• 1 Maël Rannou, Pif Gadget et le communisme, Montrouge, PLG, coll. « Mémoire vive », 2022.
• 2 Régulièrement théorisé par Hugo Pratt, comme résumé par Maxime Marie, « À l’origine de Corto Maltes (...)

1Lors de mon travail de master puis d’un ouvrage récent1, j’ai interrogé longuement les liens entre le communisme, Pif Gagdet et les éditions Vaillant. Souvent évoqué, ce sujet avait rarement été étudié en profondeur. Mes recherches ont permis de mettre en lumière des connexions parfois insoupçonnées entre la revue et le parti communiste, indiquant notamment que, contrairement à une idée reçue, l’idéologie reste présente tout au long de la revue, dans les choix des séries, au-delà de la biographie édifiante de Lénine parue en décembre 1967 dans Vaillant. En conclusion de ce travail, une ouverture avait été faite vers des contenus qui pouvaient prendre d’autres directions, comme l’anarchisme romantisé chez Corto Maltese d’Hugo Pratt2 ou, plus souvent, une certaine forme d’écologie. Ces thématiques peuvent étonner quand on pense au corpus productiviste du PCF, constante de toute la période de vie du journal. Cet article vient s’ajouter à ce travail, déployé comme un chapitre supplémentaire pour une facette mineure, mais bien présente dans le journal.

• 3 Voir David Latour, « Henry David Thoreau ou les rêveries écologiques d’un promeneur solitaire », Le (...)
• 4 Voir Serge Audier, La Société écologique et ses ennemis. Pour une histoire alternative de l’émancip (...)
• 5 Nathalie Berny, Défendre la cause de l’environnement, Rennes, Presses universitaires de Rennes, col (...)
• 6 Le score reste cependant modeste : 1,32 % et 337 800 voix. Il devance cependant six autres petits c (...)
• 7 Pierre Serne, Des Verts à EELV, 30 ans d’histoire de l’écologie politique, Paris, Les Petits matins (...)
• 8 Vanessa Jérome, Militer chez les Verts, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Politiques de la (...)

2L’écologie apparaît dans le champ politique au tournant des années 1970, après plusieurs décennies de prémices. Les théoriciens de ce concept et les militants politiques du xxi^e siècle le font souvent remonter à Henry David Thoreau3 et Élisée Reclus4, tous deux proches du mouvement libertaire mais aussi de la science de la nature. Thoreau est naturaliste avant d’écrire La Désobéissance Civile (1849) et Walden ou la vie dans les bois (1854). Reclus, pour sa part, est un géographe. S’il écrit régulièrement sur la politique, il lie surtout la nature à l’humain dans une perspective globale nimbée de social. Cette vision scientifique, contrairement à certaines idées reçues, est consubstantielle de l’écologie politique. Cet héritage, associé à une militance associative, marque l’émergence du concept avec la création de structures comme Les Amis de la Terre (Friends of the Earth, 1969) ou Greenpeace (1971). L’écologie politique en France est d’abord portée sur le terrain électoral par des militants associatifs qui se présentent sous l’étiquette écologiste en Alsace aux cantonales et aux législatives5 plutôt que par un parti. De la même manière, l’agronome René Dumont qui porte la première candidature écologiste à la présidentielle française en 1974, frappant la mémoire télévisuelle6, a été sollicité par un regroupement d’associations et de militants sans partis structurés. Il faudra attendre 1984, une décennie, pour que Les Verts - Confédération écologiste - Parti écologiste, premier véritable parti écologiste en France, soit créé7. Cela ne se fait pas sans heurts au sein du mouvement associatif. Les Amis de la Terre de Lalonde quittent alors le terrain électoral. Cette proximité forte entre parti et terrain associatif est toujours consubstantielle de cette branche politique, où le militantisme hors institution est parfois même plus valorisé8 que l’engagement partisan.

• 9 Alain Lipietz, Qu’est-ce que l’écologie politique ? La grande transformation du xxi^e siècle, La Déc (...)

3S’il existe encore des débats récurrents sur la définition de l’écologie politique, et notamment sur l’ancrage à gauche du concept, sujet récurrent au sein du parti vert français, tranché dans les années 1990, j’ai fait le choix de m’appuyer pour cet article sur la définition développée par Alain Lipietz dans Qu’est-ce que l’écologie politique ?9 Pour l’auteur, qui est également militant du parti vert français, l’écologie politique croise la défense de la nature dans laquelle l’homme évolue en lien avec les autres espèces (environnementalisme), avec une vision systémique incluant les rapports de domination et leurs effets sur l’écosystème, ainsi qu’une conscience des limites des ressources naturelles abordée avec une vision globale (le slogan « agir local, penser global ») qui implique une focale internationaliste et une attention particulière aux coopérations nord-sud.

• 10 Je renvoie pour cela à mon ouvrage et notamment au chapitre 7 : « L’internationalisme, marqueur dis (...)
• 11 Le dessinateur René Deynis (1928-1994) et le scénariste journaliste Pierre Castex (1924-1991), ont (...)

4Le premier point n’est pas spécialement original au sein de la littérature jeunesse, champ dans lequel s’inscrit Pif Gadget. La question de la défense de la nature peut transparaître de la même manière dans des récits de la presse catholique comme Fripounet et Marisette ou Sylvain et Sylvette. Par contre, la sensibilité idéologique de Pif Gadget lui donne un marqueur internationaliste particulièrement fort10, franchement anticolonial, assez rare dans le paysage de la bande dessinée de l’époque. Si une lecture contemporaine de ces récits induit de facto des liens avec l’écologie politique, ils étaient sans doute beaucoup moins évidents dans les années 1970 où le mouvement, quoiqu’explosant au niveau mondial, reste relativement marginal en pleines Trente Glorieuses. Un récit comme « La Marée noire », histoire complète de douze planches publiées dans le Vaillant n° 1187 (11 février 1968), est donc particulièrement notable. Onze mois après le naufrage du Torrey Canyon, René Deynis et Pierre Castex11 envoient leur journaliste aventurier Jacques Flash enquêter sur les terribles dégâts causés par le naufrage d’un pétrolier au large des côtes bretonnes, et notamment d’une réserve naturelle d’oiseaux. Dans cette histoire, s’inspirant d’un fait d’actualité, le lien entre la destruction de la nature et le capitalisme, incarné par les flux marchands des pétroliers, est établi avec limpidité. Cette histoire fait cependant figure d’exception dans Vaillant, ce qui sera moins le cas chez son héritier direct, qui naît un an plus tard, Pif Gadget.

• 12 Il consacrera d’ailleurs plusieurs ouvrages documentaires aux Amérindiens dont Au pays des Indiens, (...)
• 13 Sylvie Monjean-Decaudin, « Constitution et équatorianité : la Pacha Mama proclamée sujet de droit » (...)

5En effet, dès le n° 2 de Pif Gadget (juillet 1969), une série particulièrement marquante apparaît : Loup-Noir, dessinée avec élégance par Kline, est scénarisée par Jean Ollivier, scénariste phare et ancien rédacteur en chef de Vaillant. Passionné par les peuples autochtones américains, il se documente fortement et tente de raconter une autre histoire de l’Ouest12, offrant au journal un western du point de vue de l’Indien et une des seules séries du journal où l’évocation d’une religion est tolérée – l’absence totale de référence à l’Église est en effet une des spécificités de Pif Gadget. L’animisme de Loup-Noir est assez éloigné des monothéismes occidentaux pour pouvoir être nommé, et cède assurément à un certain pittoresque, mais elle va plus loin qu’une naïve adoration de la nature et de ses mystères. Parce qu’il voit en la nature une égale, le métis apache-sioux articule un discours particulièrement virulent qui pouvait paraître très folklorique mais semble étonnamment précurseur. En effet, les questions que Loup-Noir posait en 1969 ne sont pas encore résolues ; elles interpellent les juristes du xxi^e siècle qui, répondant à une mobilisation de la société civile écologiste, débattent de questions comme le renforcement de la protection animale, l’inscription de l’écocide dans la loi ou la reconnaissance d’une personnalité juridique pour un fleuve13.

• 14 Richard Medioni, « Loup-Noir », dans : Mon camarade, Vaillant, Pif gadget : l’histoire complète. 19 (...)

6Si la série offre de beaux paysages et descriptions, il est particulièrement frappant de voir Loup-Noir développer une tout autre vision du monde. Dans cette vision, il est hors de question de prendre à la nature plus que nécessaire, et Loup-Noir affirme une approche symbiotique avec ce qui l’entoure, faune comme flore. Loup-Noir respecte la nature comme une partie de lui, il lui est donc impossible de lui manquer de respect quand, face à lui, nombre d’envahisseurs blancs pillent les ressources au-delà de leurs besoins. Richard Medioni, ancien rédacteur en chef du journal, souligne l’avance de la série sur son temps : « un thème revient en boucle : celui de la nature sauvage et de toutes les formes de vie qu’on y rencontre. Là aussi Jean Ollivier fait figure de précurseur en étant en avance sur le mouvement écologiste qui prendra son essor quelques années plus tard14 ». Dater les débuts de l’écologie à 1974 semble excessif et vient sans doute d’un rapport trop personnel de Medioni à la série, mais on y retrouve bien un discours frontalement écologiste. Cette opposition radicale entre ceux qui veulent vivre avec la nature et ceux qui veulent l’exploiter est formulée par Loup-Noir. Il pointe sans fard ceux qui détruisent la nature, mais aussi leur motivation : l’argent destructeur, la quête de l’or, de l’accumulation toujours plus grande. Si la critique du capitalisme est évidente, la conjonction avec l’univers créé par Ollivier donne un ton très différent aux discours. Ainsi ce dialogue entre le héros et un de ses amis cowboy, qui lui explique pourquoi il a besoin d’or pour faire vivre son ranch et pouvoir se nourrir :

• 16 Comme la « bataille de la Vanoise » qui voit émerger plusieurs futurs leaders de l’écologie politiq (...)

8En novembre 1974, alors que le René Dumont s’est présenté à la présidentielle quelques mois plus tôt, le journal va aller un peu plus loin, alors qu’il cherche à remplacer Les Pionniers de l’Espérance, de Raymond Poïvet et Roger Lécureux, série de science-fiction culte, mais jugée datée. Pour proposer une série plus en lien avec les préoccupations du public, qui se mobilise largement sur les questions environnementales, et notamment face à des projets de constructions dangereux pour la faune16, le journal lance Les Compagnons d’Univerzoo (Pif Gadget n° 297, 4 novembre 1974), créé par Adolfo Usero et Victor Mora, une série de science-fiction qui nous projette en 2210 au sein d’une brigade de l’espace travaillant pour Univerzoo. Plutôt qu’un zoo, notion aujourd’hui contestée par certains écologistes, il s’agit d’ailleurs d’une réserve naturelle pour la protection des animaux extra-terrestres menacés, fondée sous l’égide du Conseil Scientifique Terrien. On y retrouve l’internationalisme d’une union terrestre dépassant les frontières, chose commune dans le journal, mais cette fois entièrement consacrée à la défense de la faune, les Compagnons recueillant des espèces en perdition au sein de L’Arche, leur vaisseau au nom étonnamment biblique. Ces espèces ne sont pas en perdition par un simple hasard de l’évolution mais systématiquement à cause de braconniers, mus par l’appât du gain, ou à cause d’industriels ne prenant pas en compte les milieux naturels dans leurs projets. Cet engagement contre la piraterie environnementale donne une couleur nettement plus originale (et moderne) au récit, connecte comme Loup-Noir le discours anti-profit à la lutte environnementale, mais en désignant cette fois directement l’industrie, ce qui est là aussi assez précurseur comparativement à la norme du Parti communiste français de l’époque. La série va parfois encore plus loin, mais cela ne suffit pas à lui apporter le succès et elle est rapidement interrompue : malgré un lancement distillé à grand renfort d’annonces sur plusieurs semaines, les Compagnons ne vivent que sept épisodes et la série disparaît en septembre 1975, moins d’un an après son apparition.

• 17 Je renvoie pour cela à mon ouvrage, entièrement dédié à cette question, mais aussi à cette virulent (...)

9Dix ans plus tard, Jean Ollivier poussera cet amour de la nature encore plus loin. Après avoir donné le nom de Loup-Noir à un personnage humain, il décide de lancer une série réaliste dont le héros est un loup blanc sauvage : Ayak, dessinée par Eduardo Teixeira Coelho, apparaît dans le Pif Gadget n° 543 du 20 août 1979. La série connaît plus de trente épisodes et ne prend fin qu’en 1984, ce qui dépasse l’anecdotique dans une période du journal souvent décrite comme incarnant un certain recul idéologique17. Au-delà de l’originalité de suivre un animal sauvage réaliste (il ne parle pas et n’est absolument pas anthropomorphisé), l’histoire d’Ayak est directement liée à la destruction des ressources naturelles et à la prédation de la nature. Chassé de son habitat par la ruée vers l’or de 1898, il se met en route et quitte son Yukon arctique, au risque d’affronter des milieux hostiles. Bien avant que les images d’ours polaires fuyant la fonte des glaces se popularisent, le journal montre déjà des animaux des pôles chassés par la destruction de leurs écosystèmes. Autre originalité forte, malgré plusieurs tentatives, Ayak ne sera jamais domestiqué. Le loup blanc va interagir avec des humains, notamment avec une petite fille dont il va suivre un temps la famille, mais ce n’est qu’un moment de son parcours et il n’est pas domestiqué. Au contraire, il rejoint très vite des meutes, mais elles ne lui conviennent pas non plus. Il finit par retourner à son errance, car « Après tout, les choses étaient peut-être mieux ainsi. Il retrouvait sa liberté solitaire. Et c’était aussi la loi de la Vie Sauvage » (« Le Père loup », Pif Gadget n° 788, 1^er mai 1984). Ce discours en creux contre la domestication, même si le Loup conserve une relation particulière à la jeune fille qu’il vient retrouver après avoir été rejeté par un clan, est particulièrement rare dans la bande dessinée jeunesse, et témoigne d’une préoccupation sincère et informée pour ces sujets.

• 18 Julian Mischi, « Les militants ouvriers de la chasse. Éléments sur le rapport à la politique des cl (...)

11Cette période voit en effet la question s’imposer dans le débat public après la création en 1976 de l’émission Trente millions d’amis, qui n’a rien de politique mais montre une préoccupation majeure des Français, ou l’engagement public de personnalités comme Brigitte Bardot ou Alain Bougrain-Dubourg depuis la fin des années 1970, qui vont eux interpeller directement les pouvoirs publics. Le développement d’associations spécialisées fait naître plusieurs partenariats plus ou moins marqués, et Pif publie par exemple plusieurs guides pour bien traiter son animal de compagnie, mais aussi pour ne pas trop impacter la nature sauvage. En regard, la chasse est complètement absente du journal, à l’exception de quelques scènes vivrières dans des bandes dessinées d’époque, alors même que le Parti communiste français ne s’y oppose pas, jusqu’à l’aborder parfois comme un loisir populaire à défendre18. La rubrique « Nature en direct » apparaît pour la première fois dans le n° 355 (15 décembre 1975), et va devenir très présente l’année suivante, avec plus de quarante parutions. La rubrique disparaîtra lors d’un nouveau chamboulement éditorial et il faudra attendre 1993 pour voir de nouvelles pages hebdomadaires sur la nature être publiées. Il s’agit de « Nature Pif », qui sera remplacée quelques mois plus tard par un éphémère « Incroyable nature » puis « Ma planète » qui accompagne le dernier numéro du journal. Il est difficile de savoir ce qui motive ces sursauts éditoriaux, si ce n’est que cette période du journal s’avère hésitante et que le comité éditorial refond régulièrement ses formules pour tenter de capter un public qui s’effrite. Tous ces titres ont en commun d’être peu engagés, alors que des espèces en voie de disparition sont souvent présentées. Seul un article du Pif Gadget n° 643 (21 juillet 1981) ose titrer « Nature en danger » pour parler du marais de la Bièvre, une amorce clairement engagée et politique, qui restera unique. S’ils n’ont pas toujours une rubrique spécifique, ces thèmes restent récurrents jusqu’à la fin du magazine, sous diverses formes : reportage, poster, etc. Le n° 1235 (24 mars 1993), dix numéros avant l’arrêt du magazine, comporte ainsi en couverture un titre « SOS Planète nette », comprend plusieurs textes contre la pollution dans son dossier et va jusqu’à donner les coordonnées de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) en conclusion. Contrairement au texte sur la Bièvre, l’approche est toutefois plus technique que politique, tournée vers la responsabilité individuelle et la sensibilisation.

• 19 Daniel Richard, Dominique Dupard et Thanh Nghiem, « WWF, entre action militante, partenariat et act (...)
• 20 On peut consulter sur le site Pif Collection une chronologie de ces mains jaunes Pif : http://pif-c (...)
• 21 « Entretien avec Curd Ridel », Ouf Gazette [en ligne], n° 4, , 17 décembre 2020, URL : http://www.v (...)

12Un exemple de partenariat marquant est celui avec le Fonds mondial pour la nature (WWF), une ONG qui a pu être critiquée pour son réformisme ou son action communicationnelle mais qui reste un acteur majeur des associations écologistes19. Cette collaboration s’incarne par de nombreux reportages très environnementaux, qui voisinent toujours avec des textes parlant par exemple des droits des enfants, en lien avec l’Unicef, des rédactionnels embrassant les luttes antiracistes de l’époque… La célèbre main jaune autocollante de Pif Gadget, que Medioni décrit comme ayant inspiré celle de « Touche pas à mon pote »20, se pare bientôt d’un panda et d’un « J’♡ les animaux », et le n° 983 (26 janvier 1986) offre en cadeau le livret autocollant Panini « Nature en danger » floqué du logo du WWF. Cela renforce le lien Pif-nature, et n’est pas sans impact sur les séries, avec parfois des effets inattendus. Curd Ridel raconte ainsi à la Ouf Gazette de Jean-Luc Muller qu’en 1987, à la création des Radio Kids, série symbole des générations métissées du milieu des années 1980, un problème s’est posé : « au début, on avait imaginé une mascotte. Pour changer du chien, etc., on avait pensé à un koala. Mais Pif travaillant avec le WWF, ces derniers l’ont interdit, car ce n’est pas un animal de compagnie !21 ». Si l’anecdote est amusante, elle montre que le partenariat visait aussi une cohérence de fond, pouvant directement influencer le message des bandes dessinées. Cette connexion entre militantisme écologiste, lien avec l’ONG et création, s’incarne cependant pleinement dans le personnage de Cogan, lancé en février 1983. Il permet de relier ces enjeux à ceux, historiques, du journal.

• 22 Sophie Pehlivanian, « La mise en fiction de l’énergie solaire », dans : François Jarrige (dir.), Fa (...)

17La chose est rare et l’événement notable à plusieurs titres, dans le n° 496 d’août 1978 le gadget est un véritable four solaire ! Les énergies renouvelables ne font pas la une des journaux mais existent déjà et ont leurs ardents défenseurs22. Parmi eux, Jean-Marc Reiser, dessinateur phare de Hara Kiri puis Charlie Hebdo, qui a fait bâtir une maison solaire et croit fermement que l’avenir se trouve là. En deux pages, il va expliquer le fonctionnement de l’énergie solaire avec un ton militant assez rare dans le magazine « Les capteurs solaires sont chers et l’énergie solaire alors ? […] La maison solaire : une vraie maison avec le confort maximum pour une famille et gratuit pendant des siècles. Sinon autant rester à l’âge de pierre ! ». On est bien loin de la doxa du PCF sur la question. Les deux planches de Reiser mettant en avant l’autonomie énergétique et le détachement d’un état centralisé restent cependant anecdotiques. D’autres exemples donnent des visions du monde bien différentes. Lors du colloque de Besançon, le géographe Jean-Yves Puyo a notamment pointé que le journal présente, dans le n° 545 (3 septembre 1979), « La Ferme de demain ». L’agriculture qui y est développée, tournée vers la productivité maximum, est loin du modèle de l’écologie et du respect de la nature qui ont pourtant déjà cours à cette époque.

• 23 Un créneau que tentera d’occuper Pistil (mai 1977-juin 1979) avec une audience bien moindre. Sur ce (...)

19Après une lecture attentive du corpus utilisé pour cette recherche, il semble évident que Pif Gadget n’est pas un journal phare de l’écologie politique en bande dessinée pour la jeunesse23, mais une lecture fine de ce magazine majeur montre un intérêt réel, en grande partie transmis par les textes de Jean Ollivier. La forte teneur internationaliste du journal, ajoutée à un intérêt pour l’environnement, dans l’air du temps mais saisi avec une sincérité palpable, a ainsi donné des productions parfois franchement engagées. Si l’axe principal reste la protection des animaux, la manière dont Cogan, dernier grand héros réaliste créé dans le magazine, incarne ce combat, est bien différente d’une approche conservatrice de cet enjeu.