1Ce livre qui fut écrit pendant la période de réclusion du COVID est à l’unisson d’une certaine mélancolie stendhalienne, assumée et douce. Le thème de la solitude – celle d’Henri Beyle, celle de ses personnages – est décliné en une série de fragments, dont on apprécie d’abord la beauté des titres : « Comédie pour homme seul », « Après Babel », « Trieste en passant », « Le Pont Saint-Esprit » ; on ne peut tous les citer. Jean-Jacques Hamm raconte ainsi une vie de Beyle, en suivant la chronologie, mais sans suivre les contraintes de la biographie. Son intention n’est pas d’être complet, et son propre discours consiste quelquefois simplement à citer Stendhal, en faisant suivre la citation – toujours intéressante – d’un bref et suggestif commentaire. Il s’agit donc d’un livre d’aperçus, de pensées détachées, parfaitement cohérentes, mais jamais appuyées.

2On suit plusieurs fils à la fois : la proximité de Nietzsche avec Stendhal, la sagesse de « Se Foutre Carrément De Tout », qui se conjugue à la passion des grandes questions politiques, l’égotisme stendhalien (ce qu’il est, ce qu’il n’est pas), l’amour réalisé dans le célibat et la chasteté, le bonheur dans la rêverie, dans la solitude de la grande ville bruissante, dans le salon où l’on se tait, dans la lecture et plus encore dans l’écriture. Comme l’esprit de ce livre n’est pas la démonstration, comme il échappe aux principes de la rédaction académique (les citations ne sont pas référencées, l’allusion est permise, les idées ne se présentent pas comme des thèses mais comme d’intimes convictions), il faut le lire comme on chine, en apprécier les idées et les impressions qui se présentent : Armance est « un adagio » (p. 98), Brulard « porte vers le rêve, la rêverie, au-delà de ce qu’il dit ou décrit » (p. 119), les animaux auxquels Stendhal se compare (le rat, la taupe, la fourmi) ne le flattent pas, mais signifient « quelque chose en tout cas qui creuse son chemin » (p. 114) ; parmi les vrais enjeux politiques du Rouge, il y a l’exploitation du prolétariat, « le reste, ce sont des escarmouches entre classes dominantes » (p. 89) ; « Stendhal n’est jamais aussi présent que lorsqu’il biaise avec l’origine de ses propos » (p. 66).

3Parfois cependant le livre développe son propos avec précision. Jean-Jacques Hamm reprend par exemple l’histoire de la pseudonymie stendhalienne (p. 37), suit à partir de sa première apparition le motif de la tour où l’on se retire (p. 43), précise comment il faut entendre la pratique stendhalienne du « plagiat » (p. 57), fait comprendre que Stendhal est un grand romancier du silence (p. 131), explique que l’inachèvement (l’inachèvement assumé, jamais regretté) est précisément un signe de la force de Stendhal, de sa sereine confiance en soi (p. 137).

4Mais l’aspect le plus saillant du livre est son intimisme. Solitudes veut d’abord toucher, en faisant sentir qu’on est touché. Dans un esprit proche d’Avec Stendhal de Philippe Berthier, mais avec plus de discrétion, Jean-Jacques Hamm fait un livre sur son écrivain préféré. Il parle donc aussi de lui-même. Il est la caisse du violon, Stendhal est comme un archet qui joue sur son âme. Cette vibration fait la beauté du livre, qui donne à lire deux solitudes, deux sensibilités en miroir.