1Les politiques agricoles européennes des 30 dernières années montrent des changements dans les territoires ruraux. Les mesures axées exclusivement sur la promotion de la production alimentaire et celles liées aux activités agricoles et d’élevage, se sont élargies vers la multifonctionnalité, et plus largement vers le développement rural (Hernández, 2008). Le découplage progressif des aides liées à la production agricole en faveur du développement rural, ajouté à l’importance croissante du deuxième pilier de la PAC, se traduit par l’application d’initiatives et de programmes régionaux et nationaux avec une approche territoriale (Bosworth, Price, Hakulinen et al., 2020 ; Sáenz et Cejudo, 2008). Le changement d’orientation des politiques européennes s’est matérialisé principalement au niveau opérationnel à travers l’initiative communautaire LEADER. L’instrumentalisation du développement rural s’est effectuée depuis les années 1990 sur une méthodologie qui prône un modèle d’action publique participative qui s’éloigne des modèles traditionnels d’intervention politique et démocratique.
2Ces modèles de développement endogène ont commencé à être appliqués dans les zones de pêche à partir de la période 2007-2013. Avec ces changements, la politique commune de la pêche (PCP) tente d’aborder, avec une vision plus territoriale, les problèmes sectoriels du secteur de la pêche (Laidin et Berriet-Solliec, 2016). L’épuisement des ressources halieutiques, la baisse des quotas de pêche, les problèmes environnementaux, manque de renouvellement générationnel chez les pêcheurs, en plus des problèmes sociaux dans les territoires à forte dépendance à la pêche, sont désormais abordés par les instances européennes avec une approche locale, cela suppose un changement d’un modèle productiviste, sectoriel et centraliste à un modèle postproductiviste, qui prend en compte les éléments du territoire.
3L’intégration des nouvelles activités tertiaires pour améliorer les revenus et les avantages sociaux des communautés de pêcheurs comme le maintien des villages, l’insertion des femmes dans le monde du travail, la récupération d’éléments du patrimoine, suppose évidemment le soutien du secteur public. De nouvelles formules de gestion des communautés de pêcheurs sont apparues à travers les modèles de développement endogène proposés par l’Union européenne (Kyvelou et Ierapetritis, 2020 ; Romeo et Marcianò, 2019). La mise en œuvre de l’approche LEADER permettra, a priori, l’amélioration de la compétitivité du secteur de la pêche, la diversification des usages dans la pêche artisanale, le renforcement de la compétitivité des zones de pêche et la création de revenus supplémentaires pour les territoires de pêche. Une vision plus ouverte par l’intégration d’autres secteurs comme le tourisme, la gastronomie, les entreprises locales, la production d’énergies renouvelables ou la recherche scientifique de la mer, permettrait d’aborder les problèmes de pêche sous d’autres perspectives.
4LEADER a été créé pour contribuer aux fins de l’UE, l’objectif 1 : « promouvoir le développement et l’ajustement structurel des régions en retard de développement » et l’objectif 5b « promouvoir le développement des zones rurales » (Communauté économique européenne, 1998, p. 11). LEADER, liaison entre actions de développement de l’économie rurale, est un programme créé pour atténuer les problèmes structurels des zones rurales comme l’exode rural, le vieillissement de la population, la faible rentabilité des activités traditionnelles ou le chômage des jeunes. Néanmoins, dans le cas du secteur de la pêche, le scénario d’application est sensiblement différent. Les zones côtières, en particulier dans l’arc méditerranéen, n’ont pas subi de forts processus de dépeuplement. Au contraire, plus de 50 % de la population des pays européens est concentrée dans la bande côtière (Laidin et Berriet-Solliec, 2016). Certains facteurs spécifiques des zones côtières comme l’importance relative de la pêche dans l’économie territoriale, la densité de population, la présence ou l’absence d’activités tertiaires sont très différents de ceux des espaces ruraux. Ces approches des dynamiques territoriales peuvent se traduire de différentes manières dans le transfert du modèle européen de développement endogène.
5Même si les dispositifs participatifs dans la mise en œuvre de l’action publique dans le secteur de la pêche sont relativement récents, la communauté scientifique internationale s’est déjà largement intéressée à la question, notamment au travers de recherches empiriques (Budzich-Tabor, 2014 ; Caamaño-Franco, Andrade Suárez et Pérez-García, 2020 ; Felicidades-García et Piñeiro-Antelo, 2017 ; Furmankiewicz, Hewitt, Kapusta et al., 2021 ; Kyvelou et Ierapetritis, 2020 ; Laidin et Berriet-Solliec, 2016 ; Linke et Bruckmeier, 2015 ; Lois González et Piñeiro-Antelo, 2020 ; Loizou, Chatzitheodoridis, Polymeros et al., 2014 ; Markus, 2010 ; Morgan, 2016 ; Nicolosi, Gregorio (Di), Arena et al., 2021 ; Phillipson et Symes, 2015 ; Piñeiro-Antelo et Lois González, 2019 ; Piñeiro-Antelo, Felicidades-García et Lois Gónzalez, 2019 ; Piñeiro-Antelo, Felicidades-García et O’Keeffe, 2020 ; Romeo et Marcianò, 2019 ; Szamrowski, Pawlewicz A. et Pawlewicz K., 2014 ; Thuesen, 2010). Bien que les études naissantes fournissent des résultats précieux sur les réussites et les échecs du transfert de l’approche LEADER dans les territoires de pêche, les recherches qui visent à analyser les résultats avec une approche comparative sur un même territoire (zones de pêche et zones rurales) sont plus rares.
6Le texte interroge la mise en place d’une démarche LEADER dite de développement local dans une zone de pêche. Pour ce faire, deux GAL sont mis en regard (GALPA Étang de Thau et sa bande côtière de Frontignan et le GAL Pays cœur de l’Hérault), ce dernier servant de référence. Il sera notamment étudié la configuration du partenariat des groupes d’action locale et les projets réalisés durant la période 2014-2020. L’objectif est alors d’identifier les différences notoires entre les deux GAL et, plus largement, leur propre interprétation principes de l’approche LEADER. Ces formes différenciées de l’interprétation du modèle LEADER permettent de réinterroger les modalités de transfert du modèle (propres à chaque GAL) et, plus largement, contribuer à l’amélioration de son application.
7Cet article est organisé en quatre parties. Dans la première intitulée « Cadre théorique et grille d’analyse de l’étude de l’approche LEADER dans les zones de pêche », il sera fait état de l’art des recherches sur l’analyse des effets du programme LEADER dans les zones de pêche européennes. Cela montrera notamment les faiblesses dans l’interprétation et la mise en œuvre des principes LEADER dans le scénario côtier. Dans un second temps, nous analyserons les éléments réglementaires et les dispositifs de gestion définis dans le cadre de l’application du modèle, afin d’identifier les conditions les formes d’application du programme en France. Par la suite, nous présenteront la méthodologie et les terrains d’enquête, ainsi que les résultats des deux études de cas. Enfin, nous discuterons des limites et recommandations du modèle LEADER à l’aune des résultats.
8La PCP, depuis sa création, est étroitement lié à la PAC. Dans les années 1980, cette politique s’est orientée vers l’égalisation et la répartition des quotas de pêche avec l’entrée de nouveaux États membres (Loizou, Chatzitheodoridis, Polymeros et al., 2014). Plus tard, dans les années 1990, la PCP a intégré une dimension plus durable afin d’atténuer les problèmes du secteur de la pêche, orientant la politique vers des mesures sociales face à la raréfaction des ressources halieutiques et à la pêche illégale. La difficulté de contrecarrer tous ces décalages a conduit l’UE à dicter en 2002 une série de réformes pour rendre le secteur européen de la pêche durable aussi bien dans sa dimension territoriale, sociale et environnementale. La PCP subit alors une réforme majeure en 2005 qui consolidera finalement l’importance stratégique de la pêche dans toutes les politiques de l’UE avec, notamment, la création du Fonds européen pour la pêche (FEP ; Commission européenne, 2019).
9La réforme des fonds structurels a, en fait, marqué un changement important dans l’orientation des politiques de pêche à caractère productiviste vers d’autres modèles économiques plus durables d’un point de vue environnemental. Les changements postfordistes ont ainsi misé sur le retour à la pêche artisanale et la diversification des espaces de pêche à travers des activités tertiaires ( Piñeiro-Antelo, Felicidades-García et Lois Gónzalez, 2019). La PCP de l’UE a commencé à appliquer des programmes basés sur LEADER à partir de 2007-2013 afin de maintenir la prospérité économique et sociale des zones de pêche, favoriser l’emploi par la diversification des activités et améliorer la qualité des côtes (Commission européenne, 2006, p. 20). Les programmes doivent être fondés sur la multifonctionnalité et la revalorisation des ressources endogènes. Ces mesures devraient viser à améliorer la compétitivité des zones de pêche, à restructurer et diversifier les activités économiques, à créer de la valeur ajoutée aux produits de la pêche, à protéger l’environnement, à aider les petites infrastructures liées à la pêche et au tourisme.
- 1 Le courant de l’économie territoriale a établi la gouvernance comme un principe de gestion territor (...)
10Comme dans le contexte agricole, ces politiques sont développées à travers des programmes pluriannuels, mais 15 ans plus tard. Une partie du FEP (jusqu’à un maximum de 15 %) peut être canalisée à travers des stratégies de développement local mené par les acteurs locaux (DLAL). Le programme LEADER est transféré aux territoires côtiers sur le même mode d’action publique dans le cadre d’une gouvernance 1 multi-niveaux (FARNET, 2010 ; Loizou, Chatzitheodoridis, Polymeros et al., 2014). LEADER s’applique alors aux territoires littoraux selon les mêmes approches théoriques de l’action publique et selon les principes suivants :
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(1) les stratégies de développement local participatif doivent s’appliquer à des territoires de dimension inférieure au niveau NUT3 ; avoir une certaine cohérence sur le plan géographique, des faibles densités démographiques et une activité de pêche significative (Kyvelou et Ierapetritis, 2020). Ce sont les États membres qui établissent alors les critères de sélection des territoires selon une multitude de critères propres à chaque État (Commission européenne, 2006, p. 21 ; Felicidades-García et Piñeiro-Antelo, 2017 ; Linke et Bruckmeier, 2015) ;
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(2) la stratégie de développement proposée doit être formulée de bas en haut (bottom-up). Une approche participative impliquant les acteurs locaux doit être appliquée dès la conception de la stratégie, l’établissement des objectifs et la mise en œuvre et l’évaluation ;
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(3) comme dans les zones rurales, des groupes d’action locale de pêche et aquaculture (GALPA) doivent officiellement être créés, institutionnalisant de fait, l’acteur collectif local. Celui-ci représente alors le territoire où la pêche représente un poids significatif dans le PIB et dont les impacts sociaux sont décisifs. Ces partenariats sont chargés de gérer les ressources et de concevoir la DLAL. Ils doivent s’entendre avec les acteurs locaux sur l’éligibilité des projets, mobiliser des capitaux privés, favoriser le dialogue et la coopération (Phillipson et Symes, 2015) ;
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cette méthode encourage également la (4) multisectorialité et (5) l’innovation, la stratégie devant intégrer divers secteurs pour favoriser les liens entre les différents agents économiques. Les critères d’éligibilité des projets sont extrêmement flexibles et se reflètent dans les programmes opérationnels nationaux/régionaux. Les possibilités de conservation des ressources naturelles et culturelles à travers la valorisation de la pêche artisanale sont des critères qui influencent l’éligibilité des projets (FARNET, 2010) ;
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(6) La coopération entre territoires doit être favorisée à différentes échelles territoriales, à travers des projets collaboratifs entre GALPA, (7) le transfert d’expériences et la diffusion de projets paradigmatiques dans l’application de LEADER. Pour une telle utilisation, le Fisheries Areas Network, FARNET est créé, en plus des différents réseaux régionaux et nationaux.
- 2 Le capital territorial est un concept emprunté au courant de l’économie territoriale. Il associe tr (...)
11Le développement local est assuré de cohérence à travers l’élaboration d’une stratégie sur la logique des processus d’aménagement du territoire, où la subsidiarité génère l’innovation dans la démocratie locale. L’application de ces approches permet la mise en œuvre de solutions que la connaissance de la population locale identifie comme prioritaires (Chevalier et Dedeire, 2014 ; Phillipson et Symes, 2015). L’approche territoriale des politiques proposées par l’UE favorise ainsi la construction d’un capital territorial 2 grâce aux relations de proximité qui se traduisent par des pratiques de revalorisation des ressources partagées par les acteurs locaux (Camagni, 2013 ; Kyvelou et Ierapetritis, 2020). Plus largement, le dispositif LEADER s’inscrit dans le cadre d’une coopération intersectorielle, locale et participative, qui se veut plus efficace et apte à satisfaire les besoins des acteurs locaux (Laidin et Berriet-Solliec, 2016 ; Shucksmith, 2000).
12Le modèle LEADER peut permettre d’aborder les externalités des processus d’urbanisation, de gentrification et de touristification dans les zones littorales à travers la construction du capital territorial et le développement d’un sentiment d’identité locale. La possibilité de créer un sentiment d’appartenance des acteurs locaux au territoire peut également renforcer la confiance entre les agents et la motivation à atteindre un objectif de développement commun.
13Même si la mise en œuvre de la méthode LEADER dans les territoires de pêche est relativement récente, son étude a suscité l’intérêt des scientifiques. Depuis la période 2007-2013, une série recherches analysant l’impact du programme européen sur le développement des territoires ont été menées. La littérature met ainsi en évidence les aspects positifs de l’application du programme : par exemple, l’étude de Kyvelou et Ierapetritis (2020) en Grèce conclut que la survie de la pêche artisanale est conditionnée à la complémentarité de ces activités avec d’autres activités tertiaires et met en évidence le rôle déterminant des GALPA dans la création de ces synergies. Dans le cas de l’Espagne et du Portugal, les projets réalisés ont été adaptés aux objectifs définis dans les stratégies participatives de développement local et ont contribué à améliorer la compétitivité du secteur de la pêche (Felicidades-García et Piñeiro-Antelo, 2017). Le modèle LEADER a également été transféré aux zones de pêche présentant un certain caractère innovant dans les projets menés au travers de certains GALPA de la région Bretagne (Laidin et Berriet-Solliec, 2016) et Galice (Piñeiro-Antelo, Felicidades-García et Lois Gónzalez, 2019).
14Certaines études montrent aussi des aspects plus négatifs. Par exemple, certains auteurs mettent en avant la faible capacité de LEADER/GALPA à dynamiser l’investissement privé. La capacité de mobilisation des investissements privés a été contenue dans le côté atlantique de la péninsule Ibérique (Portugal et Espagne), un 29 % des projets avaient un investisseur privé comme promoteur sur la période 2007-2013 (Felicidades-García et Piñeiro-Antelo, 2017). Aussi, en Bretagne la mobilisation de capitaux privés reste problématique (Laidin et Berriet-Solliec, 2016). Selon Loizou, Chatzitheodoridis, Polymeros et al. (2014), les politiques avec une approche LEADER ont eu peu de capacité à générer des emplois en Grèce.
15Par ailleurs, au Royaume-Uni, la mise en œuvre du modèle LEADER, a révélé d’importantes distorsions entre les intérêts des bénéficiaires de l’aide et les objectifs définis dans le DLAL (Phillipson et Symes, 2015). Il y a alors, dans ce cas, un manque d’intégration avec les activités traditionnelles (Morgan, 2016). Des difficultés sont rencontrées dans la mise en place de stratégies multisectorielles. En Espagne, pour la période 2007-2013, plus de 50 % des projets ont été orientés vers les activités touristiques (Miret-Pastor, Molina-García, García-Aranda et al., 2018). En outre, les administrations publiques locales gèrent une grande partie des fonds européens (Felicidades-García et Piñeiro-Antelo, 2017 ; Piñeiro-Antelo, Felicidades-García et Lois Gónzalez, 2019).
16Les études qui analysent l’impact du programme ne portent pas uniquement sur la connaissance des impacts économiques sur le territoire. Il existe également des recherches dans la littérature qui abordent ces répercussions d’un point de vue environnemental et social. L’étude de Furmankiewicz, Hewitt, Kapusta et al. (2021) analyse l’orientation des GALPA vers des projets visant à atténuer les effets du changement climatique en Pologne. L’étude a montré qu’il existe peu de projets visant à s’adapter et à atténuer le changement climatique. Piñeiro-Antelo et Lois González (2019) et Thuesen (2010) soulignent également la nécessité de promouvoir l’inclusion sociale et d’accroître la participation des groupes engagés dans le développement durable. Les programmes de formation doivent également être améliorés, les communautés de pêcheurs souffrent d’un manque de connaissances dans la gestion des activités tertiaires (Lois González et Piñeiro-Antelo, 2020).
17Tous ces dysfonctionnements dans l’application du programme LEADER identifiés dans la littérature sont dus en partie à la configuration des partenariats des acteurs locaux. L’implication des acteurs locaux qui participent à la prise de décision des GAL est liée aux niveaux d’autonomisation des acteurs locaux et leur prise de décision dans le cadre de la recherche de cofinancement avec des fonds européens (Chevalier, 2012).
18Les intérêts locaux (exercés principalement par les administrations publiques) rendent alors souvent difficile la mise en œuvre de certains principes de la méthode LEADER comme la collaboration intercommunale. Dans le nouveau contexte de la pêche dans lequel LEADER est appliqué, il existe des approches théoriques qui pourraient signifier de nouvelles formes et résultats d’application de ces modèles de développement local. Contrairement à ce qui s’est passé dans les zones rurales, où les agriculteurs ne jouent pas un rôle de premier plan dans la prise de décision du GAL, il y a un plus grand intérêt pour l’intégration des professionnels du secteur de la pêche (Laidin et Berriet-Solliec, 2016). Les réglementations de l’UE et les exigences nationales (questions administratives) guident la structure du GAL, la gestion et la sélection des projets et les processus de cofinancement (Furmankiewicz, Janc et Macken-Walsh, 2021).
19Ainsi, l’UE tente de donner au PCP un caractère territorial sans négliger les activités traditionnelles, ce qui, a priori confère aux initiatives un caractère endogène. Ces directives pourraient marquer des changements prometteurs dans la configuration des réseaux d’acteurs et notamment se refléter au niveau opérationnel à travers l’orientation des projets et leur capacité à favoriser l’innovation territoriale. Le caractère endogène de ces initiatives correspond au niveau opérationnel à une forte présence des acteurs de la pêche dans la prise de décision. De plus, 50 % des membres de GALPA doivent représenter le secteur de la pêche (FARNET, 2010).
20Le potentiel de transfert de la démarche LEADER est interprété de diverses manières par les États en fonction de leurs priorités (Chevalier, 2012). Il en résulte une grande diversité de critères de sélection des territoires, des différences de procédures et de seuils sur l’éligibilité des projets et des règles différentes dans la configuration des partenariats et cela peut conduire à différentes manières de valoriser les ressources endogènes (Lacquement et Chevalier, 2016).
21La (ré)organisation de groupes d’acteurs locaux proposée par l’UE dans le cadre des politiques du Fonds européen pour la pêche peut influencer les processus de collaboration et de coopération, ce qui peut signifier de nouvelles façons de construire le capital territorial. Les résultats obtenus par les GALPA dépendent dans une large mesure de l’interprétation faite par les États membres du principe de subsidiarité. De ces formes décentralisées et convenues localement à d’autres formes plus limitées contrôlées et imposées par les autorités régionales et/ou nationales (Piñeiro-Antelo, Felicidades-García et O’Keeffe, 2020). Il est donc nécessaire d’aborder des études de cas monographiques pour voir comment ces lignes directrices sont mises en œuvre.
22Sommes-nous face à une gouvernance intersectorielle ou à une gouvernance territoriale ? LEADER est né avec l’objectif de développer une politique territoriale (développement rural) au-delà d’une politique sectorielle (agriculture et élevage). Les transferts du modèle dans le secteur de la pêche, soulèvent des doutes dans sa transformation.
23Toutes ces réflexions se retrouvent également dans les projets menés par les GALPA, la bonne application de certains des principes de la méthodologie LEADER tels que l’approche territoriale, l’approche bottom-up, l’intégration et la multisectorialité, la mise en réseau, l’innovation et la coopération peuvent être évalués à travers une lecture critique des projets exécutés et de la stratégie participative de développement local.
- 3 Le modèle de transfert LEADER en France a changé en 2015 avec la loi no 2015-991 du 7 août 2015 por (...)
- 4 L’Agence de services et de paiement (ASP) est un organisme transversal qui assiste certains ministè (...)
24Pour la période 2007-2013 3, contrairement à ce qui se passe dans la répartition des compétences dans les programmes de développement rural, où le transfert se caractérise par un modèle de gestion partiellement décentralisé puisque la gestion des programmes correspond aux gouvernements régionaux (Chevalier, 2012), la gestion des programmes DLAL FEP repose sur un modèle notoirement centralisé. La direction des pêches maritimes et de l’aquaculture (DPMA) est en charge du contrôle de l’éligibilité des projets. Ces fonctions sont partagées avec L’Agence de services et de paiement (ASP 4). Les processus de sélection du GALPA ont été organisés en une seule étape, la création des groupes a dû être ajustée aux zones côtières limitées définies au niveau national. L’appel comportait trois sections principales qui incluaient les critères de sélection de groupe suivants : (1) une description de la zone et de ses problèmes, ainsi qu’une analyse SWOT ; (2) le partenariat et la stratégie, déclinés en plan d’action et ses mesures ; (3) le budget (FARNET, 2007).
- 5 La loi no 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales a limité délimit (...)
25Dans d’autres États membres, la configuration territoriale des groupes a généré des chevauchements sur la délimitation du territoire attribué au GALPA en référence aux GAL ruraux. En fait, dans certains cas, la même association est chargée de canaliser les ressources et de concevoir la stratégie du FEP et du FEADER (Felicidades-García et Piñeiro-Antelo, 2017). La territorialisation des aides du FEP génère également certaines incertitudes sur les approches initiales et la manière dont elles peuvent être interprétées. Les exigences réglementaires européennes ont guidé par exemple l’État français à se doter de territoires marqués à la fois par « une cohérence géographique et une présence significative du secteur de la pêche dans le tissu socio-économique » (Commission européenne, 2006). La France dispose d’un dispositif valable qui favorise la territorialisation du développement local, « le pays », auquel la territorialisation des programmes de développement rural a été largement adaptée mais qui, dans certains cas, est en décalage avec la délimitation des stratégies de développement local dans le cadre du FEP 5.
26L’interprétation de la subsidiarité dans ce cas est conditionnée à un programme pilote à titre expérimental encore marginal, à dimension économique modeste (tabeau 1). Pour la période 2007-2013, sur les 17 propositions, 11 GALPA ont été mis en place en France (quatre groupes dans le littoral méditerranéen et sept dans le littoral atlantique), qui gèrent un budget moyen approximatif de 1,02 million d’€ pour chaque groupe. Suite aux enseignements tirés de l’application de LEADER dans les programmes de développement rural et afin de limiter l’apparition de localismes, limiter le pouvoir des administrations publiques locales et atteindre la plus grande représentation des acteurs sociaux ; chaque partenariat GALPA doit être composé d’au moins 50 % d’acteurs privés. De plus, 50 % des membres du GALPA doivent être des représentants du secteur de la pêche (FARNET, 2010). LEADER démarre comme un programme succinct dans les campagnes littorales (Laidin et Berriet-Solliec, 2016), et cela s’est traduit par une centralisation au niveau national de la canalisation de l’aide européenne et un processus descendant dans le fonctionnement de l’approbation du projet de la manière suivante : les bénéficiaires potentiels présentent des projets au GALPA, le comité de sélection du GALPA examine et sélectionne les projets, la direction régionale des affaires maritimes donne son avis sur les projets retenus. Ensuite, l’ASP vérifie l’éligibilité des projets sélectionnés pour le compte du DPMA. L’ASP effectue le paiement directement au bénéficiaire du projet approuvé.
Tableau 1 – Budget pour le développement local participatif en France par le biais du FEP/FEAMP
Source : FARNET, 2010 et 2017
27Ce scénario a été modifié de manière significative pour la période 2014-2020 avec le transfert de la gestion du programme au niveau des régions. Ainsi, les programmes selon l’approche LEADER dans les zones côtières sont assimilés aux modèles décentralisés appliqués dans les politiques de développement rural ; et les conseils régionaux lançant un appel à projets et approuvant les projets proposés par les GALPA. Entre 2014-2020, les stratégies participatives de développement local des GALPA ne sont pas exclusives et les territoires peuvent fusionner les stratégies avec les GAL financés par le FEADER. En effet, l’UE accorde plus d’importance aux programmes avec une approche LEADER et cette méthodologie de développement local commence à être appliquée dans les politiques régionales (à travers le FEDER) et dans les politiques sociales (à travers le FSE). Ainsi, une même association peut canaliser et centraliser des projets de différents fonds européens et les intégrer dans une même stratégie. Dans le cas de la France, les appels à la création de groupes d’action locale financés par les différents fonds structurels et d’investissement européens ont été organisés séparément. Dans la pratique, il existe plusieurs GALPA gérés par une organisation (généralement un pays) qui gère également un GAL de développement rural. L’importance des politiques participatives de développement local dans le cadre du FEP est consolidée, cela se traduit par une dotation budgétaire plus importante et un plus grand nombre de GALPA, il est passé de 11 GALPA à 23 (tableau 1).
28Pour tester l’hypothèse selon laquelle la plus grande présence de groupes d’acteurs dans les secteurs traditionnels de la pêche influe sur les formes de mise en œuvre du modèle LEADER. Nous comparons les résultats obtenus dans l’application du programme dans un GAL configuré en zone rurale et un GALPA configuré en zone littorale sur un même territoire dans le département de l’Hérault : le GALPA Étang de Thau et sa bande côtière de Frontignan à Agde et le GAL Pays cœur d’Hérault. L’analyse empirique est développée dans le cadre d’une approche comparative au niveau opérationnel et avec un caractère expost.
29L’analyse porte sur les résultats à travers analyse fine des projets financés par le programme européen. Pour confronter les deux réalités, nous nous intéressons dans l’orientation et dans la manière dont les projets sont exécutés. Pour l’étude des projets, sont analysés les dossiers et fiches des projets et les bilans expost pour la période 2014-2020. Pour l’analyse des données, nous nous appuyons sur la méthodologie mise en œuvre dans les études scientifiques de Lacquement et Chevalier (2019) et Lacquement et Chevalier (2020). Le traitement de l’information s’appuie sur une analyse quantitative des projets exécutés qui ont été classés, catégorisés et quantifiés en tenant compte des éléments suivants liés à l’approche LEADER : le porteur de projet, la localisation du projet, l’affectation économique aux différentes actions, les ressources territoriales mobilisées, les secteurs économiques d’orientation dans les projets et les processus de collaboration intercommunale, cela permettra la définition et la caractérisation taxonomique des clusters. Pour cela, des techniques d’analyse statistique multivariable et de production cartographique de la distribution territoriale de ces variables sont mobilisées.
30Pour chaque classe des typologies réalisées, on peut trier les indicateurs de type continu dans l’ordre de leur importance dans la caractérisation, en calculant la distance entre leur moyenne dans la classe et leur moyenne générale tout en tenant compte de leur variance dans la classe. Pour un indicateur X et une classe k, la quantité Tk(X) dite valeur-test permet d’évaluer cette distance en nombre d’écarts-types d’une loi normale :
31La valeur-test mesure la similarité entre indicateur et classe. Plus la valeur-test est élevée, plus l’indicateur est caractéristique de la classe. Le seuil communément admis est de 2.
32Au total, ont été étudiés 80 projets financés (43 projets labellisés par le GAL Pays cœur d’Hérault et 37 projets par le GALPA Étang de Thau et sa bande côtière de Frontignan à Agde).
33Situé au sud-ouest de Montpellier, le bassin de Thau a une grande valeur paysagère et environnementale liée à un ensemble de lagunes marines. L’économie du territoire est fortement liée aux différents usages de la lagune et la proximité de Montpellier. Les conditions environnementales de l’étang (absence de marées et richesse en nutriments) favorisent la croissance rapide des mollusques, 90 % de la production d’huîtres et de moules de la Méditerranée française est cultivé dans l’étang de Thau où les canaux de distribution directe (vente au détail 40 %) sont très présents. Néanmoins, ce secteur de la pêche s’est détérioré au cours des 20 dernières années, en particulier dans le chalutage où sa production a diminué de 50 % dans les captures d’anchois et de sardines, et ce, en raison de l’augmentation des prix des facteurs de production et de l’épuisement des ressources. L’agriculture a également une importance socio-économique relative sur le territoire, notamment dans la filière vitivinicole (76 % de la surface agricole). Elle aussi est en déclin, le territoire ayant perdu plus de 30 % de la surface agricole en 12 ans (Pary, 2014) parallèlement à une forte pression résidentielle, notamment dans les communes de Gigean et Fabrègues, soumises à la fois à la proximité avec Montpellier et leur attractivité touristique (Rio et Troyer, 2010). Ces dernières, très présentes (notamment autour de Sète et Agde qui comptent 81 % de la capacité d’hébergement du territoire) sont essentiellement liées au tourisme nautique, thermal et résidentiel (Pary, 2014).
34Le GALPA regroupe 17 communes (9 communes de la communauté d’agglomération du bassin de Thau, 5 communes de de la communauté de communes du Nord du bassin de Thau et 3 de la communauté d’agglomération Hérault Méditerranée). Sa délimitation territoriale a subi de légères modifications au cours de la dernière période. Ainsi s’ajoutent quatre communes (Mireval, Montagnac, Montbazin et Vic-la-Guardiole) ont intégré le partenariat.
35Au cours de la période 2007-2013 pour canaliser les fonds LEADER, une association ad hoc issue d’un partenariat entre pêcheurs et conchyliculteurs, Thau et son Lido, a été créée. Pour la période 2014-2020, le GALPA Étang de Thau et sa bande côtière de Frontignan à Agde est géré par le Syndicat mixte du bassin de Thau, créée à l’origine pour préserver la lagune et coordonner l’ensemble des politiques publiques de transition écologique et d’innovation dans le secteur de pêche.
36Pour confirmer notre hypothèse selon laquelle la plus grande présence de groupes d’acteurs dans les secteurs traditionnels de la pêche influe sur les formes de mise en œuvre du modèle LEADER, nous avons également analysé un GAL (rural) ayant une vaste expérience dans la gestion de fonds LEADER, celui du Pays cœur d’Hérault. Ce dernier offre certaines similitudes avec le GALPA Étang de Thau, et notamment sa proximité avec les zones urbaines et un déséquilibre du tissu socio-économique marqué par une omniprésence d’activités tertiaires. Le territoire du GAL Pays cœur d’Hérault s’étend au sud du Massif central, la position géographique proche de Montpellier et de Béziers lui confère une bonne desserte routière (A75/A750 ; Chevalier, Maciulyte, Dedeire et al., 2018).
Figure 1 – Délimitation de la zone d’étude
37Le territoire a connu une croissance démographique liée à l’extension de l’aire d’attractivité de la ville de Montpellier. La population a augmenté de 25 % au cours des 20 dernières années, même si le taux de chômage est largement supérieur à la moyenne nationale (14,6 % sur l’agence Pôle emploi Clermont-Lodève contre 11,3 % au niveau national). Néanmoins, sa densité démographique reste relativement faible avec 61 hab./km2 (contre plus de 320 pour la GALPA). Le GAL intègre une population de 85 000 habitants répartie entre 77 communes et 3 communautés de communes (communauté de communes de la Vallée de l’Hérault, communauté de communes du Lodévois et Larzac et communauté de communes du Clermontais ; Pays cœur d’Hérault, 2021).
38L’agriculture y a malgré tout a un poids encore significatif, principalement dans le domaine de la viticulture (qui emploie 10 % de la population active). Le Pays cœur d’Hérault possède 20 % de la surface agricole du département de l’Hérault. Cependant, la population agricole est très vieillissante, 60 % des agriculteurs ayant plus de plus de 60 ans (Pays cœur d’Hérault, 2021). Le territoire abrite un riche patrimoine culturel avec trois grands sites classés au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO (31 % des touristes qui venant dans le département de l’Hérault visitent les grands sites). Le Pays profite de sa proximité avec le littoral dans le quatrième département touristique français et le premier département touristique de la région Occitanie avec 37,4 millions de nuitées touristiques (observatoire d’Hérault tourisme, 2017).
39L’un des axes prioritaires fixés dans le FEAMP DLAL est précisément de mettre en place un modèle de gouvernance qui s’adapte aux problématiques territoriales. Les exigences de l’UE concernant le positionnement des collectifs de pêche au sein du comité de pilotage des GALPA se matérialisent ainsi dans l’étude de cas. Le GALPA Étang de Thau et sa bande côtière de Frontignan à Agde est constitué d’un comité mixte de 20 acteurs (8 représentant le secteur publics et 12 le secteur privé), dont la mission est de sélectionner les projets, contrôler le respect de la stratégie DLAL et évaluer le programme. Parmi les membres du comité figurent des représentants de cinq institutions de pêche : le comité régional des Pêches maritimes et d’Élevage marin Occitanie (CRPMEM), l’Organisation de producteurs (OP) Société coopérative maritime des pêcheurs de Sète Môle (SATHOAN), l’OP du Sud, autre organisation de producteurs pêcheurs en Méditerranée, les Prud’hommes pêcheurs du littoral et la Criée d’Agde ; cinq autres acteurs représentant les institutions aquacoles : le comité régional de conchyliculture de Méditerranée (CRCM), l’OP des conchyliculteurs de Thau, la Coopérative des 5 ports, le Syndicat conchylicole et l’ASA des cultures en mer. Outre les représentants des activités productives de la mer, le comité comprend également des représentants des intercommunalités, des offices du tourisme, de la chambre d’agriculture, de l’EPR Port sud de France et du lycée de la Mer.
Tableau 2 – Composition du comité de pilotage
Source : GALPA Étang de Thau, 2014 ; GAL Pays cœur d’Hérault, 2015
40De son côté, la composition du comité de pilotage du GAL Pays cœur d’Hérault montre un équilibre différent, ces différences s’observent dans la participation des collectivités (représentants de communes) et dans la présence des représentants des activités traditionnelles (pêcheurs versus agriculteurs). Le GAL Pays cœur d’Hérault est constitué un comité mixte de 28 acteurs (12 acteurs publics et 16 acteurs privés) qui se répartissent comme suit : douze représentants élus de chaque communauté de communes membres, la présidente du conseil de développement du Pays cœur d’Hérault, un représentant de chaque chambre consulaire (trois), deux représentants des acteurs sociaux, deux représentants des acteurs de l’environnement, trois représentants de réseaux et acteurs culturels, deux représentants d’associatifs de l’urbanisme, l’architecture et du paysage, deux représentants d’associations en direction de la jeunesse et un représentant d’associations d’accompagnement des agriculteurs.
41Ces différences dans la composition du comité de pilotage semblent avoir un impact substantiel sur les modalités de portage de l’action publique (fig. 2), les types des projets étant globalement similaires dans les deux GAL. Dans celui du Pays cœur de l’Hérault, le portage est essentiellement municipal. Celui-ci domine dans les zones de moyenne montagne (Larzac), décrites par M. Talandier comme les régions vieillies et de faible densité. L’examen indique que les porteurs de projet sont majoritairement des municipalités ou des intercommunalités (communautés de communes ; 70 % en moyenne par GAL) tandis que la nature des projets atteste de la priorité donnée aux infrastructures publiques. Ils concernent principalement la construction d’équipements structurants (maisons de services publics, musées locaux), la réfection des façades ou l’aménagement des espaces publics. La programme LEADER semble parfois être un prétexte pour financer des opérations qui a priori ne relèvent pas directement de son champ d’application. Ici, le leadership politique local s’est emparé de la démarche LEADER pour en faire un instrument de rattrapage structurel sans rechercher à inventorier et à activer des ressources locales. Cette logique de rattrapage s’éloigne des objectifs du programme LEADER et de la logique, que le courant de l’économie institutionnelle décrit comme une logique de spécification des ressources socio-économiques (Lacquement et Chevalier, 2016). Dans le cas de l’étang de Thau, bien que les projets promus par les acteurs institutionnels affichent des pourcentages similaires à ceux du GAL Pays cœur du Hérault, il existe des différences dans le portage des projets. Bien que les projets promus par les municipalités pour la construction d’infrastructures soient minimes, la plupart des projets sont orientés vers la revalorisation et la promotion des ressources halieutiques avec un caractère supramunicipal, principalement à travers les institutions d’Agde. Contrairement au GAL Pays cœur d’Hérault, on n’observe pas une réelle instrumentalisation du programme LEADER ou en tout cas un moyen détourné de financement des opérations ne pas relevant pas directement de son champ d’application. Ainsi, du côté côtier, les municipalités font preuve d’une plus grande responsabilité à l’égard de la stratégie et de la valorisation des ressources endogènes.
Figure 2 – Les porteurs de projets
42La deuxième forme de coordination identifiée de l’action publique renvoie à un portage associatif. Dans le GAL Pays cœur de l’Hérault, celui-ci concerne les communes dans la région touristique de la Haute Vallée de l’Hérault. Ces régions rurales sont caractérisées entre autres par leur forte attractivité résidentielle et par la vitalité du phénomène associatif. Nombreuses sont les associations locales qui ont parfaitement compris l’intérêt du programme LEADER et qui ont su en tirer profit pour solliciter des soutiens aux projets fondés sur la valorisation de ressources patrimoniales, culturelles ou sportives. Ces associations sont très ancrées localement. Elles ont tissé de nombreux liens de partenariat avec les différentes structures de développement local comme les pays ou les parcs naturels régionaux. Dans les territoires côtiers, la présence de projets dont le promoteur correspond à des acteurs associatifs est principalement lié au comité régional de la Conchyliculture de Méditerranée. Il n’existe donc pas de spécialisation territoriale mais plutôt une forte implication d’un seul type d’acteur. Une fois de plus, l’accent sectoriel est clairement mis sur l’aquaculture, avec plusieurs projets approuvés pour des études de faisabilité économique et la planification stratégique du potentiel de ces ressources. Le tissu associatif affiche alors une nette orientation supracommunale voire régionale même si le degré de diversification est limité. La présence d’autres groupes associatifs dans la sphère sociale et dans d’autres secteurs productifs est plus limitée dans la mise en œuvre des projets.
43La troisième forme de coordination de l’action locale se caractérise par un portage purement entrepreneurial. Il concerne à peine 12 % des commune du GAL Pays cœur de l’Hérault, mais dans des régions marquées par l’héritage de la crise des activités industrielles (bassin industriel Lodévois) et la contraction drastique du marché local de l’emploi en l’absence de possibilités de reconversion. Dans la plupart des cas, les entrepreneurs qui ont sollicité l’aide du programme LEADER sont des membres actifs des GAL et se sont impliqués dans la rédaction de la stratégie. Ce sont majoritairement des chefs de petites entreprises (90 % comptent moins de 10 salariés). Ils appartiennent, pour trois quarts d’entre eux au secteur du tourisme et des services, et pour un quart à celui de l’artisanat. Volontairement tournés vers la diversification de l’économie rurale, les projets se concentrent sur la valorisation des ressources sociales du territoire (savoir-faire, traditions locales) et dans des investissements touristiques (réhabilitation du patrimoine bâti et réalisation de chambres d’hôtes). Les projets portés par des petites entreprises sont rares dans le cas de l’Étang de Thau. En tout cas, il existe plusieurs initiatives d’organisations de producteurs dans le secteur de la conchyliculture et de la pêche, mais avec une faible capacité à générer des emplois directs. La plupart des projets promus par ces organisations ont une orientation productive et se concentrent sur la promotion et la diffusion de marques territoriales de produits et de produits de la pêche et de l’aquaculture. Ces types de projets se situent principalement à Sète compte tenu de l’importance stratégique de son port de pêche et du dynamisme associatif du secteur de la pêche dans la zone sud du golfe du Lion.
44La démarche de sélection des ressources contribue à différencier l’action locale de développement. Les stratégies des GAL(PA) interprètent en effet les orientations retenues au niveau national en effectuant des choix de catégories. Ces choix sont la traduction locale de la politique rurale et de la pêche et expriment le caractère endogène de la démarche de développement territorial. L’interprétation locale du programme LEADER dépend fortement de la nature des ressources socio-économiques choisies et de la manière dont elles sont valorisées pour dynamiser l’économie locale. Ce sont les projets de développement qui activent les ressources territoriales inventoriées dans les documents stratégiques.
45Le traitement statistique des fiches de projet LEADER fait tout d’abord apparaître un point commun. Les deux GAL sont engagés dans une logique d’intégration des ressources territoriales. La conception des projets intègre l’ensemble des catégories dans une démarche globale d’activation des ressources territoriales du territoire local. La stratégie des GAL vise à capter les revenus des clientèles urbaines et/ou touristiques par la spécification des productions locales et par la valorisation des patrimoines naturels et culturels. Cette logique globale se distingue des logiques de simple association ou encore de sectorisation des ressources territoriales. Elle témoigne plutôt d’un apprentissage avancé de la démarche LEADER.
Figure 3 – L’activation des ressources
46Cette logique d’intégration est en grande partie dominée par le poids relativement important des ressources culturelles dans les projets. La création de valeur ajoutée par la valorisation des patrimoines culturels se fonde sur des projets tournés vers l’organisation des filières productives et des services touristiques. Cette démarche est très accentuée dans le GAL Pays cœur d’Hérault, où elle est associée à la valorisation des patrimoines naturels et des ressources environnementales grâce au rôle des parcs naturels régionaux. La logique d’intégration des ressources territoriales est cependant différenciée par la distribution géographique des projets au sein des GAL. Les logiques d’association et d’intégration, spécialement consacrées à l’organisation des activités de valorisation patrimoniale, se diffuse largement au sein du territoire du GAL Pays cœur d’Hérault. Cela concerne en particulier les communes de la haute vallée de l’Hérault et du plateau du Larzac au fur et mesure que s’abaissent les densités et que s’accentuent les difficultés économiques. Par contre, ces communes bénéficient de l’amélioration de l’accessibilité depuis la construction de l’autoroute A75, un axe méridien qui atteint l’agglomération de Montpellier et le littoral languedocien après avoir traversé le Massif central.
47Les logiques d’association et d’intégration de ressources caractérisent les communes de l’arrière-pays, dans la haute-vallée de l’Hérault et dans la moyenne montagne jusqu’au littoral. Celles-ci bénéficient de l’aménagement d’un axe routier de piémont. Le rôle des bourgs-centres (Clermont-l’Hérault et Gignac) semble discriminant dans la polarisation des projets et l’intégration des ressources. Par contre, dans, les communes les plus proches de l’agglomération montpelliéraine présentent des logiques plus sectorisées de valorisation des ressources territoriales. L’influence urbaine oriente les formes de l’action en faveur des entreprises artisanales et commerciales (aménagement de zones d’activités, opérations marketing, etc.). Dans le cas du GALPA Étang de Thau, l’activation des ressources montre une nette orientation vers la revalorisation du patrimoine naturel et culturel, notamment dans les communes du cordon littoral. L’influence du tourisme n’a pas été déterminante dans le milieu de l’étang de Thau puisque les interventions sur les ressources naturelles ont à nouveau eu une influence productive liée à la pérennité des ressources aquatiques de la lagune. De la même manière, les ressources culturelles ont également été valorisées, dans ce cas avec une fonction didactique, mais pas avec une vision productive. Bien qu’il existe plusieurs projets pour récupérer la capacité trophique de la lagune, l’influence urbaine dans ce cas sert aussi à une (re)valorisation patrimoniale des ressources.
48Les démarches de valorisation des ressources dépendent des porteurs de projet. En se focalisant sur ces derniers, l’analyse vise à caractériser l’initiative endogène de développement, qui en fonction des trois sphères d’acteurs représentées au sein des GAL peut être plus ou moins institutionnelle, plus ou moins associative ou plus ou moins entrepreneuriale. Le statut des porteurs de projet introduit un facteur décisif de différenciation des formes de coordination de l’action locale. On peut distinguer des formes exclusives ou quasi exclusive de portage de projet s’opposant à des formes associées. Les premières se caractérisent par la surreprésentation de l’une des trois sphères tandis que les secondes présentent des initiatives plus largement réparties entre les différents types d’acteurs locaux. Si l’on croise les types d’acteurs impliqués avec les ressources activées, on peut caractériser et cartographier les formes de coordination de l’action locale de développement.
49Dans le Pays cœur d’Hérault, on observe un effet de gradient assez net dans la géographie du portage de l’action locale. Dans les communes septentrionales, qui sont les communes les moins peuplées et les plus vieillies de la région LEADER, ce sont essentiellement les municipalités (type 1) qui pilotent des actions consacrées à la réalisation d’infrastructures et d’équipements publics (maisons des services aux populations, mais aussi rénovation de bâtiments publics et aménagement d’espaces publics). Ce mode de portage exclusif peut s’appuyer sur la sphère associative (type 4), comme dans les communes de piémont du nord-est de la région LEADER, éloignées et surtout enclavées, où les actions municipales sont relayées par des associations qui ont pris en charge des missions de développement local. Les liens personnels sont très étroits entre les municipalités et les associations et se fédèrent pour combiner l’amélioration des équipements ruraux à la diversification des activités locales. L’implication des acteurs associatifs peut être plus exclusive et jouer le premier rôle comme dans la Haute Vallée de l’Hérault (type 2) : affiliées pour la plupart à des fédérations nationales, les associations sont très actives dans la valorisation des ressources patrimoniales et dans la captation des flux touristiques autour de sites prestigieux et très attractifs. L’influence de l’agglomération de Montpellier semble accroître les initiatives de la sphère des entreprises dans les communes les plus méridionales. Dans ces communes repeuplées et rajeunies, la proximité urbaine oriente les projets LEADER d’une part vers les services à la personne et d’autre part vers les activités de récréation et de loisirs (centres équestres ; type 3).
50Enfin, les bourgs-centres et leurs communes périphériques où ont été aménagées de nombreuses zones d’activités, polarisent des initiatives nombreuses venues des trois sphères de la société locale et mobilisant une grande variété de ressources (type 5) : réhabilitation du patrimoine, modernisation des filières de l’économie productive, diversification par le tourisme et animation des cultures locales. Dans le cas de GALPA Étang de Thau, il est difficile d’aborder la dynamique géographique du portage de l’action locale. Ceci est dû au fait que plus de 60 % des projets ont été exécutés par des acteurs basés à Sète et dans une moindre mesure à Mèze (15 % des projets exécutés) et Agde (15 % des projets exécutés). En tout cas, paradoxalement, au regard de ces variables, le comportement du côté littoral est similaire à celui des communes septentrionales du Pays cœur de l’Hérault. Cette forme de valorisation des ressources (type 1) s’observe à Sète et Frontignan où les portages municipaux prédominent au faveur des projets d’équipement.
Figure 4 – Valorisation des ressources
51L’article fournit des résultats sur l’application de l’approche LEADER au cours de la période 2014-2020 dans un cadre comparatif entre territoires de pêche et territoires ruraux dans un contexte de proximité relationnelle et géographique. La méthodologie proposée, utilisant la technique du clustering, a permis de classer au niveau local les porteurs de projets, les différentes manières d’activer les ressources et les différentes modalités de (re)valoriser les ressources. De manière générale, il n’y a pas de différences notables entre les deux études de cas dans les variables analysées.
52Néanmoins l’article confirme la relation entre la configuration du comité de pilotage et les résultats dans l’orientation des projets et le portage de l’action publique. Les dysfonctionnements observés quant à l’instrumentalisation de LEADER par les administrations communales ou intercommunales dans les zones rurales de moyenne montagne à faible densité de population se retrouvent également en milieu littoral. Il est vrai que les projets exécutés ont été ajustés aux objectifs proposés dans la stratégie, bien que dans le cadre côtier il y ait une plus grande intentionnalité dans l’activation des ressources endogènes, mais le caractère endogène est largement dilué dans un développement à caractère endogamique, car dans le GALPA Étang de Thau, les deux tiers des projets (62 % de l’investissement) ont été portés par les membres du comité de pilotage.
53Les données de cette recherche montrent la difficulté d’établir une gouvernance territoriale dans le cadre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche. S’il est vrai que plusieurs principes de l’approche LEADER ont été mis en œuvre dans les projets menés, puisque la stratégie de l’étang de Thau a favorisé la coopération entre territoires à différentes échelles, un degré élevé d’innovation est également observé dans les projets.
54De la même manière, les résultats montrent que la spécialisation du tourisme a été évitée, contrairement à ce qui s’est passé dans plusieurs territoires d’Espagne (Miret-Pastor, Molina-García, García-Aranda et al., 2018), où cela a donné lieu à diverses déviations par rapport aux orientations européennes, principalement sur la fonction productive du développement endogène, la capacité à générer des emplois, des revenus complémentaires aux activités traditionnelles et à attirer les investissements privés. Ces écarts ont également été cités dans d’autres territoires et périodes d’application (Felicidades-García et Piñeiro-Antelo, 2017 ; Laidin et Berriet-Solliec, 2016 ; Loizou, Chatzitheodoridis, Polymeros et al., 2014).
55Certaines limites à la réalisation de cette étude doivent également être reconnues. Le fait que l’application de l’approche LEADER soit subordonnée à la définition de la stratégie locale ne permet pas d’extrapoler les résultats à un niveau générique et ceux-ci sont étroitement liés à l’étude de cas, même si certains des résultats sont également inclus dans la littérature antérieure. D’un autre côté, le fait que le GAL Étang de Thau ait concentré l’exécution des projets sur seulement trois communes (Adge, Sète et Mèze) rend difficile la lecture du contexte territorial, comme a permis la répartition des financements à travers le GAL Pays cœur de l’Hérault. Les différents contextes socio-économiques des communes qui composent le GAL Pays cœur de l’Hérault ont clairement conditionné la création de clusters localisés par une proximité géographique dans la création de capital territorial. Ces formes de création de capital territorial se sont concrétisées dans les porteurs de l’action publique et dans les différentes formes d’activation des ressources. Par contre, ces conclusions ne sont pas appréciées dans le cas du GALPA Étang de Thau ; plutôt qu’une proximité géographique, on identifie une proximité plus organisationnelle (Rallet et Torre, 2004) dérivée du caractère sectoriel dans lequel la stratégie est orientée et l’affinité et les économies d’échelle dans lesquelles opèrent les institutions du secteur de la pêche. Cela empêche l’interaction entre les autres acteurs socio-économiques et, par conséquent, moins de conflits sont générés entre les acteurs mais le caractère du développement est moins holistique.
56Afin de maintenir la prospérité économique et sociale des zones de pêche, promouvoir l’emploi grâce à la diversification des activités et améliorer la qualité des côtes, il est nécessaire d’intégrer divers secteurs dans la stratégie afin de favoriser les liens entre les différents acteurs économiques. Les programmes doivent être basés sur la polyvalence et la valorisation des ressources endogènes. Ces mesures devraient avoir pour objectif d’accroître la compétitivité des zones de pêche, de restructurer et diversifier les activités économiques, de créer de la valeur ajoutée aux produits de la pêche, de préserver l’environnement et parvenir ainsi à une territorialisation des programmes.
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