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1Thomas Perrin a publié aux éditions Peter Lang une synthèse bienvenue autour de la réalité multiforme de la région en Europe aujourd’hui. Paru en 2022, cet ouvrage reprend le travail d’habilitation à diriger des recherches soutenu deux ans plus tôt par l’auteur. On retrouve ainsi le contenu d’un grand nombre de ses articles publiés durant la décennie 2010.

2L’ouvrage consiste en « une analyse approfondie de la notion de région et de ses déclinaisons opérationnelles en Europe » (p. 11). La démarche se veut constructiviste et pragmatique et vise une actualisation de la diversité des manières d’aborder la région dans une approche aménagiste. La méthode retenue est principalement celle de l’étude des jeux d’acteurs sous le prisme des coopérations. Les domaines de la culture et des questions frontalières sont tout particulièrement investis.

3L’auteur organise son propos autour de sept chapitres. Les premiers sont consacrés à l’établissement d’un cadre théorique s’appuyant sur un état de l’art dans lequel on retrouve les principaux travaux des études régionales issues des champs des sciences politiques, de la géographie, de l’aménagement et de l’économie. Les trois suivants explorent des cas d’études permettant d’éprouver les concepts élaborés précédemment. Un dernier chapitre dresse un bilan critique. La lecture est dans l’ensemble aisée et la circulation au sein de l’ouvrage est facilitée par des schémas de synthèses bien pensés et des conclusions efficaces en fin de chapitres.

4L’appareil illustratif assez fourni se compose de 60 figures et 22 tableaux. L’ensemble est assez disparate et leur accumulation nuit parfois à la bonne compréhension du propos, d’autant plus qu’ils sont inégalement lisibles (tableau 18), introduits et accompagnés (p. 87-100 ; p. 159-171). L’appareil cartographique est également très hétéroclite avec de rares productions personnelles.

5Les premiers chapitres permettent donc de dresser un bilan de l’évolution de la notion de région dans une perspective épistémologique. La synthèse est efficace et les comparaisons européennes permettent de souligner la plasticité de cet objet à géométrie variable aussi bien du point de vue théorique que politique. Ces chapitres soulignent le rôle de l’européanisation comme élément d’hybridation qui valorise leur dimension culturelle tout en renforçant leurs compétences d’aménagement. La diversité des capacités politiques régionales et des relations aux États est néanmoins trop rapidement évacuée (p. 71). Le troisième chapitre est l’occasion pour l’auteur de proposer un cadre théorique actualisé pour synthétiser ces enjeux à travers deux formes dominantes, celle de la métro-région issue de l’institutionnalisation du fait métropolitain d’une part, et celle de la macro-région, plus étendue aux horizons plus flous et à dimension transnationale. Ce cadre a le mérite de proposer une grille de lecture efficace des dynamiques régionales à l’œuvre sans pour autant révolutionner ce domaine d’étude. Si l’argumentation sur la métro-régionalisation prend en compte la diversité de ses formes en Europe, elle procède principalement par accumulation en omettant les controverses attachées à la métropolisation.

6À partir du quatrième chapitre, l’auteur propose une application de son cadre théorique à trois échelles différentes. La première retenue est celle d’une macro-région, la région Occitanie. Le diagnostic territorial proposé pour cette région, fruit de la réforme des périmètres régionaux actée en 2016, tend à minimiser les clivages politiques et les disparités géographiques qui traversent cette nouvelle entité. L’analyse porte ainsi principalement sur l’élaboration du SRADDET, outil encore mal approprié par les acteurs et dont la portée reste modeste. Une revue de littérature scientifique dépassant les sources institutionnelles ici dominantes aurait permis de donner plus de corps à ce chapitre qui reste finalement assez descriptif. On pense par exemple aux travaux de Sylvain Barone ou Juliette Maulat qui auraient pu apporter des clés de lecture sur les relations entre métropoles et régions dans le domaine des transports qui constitue pourtant une compétence-clé des entités régionales. Cela aurait sans doute permis d’éviter de faire figurer une ligne nouvelle entre Montpellier et Perpignan (fig. 29) dont la réalisation ne se fera pas avant la prochaine décennie. Plus proche des domaines de prédilection de Thomas Perrin, l’étude de l’interterritorialité mise en avant dans ce chapitre aurait également gagné à remobiliser les travaux de Mariette Sibertin-Blanc dans le domaine des actions culturelles, de François Taullele et Aurélio Labat sur les formes de coopérations territoriales dans les espaces non-métropolitains. L’affirmation d’un « consensus territorial, entre dialogue et contractualisation » (p. 138) nous apparaît ainsi contestable.

7Le cinquième chapitre se concentre sur la question des eurorégions à travers l’exemple de la frontière nord-est de la France analysé à travers cinq dispositifs de coopérations territoriales. On est saisis par le contraste entre la complexité des dispositifs et la modestie des réalisations. L’auteur ne manque pas de souligner les nombreuses limites inhérentes à ces formes de coopérations mais il conclut de façon surprenante sur le fait que « la nature et l’épaisseur des coopérations et des arrangements le long de cette frontière dessinent un ensemble macro-régional de l’Europe rhénane en voie de structuration » (p. 180).

8Dernière étape de la mise en application du cadre théorique, le sixième chapitre est consacré à la macro-régionalisation en Méditerranée occidentale. On y fait le même constat d’une forme d’inflation des arènes et dispositifs de coopération pour des réalisations bien modestes. Étudiant les politiques culturelles mais aussi les coopérations autour de la mer, l’auteur affirme cette fois plus clairement une certaine « inhibition » de ces politiques face à la résilience des États : « si la logique de la macro-régionalisation est claire, les effets restent sujets à caution » (p. 206). Les échos avec les projets de transport à cette échelle sont si forts que l’on ne peut que regretter que l’auteur n’évoque pas les travaux d’Eloïse Libourel sur le corridor méditerranéen ou ceux d’Antoine Beyer sur la construction (contrariée) d’un espace européen des transports.

9L’ultime chapitre propose un bilan et des perspectives de travail. Le propos se fait alors plus critique. La région y apparaît prise au piège de « l’injonction coopérative » (p. 220) portée par le tournant entrepreneurial et néolibéral à l’œuvre dans les politiques publiques européennes. Complexification, poids des acteurs traditionnels, approches sectorielles et faible intensité opérationnelle sont le prix à payer de cette « cooplexité » qui bride l’opérationnalité et brouille la lisibilité de leurs actions. Rejoignant les propos d’Anssi Paasi et de Jonathan Metzger, l’auteur plaide alors pour une « déconstruction simplificatrice » de la géographie régionale. Selon lui, elle passe également par un réenchantement dans lequel la culture a un rôle à jouer.

10L’intérêt majeur de l’ouvrage de Thomas Perrin est qu’il vient rendre une dimension géographique à la notion de région qui est sortie de ses carcans fonctionnels et institutionnels pour retrouver une forme de richesse heuristique originelle. La frustration que l’on a pu ressentir à la lecture des parties concernant l’observation des politiques régionales en action ne remet toutefois pas en cause la qualité de l’architecture théorique mise en œuvre par l’auteur.