1Après le tome I dû à Grégory Pierrot de choix de nouvelles liées aux événements qui menèrent à l’indépendance de Saint-Domingue en 1804, Barbara T. Cooper, qui y avait déjà collaboré avec Roger Little, fournit cette fois dans le tome II de ces Échos de Saint-Domingue quatre nouvelles importantes qu’elle annote et présente dans son introduction (pp. vii-xxv).

2Elles sont données non pas dans leur ordre de publication, mais au fil des événements haïtiens qu’elles retracent, afin de mieux faire saisir l’évolution des relations entre planteurs, noirs et marrons, juste avant l’abolition de l’esclavage par la Révolution.

3L’Ombre de Taxile Delord (pp. 3-50), probablement publiée dans la presse entre 1840 et 1843, situe son action en 1783 dans la propriété du marquis de Rambert, hostile à toute égalité: il a abandonné sa jeune concubine noire qui s’est suicidée le jour des noces de son maître. Aussi est-il poursuivi par la haine de la vieille guérisseuse Louise, par ailleurs mère adoptive du jeune Tamariz qu’elle a recueilli orphelin sur un bateau négrier. L’ombre est donc celle de la vengeance, qui plane sur la douce et bonne Rose, fille du marquis, que l’Africaine va empoisonner (comme probablement sa mère avant elle). Mais le motif trouve aussi d’autres applications métaphoriques: l’ombre du mal qui règne dans la plantation, l’ombre de l’amour que n’ose exprimer le jeune Noir, l’ombre des préjugés de mésalliance qui empêchent le jeune avocat Eugène Raymond de prétendre à la main de la fille d’un homme imbu de sa noblesse. Le récit ainsi focalisé sur les personnages ne manque pas de charme tout en évoquant l’atmosphère de la traite et du servage avec puissance.

4Monsieur de Caradeu (Les Antilles en 1785) par L. Roseval (pp. 51-77), prévu pour «Les Français peints par eux-mêmes», brosse le terrible portrait (que Barbara Cooper en annexe permet de comparer à l’homme réel qui l’a inspiré) d’un personnage despotique, très fier de ses innovations techniques dans la production de la canne à sucre, au prix des «instruments vivants» que sont ses esclaves, soumis à l’enfer des chaudières comme aux punitions incessantes. Mari et concubin tout aussi violent, Caradeu va jusqu’au duel avec un voisin concurrent. Sans doute Roseval a-t-il souhaité en laissant échapper ce cruel personnage à l’incendie qui ravage sa propriété lors de la révolte des noirs – il part fonder une autre plantation en Caroline du sud – montrer l’étendue de l’aire esclavagiste au sein de la production industrielle.

5Augustin, ou la Révolte des Noirs au xviii^e siècle d’Alexandre Duboy (pp. 79-139), paru en volume en 1843 et 1846, débute son intrigue en 1790, en pleine effervescence des débats sur les droits de l’homme, évoqués à travers l’abbé Richomme, prêtre éclairé qui prône l’abolition graduelle de l’esclavage pour former les noirs à l’apprentissage de leur liberté économique et spirituelle. Le héros de la nouvelle, le jeune Augustin, rentre du continent dans la plantation de son père M. Brianchet et découvre avec horreur que le nouveau régisseur Pernetti maltraite les noirs que sa mère protégeait. Malgré toutes ses tentatives, il ne peut convaincre son père de renoncer à ce gestionnaire cruel, essaie comme il le peut d’atténuer les souffrances des noirs et adopte le jeune Omeïo, bientôt baptisé Théodore. Il retrouve aussi lors d’un voyage au Cap leur ancien esclave Christophe, devenu un des chefs marrons, qui les sauvera lors de l’incendie de leur plantation, mais exécutera l’intendant inhumain qui a tué Théodore. Cette nouvelle est assurément la plus représentative des enjeux de la situation à Saint-Domingue en pleine Révolution.

6Le Mendiant noir de Paul Féval (pp. 141-256), paru en 1846, se déroule à Paris en 1816, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, mais manifeste la persistance des conflits du xviii^e siècle à Saint-Domingue. La marquise de Rumbrye, créole sans scrupules à la vie agitée, veut marier son fils illégitime, Alfred, à Hélène, fille de son second époux, amoureuse de l’honnête Xavier. Ses plans seront contrariés, malgré l’aide de son ancien esclave Jonquille, lancé dans la société sous le nom de Juan de Carral, par l’action du vieux mendiant respecté Neptune, affranchi durant sa jeunesse par le capitaine Lefebvre, qui s’est voué à protéger secrètement le fils de son ancien maître et à poursuivre tous les traîtres impliqués dans la révolte d’Haïti. Ces deux figures d’affranchis à la psychologie nuancée font tout l’intérêt historique de la nouvelle.

7Ce n’est pas par hasard que ces textes ont été publiés dans la décennie de 1840, au moment où l’action des sociétés en faveur des noirs va aboutir à l’abolition de l’esclavage par Victor Schoelcher en 1848.