• 1 A. Lichtenberger et R. Raja, « Invisible pasts, urban fates and the central role of ceramics: Geras (...)

2Le volume s’ouvre par un constat désabusé des éditeurs – un cri dans le désert ? –, affligés par la lenteur des publications céramiques, leur isolement – la céramologie tendant à constituer une sous-discipline autonome –, l’absence quasi générale d’approche quantitative et la rareté de focus sur des assemblages décisifs dans un site où, comme souvent, l’immense majorité du matériel provient de contextes secondaires 1. On ne peut hélas que leur donner raison…

• 2 A. Lichtenberger et R. Raja, « Late Hellenistic and Roman Antiochia on the Chrysorrhoas, also calle (...)

3Suivent un rapide état de la question portant sur notre connaissance très imparfaite de la (re‑)fondation hellénistique d’Antioche du Chrysorrhoas (sous Antiochos IV) et un historique des explorations ; ces données permettent d’introduire les résultats obtenus par l’équipe germano-danoise ayant œuvré entre 2011 et 2017 dans le quartier intra-muros nord-ouest du site 2. Les témoignages d’occupation du secteur aux époques hellénistique et romaine restent ténus : absence apparente de nécropole (contrairement aux zones centrale et méridionale du site, réoccupées par les grands sanctuaires du ii^e s.), mais présence massive de traces d’extraction ; sont-elles à rapprocher de la construction supposée des remparts au milieu du ii^e siècle (ce qui offrirait une possibilité de ne pas exclure trop rapidement une éventuelle nécropole antérieure) ? Seule certitude, la présence d’un vaste réservoir (c. 41 × 18 m) qui semble remonter au tournant de l’ère si l’on se réfère aux plus anciens enduits peints de son escalier d’accès (p. 45). Les auteurs tentent ensuite d’inférer de quelques maigres éléments (rituel de fermeture dans l’Antiquité tardive, fragments d’autels et de sculpture) une fonction religieuse à l’ensemble du quartier nord-ouest à l’époque romaine. L’hypothèse ne peut être validée en l’état, les rituels de fermeture ne concernant pas les seuls sanctuaires ; de même le mobilier lapidaire sollicité peut, comme le reconnaissent les auteurs, provenir du grand sanctuaire d’Artémis voisin. Un rapprochement est ensuite établi avec le contenu de l’inscription Welles 1938 n^o 28 – qui n’est toutefois pas explicitement nommée –, un bloc errant connu depuis le xix^e s., dédicace à Artémis en 69/70 d’un lakkos – que les auteurs rapprochent du réservoir rupestre retrouvé dans le quartier nord-ouest – et, dix ans plus tard, d’un portique. La proposition, hautement hypothétique, paraît insuffisante pour valider l’existence dans ce secteur de la ville d’un sanctuaire à Artémis antérieur au développement du complexe hadrianique fouillé par l’équipe italienne ; on rappellera a contrario que les seuls vestiges archéologiques assurés de structures religieuses antérieures au sanctuaire du ii^e siècle ont été retrouvés non au-dessus mais en contrebas de ce dernier, sous la cathédrale et dans le secteur des propylées.
 

• 3 Ph. Bes, T. Brughmans, A. Lichtenberger, R. Raja et I. Romanowska, « Ceramics in cities in context: (...)

4La suite du volume consiste moins en une présentation des données céramiques recueillies par l’équipe à l’initiative du volume que la recherche de mise en contexte et de parallèles, les colonnes du volume étant ouvertes aux autres équipes ayant travaillé à Jerash ou sur du matériel produit par quelques sites voisins. L’initiative reste heureuse, tant le déficit de publication de céramique romaine est criant. C’est ce que soulignent les cosignataires d’un état des lieux régional, vaste enquête bibliographique portant sur seize sites de la grande région, intégrant la Décapole et quelques sites plus éloignés, de Césarée Maritime à la Syrie du Sud 3. Les résultats de l’enquête ne sont guère encourageants sauf à souligner une fois encore la qualité très disparate des travaux ; deux études de cas (importations d’amphores et de vaisselle de table tardo-romaine) se soldent par des questions générales et irrésolues : la première souligne le contraste – attendu – entre le faciès côtier et celui de l’intérieur des terres, la seconde interroge les « perceptions locales » de ces productions (à mon sens inapprochables) plutôt que de poser la question essentielle de l’impact de la logistique étatique (les voies, la présence de l’administration et de militaires romains…) dans la consommation de ces productions. Une dernière étude est consacrée aux bénéfices de la quantification des mobiliers céramiques provenant des fouilles du quartier nord-ouest ; son principal enseignement est la quasi-absence d’importation (moins de 1 %), toutes périodes confondues, et l’existence d’une production manufacturière locale, données largement établies par les études antérieures. Ajoutons que le choix de Césarée Maritime comme point d’ancrage comparatif est sans doute justifié pour une partie des sites, mais pour une partie seulement, les sites septentrionaux du corpus (par ex. Gadara) échappant au moins partiellement à ce réseau au profit de celui de Tyr via l’arrière-pays galiléen.

• 4 A.-M. Rasson-Seigne et J. Seigne, « Les productions céramiques locales de Jerash au début de la pér (...)

5Les deux contributions suivantes portent sur la céramique d’époque romaine provenant des fouilles du sanctuaire de Zeus, dans le secteur méridional de la ville 4. Les auteurs y présentent deux productions locales antérieures à l’intégration de la cité dans le territoire de la province d’Arabie puis la céramique d’importation des trois premiers siècles de notre ère. Les premières sont deux types locaux de vaisselle de table, l’une imitant de la sigillée, l’autre moulée à pâte grise, l’une et l’autre renvoyant sans surprise à des modèles hellénistiques, seules productions qui, pour paraphraser les auteurs, sortent à la fois de l’ordinaire et du territoire de la cité. Du côté des importations, c’est leur pauvreté qui est in fine soulignée, en tout cas pour l’époque romaine, à l’inverse de ce qui semble perceptible pour l’époque hellénistique (amphores, bols mégariens, lampes hérodiennes) et de ce qui est établi pour l’époque byzantine. Les spécialistes des régions adjacentes seront heureux de glaner ici quelques fragments de sigillée, de céramique nabatéenne ou de matériel provenant du Hauran basaltique. On comparera utilement ces données aux échos numismatiques présentés en fin de volume (infra).

• 5 S. Duplessis et F. Di Napoli, avant-propos et conclusion de J. Seigne, « Les timbres amphoriques tr (...)

6L’article suivant est issu d’un mémoire de master de l’université de Tours (2013) et constitue un inventaire commenté d’une cinquantaine de timbres amphoriques rhodiens retrouvés sur le site, exclusivement dans des contextes secondaires 5. Les timbres les plus représentés datent de la seconde moitié du ii^e s., ce qui correspond à l’époque de l’intégration de la cité dans le royaume séleucide, mais aussi au pic de diffusion de ces amphores en Méditerranée orientale. Les auteurs tiennent en définitive ces témoignages pour quantité négligeable en termes d’échanges entre l’Égée et la région et considèrent que cette faible quantité d’amphores importées s’explique par une vraisemblable production locale d’huile et de vin dès cette époque.

• 6 A. Uscatescu, « Late Antique Ceramic Imports in Gerasa: New Light on the Macellum Finds (with Speci (...)

7L’une des contributions les plus consistantes du volume est livrée par A. Uscatescu qui propose, en anglais cette fois, une présentation très complète de la céramique tardo-antique d’importation livrée par les fouilles espagnoles du macellum et étudiée dans le cadre d’une thèse, jadis publiée en espagnol 6. On se réjouira de cette publication détaillée, accompagnée de nombreuses figures, tables et cartes de distribution étendues à l’échelle du Sud-Levant, qui complète, met à jour et en définitive renouvelle les publications antérieures de la même chercheuse et servira d’excellent point de comparaison pour les céramologues menant d’autres études régionales dans le Levant. De fait, l’appareil comparatif exploité impressionne, qu’il s’agisse des fouilles menées par d’autres équipes dans la ville et surtout de celles des régions côtières, l’étude relayant de nombreuses avancées récentes de la recherche (nouveaux ateliers, raffinements quantitatifs…). S’agissant de la chronologie, le travail porte essentiellement sur l’époque romaine tardive, sans négliger toutefois une brève présentation du mobilier plus ancien (hellénistique et d’époque impériale). Les grandes catégories rencontrées sont le vaisselier de table et les amphores de Tunisie, les importations phocéennes (LRC), anatoliennes ou chypriotes (LRD, LRA 1 et LRU), égéennes (LRA 3), de mer Noire et égyptiennes, ou encore de nombreuses amphores régionales (p. ex. Akko, Gaza, Négev, Jérusalem et Scythopolis). Reste maintenant à affiner l’image, peut-être déformée par la nature de l’espace ayant produit ces céramiques, le macellum étant sans doute l’un des lieux les plus propices à accueillir du mobilier exogène à l’époque envisagée.

• 7 Ph. Ebeling, « Roman-period roof tiles from the northwest quarter of Jerash », p. 301-312.

8Suit une brève présentation des caractéristiques de tuiles provenant de contextes de destruction des iii^e et iv^e siècles fouillés dans le quartier nord-ouest 7.
 

• 8 L. Berger, « Pottery from sanctuaries in the hinterland of Gadara/Umm Qays (Jordan) », p. 313-323.

9Les trois contributions suivantes ne portent pas sur le mobilier de Jerash mais servent de point de départ à une étude à venir des relations interrégionales entretenues par la cité et quelques-unes de ses voisines (Gadara, Abila et Umm el-Jimal). Dans la première est présenté le mobilier céramique de deux sites religieux distants de 3 et 4 kilomètres de Gadara – un haut-lieu et un temple situé à proximité d’une voie d’accès au site – et occupés à des titres divers de l’époque hellénistique à l’époque omeyyade 8. La proximité avec le faciès des productions identifiées à Gadara ne surprend pas ; l’origine d’une partie non négligeable de la production semble être la Galilée ou le Golan, ce qui ne surprend pas non plus. En définitive, la conclusion semble souligner l’importance d’un axe ouest-est reliant Bostra à la Méditerranée – déjà identifié à travers la circulation monétaire –, minimisant ainsi un axe nord-sud et, partant, les relations entretenues avec Jerash.

• 9 N. M. Voss, « Pottery from Abila and Gadara », p. 325-338.

10L’article suivant, qui reflète une thèse de doctorat en cours à l’heure de la mise sous presse, présente une analyse des grandes catégories de pâtes identifiées lors de prospections menées à Abila de la Décapole 9. Les rapprochements entre ces groupes de pâtes des époques hellénistique, romaine et omeyyade (l’époque byzantine est exclue) et des productions exogènes déjà étudiées permet d’identifier et de quantifier des importations caractérisées : bols galiléens (qui forment un groupe très majoritaire), amphores palestiniennes, pour certaines produites à Scythopolis, probables « Jerash Bowls », à côté de productions locales ; la parenté des faciès généraux entre Abila et Gadara et les probables échanges de productions locales entre ces deux cités sont également soulignés.

• 10 E. A. Osinga, « Quantifying ceramic trends at Umm el-Jimal », p. 339-367.

11Le dernier – et excellent – article comparatif traite de productions communes d’époque romaine (milieu/fin i^er s. – iii^e s.) et byzantino-omeyyade provenant d’Umm el-Jimal 10. Trois contextes sont privilégiés, les niveaux antérieurs à la construction d’une habitation des vi^e-viii^e s. située au cœur de l’établissement en dur (« House XVII-XVIII »), un dépôt cendreux antérieur à c. 300 provenant d’une tranchée ouverte à proximité d’un accès secondaire à la « porte de Commode » (construite entre 177 et 180, à l’ouest du site), et un dépotoir constitué durant l’époque romaine (le « Northern Dump », mais les figures ne permettent pas de le localiser…) ; ces deux derniers contextes constituent peut-être des niveaux de déblaiements consécutifs aux conflits militaires ayant opposé troupes palmyréniennes et romaines à la fin du iii^e s., donc antérieurs à la reconstruction du site à l’époque tardo-byzantine. En raison du caractère très fragmentaire des mobiliers conservés, l’auteure, qui a consacré une thèse à l’étude d’une partie de ce matériel, a privilégié une approche pétrographique, croisée à une quantification des données. L’article est particulièrement utile en ce que, à l’exception de quelques sigillées orientales et productions nabatéennes de la fin du i^er s. de n. è., il est centré non sur les importations de longue distance mais sur les productions communes. L’auteure conclut à une majorité de biens importés de cités voisines, en provenance d’ateliers identifiés ou non de régions non-basaltiques situées jusqu’à 150 kilomètres du site, contrastant avec une faible quantité de productions du Hauran et des quelques très rares importations lointaines déjà signalées. C’est donc en définitive Umm el-Jimal qui semble attester le plus nettement l’existence d’exportations de produits manufacturés de Jerash vers les cités voisines, l’étude permettant du reste d’en apprécier les variations temporelles sur la longue durée. Un travail extrêmement prometteur donc que l’on espère vivement voir poursuivi.
 

• 11  A. Lichtenberger, R. Raja, « Roman city coins of Gerasa: Contextualizing currency and circulation (...)
• 12 Le constat est similaire à Pétra, absente des comparanda bien que, comme Gerasa, située en province (...)

12Le volume se termine sur un utile état des lieux numismatique, sur la base des trop rares publications de monnaies de fouille disponibles 11. L’inscription de cet article sur la numismatique en conclusion d’un volume céramique est particulièrement judicieuse en ce qu’elle appelle à confronter les circulations de l’une et l’autre de ces catégories d’artefacts sur le territoire de la cité. Plusieurs constats en ressortent : l’apparition des monnaies civiques géraséniennes à l’époque de la première révolte juive, seul moment où elles portent l’effigie de Zeus, ensuite remplacée par la Tychè ou par Artémis ; l’apparente surreprésentation des monnaies nabatéennes, à côté des hérodiennes et romaines de Judée avant cette date ; la rareté des trouvailles hors du territoire, les exceptions étant liées à des déplacements de militaires ; les liens économiques régionaux, en particulier avec Philadelphie mais aussi au-delà, avec d’autres villes de la province d’Arabie et la surreprésentation au iii^e s. de monnaies extérieures, à une époque où la cité ne frappe plus ; enfin la faiblesse quantitative des monnaies d’époque romaine, comparée à la masse monétaire en circulation à l’époque tardo-antique, constat largement partagé dans la région 12 et sur lequel les auteurs se basent pour suggérer l’existence à cette époque d’une « less monetarized economy ». Toutes ces réflexions se révèlent stimulantes et inscrivent Gerasa dans son contexte régional, décapolitain syrien et judéen avant Trajan, provincial arabe ensuite, avec un pivot économique nabatéen longtemps sous-estimé sinon rejeté et qu’il convient peut-être de réévaluer. On regrettera cependant que les auteurs n’aient pas tiré profit de l’étude synthétique de Christian Augé « La place des monnaies de Décapole et d’Arabie dans la numismatique du Proche-Orient à l’époque romaine », dans Ch. Augé et F. Duyrat (éd.), Les monnayages syriens. Quel apport pour l’histoire du Proche-Orient hellénistique et romain ? Actes de la table ronde de Damas, 10-12 novembre 1999 (BAH 162), Beyrouth, 2002, p. 153-166.