1Les actes du 11^e Icaane ont été publiés selon l’usage deux ans après la tenue du congrès du même nom à l’université Ludwig Maximilien du 3 au 7 avril 2018. Les organisateurs de cette conférence, qui se tient sur une base bisannuelle depuis 1998, ont accueilli 800 participants de 40 pays. 400 communications ont été présentées dans 9 sections parallèles, rangées en fonction de 8 thèmes, et 220 dans des workshops qui font l’objet d’éditions spécifiques.

296 de ces communications sont présentées dans ce premier volume considérable qui correspond aux sections 1 à 6 de l’Icaane, le deuxième volume étant dévolu aux rapports de fouille et à l’archéologie islamique. Les 6 thèmes retenus sont : mobilité au Proche-Orient ancien, images dans leur contexte, archéologie comme patrimoine culture, archéologie du Proche-Orient ancien genrée, contexte sociétal de la religion, façonner l’espace de vie. 3 de ces sections ont fait l’objet d’une communication plénière par Ian Hodder, Roger Matthews et Ursula Calmeyer Seidl.

3L’intérêt premier de la publication de ces Icaane est de fournir dans un délai raisonnable un panorama exceptionnel et varié des recherches en cours, en fonction de diverses tendances propres à l’évolution de la discipline, et les thèmes retenus sont assurément l’expression de cette évolution comme le soulignent Adelheid Otto et Paolo Matthiae dans leurs allocations d’ouverture. Ils insistent notamment sur l’importance accrue que jouent désormais dans ces colloques les questions patrimoniales compte tenu des catastrophes répétées qu’a subies la région depuis les deux dernières décennies au moins.

49 communications sont dévolues au premier thème (p. 9-118), « mobilité au Proche-Orient ancien ». Celui-ci fait l’objet d’une brillante présentation par Roger Matthews. 3 communications sont centrées sur l’âge du Fer, deux sur le Néolithique, deux sur l’âge du Bronze et une est trans-périodique. Roger Matthews, avant de présenter une approche synthétique des mobilités néolithiques, insiste sur l’importance que joue la question dans les grands défis de l’archéologie définis par Kintigh et al. en 2014 : expliquer la dispersion des êtres humains, comprendre les relations entre ces mobilités et leur environnement naturel, en terme de dynamique de peuplement, comprendre les adaptations à des milieux extrêmes, pourquoi enfin les migrations se produisent-elles et conduisent à des comportements culturels variés, du repli identitaire à l’acculturation. Roger Matthews note surtout l’apport récent des études d’ADN humain ou animal en insistant sur le problème que pose l’exportation de véritables « packages » agricoles, que ce soit vers l’Europe ou vers l’Asie centrale, un processus qui reste toujours mal compris. Les études publiées à la suite de cette présentation sont plus modestes, et pour la plupart restreintes à l’étude des mouvements possibles de classes spécifiques d’artefacts considérés comme des fossiles directeurs d’interactions culturelles ou d’échanges.

5À cet égard, les études consacrées à l’âge du Fer, par Suzanne Dibo, sont révélatrices d’une approche de type globalisante, destinée à expliquer la présence d’artefacts divers, depuis les pots à cuisson sud levantins, jusqu’aux vaisselles de verre trouvées à Lor Berd ou aux ivoires syro-phéniciens présents dans les capitales assyriennes. Expression d’une production centralisée ou de transferts culturels, ils participent de phénomènes d’homogénéisation à diverses échelles. L’histoire de tels phénomènes trouverait son explication dans les études consacrées à l’âge du Bronze dans les mobilités d’artisans eux-mêmes porteurs d’un savoir complexe importé dans des milieux sans développement local de ce type de connaissances. Qu’il s’agisse de l’apparition des lames cananéennes au Levant Sud ou de la richesse de l’orfèvrerie des Kurgans de Trialetti, ce seraient ces artisans les agents des transferts en question. Les 2 études consacrées au Néolithique, respectivement aux fameux « husking trays » du Néolithique céramique ancien et aux routes de l’obsidienne, insistent, elles, en revanche sur l’importance des phénomènes de globalisation, liés à des techniques communes de production du pain ou d’outils hautement performants.

6Le deuxième thème, « images dans leur contexte », est le sujet de 15 articles qui traitent un large éventail de contextualisations d’images dans le temps et dans l’espace. Ursula Seidl présente une introduction par l’exemple en traitant du motif fameux du disque solaire ailé. Elle montre ainsi comment ce motif bien connu en Égypte depuis l’Ancien Empire est passé de la Syrie du Bronze moyen au monde mitannien puis assyrien, avec une série de mutations signifiantes qui sont autant d’adaptations voire d’hybridations : sont étudiées en détail les multiples manifestations du disque ailé, qui trouve sous Assurnazirpal II en particulier un espace spécifique de représentation, notamment dans les reliefs narratifs. Resté associé au soleil, ce motif trouve sous Assurbanipal puis tardivement dans le monde néo-babylonien de nouveaux modes d’expression avant de devenir le disque ailé assyro-achéménide adopté par Darius I^er. Le disque solaire revient dans une autre communication cette fois centrée sur les variantes du motif solaire en Anatolie, de l’époque des colonies assyriennes au Bronze récent. Décrypter les variantes de ces motifs religieux est au cœur des 2 communications de Dietz et Meijer sur les variantes complexes des dieux de l’orage au Proche-Orient. Le motif du combat bien connu pour le III^e millénaire est lui aussi analysé dans ses différentes dimensions par Diana Stein et Katharina Zartner. Rita Dolce propose une approche synthétique en allant plus loin que Meijer sur la question tant débattue des spectateurs et de la manière dont ils percevaient ces médias, jusqu’à l’époque néo-assyrienne. On sait l’importance que revêtent les études récentes sur cette période : on en trouve trois expressions dans les études d’Amir Golani, Eva Götting, Francesca Minen et Elisabeth Wagner Durand.

7Trois autres thèmes de cet Icaane sont beaucoup moins bien représentés : la section 3 sur le patrimoine, la section 4 sur le genre et la section 5 sur le contexte social de la religion. Le conflit syrien est traité dans 2 communications qui disent combien il pèse sur le développement de l’archéologie syrienne et surtout des archéologues syriens. Le monde néo-assyrien est au cœur de la recherche sur le genre avec les données issues du site de Nimrud, présentées par Eva Schmalenberger. L’étude proposée par Öznur Özmen est une tentative de comprendre en termes sociologiques les énigmatiques idoles aux yeux, un jalon majeur du développement du monde religieux au IV^e millénaire avant notre ère.

8Le dernier et sixième thème, « Shaping the living space », fait l’objet de 9 articles qui sont le reflet de la profonde évolution de l’approche de l’architecture domestique dans ses différentes dimensions. L’éventail traité est très large et fait la part belle aux villages néolithiques, en Iran ou au cours de la période de Halaf. Le monde est anatolien, hittite et urartéen fait l’objet de 3 articles, 2 autres étant consacrés au Levant et à l’Arabie. Étonnamment, le monde mésopotamien n’est pas traité.

9Les actes de cet Icaane sont donc une mine d’informations très diverses, c’est le principe de l’exercice qui témoigne de la vitalité et du renouvellement d’approches qui structurent l’évolution de la discipline.

10Le deuxième volume des actes est dévolu aux rapports de fouille et à l’archéologie islamique. Il comprend 677 pages. Comme le soulignent les éditeurs, il est bien difficile d’éditer un ensemble aussi vaste et hétérogène de présentations qui sont assurément représentatives, c’était l’objectif, de la diversité à la fois des terrains et des méthodes propres à la discipline. Un choix important aussi a été d’inclure des analyses portant sur des fouilles anciennes, qui après tout ne sont qu’une autre manière de mener des fouilles, cette fois en archives.

11Le résultat est un ensemble impressionnant : 39 articles qui mélangent rapports de terrain pluri-annuels ou annuels, avec analyses de données céramologiques ou de faune. 10 d’entre eux sont consacrés aux recherches récentes au Kurdistan d’Irak, 6 aux recherches nouvelles dans le sud irakien, 6 aux recherches menées en Turquie, 3 en Iran, 3 en Géorgie, 1 en Arménie, 2 à Chypre, 2 en Syrie, 1 en Israël, 1 en Oman, 1 au Liban et 2 en Asie centrale. Cet inventaire assurément n’est pas représentatif de l’intégralité de la recherche menée sur le terrain au Moyen-Orient, en particulier au Levant Sud ou central, ou en Turquie pour ne citer que quelques exemples. En revanche, il témoigne de la vitalité désormais bien ancrée des recherches menées en Irak, après le choc qu’a été la chute de Mossoul qui s’était déroulée pendant l’Icaane de Bâle, en 2014, et avait provisoirement interrompu l’élan des missions sur le terrain. Cette impulsion a également gagné le sud de l’Irak avec la reprise des recherches sur des sites emblématiques de la discipline.

12L’éventail très large sur le plan spatial l’est aussi sur le plan chronologique, depuis le Néolithique acéramique tardif, jusqu’à l’époque sassanide. C’est le reflet d’un élargissement du spectre chronologique de l’Icaane qui est largement lié à des terrains et des opportunités très particulières, notamment au Kurdistan d’Irak ou dans les Zagros iraniens. C’est là un mouvement salutaire qui permet de faire le pont avec la section consacrée à l’archéologie islamique. C’est un élément clef du désenclavement de l’archéologie du Proche-Orient ancien, dans un contexte d’intense fermentation intellectuelle sur les méthodes et les objectifs de la discipline. Elle doit gérer un héritage ambigu et des impératifs de terrain profondément renouvelés par les nouveaux challenges d’une recherche combinée aux impératifs du développement, combinés à l’impact des conflits à répétition et d’un changement de génération de chercheurs, dans les pays hôtes comme parmi les acteurs externes du terrain.

13Cette réflexion méthodologique est particulièrement sensible dans quelques domaines particuliers où se concentrent les recherches. Sans être exhaustif, il faut souligner l’importance renouvelée des travaux sur le Chalcolithique tardif mésopotamien, au sens large du terme, traité dans 7 communications au moins, de la Syrie au sud irakien. Il en résulte un affinement hautement nécessaire de la chronologie des phases initiales du Chalcolithique tardif, singulièrement des phases 1 à 3. La précocité du développement urukéen dans la région du Qara Dagh, l’importance du peuplement chalcolithique des plaines d’Erbil et Ninive ainsi que la densité du peuplement des bassins des piémonts du Zagros sont autant d’axes de recherche dont on espérait le développement, qui vient compléter l’image acquise dans l’ouest de la Haute Mésopotamie au cours des trente dernières années.

14La reprise des recherches sur l’âge du Bronze mésopotamien est particulièrement soutenue en Irak du Sud, depuis les recherches nouvelles menées à Nigin, Ur, Shuruppak, Eridu, Abu Tbeirah et dans le pays de la Mer (Tell Khaiber), et elle se combine à la poursuite des recherches sur les développements urbains au III^e millénaire depuis le Liban et Chypre jusqu’à l’Asie centrale à Gonur Tepe ou au monde transcaucasien. Il faut également souligner l’importance des projets développés sur l’âge du Fer, que ce soit sur le monde néo-hittite (Sindjirli), sur la péninsule omanaise ou sur le monde néo-assyrien et ses précurseurs médio-assyriens, ou sur l’Urartu, avec la présentation des remarquables résultats obtenus au cours des dernières années à la citadelle d’Ayanis. Enfin, on notera l’importance des recherches menées sur les défenses territoriales, depuis la Syrie du Nord au Bronze moyen jusqu’à la plaine de Gorgan avec le système transcaspien de défense sassanide ou dans la plaine de Shahrizor avec la forteresse sassanide de Gird-i Kazhaw.

15La lecture de cet ensemble hétérogène est ainsi un excellent point d’observation sur les grandes tendances d’une discipline qui a clairement trouvé un nouveau souffle, grâce à d’exceptionnels projets de coopérations qui permettent de souder des liens en une période de tension extrême.