1Cet ouvrage qui rend hommage à Pierre Frantz, spécialiste internationalement reconnu de la production dramatique du xviii^e siècle et du Tournant des Lumières, témoigne de l’impact apporté par l’homme de lettres dans les études littéraires et théâtrales françaises. Se voulant avant tout collaboratifs, ces mélanges débutent par un puissant témoignage d’amitié de Michel Delon, dont la Préface (pp. 9-12) ouvre «Seuils», la première des quatre parties composant l’ouvrage consacrée à retracer la carrière et l’importance de la réflexion de Pierre Frantz, véritable amoureux de la littérature et homme de «haut goût» (p. 12) – pour reprendre l’en tête de l’Histoire de ma vie de Casanova – outre que collègue et ami avec lequel le critique, tout comme Jean-Cristophe Abramovici (Histoires d’œil, pp. 13-16), Renaud Bret-Vitoz (Penser le théâtre avec Pierre Frantz, pp. 17-26) et Sophie Marchand (Travailler avec Pierre Frantz, pp. 27-48), a partagé bien des discussions théoriques et des aventures humaines. Dans leurs textes, les directeurs de ces mélanges soulignent aussi comment à travers de multiples contributions qui analysent l’art dramatique du xviii^e siècle sous divers angles chercheurs, amis, collègues, rendent hommage à l’importance de travaux qui ont renouvelé le regard porté sur le théâtre dans le monde de la recherche universitaire interrogeant le siècle des Lumières en se refusant toutes frontières – qu’elles soient génériques, disciplinaires ou temporelles – d’après une «vision totalisante de la création dramatique» (p. 17). Cette vision intègre tous les arts à la théorie littéraire et à l’analyse du discours dramatique dans le but de combattre les lieux communs critiques, ainsi que Pierre Frantz l’a fait dans L’Esthétique du tableau dans le théâtre du xviii^e siècle, un texte qui fait désormais office de référence pour tout chercheur ou étudiant désireux de comprendre les théories dramatiques de Diderot et l’art théâtral de l’époque.

2La deuxième partie, «Dramaturgies», propose des contributions réparties dans quatre sous-parties interrogeant le théâtre dans ses principes fondateurs, dans son altérité, son historicité ou encore dans son interdisciplinarité dans le but de rendre ainsi hommage à la «vision totalisante» évoquée ci-dessus. De ce point de vue, des articles analysent le principe de reconnaissance (Gianni Iotti, “Mérope” ou le plaisir de la reconnaissance, pp. 55-62), des réflexions sur les mécanismes de l’illusion théâtrale (cf. Andrea Fabiano, Un théâtre de l’érosion. Fragments de la pensée théâtrale de Giacomo Casanova, pp. 95-104) ou sur l’utilisation de l’espace scénique: notamment, Renaud Bret-Vitoz (Le théâtre du xviii^e siècle et «la portée du travail silencieux sur l’espace», pp. 105-112) évoque l’importance de celui-ci en prenant comme exemple Aben-Saïd, tragédie de l’Abbé Le Blanc, alors que Françoise Le Borgne (La scène plurielle dans “Le Café ou l’Ecossaise” de Voltaire, pp. 113-120) analyse l’invention pour la pièce du titre d’un espace scénique double. D’autres essais se concentrent sur le rôle du comédien (Mara Fazio, Voltaire et Mlle Clairon. Suprématie du texte ou suprématie de l’acteur?, pp. 159-166; François Lecercle, Huerne de La Mothe et la politisation de la querelle du théâtre, pp. 89-94; Emanuele De Luca, La raison d’Ésope. Théorie du jeu entre François Riccoboni et Diderot, pp. 167-174; Gauthier Ambrus, Talma à l’école des tragédiens, pp. 183-192; Philippe Bourdin, Brisse de Nancy, ou les planches sans voile, pp. 201-212; Olivier Bara, «Pochades méprisées» ou «comédies de notre siècle»? Quatre farces de Labiche écrites pour Céline Montaland, pp. 221-228) ou sur le concept de «tableau» (Katherine Astbury, Le tableau dans les premiers mélodrames de Pixerécourt, pp. 121-136), concept qui ouvre à des études interdisciplinaires qui font dialoguer l’art théâtral avec la peinture, la science, l’Histoire. Dans La peinture dans l’opéra-comique (pp. 129-136), autre contribution abordant le concept de «tableau» si cher à Pierre Frantz, Martin Wåhlberg met en rapport théâtre et peinture, alors que Nathalie Rizzoni (Les écrans révolutionnaires de Claude-Louis Desrais, pp. 137-158) retrace le lien existant entre des séries d’esquisses de Desrais et deux comédies révolutionnaires. Pour leur part, Christian Biet (La naissance de l’Histoire et le premier homicide par Joachim Bernier de la Brousse, notable poitevin, pp. 213-220) et Michèle Sajous-D’Oria (Du sujet médical au sujet théâtral, la tarentule sur les scènes françaises (1705-1839), pp. 237-248) étudient, respectivement, le rapport à l’Histoire dans une pièce immédiatement postérieure aux guerres de religion et la place de la tarentule des Pouilles sur la scène théâtrale de la période du titre mêlant ainsi légende, spectacle et science. D’autres critiques prennent en considération la conception de spectacles plus ,expérimentaux’ (cf. Ignacio Ramos-Gay, Caraby, chien savant. Notes sur l’exhibition d’animaux dressés chez Nicolet, pp. 193-200), analysent les discours sur les genres dramatiques traditionnels pour réfléchir sur l’imaginaire genré proposé (Sophie Marchand, «Trouble dans les genres», pp. 71-78) ou se penchent sur des questions de réception: Thibaut Julian (Contrastes de l’admiration dans le théâtre du xviii^e siècle, pp. 63-69) en étudie l’évolution pendant la deuxième moitié du siècle, Martial Poirson («Le voile de l’illusion est tombé». Le spectateur, «juge né de tous les arts et de tous les artistes» au temps du sacre du comédien, pp. 79-88) se base sur des recherches d’archives pour réfléchir sur les conditions de production et de réception des spectacles de la Comédie-Française, Maria Grazia Porcelli (Histoire d’une fée entre France et Italie, pp. 229-236) se penche sur les réécritures italiennes et françaises d’un conte voltairien et Jean-Cristophe Igalens (La comédie italienne et le poète tragique. Portraits croisés de Silvia et de Crébillon dans l’“Histoire de ma vie” de Casanova, pp. 175-182) présente le croisement des portraits esquissés par Casanova de l’auteur et de la comédienne du titre.

3La troisième partie, «Le théâtre des idées», explore les aspects sociétaux et profondément politiques du spectacle vivant. Un art qui, au xviii^e siècle, fut particulièrement confronté aux foisonnants changements et conflits sous-tendant la société française tout au long du siècle. En témoignent les articles composant les trois sous-sections de cette partie. Olivier Ferret (Faire des «applications» au théâtre sous l’Ancien Régime, pp. 249-256) étudie le phénomène en objet comme expression d’une parole politique et d’une possible fabrication de l’opinion, Thomas Wynn (Le crime et la poétique dans le théâtre des Lumières, pp. 257-264) nous rappelle le crime perpétré par Marie-Catherine Lescombat et sa mise en scène, alors que Jacques Berchtold (Le soutien à l’autre souffrant dans la tragédie. Pylade et Oreste dans “Iphigénie en Tauride”, chez Euripide et Goethe, pp. 289-298) s’interroge sur des traitements différents de la relation entre Pylade et Oreste.

4D’autres essais traitent de pièces représentées pendant la décennie révolutionnaire. Si Stéphanie Fournier (Fonctions et images du handicap dans le théâtre de la Révolution, pp. 273-280) traite la fonction dramatique de la représentation du handicap durant la période envisagée, Laurence Marie (Figaro à Saint-Domingue, pp. 281-288) nous fait voyager dans le Saint-Domingue révolutionnaire de la fin du siècle des Lumières. La désertion (Logan J. Connors, Théâtre à désertion et militarisation du drame (bourgeois) à la fin de l’Ancien Régime, pp. 265-272), Calas (Fabrice Moulin, “La tragédie de Calas”, ou comment parler d’une pièce que Voltaire n’a jamais écrite, pp. 347-356), Le Tartuffe révolutionnaire (Vincenzo De Santis, Autour d’une pièce perdue de Lemercier. “Le Tartuffe révolutionnaire” (1795) et sa réception sous le Directoire, pp. 315-322): autant d’exemples de contributions qui interrogent la place et l’usage du théâtre dans une société en perpétuel mouvement, ainsi que l’attestent aussi les textes de Mladen Kozul (Sade et le théâtre sous la Révolution. Éthique et politique, pp. 299-304), Éric Avocat (Tribune grecque, tribune romaine. Représentation politique et action oratoire dans le théatre de Marie-Joseph Chénier, pp. 305-314), Paola Perazzolo («Un trône est trop étroit pour être partagé». De la fraternité fratricide dans “Étéocle” (1799) de G.-M. Legouvé, pp. 323-330). Si ceux-ci portent plus spécifiquement sur le théâtre de la Révolution, la réflexion sur le «Spectacles des idées», titre d’une sous-section, s’élargit à tout l^e siècle, en passant de Marivaux (Cristophe Martin, «La nature ne fait ni princes, ni riches». Politique du renversement dans les comédies insulaires de Marivaux, pp. 331-338) à un exemple de traitement dramatique de la politique de 1749 (Jeffrey S. Ravel, Une pièce non jouable et non imprimable en 1749, pp. 339-346) ou de «théâtralisation critique» (Alain Sandrier, Le spectacle dans un fauteuil Voltaire. Théâtralisations critiques des Lumières irréligieuses, pp. 357-366), pour reprendre une belle formule de Pierre Frantz.

5La quatrième et dernière partie, intitulée «Ouvertures», témoigne d’un questionnement sur la réception du théâtre et sur le regard porté sur cet art aux multiples facettes. Marc Hersant (Les théâtres de Saint-Simon, pp. 367-376) et Pierre Saint-Amand (Au bonheur des petits-maîtres, pp. 377-386) s’interrogent par exemple, respectivement, sur la place du spectacle vivant dans les Mémoires de Saint-Simon et sur les représentations théâtrales du petit maître. Virginie Yvernault («Comment regarderaient-ils Chérubin?» ou le genre à vau-de-route, pp. 387-394) aborde l’épineuse question de l’identité sexuelle par le prisme de Chérubin, Marie-Cécile Schang-Norbelly (Mauvais goût et poésie. La réception problématique de l’opéra-comique de l’Ancien Régime, pp. 395-402) analyse de manière dynamique la mauvaise réputation dont souffre encore l’opéra-comique à l’heure actuelle, Kaori Oku (Réception et nouvel usage de Marivaux au Japon, pp. 403-410) analyse la mise en scène contemporaine d’un chef-d’uvre de Marivaux. Complète le volume une Bibliographie de Pierre Frantz (pp. 411-422).

6Cet ouvrage, qui se veut très complet, avec un nombre conséquent de contributions plus intéressantes les unes que les autres, analyse le théâtre du xviii^e siècle dans toute sa complexité et dans toute sa variété. Le tout en gardant comme moteur de recherche l’important travail de Pierre Frantz qui, depuis de longues années, permet de mettre l’art de la scène sous la lumière.