simplement explicable par les opportunités d’exercice de la sociologie et de développement des carrières que ce suivisme offre.

Notes

1 Ce dossier a été coordonné par Audran Aulanier, Juliette Duclos-Valois, Alice Latouche et Laura Odasso.

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