1Cet opuscule passionnant et passionné a valu une immédiate notoriété médiatique à l’auteur, théoricien de politique comparée, enseignant au Bard College de Berlin et par ailleurs descendant d’une famille juive de Bagdad. Écrit en réaction à la vidéo diffusée par l’État islamique en février 2015 qui mettait en scène la destruction des reliefs assyriens du musée de Mossoul, il interroge sur le sens politique de l’image, citant dans le prologue des comparaisons pertinentes, un relief de Ninive montrant des soldats assyriens en train de marteler la statue d’un roi vaincu, ou l’épisode biblique de Moïse et Aaron à propos du Veau d’or.

2Unpremier chapitre analyse,à travers l’étude des traditions littéraires et coraniques, l’affirmation par l’EI que les reliefs assyriens sont des idoles, qu’il convenait de détruire. En effet, lorsque Mohammad conquiert La Mecque, il fit détruire les 360 idoles qui entouraient la Ka’aba. Mohammad lui-même ne faisait que reprendre le geste iconoclaste d’Ibrahim, bien des siècles auparavant, sous la persécution du roi de Babylone Nemrod. Les combattants du Califat donnaient l’exemple d’un retour à la pureté primitive de l’Islam. Taxé d’hypocrisie pour la mise en image de cette destruction, l’état Islamique, à l’instar d’Ibrahim, pouvait répondre que cette image était destinée au bien commun.

3Le deuxième chapitre s’intéresse au musée comme lieu de mise en scène politique, non sans évoquer quelques exemples de récupérations du patrimoine culturel à des fins politiques, notamment par Sadam Hussein qui adapta l’imagerie stalinienne en y intégrant les éléments les plus symboliques de l’art mésopotamien. Sadam Hussein suivait d’ailleurs la trace du général Abdul Karim Kassem, qui avait intégré l’étoile d’Ishtar au nouveau drapeau irakien. Ce chapitre est enrichi d’une documentation graphique surprenante, à laquelle il faudrait ajouter le catalogue d’une exposition de Venise consacrée au « déboulonnage » des statues, si à la mode aujourd’hui : Pedro Azara et al., To Lose Your Head (Idols), Catalonia in Venice, 2019, Institut Ramon Lluli, Venise

4Le troisième chapitre s’étend sur les immenses pouvoirs de diffusion de l’image par internet, dont le symbole est la couverture de Time Magazine du 25 décembre 2006 représentant un écran d’ordinateur titré « You ». L’auteur constate pourtant que l’image, désormais contrôlée par les algorithmes et réduite au statut de donnée (data), perd toute vitalité : une nouvelle forme d’iconoclasme qui n’a pas besoin de marteau.

5Si la destruction au musée de Mossoul a été filmée avec soin par les gens de l’EI dans le but explicite d’être montrée, pour choquer et jeter la terreur, l’auteur incite à dépasser cette terreur pour prendre conscience que toute vie politique repose sur des images partagées : pour être des citoyens libres, toute image est bonne à penser.