1Malgré leurs quatre ans d’écart, ces deux romans sandiens se devaient d’être réunis dans le même volume des Œuvres complètes puisque Le Château des Désertes constitue en quelque sorte une suite de Lucrezia Floriani. Amélie Calderone le précise dans sa présentation (pp. 9-51), ce diptyque singulier, paru dans des périodiques distincts, a été réuni, mais avec d’autres écrits dès 1853 par Hetzel à l’occasion d’une édition illustrée.

2Le personnage de la comédienne inspirée, née paysanne, qui après avoir remporté les plus grands succès que lui réservait son tempérament généreux et authentique, se retire avec les quatre enfants que lui ont donnés des amants successifs aimés sincèrement, mais vite décevants, ne pouvait que fasciner George Sand. Les contemporains se sont plu à en chercher les clés dans la vie intime de la romancière, notamment en assimilant Chopin à ce prince de Roswald, éthéré et excessif, auquel se dévoue finalement Lucrezia. L’éducation des enfants, discutée en maints passages, ne peut évidemment que rappeler tout l’amour, mais aussi toutes les difficultés rencontrées par la mère envers Maurice et Solange. C’est pourquoi écrire la suite de Lucrezia Fiorani, qui rappelle bien des motifs de Consuelo, s’avérait nécessaire pour donner une issue favorable à Célio et Stella du moins, dans «cette famille de fous qui se divertit en cachette» (p. 22) par le théâtre. Or l’art dramatique, notamment par échanges continuels entre pratique, réflexion théorique et improvisation, est aussi au cœur des préoccupations constantes de l’écrivaine.

3Ces deux romans sont aussi des palimpsestes littéraires sur fond autobiographique: les lieux de l’action (le lac d’Iseo et les alentours de Briançon ont été fréquentés avec Musset ou rêvés avec Chopin) constituent des mutations du Côme stendhalien et du lac Léman rousseauiste, tandis que l’avertissement dantesque résonne au seuil du château qui deviendra Enfer après Paradis. La rustique cabane du pêcheur père de Lucrezia est aussi antique que romantique. L’héroïne est une femme de trente ans assumant sa part de responsabilité dans sa déréliction muée en mère pleine d’abnégation. Quant au Château des Désertes, construit à partir d’une réflexion sur l’art total à propos de Don Juan, il emprunte aussi le cadre clos de sa représentation théâtrale au Fils naturel de Diderot comme l’apprentissage de la vie au Wilhelm Meister goethéen. Sand n’oublie pas non plus d’enrober sa fiction d’un discours «anti-roman-feuilleton» invitant les lecteurs à sonder les signes d’une nécessité morale dans l’évolution des personnages plutôt que de s’en remettre aux aventures picaresques. C’est qu’il s’agit pour Sand d’ouvrir la «porte d’ivoire» des plus «chères illusions» en sublimant le vécu par une utopie bucolique autour de héros d’exception.