1Ce volume réunit neuf des contributions préparées pour l’atelier Historical studies on the rule of provinces in the ancient near eastern empires: Synthesising philological and archaeological studies organisé par l’Université Rikkyō de Tokyo et initialement prévu les 26 et 27 mars 2020, mais qui n’avait pas pu se tenir en raison de la pandémie liée au COVID-19. La plupart de ces articles portent sur les mécanismes de contrôle pour la domination et la cohésion des territoires dans une dynamique impériale de l’Assyrie vis-à-vis de la Babylonie (et vice versa, quoique cette perspective soit malheureusement moins étoffée) au I^er millénaire. Si un auteur (J. Novotny) a choisi l’approche textuelle, les études archéologiques prédominent clairement, sous les angles à la fois de la culture matérielle, la topographie, l’architecture ainsi que l’anthropologie, et sont utilement illustrées de cartes et schémas en couleur et de bonne facture.

2Après une introduction de S. Hasegawa et K. Radner qui rappelle l’importance de la problématique territoriale, entre continuité et périphérie pour l’empire assyrien, en choisissant la définition très générale et consensuelle du concept d’empire élaborée par MacKenzie dans son encyclopédie (J. M. MacKenzie, The Encyclopedia of Empire, vol. 1, Oxford, Wiley-Blackwell, 2016), le volume s’ouvre sur une carte couleur de l’ensemble des sites archéologiques étudiés dans ce panorama.

3Avant d’aborder à proprement parler les cas d’études issus des résultats de fouilles, le premier article de M. Altaweel – fort bien résumé en son titre « The importance of flat archaeological sites in the Age of Empires and new digital methods for their identification and analysis: A case study from the Peshdar Plain in Iraqi Kurdistan » (p. 7-23) – insiste sur la nécessité d’une nouvelle approche méthodologique de la recherche archéologique en Irak du Nord pour l’identification de sites agricoles, donc « plats » car loin des tells facilement reconnaissables (pentes inférieures à 5 % et gradients inférieurs à 0,1 m). La prospection pédestre au Kurdistan permet rarement le recueil de matériel de surface et les instruments actifs de la géo-archéologie eux-mêmes (LIDAR, Landstat) ne suffisent pas. L’auteur et A. Squitieri ont ainsi élaboré – et validé après le test effectué dans la plaine de Bora pour le Dinka Settlement Complex – une méthode d’analyse systématisée des « orthophotos » de drones permettant d’identifier ces flat sites par l’étude des restes de constructions en pierre. L’article, très détaillé pour bien expliciter la procédure, fournit également le lien vers l’outil d’analyse graphique créé sur GIS par Altaweel et Squitieri au profit de l’ensemble de la communauté scientifique.

4Le premier cas d’étude présenté par S. Hasegawa fournit un bilan des fouilles effectuées dans un site du Sud-Liban (« The southern Levant in the shadow of imperial powers: Tel Rekhesh in the late Iron Age », p. 25-43) qui se trouve aux marges des empires assyrien et babylonien entre les âges du Fer II et III. L’auteur rappelle les problématiques liées à la datation du complexe immobilier principal – ne fournissant que des terminus post quem et dont la construction (entre la fin du vii^e et le vi^e siècle) pourrait le qualifier d’assyrien devenu babylonien ou d’exclusivement babylonien. L’exemple de Tel Rekhesh, identifié comme un avant-poste ou ayant une fonction « satellitaire », est tout à fait édifiant pour illustrer la problématique du volume. Il permet de remettre en cause l’idée courante selon laquelle la Babylonie n’avait pas d’intérêt stratégique pour le Levant et n’administrait pas directement les périphéries, se contentant de l’héritage du système assyrien. Une fois encore, la documentation archéologique vient combler le manque de sources textuelles pour reconstruire l’histoire politique de cette région, habituellement ignorée des études biblistes au profit du royaume de Judée.

5Une synthèse plus générale sur l’occupation du Eber-nāri par les rois néo-babyloniens est fournie par Y. Watai (« The monuments of the Neo-Babylonian kings as an indication for their presence in the western territories of their empire », p. 149-166). L’analyse des traces textuelles et archéologiques au Liban (on aurait apprécié une carte des sites étudiés) conduit l’auteur à rejoindre le consensus général sur le caractère indirect – ou du moins temporaire – des conquêtes sous Nabuchodonosor II, tout en relevant la volonté manifeste du royaume d’ancrer celles-ci dans la mémoire collective, quitte à reprendre certains outils ou iconographies déjà en usage sous les rois néo-assyriens. Les traces archéologiques et épigraphiques du règne de Nabonide à Ḥarrān en Haute Mésopotamie, à as-Selaʾ en Jordanie et dans les deux fameux sites saoudiens de Tayma et Haʾit révèlent en revanche une spécificité néo-babylonienne, moins portée sur la glorification du roi vis-à-vis des populations locales et préférant se contenter de marquer l’acte de propriété sur des routes caravanières stratégiques. Le paragraphe sur Ḥarrān de Watai se complète utilement avec l’article de J. Novotny qui, à travers une étude exclusivement textuelle, passe en revue les politiques architecturales des rois néo-assyriens dans ce hub commercial à la position privilégiée pour l’empire dès Sargon II (« Royal Assyrian building activities in the Northwestern provincial center of Ḥarrān », p. 73-94). Les projets royaux assyriens habituellement mis en sourdine par l’activité successive des rois néo-babyloniens, et pourtant rendus explicites dans les annales par le récit des reconstructions de temples, peuvent ainsi être revalorisés malgré l’absence reconnue de preuves archéologiques. Il aurait néanmoins convenu de rappeler le caractère éminemment programmatique des inscriptions royales néo-assyriennes, dont l’étude philologique et rhétorique a déjà montré le biais historique.

6Le reste des articles constitue le bilan de fouilles archéologiques dans les sites périphériques de l’Assyrie, à l’est comme à l’ouest. S. Nishiyama (« Provincial control in the eastern reaches of the Assyrian Empire: A view from Yasin Tepe, Iraqi Kurdistan », p 45-71) puis A. Squitieri (« Towards an understanding of the Assyrian Empire’s defense strategies in the East. A case study from the Peshdar plain [Dinka Settlement Complex and Gawr Miran] », p. 111-136) fournissent des cas d’étude étayant la réflexion sur le contrôle des marges nord-orientales de l’empire assyrien, aux pieds du Zagros. Le site de Yasin Tepe, à la riche et longue stratigraphie (allant du Halaf à l’époque parthe malgré plusieurs hiatus occupationnels), a donné dans la ville basse des preuves architecturales (deux grands bâtiments des viii^e et vii^e siècles) et funéraires (dont les artefacts d’un trousseau) de l’influence néo-assyrienne bien ancrée, avec toutefois plusieurs évidences du maintien de la culture locale dans ce point marginal de l’empire. Le sondage magnétométrique de 2018 pourrait en outre avoir révélé la présence d’un système de canaux internes, comme à Dur-Katlimmu mais, à l’image des nombreuses prospections du site (les opérations B et C sont encore à dater), il faut attendre la poursuite des fouilles pour le voir confirmé, tout comme l’usage probablement agricole du site. Une zone de qanat assyriens dans le Dinka Settlement Complex est également soumise à hypothèse dans le très complet article de Squitieri, dont le propos principal porte sur les niveaux de deux sites (avec Gawr Miran) correspondant au ix^e siècle. Avec les sondages géophysiques de la citadelle de DSC, Squitieri identifie une ligne de défense fortifiée au profit de la capitale assyrienne, comprenant possiblement une tour de garde. L’analyse topographique tend clairement à confirmer ce rôle stratégique de la région et des deux sites, offrant un panorama à même d’observer les cols du plateau iranien (la carte p. 127 est très parlante). D’autres découvertes sont attendues par les retours d’analyse sur les échantillons archéo-botaniques ainsi que, on l’espère, malgré le caractère très fragmentaire des restes, l’étude anthropologique des sépultures.

7Par l’analyse comparée de deux sites occidentaux aux phases occupationnelles différentes pour la même période (âge du Fer I et II), H. Tsumoto offre un très intéressant article sur les effets radicalement différents de l’expansion territoriale de l’empire néo-assyrien (« Two small settlements in the shadow of the expansion of the Assyrian Empire: Tel Ali al-Hajj and Tell Mastuma in Syria », p. 137-148). Alors que Tell Mastuma connaît un déclin lors de la conquête de Tukulti-apil-ešarra III, mis en évidence par l’abandon de l’aire résidentielle qui correspond à la dernière phase d’occupation, Tell Ali al-Hajj atteint son pic de développement. L’intégration de ce deuxième site à la province de Bīt Adini a pu même se faire sans heurt puisqu’aucune trace de destruction n’est révélée. L’étude de la céramique y atteste en outre l’influence continue des modèles assyriens (notamment la vitrification polychrome retrouvable à Tell Sheikh Hamad, Nimrud, Assur ou Khirbet Qasrij) tout au long des différentes phases de l’âge du Fer.

8C’est enfin le passionnant article de K. Radner, S. Amelirad et Eghbal Azizi revenant sur les trois sépultures d’une province orientale, aujourd’hui dans le Kurdistan iranien, qui permet d’appréhender la densité des commerces inter-régionaux ainsi sans doute que l’impact des politiques de déportations de l’empire assyrien (« An elite burial in the Assyrian province of Parsua: A new radiocarbon date for the Iron Age cemetery of Sanandaj », p. 95-109). L’article se concentre sur la sépulture bisome à inhumation primaire A10 (une coquille p. 105 inscrit A12) dont le diagnostic de sexe (féminin selon les auteurs) est essentiellement fondé sur l’ostéométrie de la partie supérieure du squelette. L’analyse du trousseau (une fibule dans un grand bol caréné) révèle la grande circulation des modèles et des matériaux dans l’empire, du fait des parallèles avec des régions aussi éloignées qu’Israël ou le Luristan. La datation au ¹⁴C sur une molaire inférieure du squelette fournit une fourchette large (à moins de réduire le taux de probabilité : 694-542 cal. bce pour 72,4 %) qui entre néanmoins en cohérence avec les autres datations de la région (Dinka Settlement Complex notamment) et permet d’associer ces trois tombes à des habitants de la province assyrienne du Parsua créée en 744 avant notre ère.