• 1 Pour les résultats de la première campagne de 2019, voir Couturaud 2020a.

1La Mission archéologique d’Amyan (MAA) a été créée en 2019 avec la volonté de combler un vide des recherches dans une région dont la densité d’occupation est pourtant exceptionnelle durant l’Antiquité : la plaine de Navkur, dans l’arrière-pays de Ninive, située à cheval sur les districts de al-Sheikan et d’Akre, dans le nord de l’Irak (fig. 1). Pour ce faire, plusieurs axes de recherche ont été définis, parmi lesquels l’élaboration d’une séquence chronologique complète de l’occupation du site, sur la base de l’étude des vestiges archéologiques et d’un référentiel typologique céramique, et l’étude de l’environnement du site 1. Ainsi, les résultats obtenus se placent dans la perspective plus large des connaissances actuelles de cette micro-région faisant partie du chapelet des plaines à l’est du Tigre, explorée depuis plus d’un siècle et demi avec les premières fouilles des grandes capitales néo-assyriennes au cours du xix^e siècle.

• 2  Kopanias et Macginnis 2016.

2La Mésopotamie est l’objet de fouilles archéologiques depuis presque deux siècles, commencées avec l’exploration, à partir de la deuxième moitié du xix^e siècle, des grandes capitales néo-assyriennes du I^er millénaire av. J.-C., telles que Khorsabad et Ninive, dans le nord de l’Irak. Puis, dès la fin du xix^e siècle et principalement dans la première moitié du xx^e siècle, de grands sites de la période du Chalcolithique, tels que Tepe Gawra et Uruk, ainsi que de grandes cités du Bronze ancien découvertes en Mésopotamie méridionale et centrale, ont livré une culture matérielle importante, telles qu’à Ur, Kish, Girsu ou encore Eshnunna. Ces découvertes ont permis une meilleure connaissance de l’histoire et de la culture mésopotamiennes ; elles ont également posé les jalons de l’historiographie du Proche-Orient ancien. Cependant, de nombreuses régions n’ont pas été suffisamment explorées, ne donnant ainsi qu’une image partielle des dynamiques sociales et politiques complexes de ce territoire mésopotamien extrêmement vaste, composé de plusieurs entités régionales dont les populations sont régulièrement entrées en contact les unes avec les autres et ont également contribué à la production d’une culture plus ou moins homogène, depuis le Néolithique jusqu’à la période islamique. Le Kurdistan irakien fait partie de ces entités régionales sous-exploitées par les recherches archéologiques. Cependant, depuis une dizaine d’années, à la faveur de conditions politiques et sécuritaires favorables, l’arc du Kurdistan irakien fait l’objet de nouvelles recherches, avec plus de quarante missions internationales 2. Ces recherches sont évidemment les bienvenues, car elles permettent de mettre en lumière une région relativement mal connue. Toutefois, les données apportées sur les sites en cours d’exploration sont quelque peu disproportionnées d’un point de vue géographique notamment, car elles se concentrent principalement dans le centre et le sud-est du Kurdistan irakien, qui correspondent aux gouvernorats actuels d’Erbil et de Suleymaniyeh. Dans le nord-ouest en revanche, les recherches archéologiques sont bien moins nombreuses, entraînant de fait un fort déséquilibre dans les données.

• 3 Également qualifiée de « plateau » ou de « plaine légèrement ondulée avec des collines douces » ; (...)
• 4 Parfois subdivisée en plusieurs petites plaines nommées d’après les grandes villes qui y sont situ (...)
• 5 Parfois divisée en trois plaines : les plaines d’Erbil, de Dibaga et de Makhmur ; Peyronel et Vacc (...)

3C’est là que se situe la plaine de Navkur, au sein de laquelle se trouve Amyan, une des nombreuses plaines sur la rive orientale du Tigre depuis sa sortie des montagnes, en amont de la ville moderne de Cizre, en Turquie (fig. 1). Du nord au sud se trouve d’abord la plaine de Zakho/Silopi, puis la plaine de Dohuk 3, la plaine de al-Qosh 4 et la plaine de Navkur, jusqu’au Grand Zab ; se trouve ensuite la plaine d’Erbil 5, située entre le Grand Zab et le Petit Zab. Enfin, vers le sud, le long du Tigre, la géographie et le climat changent. De même, dans le reste du Kurdistan irakien, plus à l’est, le paysage se modifie ; le gouvernorat de Suleymaniyeh, par exemple, offre un environnement plus montagneux.

• 6 Les « brown soils » ; Buringh 1960.
• 7 Wirth 1962.

4Les plaines à l’est du Tigre sont caractérisées par des sédiments extrêmement fertiles 6 constitués de couches d’alluvions et de réserves naturelles d’eaux non salines. Elles reçoivent aujourd’hui en moyenne entre 400 et 600 mm d’eau de pluie par an, permettant ainsi l’agriculture sèche 7 ; une situation semblable existait certainement dans l’Antiquité. Cet ensemble de plaines septentrionales du Tigre est un des foyers de peuplement les plus importants de la Mésopotamie, entendue comme le territoire traversé par les fleuves du Tigre et de l’Euphrate.

• 8 Pfälzner et Sconzo 2015 ; 2016.
• 9 Morandi Bonacossi et Iamoni 2015.
• 10 Kolinski 2017 ; 2018a ; 2020.
• 11 Ur et al. 2013.

5Depuis les années 2010 et la reprise des activités archéologiques dans le Kurdistan irakien, ce vaste territoire a principalement fait l’objet de prospections par quatre équipes internationales, partiellement publiées : au nord-est, le Eastern Habur Archaeological Survey (EHAS, dir. Peter Pfälzner, université de Tübingen, Allemagne, 2013-présent) 8 ; autour de la plaine de Navkur, le Land of Nineveh Archaeological Project (LoNAP, dir. Daniele Morandi Bonacossi, université d’Udine, Italie, 2012-2018) 9 ; autour du Grand Zab, le Upper Greater Zab Archaeological Reconnaissance (UGZAR, dir. Rafal Kolinski, université de Poznan, Pologne, 2012-2017) 10 ; et dans la plaine d’Erbil, le Erbil Plain Archaeological Survey (EPAS, dir. Jason Ur, université de Harvard, 2012-présent) 11.

• 12 Wilkinson et Tucker 1995.
• 13 Et reprise par Ur 2010.
• 14 De manière générale, voir Collectif 1986.

6Sur la rive opposée du Tigre, la région comprise entre le Jebel Sinjar, la frontière syrienne et le Tigre avait déjà fait l’objet de prospections et de quelques fouilles dans le cadre du North Jezirah Project (NJP, dir. Tony Wilkinson et David Tucker, British School of Archaeology in Iraq, 1986-1990) 12. La périodisation et le découpage en grandes périodes utilisés dans les récents projets de prospection du Kurdistan reposent d’ailleurs sur la chronologie mise en place à cette occasion 13. C’est également à cette époque, dans les années 1980, qu’ont eu lieu les fouilles d’urgence préalables à la création du lac artificiel de Mossoul : 149 sites ont été repérés, mais très peu ont été fouillés, dont moins d’une vingtaine est publiée 14.

• 15 Pour une vue d’ensemble de la période néolithique, voir Huot 1994.
• 16 Pour les dernières recherches sur cette période au Kurdistan, voir Baldi et Gomez Bach 2019.
• 17 Conati Barbaro et al. 2019, p. 217-221.
• 18 Voir plus bas.

7Tous ces programmes de recherches ont permis de mieux comprendre l’occupation de ce territoire depuis la plus haute antiquité. La région est occupée dès le Néolithique précéramique, mais c’est plus particulièrement les établissements relatifs aux premières communautés néolithiques céramiques qui ont été naturellement attestés par les programmes de prospections, tentant tant bien que mal de distinguer la culture de Hassuna (6500-6000 av. J.-C.) puis celle de Halaf (6000-5300 av. J.-C.) et enfin la culture d’Obeid (5300-4500 av. J.-C.) 15. Malheureusement, peu de vestiges permettent de pleinement comprendre les processus de néolithisation de cette région 16, là où les prospections semblent témoigner d’établissements permanents et semi-nomades, en particulier dans la plaine de Navkur, avec des phénomènes de déplacements des établissements : en effet, les sites ne montrent que rarement une continuité d’occupation – surtout pour la transition entre les périodes Halaf et Obeid –, mais plutôt un déplacement sur différents sites avant une installation ferme pour les périodes suivantes 17. Tel est le cas, notamment, du site d’Amyan 18.

• 19 Morandi Bonacossi et Iamoni 2015, p. 21.
• 20 Speiser 1935 ; Tobler 1950 ; Rothman 2002 ; Butterlin 2009.
• 21 Peyronel et Vacca 2015.
• 22 Voir en dernier lieu Stein et Fisher 2019.
• 23 Sur ces questions, voir Rothman 2001 ; Butterlin 2003.
• 24 À ce sujet, voir par exemple Stein 2012.
• 25 Morandi Bonacossi et Iamoni 2015, p. 21.
• 26 Ur 2010.
• 27 Ball, Tucker et Wilkinson 1989.
• 28 Gavagnin, Iamoni et Palermo 2016, p. 130-132 ; Kolinski 2017, p. 583 ; Conati Barbaro et al. 2019, (...)
• 29 Kolinski 2014, p. 14 ; Kolinski 2018a, p. 17.
• 30 Sconzo 2019, p. 155.
• 31 Sconzo 2019, p. 150-151.

8La période du Chalcolithique tardif (4500-3000 av. J.-C.) dans cette région septentrionale de la Mésopotamie suit le processus d’urbanisation amorcé avec vigueur à la période d’Obeid, avec une certaine forme d’intensité : dans la plaine de Navkur par exemple, où se situe Amyan, le nombre d’occupations se multiplie par trois 19. Cette accélération dans l’occupation du territoire s’est nécessairement accompagnée de modes d’échange et de communication à plus longue distance, ainsi que d’une meilleure maîtrise du territoire – possiblement de l’irrigation – permettant une agriculture à plus grande échelle. Les fouilles montrent également le développement de nombreux acquis, tels que la spécialisation artisanale, la technique de la métallurgie du cuivre, l’apparition d’espaces publics, l’échange de biens rares et la hiérarchisation sociale. Les fouilles menées sur le site de Tepe Gawra 20, à quelques kilomètres de Mossoul, ainsi que les récentes découvertes dans la plaine d’Erbil, par exemple, sur les sites de Helawa 21 et de Surezha 22, pour ne citer que ceux-là, ont pu mettre en évidence des processus indigènes de développement des sociétés complexes du nord de la Mésopotamie, en contact avec le sud, certes, mais non pas sous son influence 23. Les établissements qui ont pu ainsi s’installer à la période du Chalcolithique tardif 4, aux alentours de 3500 av. J.-C., n’ont pas investi un territoire avec de nouveaux modes d’urbanisation, d’artisanat et de hiérarchisation sociale ; au contraire, ils sont entrés en contact avec des sociétés ayant déjà acquis un degré de complexification indigène 24. Les données récentes des prospections effectuées depuis 2012 dans la région des plaines du Tigre mettent en avant plusieurs phénomènes, qu’il convient de considérer avec prudence puisque les études sont toujours en cours : le territoire est parsemé de nombreux établissements, mais aucun n’atteint une taille réellement importante 25, à l’inverse de ce que l’on connaît dans le triangle du Khabur avec des sites comme Hamoukar 26, ou même de l’autre côté du Tigre avec un site comme Tell al-Hawa 27. En outre, pour ce qui concerne plus particulièrement les plaines situées au nord du Grand Zab, et à l’inverse des découvertes faites dans la plaine d’Erbil, un des marqueurs les plus répandus de la culture urukéenne du Sud, à savoir les bols à bords biseautés, représente un très faible pourcentage dans les assemblages céramiques 28, à tel point que certains n’ont pas hésité à considérer le Grand Zab comme formant une sorte de frontière dans la diffusion de ce type 29, qui serait restreint aux zones les plus proches du Tigre 30. Ceci étant, il convient tout de même de nuancer – puisque ces hypothèses se fondent sur les résultats des prospections et non pas des fouilles archéologiques – et de noter que des types céramiques méridionaux sont tout de même présents dans les assemblages des sites de la région, bien qu’en faible quantité 31.

• 32 Pour une vue d’ensemble des questions relatives à cette époque, voir Rova et Weiss 2003 ; de maniè (...)
• 33 Pfälzner et Sconzo 2015, p. 112 ; Conati Barbaro et al. 2019, p. 222.
• 34 Morandi Bonacossi et Iamoni 2015, p. 23.
• 35 Pfälzner et Qassim 2017.
• 36 Morandi Bonacossi et al. 2018.
• 37 Kolinski 2018a, p. 17-18 ; Kolinski  2020, p. 216-239.
• 38 Iamoni 2017.
• 39 Ur et al. 2013, p. 97.
• 40 Morandi Bonacossi et Iamoni 2015, p. 23-24.
• 41 Michalowski 1999 ; pour les mentions de Subartu et des autres cités de la région dans les textes d (...)
• 42 Voir en dernier lieu Tenu et al. 2019.
• 43 Ball, Tucker et Wilkinson 1989.
• 44 Matthews 2003.
• 45 Margueron 2004.
• 46 Matthiae et Pinnock 2013.
• 47 C’est notamment chose faite par le groupe de recherche Arcane, qui a scindé en plusieurs régions l (...)

9La période du Bronze ancien (3000-2000 av. J.-C.) s’ouvre avec la période Ninivite 5 (3000-2500 av. J.-C.), correspondant au développement local d’une culture avant tout distinguée par son matériel céramique 32. Le début de cette période semble se caractériser par un léger reflux dans l’occupation des territoires et par une possible réorganisation des occupations 33. Vers 2500 av. J.-C., les territoires montrent une occupation plus massive, jusqu’à quatre fois plus importante dans certaines zones 34, qui amène à la naissance de centres urbains importants : Bassetki 35 dans la plaine de Dohuk (50 ha), Gomel 36 (35 ha), Xrab-i Kilaşin 37 (30 ha) et Amyan (14 ha) dans la plaine de Navkur, Ninive 38 sur les bords du Tigre (40 ha au moins) et Baqrta 39 dans la plaine d’Erbil (80 ha), pour ne nommer que ceux-là, qui continueront à se développer sur la fin du millénaire et au millénaire suivant. Ces sites urbains, cependant, n’atteignent pas la taille importante d’autres sites attestés ailleurs (plus de 50 ha) ; à l’inverse, il semble que le territoire soit occupé par des sites de taille moyenne (10-50 ha) et de petite taille (moins de 5 ha), sans centre important qui capte les occupations environnantes plus petites, attestant certainement une amplification du phénomène rural 40. À cette époque, les plaines sont vraisemblablement comprises dans le Subartu – Subir en sumérien – évoqué pour la première fois dans un texte d’Eannatum et dans les textes d’Ebla 41. À quoi correspondait ce Subartu ? À toute la région nord de la Mésopotamie conçue comme une bande le long du Zagros et du Taurus ? Ou au territoire correspondant au futur « triangle assyrien » autour des villes de Ninive, Assur, Nimrud et Erbil ? Il est évident ici qu’un biais géographique, historique et historiographique est pris, quand on considère de manière extrêmement large une Mésopotamie du Nord qui s’étendrait de la région de Suleymaniyeh jusqu’au coude de l’Euphrate, englobant au même niveau des sites aussi distincts que Kunara 42, Tell al-Hawa 43, Tell Brak 44, Mari 45 et Ebla 46. Le déséquilibre des données récoltées au cours des dernières années explique qu’une région aussi importante soit englobée sous un seul et même terme, mais il est évident qu’il faudra, dans les prochaines années, distinguer cet ensemble en sous-régions qui n’ont ni la même géographie, ni le même climat, ni les mêmes modes de communications et, au final, des réalités historiques et sociales bien différentes 47.

• 48 Pour une vue d’ensemble de la période, voir Liverani 1993 ; Foster 2016.
• 49 Pour une vue d’ensemble de la domination des rois d’Ur III sur le nord de la Mésopotamie, voir Fra (...)
• 50 Sallaberger et Schrakamp 2015, p. 45.
• 51 Pfälzner et Qassim 2017 ; 2018.
• 52 Pour un résumé des noms de territoires du Kurdistan, voir Kepinski et al. 2015, p. 53-58.
• 53 Macginnis 2014.
• 54 Macginnis 2017.

10La période du Bronze ancien se termine, comme en Mésopotamie méridionale, par la domination des grands « empires », celui d’Akkad 48 et celui d’Ur III 49. À l’époque de Sargon (env. 2330-2280 av. J.-C.), il semble que le contrôle akkadien ne dépasse pas, au nord, la ville d’Assur, et c’est sans doute sous le règne de Naram-Sin (env. 2250-2220 av. J.-C.) que la région des plaines à l’est du Tigre passe sous le contrôle d’Akkad, comme en attesteraient peut-être le relief de Pir Hussein et la fameuse statue de Bassetki retrouvée sur le site éponyme, probable Maribadam que Naram-Sin dit avoir détruit 50. Les prospections ont montré que le tell haut, d’une surface approximative de 5 ha, a été occupé depuis la période du Chalcolithique tardif jusqu’à la période islamique, tandis que la ville basse, qui pourrait s’étendre au moins sur une cinquantaine d’hectares, l’a été seulement aux périodes du Bronze ancien et du Bronze moyen 51. Les niveaux du III^e millénaire n’ont pas encore été atteints, mais les futures fouilles permettront très certainement d’éclairer la nature de l’occupation sur le site pendant la période akkadienne. Ceci étant, aucune fouille archéologique à l’heure actuelle n’a pu démontrer la domination concrète du pouvoir akkadien sur cette région. Ce qui demeure certain, c’est que les textes sont muets sur les populations vivant dans cette région, là où ils sont plus diserts sur les populations vivant dans le sud-est de l’actuel Kurdistan irakien, où se trouvent les pays de Simurrum et du Lullubum (autour de la ville moderne de Suleymaniyeh ?) 52. Après la chute du pouvoir akkadien, la région regagne peut-être une forme d’autonomie. Le pouvoir Guti, dans les montagnes du Zagros, évoque à nouveau les pays de Simurrum et du Lullubum, auquel il accole celui d’Urbilum (correspondant à l’actuelle ville d’Erbil) 53. À nouveau, à l’époque d’Ur III, les trois pays sont mentionnés dans les textes du roi Shulgi, relatant ses conquêtes et ses incursions dans les montagnes septentrionales de Mésopotamie, aux côtés du Shashrum, se situant dans les environs de l’actuelle plaine de Rania, et du Shimanum, dans la région du Haut-Tigre, très certainement autour des villes actuelles de Diyarbakır et de Mardin, en Turquie. Est également évoquée pour la première fois la ville de Ninive, dont le roi Tish-atal est un vassal de Shu-Sin 54. Dans cette configuration, on peut imaginer que les plaines à l’est du Tigre étaient sous la domination soit de la ville de Maribadam, soit de Ninive.

• 55 Wilhelm 1989 ; Ahmad 2012, p. 168-228.
• 56 Charpin 2004 ; 2015.
• 57 Correspondant peut-être au site moderne de Kurd Qaburstan ; Schwartz et al. 2017.
• 58 Shawaly 2015.
• 59 Yuhong 1994 ; Ziegler 2004 ; Ahmad 2012, p. 344 ; Macginnis 2017.
• 60 Morandi Bonacossi et al. 2018, p. 74, 151.
• 61 Charpin et Ziegler 2003, p. 99 pour la prise de Nurrugum, p. 93 pour la prise de Ninive par le mêm (...)
• 62 Ziegler 2002, p. 223-228.
• 63 Ahmad 2012, p. 479-480.
• 64 Morandi Bonacossi et Iamoni 2015, p. 24.

11Entre la chute du royaume d’Ur III et l’avènement du royaume mitannien, les quatre premiers siècles du II^e millénaire, qui correspondent à la période du Bronze moyen (2000-1600 av. J.-C.), sont épisodiquement documentés par les textes. La région des plaines de l’est du Tigre est très certainement habitée par des populations amorrites et principalement hurrites, arrivées à la fin du III^e millénaire 55. Le territoire est probablement morcelé entre plusieurs royaumes, parmi lesquels le royaume amorrite de Qabra 56, qui dirigeait le territoire de la plaine d’Erbil 57, ou encore l’Utum, dont la capitale, Shushara, se situe à Shemshara, dans les environs de la ville moderne de Rania 58. Pour la zone d’Amyan, dans la plaine de Navkur, il est fort probable, à l’instar de la ville de Ninive, qu’elle ait été dépendante à cette époque du puissant royaume de Nurrugum 59, dont il a été récemment proposé que la capitale éponyme se situe sur l’actuel site de Gomel 60, occupé depuis la période du Chalcolithique tardif jusqu’à la période islamique de manière quasi ininterrompue. Le site est composé d’un tell haut s’élevant à 38 m au-dessus de la plaine, d’une surface de 1,5 ha. La ville basse quant à elle s’étend sur une trentaine d’hectares, dont une partie a disparu par érosion due à la rivière du même nom qui passe au pied du site. D’après les récentes recherches, il semble que l’étendue maximale du site ait été atteinte à la période du Bronze moyen, avec une occupation de 35 ha. Les niveaux de cette période ont notamment révélé une importante nécropole avec deux tombes construites, fruit d’une élite qui laisse penser que Gomel était un centre important de la plaine, peut-être le siège du royaume local. Nurrugum tombe sous les coups de Samsi-Addu (1815-1775 av. J.-C.) et fut intégrée à l’éphémère royaume de Haute-Mésopotamie, dont le territoire s’étendait des piémonts du Zagros au nord et à l’est, jusqu’au coude de l’Euphrate à l’ouest et aux limites du royaume rival et voisin d’Eshnunna au sud 61. Ekallatum, sa capitale, n’a pas été retrouvée, mais se situait vraisemblablement sur le Tigre, en amont de la ville d’Assur 62. À la mort de Samsi-Addu en 1775 av. J.-C., son royaume éclate et la région de Ninive pourrait avoir été temporairement intégrée au royaume babylonien de Hammurabi (1792-1750 av. J.-C.), comme le suggère la mention de Ninive comme une des villes prises par Hammurabi, sur la fameuse stèle de son code 63. Il semble que la région passe ensuite rapidement sous domination d’un royaume hurrite avant d’être intégrée au royaume du Mitanni. Dans tous les cas, on observe que cette période du Bronze moyen révèle une occupation importante des territoires 64.

• 65 Voir par exemple Freu 2003 ; Cancik-Kirschbaum, Brisch et Eidem 2014.
• 66 Puljiz et Qassim 2018 ; 2019.
• 67 Puljiz et Qassim 2019, p. 33-34.

12Cette occupation chute quelque peu lorsque la région passe sous l’occupation du royaume du Mitanni (1600-1300 av. J.-C.). Un certain nombre de flous et d’incertitudes demeurent au sujet de ce royaume 65, mais il est à peu près certain que le territoire des plaines à l’est du Tigre est passé sous sa domination. Récemment, sur le site moderne de Kemune, sur la rive est du lac de Mossoul, un palais mitannien a été dégagé 66. Les restes fouillés s’étendent sur une surface de 900 m². Parmi les découvertes, des clous muraux et des textes pourraient assimiler le site à la ville de Zahiku 67.

• 68 Pour une vue plus détaillée de cette période, voir Tenu 2009.
• 69 Pappi 2016.
• 70 Faist dans Pfälzner et Qassim 2018, p. 65.
• 71 Rouault et Masetti Rouault 2016, p. 214-215.
• 72 Reade 1978, p. 178 ; Reade et Anderson 2013, p. 74.
• 73 Morandi Bonacossi et Iamoni 2015, p. 24-25.

13À partir de 1300 av. J.-C. s’amorce le déclin de la puissance du royaume du Mitanni et l’émergence du pouvoir des rois assyriens qui, pendant sept siècles, dépasse progressivement le territoire de la ville d’Assur pour conquérir les anciens territoires mitanniens. À la période médio-assyrienne (1300-1000 av. J.-C.), ce sont les rois Assur-Uballit I^er (1353-1318 av. J.-C.) et les trois souverains du xiii^e siècle Adad-Nirari I^er (1295-1264 av. J.-C.), Salmanazar I^er (1263-1234 av. J.-C.) et Tukulti-Ninurta I^er (1233-1197 av. J.-C.) qui posent les bases de l’empire assyrien territorial 68. C’est certainement sous le règne de Assur-Uballit I^er que les plaines à l’est du Tigre passent sous la domination du pouvoir assyrien, à l’instar de Ninive. Selon quelle modalité ? Cela reste à confirmer, mais l’on sait que dans certaines provinces – suivant le découpage vraisemblablement opéré par Salmanazar I^er – les Assyriens laissent en place les rois locaux, tant qu’ils font preuve d’allégeance, comme à Satu Qala par exemple 69. Récemment, la découverte de tablettes à Bassetki a permis d’y localiser le siège de la province de Mardama 70. Le territoire à cette époque est structuré et bien contrôlé, comme l’atteste par exemple la découverte à Qasr Shemamok, ancienne Kilizu, d’un palais construit par Adad-Nirari I^er 71. La région de la plaine de Navkur, quant à elle, s’est certainement trouvée au centre des campagnes de Tiglath-Phalazar I^er (1114-1076 av. J.-C.) contre le pays de Musri 72. Elle est en tout cas parsemée de nombreux établissements à cette époque, qui culminent à l’époque néo-assyrienne pour atteindre la plus forte densité d’occupation enregistrée par les prospections 73.

• 74 Pour la période en général, voir Altaweel 2008 ; pour les travaux d’irrigation, voir Bagg 2000 ; M (...)
• 75 Ur 2018.
• 76 Morandi Bonacossi 2016.
• 77 Morandi Bonacossi 2014 ; Reade et Ur 2015 ; Morandi Bonacossi 2018.
• 78 En dernier lieu, voir Edmonds dans Pfälzner et Sconzo 2016, p. 45-46.
• 79 Morandi Bonacossi 2018.
• 80 Radner 2011.
• 81 Pfälzner et Sconzo 2015, p. 114.
• 82 Reade 1978, p. 169 ; Reade et Anderson 2013, p. 74-75 ; Morandi Bonacossi et al. 2018, p. 75.
• 83 Reade et Anderson 2013, p. 74.

14Cette période néo-assyrienne (1000-612 av. J.-C.) se caractérise par un contrôle du territoire extrêmement fort à travers la maîtrise de l’eau et de l’irrigation, comme l’ont montré de très nombreuses et récentes recherches 74. Des travaux de création et d’aménagements de canaux d’irrigation et de circulation des marchandises se sont multipliés dans le « triangle assyrien » 75, accompagnés de la construction d’aqueducs 76 et de quais 77. Ces travaux d’aménagement du territoire se sont accompagnés de très nombreux reliefs gravés aux endroits stratégiques liés à l’eau, qu’il s’agisse de sources ou d’embranchements de canaux artificiels, tels que le relief de Tiglath-Phalazar III (745-727 av. J.-C.) à Mila Mergi 78, les reliefs de Sennacherib (705-681 av. J.-C.) à Khinnis, ou encore ceux de Maltai, récemment attribués à Sargon II (722-705 av. J.-C.), tout comme ceux fraîchement mis au jour à Faideh 79. Ces reliefs se trouvent aussi en périphérie de l’empire, à la frontière avec l’ennemi septentrional de l’Urartu 80. Les prospections récentes, notamment celles autour de Dohuk, ont cependant montré que les sites, nombreux, demeurent pourtant de taille réduite 81. Dans la plaine de Navkur, le site de Gomel est probablement demeuré un centre important, correspondant peut-être à la ville de Gammagara/Gamgamara citée par Sennacherib sur ses inscriptions de l’aqueduc de Jerwan 82. Il existe aussi d’autres noms de villes ou de territoires que l’on situe dans la plaine de Navkur : Hannusa, Halahhu, ou encore Kurbail 83.

• 84 Morandi Bonacossi et Iamoni 2015, p. 29-30 ; Kolinski 2018b, p. 101.
• 85 Sur cette période de manière plus générale, voir Briant 1996.
• 86 Kolinski 2018b.
• 87 Reade et Anderson 2013, p. 75-76.

15Après la chute de l’empire assyrien s’ensuit une diminution drastique des occupations à la période communément appelée post-assyrienne (612-330 av. J.-C.) 84, qui voit certainement la domination mède puis perse sur le territoire des plaines à l’est du Tigre 85, sans que ces modalités d’occupation soient clairement perceptibles 86. La domination perse sur la région tombe en 331, lors de la fameuse bataille de Gaugameles, qui selon toute vraisemblance eut lieu dans la plaine de Navkur, près de Gomel 87.

• 88 Capdetrey 2007.
• 89 Palermo 2016, p. 280-286.
• 90 Morandi Bonacossi et Iamoni 2015, p. 29 ; Palermo 2016, p. 286-289.
• 91 Reade et Anderson 2013, p. 117-118.
• 92 Maricq 1958.
• 93 Mousavi et Daryaee 2012 ; Palermo 2016, p. 289-291.
• 94 Morandi Bonacossi et Iamoni 2015, p. 29-32.

16S’ouvre alors la période hellénistique (330-125 av. J.-C.), qui correspond en réalité à la domination séleucide sur la région 88 et qui voit la réoccupation ponctuelle des centres assyriens 89, puis la période parthe (125 av. J.-C.-250 apr. J.-C.), qui marque un nouveau pic d’occupation, alors que le territoire est intégré au royaume d’Adiabène 90. Le pouvoir parthe s’est notamment illustré dans la région par un certain nombre de reliefs sculptés, tel que celui de Gali Zerdak, sur le Jebel Maqlub, à une quinzaine de kilomètres d’Amyan 91. Après un bref passage sous la domination romaine en faisant partie de la province romaine d’Assyrie 92, la région tombe sous le pouvoir des Sassanides (250-650 apr. J.-C.) 93, puis est intégrée aux empires arabo-musulmans successifs (600-1900 apr. J.-C.), avec une réduction marquée dans le nombre d’occupations 94.

• 95 Morandi Bonacossi et Iamoni 2015, p. 9-39 ; Gavagnin, Iamoni et Palermo 2016, p. 119-169.

17En dépit d’une histoire globale de cette région que l’on parvient à retracer, de très nombreux points relatifs à l’occupation de ces plaines, notamment celle de Navkur, nous échappent encore grandement. Il a ainsi été décidé d’ouvrir une fouille archéologique sur un site multi-périodes, qui permettrait notamment de caler les résultats des prospections sur des découvertes en contexte et ainsi d’établir des référentiels fiables, pour la céramique, mais également toute la culture matérielle de la micro-région. Il s’agit également d’éclairer la question de l’occupation de la plaine et du contrôle de l’environnement par les différentes sociétés et les différents pouvoirs qui se sont succédé. De ce point de vue, les prospections menées par l’équipe du LoNAP ont apporté des résultats extrêmement intéressants au sujet de la plaine de Navkur, qui montre une densité de sites exceptionnelle et une occupation presque continue depuis le VII^e millénaire av. J.-C. jusqu’à l’époque médiévale 95. Les prospections effectuées ont ainsi recensé plus de 400 sites dans cette région extrêmement fertile, traversée par une multitude de ruisseaux et de rivières dont la plus importante, al-Khazir, se jette dans le Grand Zab. D’une largeur approximative de 30 km, cette plaine est délimitée au nord par les contreforts de Zagros, à l’ouest par la plaine de al-Qosh et par le lac moderne de Mossoul, à l’est par le Grand Zab et au sud par le Jebel Maqlub et le Jebel Bardarash, séparés par une passe traversée par la rivière al-Khazir et permettant l’accès à Ninive, situé à une cinquantaine de kilomètres d’Amyan (fig. 2). Le site d’Amyan est à égale distance des sites de Tell Brak et de Kunara, à 55 km au nord-ouest d’Erbil et à 12 km au sud-est de Gomel. Le site est localisé au bord de la rivière Kurabak, tributaire de la rivière al-Khazir.

• 96 Site n^o 54 de l’Atlas archéologique irakien ; Salman 1976.
• 97 Reade et Anderson 2013, p. 73-74.
• 98 D’après les habitants du village moderne.

18Déjà repéré comme un site important de la plaine de Navkur dans les années 1940 96, puis en 2009 97, Amyan est composé d’un tell et d’une ville basse, en partie recouverte par un village moderne établi dans les années 1970 (fig. 3). Le tell, de forme ovoïde et orienté nord-est/sud-ouest, mesure 4 ha à sa base et domine la plaine environnante de 26 m de hauteur depuis son point le plus haut, où pourrait se situer un cimetière sassanide 98. La surface du tell n’est pas plate et présente plusieurs « plateformes », depuis le point le plus haut, au sud-ouest, jusqu’à la plate-forme la plus basse au nord-est (fig. 4 et 5). Elles dessinent ainsi au moins trois niveaux, que les fouilles ultérieures seront à même d’expliquer.

• 99 D’après les habitants du village moderne.
• 100 De nombreuses autres fosses dépotoirs modernes ont été creusées sur le tell et dans la ville basse (...)
• 101 Couturaud 2020a.

19Le tell a subi quelques dégradations au cours de son histoire récente (fig. 6). En 2003 d’abord, lors d’affrontements violents entre l’armée de Saddam Hussein, installée dans la ville moderne de Bardarash, à quatre kilomètres à vol d’oiseau d’Amyan, et les peshmerga, postés sur le tell, dans sa partie sud-ouest. Aujourd’hui, des traces de ces combats restent visibles, dont une tranchée aménagée sur une partie des côtés sud et est, et deux zones de cratères, également dans la partie sud-ouest du monticule. Au nord du tell, un cratère plus important est visible, ne résultant pas de bombardements, mais d’une fouille illégale pratiquée par les villageois, dans les années 1970, sous la forme d’une fosse creusée à 13 m de profondeur 99. Enfin, au pied du tell, deux zones ont été excavées : au nord, une importante fosse dépotoir 100 ; sur le côté est, de la terre a été prélevée dans les années 1970 par les villageois pour la construction de maisons en briques crues. Ce creusement dans le flanc du tell a permis de révéler une section importante dans laquelle est clairement visible un dallage de briques cuites qu’il est possible de suivre sur une longueur de presque 5 m. C’est à proximité de ce dallage qu’a été installée la première tranchée explorée dans le cadre de la première campagne de fouilles effectuée en 2019 101.

• 102 https://corona.cast.uark.edu/atlas.

21La ville basse s’étend autour du tell, sur ses côtés est et sud, sur une surface d’une dizaine d’hectares. Les images déclassifiées du programme Corona permettent de fournir également quelques informations intéressantes sur cette ville basse 102. Les trois photographies disponibles sur Amyan, prises en août 1968 et août 1969, montrent notamment que le village est en partie établi sur les vestiges d’une occupation grossièrement rectangulaire, mesurant approximativement 100 × 150 m de longueur, située du côté sud-ouest du tell (fig. 8). D’autres recherches archéologiques aideront à dater cette occupation basse et à comprendre sa forme particulière.

• 103 Morandi Bonacossi 2020.
• 104 Morandi Bonacossi et Iamoni 2015, p. 22-23.
• 105 Pfälzner et al. 2017, p. 48-50.
• 106 Pfälzner et Sconzo 2015, p. 110.

22Le site d’Amyan fait partie d’un cluster, un groupe de huit sites plus petits et un neuvième site plus important de 10 ha autour du tell principal (fig. 9). Repérés par l’équipe du LoNAP et prospectés en 2012 et 2016, ils sont localisés dans un rayon de 700 m autour du tell principal – à l’exception du site n^o 577, situé à 1,20 km au nord-est du tell central – sur une surface d’une centaine d’hectares 103. Le ramassage de surface effectué par l’équipe du LoNAP a mis en évidence une occupation du tell principal et de la ville basse depuis le Chalcolithique tardif jusqu’à la période islamique, mais l’occupation sur les sites périphériques remonte au VII^e millénaire. Ainsi, le cluster d’Amyan a été occupé au cours des périodes suivantes : Hassuna, Halaf, Obeid, Chalcolithique tardif, Ninivite 5, deuxième moitié du III^e millénaire, Bronze moyen, Mitanni, médio-assyrien, néo-assyrien, post-assyrien, parthe et islamique (tableau). Les périodes les plus représentées sur le site sont les âges du Bronze ancien et du Bronze moyen (III^e et II^e millénaires av. J.-C.). Ce phénomène de cluster est bien documenté sur d’autres sites de la région, tels que Jehariyah 104 ou encore Muqable 105, dans la plaine de Dohuk, qui a aussi révélé, sur huit petits sites répartis dans un rayon d’un kilomètre, une occupation quasi continue depuis le Chalcolithique tardif jusqu’à la période islamique 106.

• 107 Morandi Bonacossi 2020.

23Les premières occupations à la période néolithique, durant les périodes de Hassuna, Halaf et Obeid, semblent s’être établies d’abord au nord du tell principal, sur deux petits sites dont un situé de l’autre côté de la rivière. Le tell principal ainsi que la ville basse n’auraient été occupés qu’au Chalcolithique tardif, avec une occupation persistante au nord 107.

• 108 Morandi Bonacossi 2018, p. 63.

25La période du Bronze moyen témoigne de l’extension maximale avec un total de sept sites occupés sur neuf, outre le tell principal et sa ville basse. La période du Mitanni marque une légère chute dans l’occupation et, contrairement à ce qui a été observé ailleurs, l’occupation à la période médio-assyrienne ne semble pas non plus extrêmement forte. C’est à la période néo-assyrienne que l’occupation s’amplifie, et il semble qu’à cette époque, Amyan soit un des sites les plus importants de la plaine de Navkur 108.

• 109 Morandi Bonacossi 2020.

26Les prospections montrent pour la période post-assyrienne et les périodes suivantes un déclin très prononcé des occupations à Amyan, avec l’abandon du tell à la période parthe et un abandon total à l’époque sassanide, puis une occupation limitée à la ville basse et à deux petits sites périphériques aux époques islamiques 109. Le site a probablement été complètement abandonné à une époque relativement tardive, entre les xv^e et xvii^e siècles.

• 110 Je tiens ici à remercier tous ceux qui ont permis la réalisation de cette campagne de fouilles : K (...)

27La première campagne de fouilles au printemps 2019 avait pour objectif d’explorer les différents niveaux du tell afin d’avoir une vision d’ensemble de son occupation et de sa chronologie 110. Pour cette raison, une tranchée de 32 m de long, 3 m de large et 13 m de haut, orientée est/ouest, a été ouverte (fig. 10). Cette tranchée, correspondant au secteur A, a été divisée en trois chantiers de 10 m de long, séparés chacun par une berme de 1 m de large. Dans le laps de temps relativement court de la mission, la tranchée n’a pu être dégagée dans son intégralité. Les travaux de la prochaine campagne permettront, entre autres, de lier les chantiers A1 et A2, et d’explorer les niveaux les plus profonds du chantier A3. Cette future campagne permettra également de finir l’étude du mobilier céramique et de préciser la datation des vestiges dégagés.

• 111 Pique, Ali Amin et Sharef 2020.

28La première phase dégagée de la tranchée, dans le chantier A1, est assez mal conservée (fig. 11). Elle se caractérise par une allée dallée en morceaux de tabuks cassés et réutilisés, associée à un mur de pisé parallèle 111. Le mauvais état de conservation des vestiges et la proximité avec la surface n’ont pas permis de dater avec précision cette phase.

• 112 Comme retrouvée à Gomel, par exemple, dans un bâtiment de prestige daté de la période du Bronze mo (...)

29La deuxième phase, toujours dans le chantier A1, se caractérise par un bâtiment qui revêt toutes les caractéristiques d’un bâtiment d’importance de type administratif, potentiellement palatial et/ou religieux. Seule une petite partie a pu être dégagée, en bordure de tell. Un mur, correspondant selon toute vraisemblance au mur extérieur du bâtiment, parallèle à la pente du tell, orienté nord/sud, d’une largeur de 1,50 m, est composé de briques dont il n’a pas été possible de distinguer le module (fig. 12). Côté intérieur, ce mur délimite un espace fermé dont seule une petite partie a pu être dégagée. Sur le sol se trouvait un ensemble de briques cuites carrées, qui peuvent soit correspondre à un reste de pavement de cour arraché, soit à une installation de foyer propre à une pièce fermée et recouverte d’une toiture 112 – bien qu’aucune trace de combustion n’ait été retrouvée à proximité immédiate. Ce bâtiment repose sur une épaisse couche de terre homogène qui pourrait résulter d’un nivellement ou d’une surélévation. Dans tous les cas, ce bâtiment ne semble pas être une phase d’un bâtiment antérieur ; il s’agit bien d’un édifice résultant d’un urbanisme planifié et nouveau dans ce secteur du tell.

• 113 Colonna d’Istria 2020.
• 114 Powell 1987-1990, p. 474 ; Sauvage 1998, pl. 34, 42, 51.
• 115 Sur le site de Muqable III, les fouilles ont mis au jour un mur interprété comme un mur de fortifi (...)

30Dans le chantier A2 a été mis au jour un mur massif, également orienté nord/sud, très légèrement désaxé par rapport à l’est, ici aussi, donc, parallèle au bord du tell 113. Ce mur de briques crues, d’une largeur de 3,60 m, est conservé sur une hauteur de 2,60 m (fig. 13). Il a été construit avec des demi-briques crues rectangulaires (18 × 36 × 12 cm) et des briques crues carrées (36 × 36 × 12 cm) : ce module correspond aux 2/3 d’une coudée assyrienne, fréquemment utilisée au cours des II^e et I^er millénaires av. J.-C., plus particulièrement pour la période néo-assyrienne 114. Les joints entre les briques sont très nets et mesurent environ 4 cm. De manière générale, ce mur est remarquable par l’excellente qualité de ces briques, compactes et homogènes, posées de manière extrêmement régulière, et dont la couleur tranche très nettement avec celle des joints. Il est peu probable que ce mur appartienne à un bâtiment, car les couches archéologiques mises au jour côté intérieur ont livré un certain nombre d’ossements d’animaux et ont la même direction que la pente, ce qui semble mettre en évidence un contexte extérieur. La surface de circulation de ce mur, côté intérieur, n’a malheureusement pas été atteinte cette année. Dans l’état actuel des données, il semble que ce mur corresponde à une enceinte, placée en bord de tell, qu’il s’agisse de l’enceinte d’un quartier, ou bien d’un rempart 115.

• 116 Couturaud 2020b.
• 117 Sur le site de Qasr Shemamok a été mise au jour une structure proche, qui se caractérise également (...)

31Ce mur repose sur une structure massive, soit un glacis, soit une terrasse, dégagée dans le chantier A3 116. Orientée nord/sud, cette structure est composée de briques carrées, mesurant approximativement 40 cm. Ces briques se caractérisent par leur mauvais état de conservation, leur friabilité et leur hétérogénéité : tessons, cailloux, ossements de faune 117. Il semble qu’aucune attention n’ait été portée à la partie extérieure de cette masse, contrairement aux briques intérieures, plus pures et compactes. Malheureusement, faute de temps, sa largeur totale n’a pu être déterminée, mais dans les limites du chantier, la largeur minimale dégagée est de presque 4 m, pour une hauteur de 3 m environ. Il pourrait s’agir d’un système de terrassement ; il pourrait également s’agir du glacis correspondant au rempart dégagé dans le chantier A2. Le rôle de fortification pourrait être confirmé par la découverte d’une pointe de flèche en fer, à la section en forme d’étoile à trois branches (fig. 14).

• 118 Couturaud 2020c ; sur les clous, alternativement appelés wall knob, wall peg et wall nails en angl (...)
• 119 Howard Carter 1964, p. 40.
• 120 Loud 1936, p. 99 ; Loud et Altman 1938, p. 42-43.

32Le caractère exceptionnel de cette architecture massive a été confirmé par la découverte, sur les trois chantiers, d’une collection de quatre fragments de cônes de terre cuite en forme de clous 118 (fig. 15). Dans le chantier A1, le clou dégagé n’est conservé que dans sa partie supérieure : de section rectangulaire, il est orné d’une petite collerette entre la tête et la tige 119. Dans le chantier A2, deux fragments de clous ont été retrouvés : le premier, également conservé dans sa partie supérieure, présente une tige à section ronde et une tête saillante, également circulaire et légèrement bombée ; le second, conservé uniquement dans sa partie inférieure, présente une tige à section sensiblement rectangulaire. Le dernier clou, retrouvé dans le chantier A3, pourrait correspondre à la partie supérieure de ce dernier – bien que non retrouvé à proximité – : de section carrée et s’amincissant vers le bas pour ébaucher une section légèrement rectangulaire, la tête, carrée, est très légèrement saillante. Typologiquement inédits, ces clous font certainement partie de la catégorie de clous que l’on connaît plus habituellement, généralement fichés dans des murs, mais dont la fonction demeure indéterminée ; on a pensé qu’il pouvait s’agir de clous destinés à fixer des plaques ou des systèmes d’ouverture de portes. Datant de la fin du II^e millénaire av. J.-C. ou de la période néo-assyrienne, ces clous sont caractéristiques de l’ornementation d’architecture monumentale, qu’il s’agisse de temples, palais ou portes monumentales. S’agit-il de sikkattu ? Des exemplaires ont été retrouvés à Khorsabad sur la face extérieure du temple de Nabu, fichés dans des assises de briques cuites, et interprétés comme une décoration extérieure à vocation religieuse 120, mais il s’agit de formes céramiques creuses, ressemblant à des bouteilles, qui ne sont pas assimilables aux objets d’Amyan. De manière générale, ces clous s’inscrivent dans la lignée des cônes muraux.

• 121 Babour 2020.

33Du point de vue de la datation céramique, la difficulté principale a été relative aux contextes dégagés : de l’architecture monumentale et trop peu de sols et de contextes clos 121. La poterie des fouilles 2019 d’Amyan provient en effet principalement de couches d’érosion ou de remplissage, une situation qui explique en grande partie la présence de céramiques datant de différentes périodes dans la plupart des unités stratigraphiques excavées lors de cette campagne dans le secteur A. Il semble ainsi – dans l’attente de l’achèvement de l’étude du matériel de cette campagne – qu’on puisse dater les vestiges dans une fourchette comprise entre la fin du II^e et le début du I^er millénaire av. J.-C.