1Cet ouvrage est issu de la thèse de doctorat de Jérôme Rohmer, soutenue à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne en 2013. L’objectif de son travail est d’analyser l’histoire du Ḥawrān, la région basaltique de Syrie du Sud, de l’âge du Fer à l’annexion romaine. Les données utilisées sont éminemment archéologiques, produits des campagnes de terrain réalisées entre 2003 à 2009 dans le cadre du programme « Atlas des sites pré- et protohistoriques de Syrie du Sud » (ASPPSS), auxquelles l’auteur a participé depuis 2006. Étant donné que le champ chronologique adopté englobe diverses périodes historiques, Rohmer adopte une perspective de longue durée et interdisciplinaire, sans oublier l’ensemble des sources textuelles et épigraphiques disponibles.

2À partir du deuxième chapitre (p. 53-240), l’auteur réexamine les données des prospections de grandes zones du Ḥawrān, en commençant par l’enclave rocheuse du Lajā’ (nord de la région). Au troisième chapitre (p. 241-354), il étudie le massif du Jabal al-‘Arab et le petit plateau de Saccée (est), tandis que dans le quatrième chapitre (p. 355-422) il examine le vaste plateau comprenant la Nuqra (sud) et le Jaydūr (nord-ouest). Ces trois chapitres constituent le cœur de l’ouvrage, présentant le catalogue des sites, chacun avec une discussion détaillée de sa stratigraphie et de sa chronologie, tous accompagnés de plans des sites, photographies de l’architecture et de la culture matérielle, vues au cerf-volant et dessins de la céramique de surface. La présentation sur le Lajā’ est la plus détaillée (57 sites des périodes étudiées), puisque c’est dans cette région que l’ASPPSS a effectué sa prospection terrestre, suivie des quatre campagnes de prospection menées par l’auteur entre 2006 et 2009, et complétée avec ses fouilles sur le site de Qarrāṣa.

3La culture matérielle de l’âge du Fer est étudiée fondamentalement à travers la céramique locale (d’après Rohmer, le répertoire céramique est très proche de celui du Nord de la Palestine et de Transjordanie), tout en rejetant l’idée d’une culture matérielle « araméenne » commune à la Syrie du Nord et du Sud. De plus, l’architecture trouve la plupart de ses parallèles dans l’archéologie de la Palestine ; l’auteur met l’accent sur trois caractéristiques trouvées à Suwaydā qui apparaissent dans l’architecture du Hazor et de Megiddo (« podium », substructions en casemates, palais du type « bīt ḫilāni »), mais, dans le même temps, il minimise le caractère « national » omride de cette architecture, proposé par Finkelstein. D’autres parallèles viennent ainsi du Levant Sud, comme les villages organisés en maisons « en ceinture » (hautes terres de Palestine, Néguev) ou les maisons à quatre pièces (une variante de la « four room house » israélite). Bien que ces parallèles soient certainement corrects, on peut noter que notre perception de la culture matérielle de l’âge du Fer est forcément biaisée en faveur des fouilles du Levant Sud, la région la plus étudiée du monde. Un débat intéressant pour les spécialistes de la Bible hébraïque est la discussion sur la localisation du Bašan biblique : l’auteur conclut que ce territoire ne correspond pas à tout le Ḥawrān, mais seulement à sa région occidentale (Jaydūr et ouest de la Nuqra). En ce qui concerne le district néo-assyrien de Ḫaurinā, Rohmer ne prend pas parti dans le débat entre une localisation dans le Jabal al-‘Arab (Forrer) ou au centre de la Syrie (Weippert, Eph‘al). L’auteur est plus certain sur le toponyme Ḫukkuruna, qui est identifié au Lajā’.

4Le sixième chapitre (p. 473-536) est consacré aux périodes hellénistique et préprovinciale. Après une époque hellénistique ancienne marquée par la persistance du déclin régional précédent, on assiste à l’époque hellénistique tardive à une nouvelle vague de peuplement de la région. L’auteur explique les nouveaux sites par la re-sédentarisation de populations mobiles, bien qu’on ne puisse déterminer l’identité ethnique de ces peuples (nabatéens, « safaïes », arabes ?) par les données disponibles. Il note une « archaïsme » dans l’organisation des bourgs et des villages, particulièrement en villages à casemates comme le site de Tall Jūba, ressemblant à des villages agropastoraux de l’âge du Fer du Levant Sud. La présence d’une principauté indigène à Suwaydā/Soada semble la cause la plus probable de la colonisation agricole des pentes du Jabal al-‘Arab au cours de l’époque hellénistique tardive. D’autre part, la distribution de la céramique connue comme « spatter painted ware » permet d’identifier une possible intégration économique de la Lajā ouest (Trachônitide), la vallée de la Ḥūla et la Biqā‘ méridionale sous la domination des Ituréens de Chalcis. La période préprovinciale a connu une augmentation spectaculaire du nombre de sites, une expansion liée à l’amélioration des conditions climatiques, un contexte politique stable garanti par la puissance romaine et la répression hérodienne, et certaines avancées technologiques. Toutefois, l’urbanisation n’est pas totale, puisque le Ḥawrān septentrional est presque dépourvu de cités du fait des particularités du système fiscal hérodien.

5L’auteur détaille notamment les cultes régionaux qui furent promus par les Hérodiens et les Nabatéens, surtout les seconds, avec leur évergétisme aux sanctuaires de Ba‘lšamīn à Sī‘, d’Allāt à Ṣalḫad et de Dūšarā à Buṣrā. On regrette l’absence d’une liste avec toutes les offrandes religieuses dans le Ḥawrān nabatéen, et pas seulement celles qui sont datées (par exemple, la fameuse dédicace au dieu Qôs trouvée à Buṣrā). À l’encontre d’une interprétation du Ḥawrān comme un « conservatoire » de la culture matérielle (céramique, architecture, sculpture) syro-hittite de l’âge du Fer (Dentzer), qui serait démenti par la rupture d’occupation sédentaire entre l’âge du Fer et la période hellénistique, Rohmer montre au contraire l’importance des éléments culturels tirés de l’héritage achéménide et des emprunts déformés de l’art grec provenant de la Damascène contemporaine.

6Enfin, la conclusion (p. 537-544) rassemble tous les résultats ; elle est suivie en annexe d’une liste recensant les sites de référence du Levant Sud (p. 555-566) et d’un résumé anglais (p. 567-586).

7Pour conclure, on peut féliciter l’auteur pour la richesse de l’information inédite contenue dans cet ouvrage, bien illustré et agréable à consulter. En dépit d’une présentation des données archéologiques qui occupe l’espace principal de ce livre, l’auteur a su absolument synthétiser l’information dans les derniers chapitres. Rohmer explique les limites du matériel archéologique qu’il a étudié, mais il met à notre disposition toutes les possibles interprétations pour sa meilleure compréhension. Des chercheurs trouveront dans ce livre un trésor de données archéologiques et épigraphiques pour mieux comprendre l’histoire d’une région clé du Moyen-Orient.