1Cet ouvrage de très grande importance est le deuxième volume de publication des fouilles et découvertes réalisées par l’université Ludwig Maximilian de Munich avec la coopération du musée de Diyarbakir sur le site de Giricano, situé sur la rive gauche du Tigre dans la section occidentale du périmètre du lac du barrage d’Ilisu. La première publication, que l’on doit à K. Radner, concernait l’établissement médio-assyrien et les documents cunéiformes découverts sur le site. Cette seconde mouture que l’on doit à Andreas Schachner concerne des vestiges beaucoup plus anciens exhumés sur le site de 2000 à 2003. En dépit de la surface limitée explorée, la fouille a offert une rare séquence stratigraphique couvrant une période de la fin du V^e au début du III^e millénaire qui reste très mal connue en particulier dans cette région. La publication de cet ensemble couvrant donc pour l’essentiel ce que l’on appelle aujourd’hui le Chalcolithique tardif mésopotamien est donc particulièrement intéressante, en particulier parce qu’elle permet d’étudier le passage des cultures chalcolithiques tardives dites locales de Haute Mésopotamie (LC 1-3 ancien) aux phases plus récentes (LC 3 récent à LC 5) où eut lieu d’après le modèle dominant le contact avec la culture dite d’Uruk.

2L’ouvrage est organisé en cinq chapitres : une introduction, la présentation de la stratigraphie (p. 9-46), des « petits objets » (p. 47-67) puis de la céramique (p. 67-158), le tout suivi d’une conclusion (p. 159-170) et d’une synthèse des résultats en turc, que l’on doit à Türkçe Özet. L’ouvrage est donc largement dominé par la présentation de la documentation céramique qui reste avec le ¹⁴C le principal indicateur chronologique d’une séquence divisée en trois périodes : la période V (début III^e millénaire ; niveau 13), la période VI (niveaux 14a et b du LC 5 ; 15, 16 et 17 du LC 4) et la période VII (niveaux 18a-c du LC 3 ; 19a-c du LC 1-2). Les vestiges des phases anciennes ont été dégagés dans le secteur de fouilles sud (Südhang) qui a offert une séquence beaucoup plus ancienne que les vestiges mis au jour au sommet de la butte plus au nord, où les couches plus tardives recouvrent les installations préhistoriques sur une surface indéterminée.

3La séquence est le résultat d’une tranchée étagée qui n’est pas décrite en soi et dont on ne trouve que, p. 29, une coupe très schématique qui permet toutefois de comprendre comment la fouille s’est présentée. Une description de l’ensemble et en particulier des effets de paliers de fouille aurait été utile pour comprendre une séquence qui est présentée comme « sans rupture » alors que tout indique des discontinuités, dues à l’état des vestiges d’une part, et à ces paliers de fouille d’autre part. De facto, ladite séquence comprend deux ensembles de vestiges bien documentés : le niveau 14, avec les restes notamment d’un grand édifice monocellulaire tout à fait intéressant (bâtiment J), et une séquence complexe avec deux niveaux bien définis, les niveaux 18 et 19, avec plusieurs constructions étagées. Entre ces deux ensembles, ont été identifiés des niveaux beaucoup moins bien conservés, des restes possibles de silos et des fosses qui posent à l’auteur des problèmes d’interprétation. Il suggère que ces niveaux qui présentent des céramiques des phases LC 3-4 seraient liés aux travaux de préparation du niveau 14, même s’ils présentent un singulier mélange de céramiques plus anciennes, non seulement du Chalcolithique tardif mais aussi de la période d’Obeid qui n’est pas attestée sur le site. Ce mélange assurément laisse supposer qu’il s’agit de niveaux de terrassement. Il est toutefois intéressant de noter que de tels niveaux présentant des fosses ou des installations de type silos ont aussi été retrouvés à Mashnaqa avant la phase LC 5 et ses constructions « urukéennes ». Tout se passe comme si la période d’activité monumentale (ici niveau 14) avait été précédée d’installations moins substantielles peut-être liées à un habitat plus mobile. En tout cas, Giricano offre un bon exemple de site chalcolithique tardif avec une nette rupture entre les phases anciennes du Chalcolithique tardif (LC 1, 2 et 3) et les phases tardives (LC 5 ?) qui en soi est le reflet de profondes mutations intervenues au tournant des phases LC 3 et 4.

4La phase LC 5 est une découverte remarquable. Elle fait l’objet d’une présentation circonstanciée et très bien documentée, avec une série de plans dépliants et deux coupes, notamment le relevé de la paroi nord du chantier qui permet de saisir l’ensemble la situation rencontrée. Sous un important niveau de destruction ont été dégagés les restes de deux états d’un ensemble remarquable : une phase ancienne avec un grand bâtiment J associé à l’ouest à un édifice plus modeste, et une phase récente où ce bâtiment se dresse seul avec un espace ouvert à l’ouest. Le bâtiment lui-même est présenté en détail : une grande pièce de 7 à 7,20 m de largeur pour une longueur minimale de 11 m. L’auteur souligne la singularité d’un édifice qui daterait d’après les datations ¹⁴C du dernier tiers du IV^e millénaire, sa phase récente de 3100 environ.

5Il propose des comparaisons avec des édifices postérieurs en Anatolie ou à Mohammed Arab, alors que la comparaison s’impose avec les édifices monocellulaires urukéens, en particulier ceux du Moyen-Euphrate. À Tell Sheikh Hassan, Tell Qannas, mais aussi Hassek Höyük, des édifices monocellulaires ont été dégagés. Si ces derniers sont plus modestes à Sheikh Hassan, le temple sud de Qannas est lui, par ses dimensions, comparable à celui de Giricano, tout comme un autre édifice très singulier, la maison 4 à Hassek Höyük. Avec des largeurs comprises entre 7 et 8 m, ces grandes pièces sont tout à fait comparables. La comparaison s’impose aussi avec les grandes halles monocellulaires de l’Eanna d’Uruk, la Rundpfeilerhalle (largeur 7,37 m), le Hallenbau (7,55 m) et la Pfeilerhalle (6,25 m). En somme, l’édifice J se range dans la catégorie des halls urukéens et les comparaisons sont plus claires qu’avec Troie ou Bogazkoÿ.

6Un ensemble de céramiques 06-193 a été retrouvé pris dans des couches cendreuses recouvrant la rue située à l’ouest de l’édifice ainsi qu’un inventaire d’objets plus luxueux, notamment une pointe de lance. L’étude de l’assemblage céramique est très claire et faite selon l’usage consacré opposant des formes locales et des formes dites « urukéennes », qui sont datées de l’Uruk récent. Peu de commentaires sont faits sur l’assemblage local et l’ensemble de la situation est comparé à Arslantepe : la présence urukéenne est jugée extrêmement limitée à raison, les comparaisons étant faites surtout avec Ninive 3 (Uruk A, B et C). La datation Uruk récent (LC 5) ne me paraît pas si évidente au vu des formes présentées, d’autant plus que l’assemblage dit local présente des formes classiques LC 3 ou 4, notamment des casseroles et bols dit hammerhead à Hacinebi par exemple. Il s’agit en tout cas d’une situation culturelle plus comparable à ce que l’on trouve à Hacinebi et seules les datations ¹⁴C ont motivé une attribution si tardive. Les conditions même de l’abandon et de la destruction de l’ensemble sont discutées en détail, les plans de chute impressionnants de murs étant attribués à un tremblement de terre, puisqu’il n’y a aucune trace d’incendie.

7La présentation des deux phases plus anciennes, les niveaux 18 et 19, est particulièrement circonstanciée, même si la largeur de la tranchée elle-même ne permet pas de reconstituer des plans complets. Les deux niveaux présentent chacun trois phases qu’il n’est guère possible de reprendre en détail si ce n’est pour s’interroger là encore sur la continuité de la séquence. Celle-ci se développe de manière étagée : le niveau 19 est organisé en terrasses étagées du sud au nord, avec des différences de deux mètres entre deux terrasses, et une rue ou corridor en pente qui lie l’ensemble. Cette phase est datée LC 1-2 mais elle présente surtout des céramiques LC 1, très comparables à celles de Gawra XII. Les auteurs considèrent que la phase 18 est le résultat d’un développement graduel de la culture locale, comparable au passage de Gawra A à B à Ninive. Aucune information n’est donnée sur les conditions d’abandon de ces édifices mais il me semble qu’il faut au contraire envisager une phase d’abandon entre le niveau 19 (LC 1) et le niveau 18 (LC 3). Il est frappant en effet d’observer l’absence à Giricano des céramiques typiques des niveaux XIA-IX de Gawra que l’on s’attendrait à trouver là, dans la mesure où elles sont attestées de Gawra à Norsuntepe sur l’Euphrate. Giricano est sur la route entre ces deux sites et il me semble qu’il y a là une solution de continuité. En somme, on a là une publication majeure pour une région qui reste mal documentée pour le Chalcolithique tardif. Giricano paraît en retrait par rapport un site comme Basur Höyük qui a livré des informations plus probantes sur l’Uruk récent, et la séquence proposée me paraît présenter davantage de discontinuités que ne le disent les auteurs.