1Pour les deux historiennes ayant dirigé cet ouvrage, il ne s’agit pas d’envisager tous les aspects de l’usage du fouet dans les sociétés, ni ceux de la fessée dans les relations sexuelles. Leur objectif est d’étudier « les violences dites éducatives et punitives ou, plus précisément, le “droit de correction”, envisagé dans sa dimension historique, de l’Antiquité à nos jours » (p. XI). Férules, martinets, gifles et bonnet d’âne font partie de ces moyens violents qui sont utilisés pour éduquer ou corriger et font l’objet d’articles du dictionnaire. De ces violences autorisées par un « droit de correction » réaffirmé par le Code civil en 1804, jusqu’à la loi du 10 juillet 2019 qui interdit tout châtiment corporel, un long cheminement a été nécessaire, dont les articles de ce dictionnaire permettent de rendre compte. Les enfants ne sont pas les seuls êtres qu’il faut corriger, ils sont rejoints par tous ceux qui sont soumis à « une personne ayant autorité (mari, parent, maître ou maîtresse, supérieur religieux, enseignant, patron) » (p. XII). Ces êtres corrigeables sont donc l’enfant, l’élève, l’épouse, le moine ou la moniale, le domestique, l’esclave, l’animal. Aux violences physiques peuvent s’ajouter les violences verbales et psychologiques. Le champ de la recherche s’élargit donc bien au-delà de celui de l’éducation des enfants. On conçoit qu’une telle entreprise ait nécessité 164 auteurs, de tous les horizons disciplinaires et thématiques, ayant rédigé 248 articles.

2Dans leur introduction, les deux éditrices, l’une médiéviste, l’autre moderniste, insistent sur le fait que l’ouvrage a été réalisé dans une perspective historique, centrée sur la France et l’Europe, ce qui les amène à évoquer l’historiographie de la correction. Au xviii^e siècle se met en place un grand récit de la correction domestique, vulgarisé dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, en particulier par les articles nombreux dus au juriste Antoine-Gaspard Boucher d’Argis. Il pense que les violences domestiques ont reculé devant « le renforcement du pouvoir politique et […] l’évolution des sensibilités » (p. XXI). Ainsi se met en place un tournant dans cette histoire de la correction, tant du côté de la moralisation dans le cadre de la famille que dans l’intervention des pouvoirs publics, et ce moment est celui sur lequel Michel Foucault a centré sa réflexion, en particulier dans Surveiller et punir. Naissance de la prison (1975). L’auteur s’est surtout penché sur les dispositifs publics de la correction. Si le sous-titre du Dictionnaire s’en inspire, il s’agit pour ses auteurs « d’inverser la perspective, de considérer comment la conception domestique de la correction irrigue les pratiques mises en œuvre dans les institutions disciplinaires ou éducatives et de voir dans quelles mesures les juges, travailleurs sociaux, enseignants réinvestissent les figures paternelles et maternelles » (p. XXIII). De plus, les auteurs ont eu à cœur de ne pas oublier le rôle de la religion et le fait que cette « culture de la correction » s’inscrit dans des représentations, qu’elles soient littéraires ou iconographiques. C’est pourquoi plusieurs articles traitent de la littérature pour l’enfance et la jeunesse, sans oublier de mentionner les images nombreuses qui mettent en scène les violences domestiques qu’admettait la société, et dont le cahier de 26 planches permet de se faire une idée. Mais cette acceptation de la correction domestique ne cesse de reculer à partir du xix^e siècle, à mesure que l’État se fait plus protecteur. Sans s’attacher en profondeur aux débats actuels sur la question, ce dictionnaire fournit de quoi alimenter la réflexion, comprendre les enjeux et les cheminements historiques qui ont mené jusqu’à aujourd’hui. Voyons ce que son contenu nous apporte dans les domaines de l’histoire de l’enfant, de son éducation, tant familiale que scolaire, et ce que les représentations véhiculées par les livres pour enfants nous apprennent.

3Plusieurs articles portent sur les punitions dans l’armée depuis l’époque romaine, dans le milieu monacal (cilice, discipline) et religieux (flagellations) mais, pour les lecteurs de Strenae, ce sont les sanctions concernant l’enfance, dans les milieux familiaux et scolaires, qui retiendront plutôt notre attention. Cependant, avant d’aborder l’enfance, quelques mots sur les animaux ne seront pas inutiles.

4Selon les époques et les auteurs, les animaux sont perçus comme des êtres ou des choses, dont le dressage doit corriger ce que leur nature entraîne de néfaste pour l’homme : la correction doit leur faire perdre certaines habitudes. La violence semble nécessaire le plus souvent, bien que l’évolution des sensibilités demande de plus en plus l’usage de la douceur. Que ce soit pour le cheval sous l’Ancien Régime (Frédéric Chauviré), pour le chien aux xviii^e-xix^e siècles (Victoria Vanneau), la sensibilité des hommes des Lumières, dont Condillac en particulier, s’accommode de moins en moins aux violences faites aux animaux et aux combats d’animaux, qui sont de fait interdits en 1793 (Jan Synowiecki, « Animaux, xviii^e siècle »). Ainsi, se répand l’idée que l’ « homme sensible », rempli de pitié, doit remplacer l’homme raisonnable du cartésianisme qui voyait dans l’animal une machine dont la douleur était niée.

6Pour encadrer l’histoire des châtiments corporels appliqués aux enfants, le dictionnaire propose des articles généraux sur les enfants, dans l’Antiquité (Christian Laes, Nicolas Richer pour Sparte, Julien Dubouloz pour la famille romaine), au Moyen Âge (Didier Lett, Élisabeth Lusset pour les enluminures), sur les petits princes sous l’Ancien Régime (Pascale Mormiche), et sur le droit des enfants au xx^e siècle (Joëlle Roux). Que retenir de tout cela ? Que la brutalité à l’encontre des enfants existe dans les textes de l’Antiquité grecque et romaine et chez les chrétiens, sans qu’on sache si les corrections physiques sont réellement appliquées, mais qu’il existe aussi un idéal de douceur. Pour le Moyen Âge, les conseils des pédagogues, comme la littérature, hagiographique en particulier, évoquent peu de sévices corporels et les réprouvent, alors que les sources judiciaires et l’archéologie confirment leur existence. Les enluminures représentent peu la correction des enfants. Dans les écoles médiévales (Antoine Destemberg, « Écoles (Moyen Âge) ») les châtiments corporels sont justifiés par les Pères de l’Église citant la Bible et les Proverbes, et sont connus par de nombreux témoignages. Les pouvoirs publics et les États en construction à la fin du Moyen Âge s’appliquent à contrôler ces châtiments corporels et à punir ceux qui vont jusqu’à mutiler ou tuer leurs élèves.

7Sous l’Ancien Régime, les écoles connaissent effectivement des châtiments corporels avec fouet et férule, mais qui doivent intervenir en dernier ressort. Ils sont de moins en moins acceptés par les parents du siècle des Lumières et, sous la Révolution, ils sont interdits (Côme Simien, « Écoles (xvii^e-xviii^e siècle) »). Si l’on se tourne vers l’enseignement secondaire (Philippe Marchand, « Collèges (xvi^e-xviii^e siècle) »), on constate que tous les ordres enseignants n’ont pas la même politique de correction. Le fouet est autorisé chez les Jésuites, mais sous une forme modérée, même si des pamphlets ont dénoncé certains excès (Élisabeth Lusset, « Jésuites »). Les Oratoriens ne le précisent pas dans leurs règlements alors que les Pères de la doctrine chrétienne veulent la suppression des châtiments corporels. Cependant, dans la réalité, ils existent et sont de plus en plus critiqués par les parents au xviii^e siècle, par les autorités judiciaires aussi, et un précepteur constate en 1781 que les principaux et les régents n’acceptent pas facilement de se voir « privés du droit souverain qu’ils croient avoir sur le derrière de tous les enfants ». On peut s’interroger sur l’origine du droit de correction des enseignants et des recteurs d’établissements (Emmanuelle Chapron, « Maîtres, parents et punitions scolaires (xvii^e-xix^e siècle) »). Ce droit s’exerce par délégation de paternité, jusqu’à la fin du xix^e siècle, mais certains parents refusent au maître le droit de corriger physiquement leur enfant, et l’institution cherche à étouffer les plaintes des parents.

8L’évolution au xix^e siècle est assez lente, mais positive (Marie Sohn, « Collèges et lycées (xix^e siècle) ». Malgré l’interdiction des châtiments corporels dans les collèges après 1763, renouvelée en 1809 et étendue aux écoles primaires en 1834, les témoignages abondent chez les écrivains scolarisés avant 1850, de Jules Vallès à Maxime Ducamp. D’où la légende noire des Jésuites « pères fouettards ». L’amélioration est visible dans la deuxième moitié du siècle avec le règlement de 1854 et l’accent mis sur les récompenses et punitions morales. À partir de 1870, on mise sur l’excellence scolaire et la compétition intellectuelle. Si le règlement de 1882 réaffirme l’interdiction des châtiments corporels dans l’école de Jules Ferry, les archives montrent que la violence perdure, d’où des plaintes des parents, entraînant des déplacements d’enseignants ou même des révocations. Des violences moins graves, qui ne laissent pas de traces sur le corps de l’enfant, persistent jusque dans les années 1950-1960, mais plus après mai 68. (Jérôme Krop, « Écoles primaires (Troisième République) »).

9Si nous quittons le domaine réglementaire pour celui des idées pédagogiques, on constate que le combat de la douceur contre la violence dans l’éducation des enfants a été long. Déjà à la Renaissance, Érasme, Rabelais et Montaigne s’opposent à la violence et prônent une éducation par la douceur, mais ces humanistes trouvent peu d’échos dans une société où la violence reste de règle (Marie Barral-Baron, « Pédagogie (Renaissance) »). Ces idées de douceur se déploient encore plus dans les théories du xviii^e siècle, car, de Fénelon à Rollin, de Locke à Rousseau et à Diderot, tous étaient pour la douceur et contre les châtiments corporels. « Frapper l’enfant, c’est donc le corrompre, non le corriger » et si l’on caresse les chevaux pour les dresser, pourquoi, demande Rollin faut-il « que les enfants soient traités plus durement que les bêtes ? » (Gabrielle Radica, « Pédagogie (xviii^e siècle) »). Pour pénétrer la réalité derrière ces théories, le journal d’un artisan nous fait comprendre le vécu de l’autorité paternelle : « La figure du père correcteur prend alors tout son sens. Le pouvoir de corriger n’est qu’une des facettes de la paternité vécue, laquelle exige aussi qu’un père aime et veille à l’établissement de ses enfants. » (Julie Doyon et Daniel Roche, « Ménétra, Jacques Louis (1738-1812) », p. 509). Ce vécu des relations éducatives s’étale dans la littérature au xix^e siècle. Ainsi, dans le roman autobiographique de Jules Renard (Stéphane Gougelmann, « Poil de Carotte »), en 1894, nous trouvons la figure rare d’une mère cruelle, irascible, sournoise, qui prend plaisir à exercer des brimades, des vexations, des punitions corporelles (gifles, pinçons) et sadiques (lui faire manger ses excréments). Seul précédent, la mère de Jacques Vingtras dans L’Enfant de Jules Vallès (1878), mère dure, mais qui ne lui veut pas du mal. Le lycée, les livres, la littérature sauveront cet enfant.

10Les articles sont très nombreux pour la période contemporaine, présentant les acquisitions récentes en matière de droit de l’enfant. Citons ceux sur le « Conseil de l’Europe » (Michelle Cottier et Adriana Schnyder), sur la « Convention internationale des droits de l’enfant (1989) » et les « Violences éducatives ordinaires » (Flore Capelier), sur l’« Enfant martyr (xix^e-xx^e siècle) » (Anne-Claude Ambroise-Rendu), sur l’« Expertise médico-pédagogique des mineurs délinquants (xx^e siècle) » et le « Juge des enfants » (David Niget). Ajoutons tous les articles qui traitent d’auteurs et de romans contemporains (xix^e-xxi^e siècle), de cinéma et d’acteurs (une douzaine), de télévision (Élisabeth Lusset, « Télé-coaching ») et de mangas (Julien Bouvard, « Mangas et dessins animés japonais »).

11Nous arrivons là à ce que la culture a véhiculé sur ce problème des châtiments corporels et des punitions, en particulier en direction de l’enfance. N’oublions pas d’abord la culture populaire évoquée par Robert Bouthillier et Éva Guillorel, « Contes et chansons ». Maltraitance et punitions corporelles excessives sont des thème récurrents dans les contes et les chansons de tradition orale, parfois très ancienne. Dans les « Proverbes et fabliaux » (Karin Ueltschi), il s’agit le plus souvent d’un droit de correction qui correspond à une vraie justice : « la victime d’une offense se fait justicière ». Le plus souvent, la victime est intelligente et rusée et se joue de son bourreau qui est niais. C’est la logique de l’arroseur arrosé.

12Mais qu’en est-il dans les livres pour enfants ? Plusieurs articles cherchent à répondre à cette question, malheureusement d’une manière peu convaincante. En effet, dans l’article « Littérature d’enfance (xvii^e-xxi^e siècle) » Laurent Bazin ne dit rien sur les xvii^e et xviii^e siècles et seulement deux points sont abordés, Louis Desnoyers et la comtesse de Ségur, pour le xix^e siècle, alors qu’il s’attache particulièrement aux livres sur la fessée de 1986 à 2018. L’idée centrale étant que la littérature de jeunesse se situe au cœur des contradictions entre le désir de garder des sanctions à valeurs éducatives et le respect de l’enfant, les histoires racontées montrant donc « la difficulté de tracer une frontière entre le tolérable et l’irrecevable » (p. 455).

En somme, la littérature de jeunesse rejoue dans l’ordre de la fiction les points de clivage du discours social […] les œuvres explorent les zones d’ombre de la pédagogie domestique en illustrant la difficulté de normaliser – et a fortiori de légiférer – dans l’ordre des subjectivités familiales, des comportements éducatifs et des coutumes collectives. (p. 456)

13Il est vrai que deux articles complètent le sien, un sur le xviii^e siècle (Jeanne Chiron, « Littérature de jeunesse (xviii^e siècle) »), un sur la comtesse de Ségur (Claudine Anne Giachetti). Revenons un peu sur le siècle des Lumières :

Sentimentale et moralisatrice, cette littérature bannit la violence corporelle et survalorise le dialogue entre parents et enfants comme mode de relations. Langagière plus que corporelle, suggérée plus qu’effective, réflexive et fantasmée, la punition est un non-dit par lequel le parent fictionnel rend l’enfant capable de se corriger lui-même. (Jeanne Chiron, p. 448).

Peut-on s’en tenir là quand on voit, dans Les petits émigrés de Madame de Genlis, l’oncle du narrateur, pourtant adepte de la douceur, ordonner « à mademoiselle Caillet de fouetter la pauvre Lolotte [âgée de quatre ans], et bien serré : ce qui fut exécuté. » Une autre fois, c’est Mme Fischer qui fouette Lolotte, pour une faute qu’elle n’a pas commise. Il est vrai que Madame d’Épinay, dans Les conversations d’Émilie, est partisane de la douceur et du dialogue comme procédé éducatif, mais elle présente, pour le critiquer, le discours des tenants de la méthode traditionnelle. Ainsi, le monsieur qui parle d’une fillette de sept ans expose comment on doit l’éduquer : « On donne à cela de la soupe ; des maîtres ; le fouet quand cela s’avise de raisonner, une poupée pour qu’elle vous laisse en repos : voilà à quoi père & mère sont obligés ; quand ils font davantage, ils ont bien de la bonté. » Et si l’on voulait retourner au xvi^e siècle, par exemple dans Les colloques scolaires de Mathurin Cordier, très nombreux sont les passages montrant l’usage de la violence pour corriger un jeune garçon. Il est intéressant de constater que la traduction française publiée à Lyon en 1610 donne le fouet pour l’instrument de ces châtiments alors que le texte latin utilise un vocabulaire qui dit « recevoir des coups », « être battu, étrillé » et non « être fouetté ». La recherche reste à faire sur les nuances et les contradictions des débats concernant les châtiments corporels dans les livres pour la jeunesse sous l’Ancien Régime et sur la représentation qu’ils en donnent.

14Pour notre époque, l’article de Laurent Bazin, « Littérature pour adolescents (xx^e siècle) », ne dit rien sur le xx^e siècle, à part l’évocation d’Harry Potter sur lequel existe un article de Nicole Biagioli, mais il se concentre sur les livres de la littérature Jeunes adultes (Young adult) du xxi^e siècle. L’idée à retenir est que « le thème de la punition cristallise dans toutes ces œuvres la relation éminemment conflictuelle que l’adolescence entretient avec le monde adulte » (p. 451). D’autres articles concernent d’autres types de publications pour la jeunesse, comme la bande dessinée, avec un article de Michel Porret, « Hergé et la fessée », ou les romans scolaires comme « Nils Holgerson (1906-1907) » (Alessandra Balloti). Les personnages de la culture enfantine sont aussi représentés, comme le « Père fouettard » (Karin Ueltschi), « Guignol » (Paul Fournel), « Croquemitaine » (Élisabeth Lusset).

15Bref, il est clair que la richesse de ce dictionnaire interdit d’en citer tous les articles, et nous nous excusons de n’avoir pas rendu compte de toutes les connaissances que ce travail collectif met au jour en apportant souvent un éclairage inédit.