1La médiation figure aujourd’hui parmi les missions clés des parcs naturels régionaux (PNR). En effet, dans un contexte de poursuite des processus de décentralisation, où de nouvelles compétences environnementales ont été attribuées aux collectivités territoriales et à leurs groupements, les missions des PNR se recentrent d’autant plus sur leur rôle d’animation territoriale. La politique de protection de l’environnement contractuelle qu’ils mènent les conduit à inciter les acteurs du territoire à travailler ensemble pour proposer un aménagement conciliant préservation des milieux et développement économique : « Au cœur de leur stratégie de territoire, les parcs savent qu’ils ont à être d’abord des facilitateurs et des médiateurs. Ils disposent d’une force de persuasion puisqu’ils n’ont pas de pouvoirs réglementaires. Ne pouvant contraindre quiconque, il leur faut convaincre » (Baron et Lajarge, 2015, p. 221).
2Cependant, ce travail de médiation s’avère souvent difficile dans les espaces où l’environnement est soumis à de fortes pressions, engendrant des tensions du fait des objectifs contradictoires qui s’y confrontent. Les zones littorales, qui présentent des milieux aux grandes richesses écologiques mais menacés par une forte urbanisation et un tourisme de grande ampleur, sont particulièrement concernées. Les parcs naturels régionaux peuvent alors participer à la résolution de ces conflits, en intervenant de manière complémentaire aux autres acteurs ou en tâchant de mutualiser leurs compétences au profit de l’élaboration d’une gestion commune (Beuret et Cadoret, 2017). C’est dans cette seconde optique que s’inscrit le projet du programme collectif de gestion (PCG) du delta de la Leyre animé par le parc naturel régional des Landes de Gascogne depuis 2014. Ce site Ramsar aux enjeux de biodiversité majeurs est confronté aux enjeux liés au développement économique et aux projets d’aménagement du bassin d’Arcachon. En découlent des jeux d’acteurs particulièrement complexes qui compliquent la mise en place d’une médiation, dans un contexte où les périmètres de protection se superposent et questionnent les compétences respectives de chacun des acteurs (fig. 1).
- 1 Pour la mise en application de ce type d’approche dans le domaine de l’environnement, voir Briffaud (...)
3Cet article s’inscrit dans le cadre de recherches menées pour le programme régional « La nature en Nouvelle-Aquitaine, entre innovations gestionnaires et valorisation culturelle : le cas des parcs naturels régionaux ». Il se base sur les documents institutionnels émanant du parc mais aussi sur des entretiens semi-directifs réalisés de mai à juillet 2021 auprès des agents du PNR et des principaux acteurs publics partenaires : conseil départemental de la Gironde, parc naturel marin du bassin d’Arcachon et Conservatoire du littoral. Cette analyse s’inscrit aussi dans le cadre de la réflexion collective du laboratoire de recherche Passages qui, à travers sa focale « Médiation », a interrogé les recompositions du concept et de ses usages. En effet, le terme a comme particularité d’être à la fois polysémique, en étant mobilisé dans une multiplicité de contextes (de la médiation culturelle à la médiation environnementale en passant par la médiation scientifique), et ambivalent, pouvant représenter à la fois ce qui relie les acteurs et ce qui y fait obstacle en créant un intermédiaire s’interposant. Son emploi de plus en plus fréquent serait lié à la reconfiguration des spatialités dues aux changements globaux (mutations dans le domaine de l’environnement, du numérique ou encore des mobilités), conduisant à l’instauration de nouvelles formes de médiation. Ces évolutions entraînent alors l’affaiblissement voire la disparition des médiations traditionnelles au cours d’une phase de démédiation, à laquelle succède une phase de remédiation où s’installent les nouvelles médiations plus adaptées aux changements du rapport au monde des sociétés 1. Ce processus s’illustre également à travers les nouvelles manières d’aborder la médiation dans l’action publique environnementale, notamment à travers le cas que nous nous proposons d’étudier. La gestion d’un espace à la forte valeur patrimoniale induit la volonté de mettre en œuvre une médiation pour rendre plus efficiente sa protection, mais les difficultés rencontrées aboutissent à un échec de la démarche supposant de repenser cette médiation pour la relancer sur de nouvelles bases. La médiation peut ainsi dans cette étude de cas se comprendre selon trois acceptions. La première est de mettre en lien les différents acteurs concernés par la gestion du delta de la Leyre, de les inviter à partager leurs expériences et savoirs respectifs et d’établir une concertation pour la mise en œuvre d’une gestion collective à l’échelle du site. La deuxième est le travail de transmission, de partage et de vulgarisation visant à donner aux élus et au grand public une compréhension globale du delta, permettant de les impliquer dans la démarche et de les y faire participer en dépassant les limites liées au manque d’expertise technique. Enfin, le troisième aspect consiste en la prévention et la gestion des tensions et des conflits qui peuvent exister entre divers acteurs dont les intérêts sont divergents, pour parvenir à apaiser la situation par l’intervention d’un tiers animant des négociations pour trouver des accords et des compromis satisfaisant chaque partie en même temps que l’intérêt général. Cette étude participe ainsi au mouvement de théorisation de la médiation (Guillaume-Hofnung, 2020), afin que les acteurs puissent s’appuyer sur cette notion pour la mobiliser de manière opérationnelle dans leur action.
4Après une présentation du projet, de sa genèse et de ses objectifs, nous montrerons la dynamique de médiation qui s’est mise en place dans un premier temps, basée sur une concertation élargie, avant de mettre en évidence les difficultés rencontrées qui ont conduit à une démédiation puis à une recomposition du projet en vue d’une remédiation.
Figure 1 – Le périmètre du site Ramsar du Delta de la Leyre et la superposition des principaux zonages
5Le delta de la Leyre est l’exutoire du bassin versant du réseau hydrographique de la Leyre, dont l’embouchure est le bassin d’Arcachon. Espace de transition aux eaux saumâtres, il se compose de milieux variés : roselières et forêts mixtes et alluviales dans sa partie amont, prés-salés et vasières dans sa partie aval (fig. 2 et 3). Il constitue également un milieu d’accueil privilégié pour les oiseaux d’eaux migrateurs comme la Bernache cravant ainsi que pour des passereaux nicheurs comme la gorge bleue. Cette biodiversité en fait un hot spot qui justifie le classement du site « Bassin d’Arcachon – Secteur du delta de la Leyre » au titre de la convention Ramsar le 27 octobre 2011. Avec 5 175 ha, le delta de la Leyre est le plus grand des trois sites labellisés Ramsar en Nouvelle-Aquitaine, et le rayonnement international qu’il a ainsi acquis donne une portée éminemment politique à sa gestion.
- 2 La plupart de ces propriétaires dispose de petites surfaces, mais les plus grands propriétaires peu (...)
- 3 Voir en complément l’atlas cartographique du site, tiré de Jun et Razer, 2016, p. 172-186 : calameo (...)
6Or, de nombreux acteurs publics et privés sont présents sur ce secteur, ce qui entraîne un morcellement foncier et politique. En effet, le Conservatoire du littoral a mené une importante politique d’acquisition foncière sur le littoral du bassin d’Arcachon dès les années 1980, et a confié certaines de ses propriétés en gestion au conseil départemental, qui a lui-même classé ce secteur au titre de ses espaces naturels sensibles. De plus, la propriété foncière sur le site est partagée entre les communes du delta, Lanton, Audenge, Biganos, Le Teich et Gujan-Mestras, ainsi qu’entre environ 400 propriétaires privés 2. Enfin, le parc naturel régional des Landes de Gascogne y est présent historiquement depuis sa création en 1970. Un grand nombre de dispositifs de protection se superpose donc sur le secteur du delta (fig. 1 3), le périmètre étant également recouvert par des sites inscrits et classés et des sites Natura 2000 ainsi que par des zonages d’inventaire tels que les zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF). Banzo, Cazals et André-Lamat (2018) ont montré l’importance de ces zonages de protection pour l’ensemble du bassin d’Arcachon, avec des superpositions pouvant atteindre jusqu’à cinq statuts de protection différents, faisant apparaître un véritable millefeuille (fig. 1). Ces superpositions se concentrent notamment dans les « hauts-lieux » à forte valeur patrimoniale, dont fait partie le delta de la Leyre, troisième site le plus protégé après le banc d’Arguin et l’île aux Oiseaux. Si la superposition des statuts protecteurs peut être un atout pour la diversité biologique (Cans, 2008), il en résulte une dispersion des opérations de gestion menées par chaque acteur sur les milieux naturels dont il a la charge. Cela a amené à poser la question de leur mise en commun et à imaginer la mise en place d’une médiation en vue d’une gestion globale, commune et concertée.
Figure 2 – Le delta de la Leyre : des milieux humides riches et variés (domaine de Fleury, Le Teich)
Source : Louis Voisin, 4 août 2023
7La labellisation Ramsar du site du delta de la Leyre a été promue par le parc naturel régional dès les années 1990 et a été portée dans les années 2000 par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) Aquitaine en s’appuyant sur le parc, désigné comme coordinateur du site. L’objectif du PNR est alors de valoriser ce label et de profiter de cette inscription pour mettre en œuvre une gestion commune et collective, et dépasser les limites liées à la multiplicité des zonages. Il initie ainsi des réflexions avec le département de la Gironde sur les possibilités de créer un lien entre tous les acteurs concernés par une mise en commun des actions de gestion afin d’éviter le morcellement. Les deux acteurs considéraient que les efforts individuels de chacun sur ses périmètres de gestion risqueraient de trouver leurs limites s’ils ne faisaient pas l’objet d’une réflexion globale et concertée. En effet, le site devait pour eux faire l’objet d’une gestion intégrée à sa propre échelle pour éviter les contradictions entre les actions des uns et des autres et s’assurer de la cohérence des plans de gestion des différents gestionnaires.
Figure 3 – Vue aérienne sur la mosaïque de milieux du delta de la Leyre
Source : Brigitte Ruiz, SIBA, photothèque du parc naturel régional des Landes de Gascogne, 4 août 2009
- 4 Charte 2014-2029 du parc naturel régional des Landes de Gascogne, p. 88.
8Tout cela a participé à la volonté de mettre en place une médiation, qui s’est concrétisée en 2014. Le renouvellement de la charte du PNR le 21 janvier permettait en effet de proposer un nouveau projet politique. Parmi les 77 mesures énoncées dans cette nouvelle charte figure la mesure 22 : « Favoriser une gestion globale et coordonnée du delta de la Leyre ». Le parc souhaitait ainsi « développer les relations, coordonner les acteurs à l’échelle du delta et favoriser la reconnaissance de ses valeurs au travers de la labellisation Ramsar » 4. La médiation consiste donc ici à faire ce lien entre les acteurs publics et privés et à favoriser le dialogue et la coopération, afin de mettre en œuvre une gestion commune et concertée à travers l’élaboration d’un plan de gestion coordonné. Il s’agit dans le même temps de fédérer les données collectées par les différents intervenants sur le site et de les partager pour favoriser une connaissance globale de sa biodiversité, plutôt que par secteurs. L’objectif est de permettre l’élaboration d’une base de données commune, servant de porter à connaissance pour les élus locaux, et de mutualiser les informations collectées, notamment à travers la mise en place d’une « station ornithologique ».
9Afin de concrétiser ces objectifs, le parc a signé une convention-cadre le 24 juin 2014 avec le département de la Gironde pour proposer une gestion commune de l’espace naturel sensible du secteur du delta de la Leyre. Un poste de chargé de mission animateur territorial/conseiller technique des zones humides a ainsi été créé et a été pourvu le 20 octobre 2014 au pôle patrimoine naturel du PNR pour travailler directement avec le département. L’agent, doté du titre d’« animateur-médiateur », s’est vu confier la mission de la mise en œuvre d’un programme collectif de gestion pour le delta de la Leyre (PCG Delta). Il s’agit d’un programme de gestion pour le site Ramsar du delta de la Leyre s’appuyant sur une médiation animée par le parc en partenariat avec le département. Il doit être élaboré en concertation avec l’ensemble des acteurs présents sur le secteur, c’est-à-dire en proposant un cadre stratégique global d’interventions construit sur la base d’objectifs et d’orientations partagés entre les partenaires (Beuret, 2006). Pour autant, ce programme de coordination de la gestion des sites naturels n’a aucune valeur réglementaire et n’a pas vocation à se substituer aux plans opérationnels de gestion déjà existants. Il vise à proposer un diagnostic partagé du delta et des objectifs globaux afin de conseiller les gestionnaires de site et de permettre que les actions menées par les différents partenaires soient les plus efficientes possibles par leur inscription dans une cohérence d’ensemble. L’idée est de mener une réflexion en vue d’élaborer une trajectoire commune entre les acteurs, en capitalisant les initiatives de chacun tout en apportant une plus-value. En effet, le nouveau plan de gestion permet d’enrichir les connaissances et de s’appuyer sur de nouvelles actions pour améliorer celles déjà mises en œuvre.
10Face à ce projet, certains acteurs publics locaux ont pu s’interroger sur le sens et l’utilité de cette démarche. La portée du projet et la vision des différents acteurs sur ses objectifs et son rôle ne semblent pas complétement partagées, tant sur les termes utilisés que sur l’intérêt du programme.
11Le terme de coordination, mentionné notamment dans la mesure de la charte, est vu par le Conservatoire du littoral comme une manière de prescrire des actions aux différents gestionnaires du site, ce qui va à l’encontre de l’esprit du programme. Pour lui, coordonner des actions ne peut pas avoir de sens au vu de la disparité des profils intervenant sur le delta. Un propriétaire privé et un organisme public ne poursuivent pas les mêmes objectifs, et ne peuvent donc pas gérer les milieux de la même manière. Le PCG ne devrait donc pas avoir comme visée de devenir un plan de gestion du delta, mais de permettre que chacun puisse partager ses expériences de gestion, afin d’en tirer le meilleur parti et de faire des propositions. Pour le Conservatoire, le programme devrait donc avoir pour but de faciliter les retours d’expérience et le partage, et non pas de décider la manière dont chacun doit gérer ses milieux. Une coordination des actions ne lui paraît ni nécessaire ni même souhaitable, considérant qu’une gestion différenciée n’entraîne pas forcément une mauvaise gestion à l’échelle du delta, mais est adaptée au contraire et contribue à la mosaïque des milieux. Cette démarche a pu être vue comme une remise en cause du travail des gestionnaires déjà présents et actifs sur le site, notamment du Conservatoire lui-même qui a initié une politique de préservation sur le secteur dès les années 1980.
12Au vu de nos entretiens, il semble qu’aux origines de la démarche, des défauts de communication aient entraîné une incompréhension, et que les intentions exactes n’aient pas été suffisamment clarifiées, les termes eux-mêmes pouvant prêter à confusion : les différents acteurs entendent-ils tous la même chose quand on parle de coordination ? En effet, la démarche du parc et du département, en tous cas à ses débuts, semblait bien ne pas chercher à contraindre qui que ce soit. En considérant les différents points de vue des acteurs interrogés dans nos entretiens, il apparaît qu’il y a eu des malentendus sur le sens donné au mot coordination. Pour le parc, il ne s’agissait pas de créer une relation verticale entre les acteurs publics ni de remettre en question les actions de chacun, mais bien de discuter des objectifs communs pour envisager une orientation partagée sur l’avenir du site Ramsar. Ces divergences de points de vue soulèvent aussi la question des « querelles de légitimité » (Gauchon, 2014) qui peuvent se rencontrer dans le cadre des actions menées dans un parc naturel régional. En effet, les acteurs endogènes, qui sont les plus impliqués sur le terrain, peuvent questionner la légitimité de l’intervention des acteurs exogènes ayant une action plus surplombante, et les risques d’ingérence qu’elle induit. Plusieurs interrogations peuvent ainsi émerger. Qui est le mieux placé pour mener à bien telle ou telle action ? La légitimité peut-elle être partagée ? Quelle place, quelle position doit donc exactement tenir le PNR ?
13L’année 2014 a aussi vu l’émergence d’un nouvel acteur public, le parc naturel marin du bassin d’Arcachon qui, avec sa création le 5 juin, a entraîné la rétrocession de la partie maritime du parc naturel régional. De plus, le PNM est devenu le gestionnaire des sites Natura 2000 du bassin d’Arcachon, réduisant le périmètre de celui qui est animé par le PNR. Cette création a donc entraîné des modifications territoriales, avec une réduction du territoire sur lequel le PNR exerçait ses missions, les questions maritimes et les sujets qui pouvaient être orphelins dans ce domaine pouvant être intégrés aux actions du parc marin. Le PNM pouvant désormais prendre en charge la coordination d’un certain nombre d’actions à l’échelle du delta, la pertinence du PCG est remise en question. Pour autant, le programme s’est poursuivi en intégrant le parc naturel marin et ces recompositions.
- 5 calameo.com/read/0004783574a6c687876dc.
14Le PCG s’est structuré dans sa première phase par une gouvernance composée de trois comités : un comité de pilotage réunissant les deux structures à l’origine du projet et principaux financeurs, le parc et le département, un comité consultatif, et un comité technique (fig. 4 qui précise les rôles et tâches de chaque comité). Le premier objectif était la réalisation d’un état des lieux, prenant en compte les données naturalistes mais également économiques, sociales et culturelles, afin de mener une action de médiation qui soit transversale, en intégrant toutes les composantes du milieu. Pour ce faire, le programme s’est orienté vers le choix d’une concertation la plus large possible, pour intégrer dans la démarche l’ensemble des acteurs concernés. Les acteurs privés, notamment, avaient en effet l’impression d’être mis de côté par les démarches existantes sur cette zone au vu de l’importance de l’intervention publique. Pour que les décisions ne soient pas prises par un nombre restreint d’acteurs triés sur le volet, ont donc été inclus dans cette concertation toutes les communes et les services de l’État, mais aussi les représentants des usagers, le monde associatif ainsi que les propriétaires privés. En réunissant toutes les parties prenantes grâce à un ensemble d’outils d’animation-médiation (fig. 4 qui détaille les modalités et les acteurs impliqués), l’avantage était que chacun puisse avoir la même information en même temps. Cependant, animer des réunions avec de nombreux participants (jusqu’à 80 personnes lors des forums du delta) a aussi ses inconvénients : difficultés de communication, réduction des possibilités d’échanges sur des thèmes précis et problème du partage équitable de la parole. C’est ainsi que le Conservatoire du littoral a pu considérer qu’il n’y a jamais eu de réelle concertation dans le cadre du programme. D’après nos entretiens, il a perçu la méthode adoptée comme une démarche uniquement descendante, basée sur une critique des modes de gestion existants qui ont pourtant permis l’obtention du label Ramsar pour le delta. L’objectif était pour lui au contraire de valoriser les actions des différents gestionnaires du site en matière de protection de l’environnement, afin de bénéficier de retours d’expérience pouvant dès lors profiter aux autres gestionnaires. Malgré tout, les premières étapes se sont enchaînées et ont été validées par le comité de pilotage. Le 9 février 2016, l’état des lieux a été validé (Jun et Razer, 2016). La réalisation d’un diagnostic à l’échelle du delta permet de disposer d’une vision et d’une compréhension globales du secteur. Conformément à ses objectifs, il met en avant tout aussi bien la biodiversité du site que la diversité des activités qui s’y déploient. De plus, il donne l’occasion de visualiser les multiples zonages des périmètres protégés, la composition foncière et les différents modes d’occupation du sol. Un effort de médiation a de plus été réalisé pour faire le lien entre les mondes scientifiques et politiques par la rédaction d’un « résumé non technique » de l’état des lieux 5, destiné à un large public, permettant notamment aux élus de disposer de données scientifiques pour mettre en œuvre leur politique. Un an plus tard, le 3 février 2017, une nouvelle étape a été franchie avec la validation du diagnostic et des enjeux, qui définissent trois enjeux principaux : la gestion, la gouvernance et la connaissance. Enfin, le 13 avril 2017 ont été validés les objectifs globaux et les indicateurs de suivi, afin de prévoir un programme d’actions et de définir les indicateurs permettant d’évaluer l’atteinte de ces objectifs. Ces documents devaient être issus de discussions et de réflexion communes et ainsi réunir les acteurs, mais les méthodes de concertation ont été critiquées par certains partenaires. Toutefois, d’après nos entretiens, ils sont considérés par le parc comme une base solide et une réussite dans la mesure ont ils ont abouti à des supports pouvant servir de référence dans l’optique d’une gestion commune du delta. Par ces rendus, le PNR a répondu aux objectifs de sa charte, mais le sentiment de succès entourant cette première phase de médiation n’est pas partagé par tous les participants qui peuvent voir dans ce processus une concertation alibi. De plus, le projet s’est heurté à l’émergence de nombreuses autres difficultés.
Figure 4 – L’organisation de la médiation pour la mise en œuvre du PCG delta
Source : Louis Voisin d’après JUN et RAZER (2016)
15Les structures publiques parties prenantes dans le PCG ont connu des restructurations importantes dans la période, ce qui a pu complexifier les relations entre les différents acteurs, les interlocuteurs impliqués n’étant plus toujours les mêmes. L’agrandissement de la superficie de la région avec la création de la Nouvelle-Aquitaine a eu pour conséquence un éloignement des interlocuteurs tant du conseil régional que des directions régionales de l’État de la proximité du terrain. Ces interlocuteurs étaient dès lors plus « hors-sol » et presque déterritorialisés de la trajectoire à long terme du bassin d’Arcachon. Par exemple, il a été mentionné dans nos entretiens que le correspondant de la DREAL qui s’occupait des zones humides est parti à Poitiers et n’a jamais participé aux réunions. Du fait de leur éloignement, les services de l’État peuvent moins facilement apporter leur soutien, alors que Ramsar est un label porté et soutenu à l’échelle étatique. Or le décalage est grand entre les réflexions menées par les services centraux et la réalité locale qui se traduit par l’absence d’interlocuteur des services déconcentrés pour soutenir concrètement les démarches. De même, le département a vu ses services se restructurer. Les liens et la communication se basant beaucoup sur des relations interpersonnelles, la difficulté à trouver des interlocuteurs complique le travail d’animation et de médiation. Le portage du projet sur le long terme nécessite aussi une continuité dans le personnel y participant, ce que les restructurations des différents services empêchent.
16Les secteurs littoraux sont souvent sujets aux tensions voire aux conflits en raison de la pluralité de leurs usages (Cadoret, 2011). Cette tendance se retrouve très nettement dans le cas du bassin d’Arcachon qui connaît une tension entre d’un côté une volonté de conserver la vocation très touristique du territoire et d’urbaniser le littoral et d’un autre la volonté de préserver ses milieux naturels (Banzo et Cazals, 2018). C’est notamment cette contradiction qui a conduit à l’annulation de certains documents d’urbanisme, comme le schéma de cohérence territoriale (SCoT) du bassin d’Arcachon – val de l’Eyre, annulé par le tribunal administratif de Bordeaux le 18 juin 2015, à la suite de la demande de diverses associations de protection de l’environnement (Banzo, 2018). En effet, il a été reproché au SCoT de ne pas prendre suffisamment en compte la consommation d’espaces naturels issue des perspectives d’urbanisation proposées dans le document d’urbanisme. Ce contexte n’est pas sans conséquences pour le PCG, où l’équilibre entre projets d’urbanisme et protection de l’environnement est également difficile à trouver. Le programme se heurte ainsi à des volontés politiques locales en concurrence qui complexifient sa mise en œuvre.
17Face à ces volontés concurrentes, la médiation a aussi pour visée de réguler les conflits, en cherchant à trouver des compromis permettant de répondre aux attentes des différentes parties. Sur le delta, ce sont notamment les relations entre les acteurs privés qui ont pu être interrogées, ainsi qu’entre les différents usagers. Les acteurs cynégétiques pouvaient par exemple avoir des points de vue différents entre eux selon les méthodes de chasse employées. La concertation a pu ainsi leur permettre d’en discuter et de trouver certaines solutions à leurs points de désaccord. Cependant, la médiation environnementale pour la gestion des conflits entre acteurs passe habituellement par une tierce personne, en dehors du conflit ou de la zone de tension, afin d’apporter un autre point de vue et pour qu’il n’y ait pas de biais dans sa manière d’aborder la chose (Dziedzicki, 2000). Or, le parc est également partie prenante sur le secteur. Cela induit des difficultés dans la gestion de conflits qui le concernent directement, et des soucis de légitimité à se positionner comme médiateur. Il y a en effet un risque d’être à la fois juge et partie, du fait du manque de distance vis-à-vis des questions soulevées, ce qui peut poser problème pour un arbitrage impartial ou la mise en œuvre d’une conciliation.
18Les difficultés proviennent aussi du fait que de nombreuses questions suscitent la réflexion et le débat. C’est notamment le cas de la gestion des domaines endigués.
19La montée du niveau marin et la hausse des phénomènes de tempêtes liés aux changements climatiques questionnent la possibilité d’un maintien des digues sur le long terme, dont l’entretien est coûteux. Cependant, les domaines endigués ont leurs propres fonctionnalités écologiques, constituant notamment des habitats pour certaines espèces. De plus, les digues ont également une forte dimension patrimoniale et culturelle sur le bassin d’Arcachon (Goeldner-Gianella, 2017). Marque de l’emprise humaine face à la mer, elles constituent des paysages à part entière, et sont particulièrement appréciées autant par les habitants que par les touristes. Cette dimension socioculturelle rend donc difficilement imaginable l’alternative du désendiguement, bien qu’elle ait pu être pratiquée sur certains sites du bassin comme les prés-salés de La Teste-de-Buch. De plus, les conséquences de ce désendiguement et du laisser-faire peuvent être difficilement estimables, en raison de la superficie limitée de l’espace dans lequel la nature pourrait dès lors s’exprimer. Une des limites dans l’établissement d’un programme de gestion commun à l’échelle du delta est qu’il est en réalité une mosaïque de milieux. Ainsi, ce qui peut être valable et envisagé sur telle digue peut ne pas l’être sur d’autres, chaque situation étant spécifique. Élaborer une trajectoire et des perspectives pour les domaines endigués pour l’entièreté du site peut donc s’avérer difficile. Pour y parvenir, il faudrait envisager chaque cas particulier, ou du moins hiérarchiser les sites selon leur caractère plus ou moins favorable à une dépoldérisation. Les objectifs des différents acteurs rendent difficilement imaginable la possibilité d’un consensus sur la question et l’une des personnes enquêtées a même considéré qu’un tel consensus ne serait ni nécessaire ni souhaitable. En effet, le programme doit accepter que les choix des gestionnaires diffèrent en raison justement de la disparité des milieux. La volonté d’établir une gestion globale à l’échelle du delta ne peut se départir d’une gestion fine de la mosaïque qui le compose. Enfin, le désendiguement recouvre plusieurs réalités, car il peut s’effectuer selon divers degrés et modalités : être total ou seulement partiel (Bertrand et Goeldner-Gianella, 2014). De plus, des alternatives au désendiguement existent pour lutter contre les risques maritimes, en profitant des services écosystémiques rendus par les milieux connexes. Par exemple, il peut être envisagé de restaurer les prés-salés détruits par l’endiguement afin de former une zone tampon entre la mer et les digues. En plus de cette capacité de limiter les risques de submersion marine, ces prés-salés ont des fonctions écologiques majeures, notamment en matière de séquestration du carbone, qui peuvent bénéficier à tout l’écosystème.
20Sur cette question qui constitue un enjeu majeur aujourd’hui, les points de vue des acteurs peuvent donc être très variés, chacun pouvant apporter une contribution à une réflexion globale. Mais il s’agit d’un sujet qui reste très délicat à aborder, et qui peut même être tabou pour certains maires en raison de l’opposition d’une partie de l’opinion publique au désendiguement, en lien avec des enjeux patrimoniaux et culturels.
21Au cours de la phase de concertation élargie entre 2015 et 2017, le comité consultatif comprenait tous les acteurs qui composent le delta de la Leyre, y compris les acteurs privés, les associations etc., dont les demandes ne coïncidaient pas nécessairement avec les volontés des élus. Par conséquent, il y a eu des pressions assez fortes de certains élus pour qu’il ne joue plus véritablement un rôle consultatif, mais qu’il soit simplement tenu informé. Cela a ainsi conduit à une marginalisation des acteurs privés dans le processus et à un resserrement de la gouvernance du projet autour des acteurs publics et des élus du territoire, dévoyant ainsi le projet initial. Ces derniers se sont alors réunis dans un comité stratégique constituant un nouveau niveau de gouvernance, à qui est revenu finalement la validation du programme d’actions (fig. 5).
22L’évolution de la gouvernance du projet s’est également accompagnée du désengagement, du retrait et de la crispation de certains acteurs, comme nous allons le montrer, en raison de leur désaccord avec les méthodes et l’esprit du programme. C’est le cas du parc naturel marin qui s’interroge sur la pertinence actuelle du périmètre du PCG qui avait été pensé avant la création du PNM. Une « coordination territoriale delta » peut donc ajouter de la complexité dans le schéma d’acteurs actuel, notamment sur les sujets qui bénéficient déjà d’une coordination par ailleurs, ce qui est le cas de la plupart des thématiques aujourd’hui. Le Conservatoire du littoral, quant à lui, remet en cause la notion même de coordination. Or, le sigle PCG peut prêter à confusion, car le C qui signifiait au départ « collectif » est parfois employé par certains acteurs pour le terme « coordonné ». La vision des ambitions du projet est donc de moins en moins partagée et cet acteur, qui était au départ favorable à ce projet, s’est donc finalement retrouvé en désaccord avec la méthode employée et le diagnostic effectué.
Figure 5 – L’évolution de la gouvernance du PCG
Source : Louis Voisin
23Une centaine d’actions avaient été identifiées lors de la phase de concertation élargie et dans le diagnostic initial de 2017. Si certaines actions n’existaient pas auparavant et étaient réellement novatrices, d’autres étaient menées de manière incomplète ou ne portaient pas sur la totalité du périmètre, d’où le choix de leur prise en charge dans le cadre du PCG. Mais, compte-tenu des difficultés rencontrées dans les relations entre acteurs, le comité stratégique a fait le choix finalement de ne retenir que les actions qui ne pouvaient pas être portées par d’autres gestionnaires sur le site. Au bout d’un long et fastidieux travail d’identification et de tri, neuf actions seulement ont donc été retenues selon ce critère : trois actions de gouvernance générales visant à poursuivre le processus de médiation effectué et six actions de gestion portant sur le fonctionnement hydraulique du delta, le contrôle d’une plante envahissante comme le Baccharis ou encore la fréquentation des domaines endigués. Le PCG s’est ainsi réduit comme peau de chagrin, comme le constatent amèrement certains acteurs initiateurs de la démarche comme le département, pour qui le projet initial a été « réduit à sa plus simple expression ».
24Dans nos entretiens, les agents ont déploré un manque de soutien technique et politique, tant du côté du PNR (il n’y a eu aucun élu dédié sur cette question malgré les demandes répétées du chargé de mission) que du département. Pourtant, au vu du contexte politique délicat sur le bassin d’Arcachon et des pressions importantes, il aurait fallu que des élus s’engagent clairement dans la démarche. Un soutien de la présidence et de la vice-présidence du parc était donc nécessaire, mais cela n’a été le cas qu’au début, essentiellement la première année. En effet, le président du PNR de l’époque était peu investi sur ce secteur et loin des élus. Par ailleurs, la situation s’est complexifiée suite à des tensions internes entre élus au parc et au positionnement de certains élus au poids politique important, comme un ancien président du PNR cumulant alors les fonctions de maire d’une commune du delta, de vice-président du Syndicat intercommunal du bassin d’Arcachon (SIBA) et de président du parc naturel marin. Du côté du département, des difficultés ont été soulignées dans les entretiens en lien avec le fonctionnement « en silos » des services. En effet, la spécialisation des agents sur des thématiques spécifiques induit un fonctionnement cloisonné nuisant à la transversalité dont aurait besoin un tel programme. Par exemple, l’agent chargé du PCG au parc pouvait avoir affaire à cinq services différents au sein du département, ce qui multipliait le nombre d’interlocuteurs, chacun chargé d’un secteur particulier (tourisme, urbanisme, environnement…). Il manquait ainsi des interlocuteurs polyvalents pouvant avoir une compréhension globale des enjeux sur le territoire. L’analyse des difficultés rencontrées par le PCG a montré qu’un portage politique était impératif de la part des principaux intervenants pour mener à bien ce type de projet multi-acteurs et multi-enjeux. Cela est indispensable pour rendre visible le delta comme une entité à gérer à part entière.
25Les nouvelles réformes territoriales et institutionnelles ont également contribué à ralentir et entraver le projet : restructurations des services de l’État à la direction départementale des territoires et de la mer de la Gironde et à la DREAL ou création de l’Agence française pour la biodiversité puis de l’Office français de la biodiversité. Le partage des compétences en matière de gestion hydraulique a été également recomposé par la mise en œuvre de la compétence gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI), qui a été confiée aux intercommunalités à partir du 1er janvier 2018 par les lois de décentralisation. Cela a eu des répercussions au sein du PCG, en donnant par exemple davantage de place à un acteur tel que le SIBA, qui s’est vu doté de ces nombreuses compétences. Ce partage des compétences questionne le rôle du PCG au sein du maillage territorial et ne fait que renforcer les difficultés liées au millefeuille administratif (tableau 1).
26En raison des difficultés rencontrées dans les relations entre acteurs et des enjeux politiques au moment de la mise en œuvre du programme d’actions, la décision a été prise lors du comité syndical du PNR du mois de décembre 2020 de ne pas renouveler le contrat de l’animateur médiateur. Cela a marqué l’échec de la démarche avec un coup d’arrêt brutal pour le programme qui n’a pas pu se poursuivre, au moment où le parc a connu une nouvelle phase de transition politique et technique en raison des échéances électorales de l’année 2020 et d’un changement à la direction en février 2021. À cela s’ajoute le contexte de crise sanitaire qui a été également un frein majeur pour la médiation. En effet, une animation basée sur la concertation, les réunions et les groupes de travail ne pouvait que pâtir des effets des confinements et des restrictions sanitaires.
Tableau 1 – Les acteurs publics du delta de la Leyre et leurs principales missions sur le site
Source : Louis Voisin
27Les deux initiateurs du projet, le PNR et le département, restent convaincus du bien-fondé d’une telle concertation et prêts à relancer la démarche en prenant en compte les difficultés rencontrées pour proposer un renouveau du projet. Suite à un bilan réalisé en interne et à une réflexion sur la mise en œuvre du PCG et ses évolutions possibles, ils souhaitent tirer les enseignements de cette première expérience et se donner les moyens de mieux surmonter les obstacles rencontrés. C’est ce qui a sans doute permis qu’aujourd’hui, les élus semblent prendre conscience de la nécessité de prendre en charge ces problématiques environnementales, comme en témoignent les demandes de leur part pour relancer le programme. Du côté du parc, suite au changement de direction et de présidence, les conditions d’un portage politique devraient être mieux réunies pour relancer le processus. On peut en effet penser que le nouveau président, qui est un élu girondin alors que le précédent était un élu landais, aura plus à cœur d’accompagner la démarche, en lien avec la volonté qu’il a affirmée de développer davantage de proximité avec les élus et avec le territoire.
- 6 D’après les dernières informations que nous avons pu obtenir, en novembre 2023, le poste n’a toujou (...)
28Le PNR, comme le département, ont bien conscience de l’importance de réunir les conditions nécessaires pour relancer la médiation en surmontant les difficultés antérieures : organisation d’une véritable concertation sur des bases et des objectifs partagés, portage politique et technique, amélioration de la communication… Cela passe d’abord par le recrutement d’un nouvel animateur-médiateur. Le premier poste avait déjà comme champ d’intervention l’ensemble des zones humides du territoire, et pas seulement le delta. Mais le nouveau poste 6 intitulé « Chargé de mission accompagnement delta – val de l’Eyre » met davantage l’accent sur la volonté de faire le lien entre les problématiques du delta et celles plus en amont dans le bassin versant. Cela se traduit notamment par un élargissement du périmètre et des domaines d’intervention du chargé de mission, pour proposer une animation et un appui technique plus global sur ce secteur. C’est une manière de poursuivre le PCG, mais en l’adaptant, avec une nouvelle approche, plus souple. En se tournant davantage vers l’intérieur des terres, elle tient de plus davantage compte du rôle du PNM, qui peut désormais prendre en charge un certain nombre d’actions sur le périmètre maritime du site Ramsar.
29Il est également important de rassurer les principaux partenaires en déterminant les champs d’intervention de chacun et en confirmant leurs compétences sur leurs périmètres, tout en favorisant les retours d’expériences. Mais l’objectif est de pouvoir également inciter ces partenaires à collaborer à des démarches plus collectives, ne traitant pas nécessairement directement de leurs sujets. Dans cet objectif, le souhait du parc naturel régional est de réengager la démarche de manière transparente et claire avec les uns et les autres. Il est en premier lieu nécessaire de cadrer les attentes réciproques des parties prenantes. Un partenariat a notamment été mis en place entre le PNR et le parc naturel marin à partir de novembre 2020 pour préciser le périmètre d’intervention tant géographique que thématique de chacun (tableau 1). De façon plus générale, il faut aussi développer les liens avec les acteurs locaux mobilisés, publics ou privés, et les tenir informés de la démarche. La médiation repose en grande partie sur des relations humaines, avec toutes les difficultés qui peuvent survenir, en matière de communication par exemple. Les désaccords sur la signification et les implications du terme « coordination » montrent qu’il y a eu des problèmes de mauvaise compréhension entre acteurs, certains ayant pu se sentir menacés dans leurs prérogatives comme cela a été exprimé dans nos entretiens. Il ressort également de ces entretiens que les tensions ont été surtout nourries par des relations difficiles entre des personnes dont les approches et les méthodes étaient difficilement compatibles. Le profil du poste pour le recrutement d’un nouveau chargé de mission pour l’animation du PCG prend en compte cette dimension humaine, en stipulant parmi les compétences requises : « Aptitude au relationnel avec les élus et les acteurs du territoire ». Les porteurs du projet ont pris conscience de la nécessité de mieux communiquer pour rassurer les acteurs qui peuvent être sur la défensive, et de développer une approche basée sur la transparence pour regagner la confiance des différents partenaires du projet. Toutefois, l’expérience vécue pèse lourd sur l’avenir du programme, regagner une confiance perdue et dépasser le passé étant un chemin long et tortueux, ce qui renvoie au concept de path dependence (Palier, 2019), qui met en avant le fait que l’action publique est conditionnée par les pratiques antérieures. Cela fait bien écho au cas du PCG, l’héritage de ce programme étant lourd, comme l’ont montré nos entretiens, et rendant difficile un réembarquement des acteurs dans une démarche qui a laissé des séquelles.
Figure 6 – Le PCG de la genèse à la remédiation
Source : Louis Voisin
30Après une première phase de médiation qui a relativement bien fonctionné et qui a permis de construire un projet sur une base de concertation large avec tous les acteurs concernés, au-delà des tensions que nous avons soulignées, la phase de mise en œuvre opérationnelle s’est heurtée à de nombreuses difficultés qui n’ont pas permis la poursuite du processus et qui ont failli aboutir à un abandon total du projet (démédiation). Cependant, après une période de latence, la démarche est relancée par ses deux initiateurs, le PNR et le département, mais en repartant sur de nouvelles bases afin de tenir compte des enseignements fournis par les expériences passées pour mieux surmonter les difficultés rencontrées (remédiation) [fig. 6].
31On peut cependant s’interroger sur l’intérêt d’une médiation basée sur la concertation, sur la plus-value qu’elle pourrait apporter et sur son efficacité pour réguler les tensions. On pourrait se demander, comme l’ont fait Blatrix et Méry (2019), si une telle démarche est rentable. L’argent public et le temps dépensé pour la mettre en œuvre supposent d’évaluer ses retombées et ses bénéfices. Au-delà d’une simple question de coût économique, c’est la question de la valeur de la médiation qui est posée. Elle a en effet l’avantage de mettre en avant la participation des populations et plus largement d’un ensemble d’acteurs au processus de décision, et donc de favoriser le développement de la démocratie locale. Indépendamment de ses résultats, le processus en lui-même est intéressant et peut être valorisé. La discussion, le dialogue, le débat sont des éléments majeurs au sein du processus démocratique et peuvent donc avoir une valeur en soi. Pour autant, cela implique que la concertation prônée soit réellement effective et qu’elle inclue bien l’ensemble des parties prenantes à travers une gouvernance adaptée.
32En effet, cet exemple montre que la médiation ne fonctionne pas toujours pour pallier les difficultés de gestion liées au millefeuille territorial, réglementaire et actoriel. Malgré les volontés des protagonistes, cette médiation peine à se relancer tant les interrogations sur les chances de réussite du nouveau dispositif sont importantes. Mais cette expérience peut être vue comme une occasion d’apprendre des erreurs commises pour proposer de nouvelles solutions et dépasser les clivages ayant conduit à l’abandon du processus, sous réserve que les méfiances des uns et des autres puissent être surmontées, ce qui reste une inconnue au moment de la rédaction de cet article.
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