• 1 Kondoleon 2000.
• 2 Sandwell, Huskinson 2004 ; Cabouret, Gatier et Saliou 2004.
• 3 Leblanc et Poccardi 1999a et b, Huskinson 2004, De Giorgi 2016, Brands 2016.
• 4 Saliou et al. 2012.
• 5 Pour la mosaïque de la toilette de Pégase, sa présentation lors du XIV^e colloque de l’AIEMA à Nico (...)
• 6 Pamir 2014, Pamir et Sezgin 2016.
• 7 https://vrc.princeton.edu/archives/items/browse?collection=7.
• 8 Cf. la présentation du projet au XIV^e colloque de l’AIEMA, Chypre 2018 (Işiklikaya-Laubscher et P (...)
• 9 Cabouret, Gatier et Saliou 2004.
• 10 Depuis, voir aussi ma communication au XIV^e colloque de l’AIEMA, Chypre 2018 (Morvillez à paraître (...)

1On note depuis maintenant 20 ans un regain d’intérêt pour Antioche depuis l’exposition américaine de Christine Kondoleon 1 et les colloques de Londres et de Lyon de 2001 2 qui ont apporté un nouveau souffle à la recherche. Les travaux historiques et topographiques de Jacques Leblanc et Grégoire Poccardi, Janet Huskinson, Andrea U. De Giorgi et Gunnar Brands 3 ont permis d’affiner la connaissance de la ville dans l’Antiquité tardive. Ces rencontres fructueuses de Lyon s’inscrivent dans l’entreprise de Catherine Saliou du Dictionnaire topographique d’Antioche (Lexicon Topographicum Antiochenum) 4. Elles ouvrent encore de nouvelles perspectives. Au même moment, les spectaculaires découvertes d’Hatice Pamir et des équipes turques – dont témoignent la mosaïque exceptionnelle de la toilette de Vénus (Harbiye) présentée lors du présent colloque et celle de la toilette de Pégase, pour ne citer qu’elles 5 – apportent des pavements originaux, des plans de demeures, une nouvelle vision et surtout des données stratigraphiques plus complètes sur l’habitat domestique entre Haut et Bas Empire 6. Par ailleurs, l’aménagement des nouvelles salles du Louvre consacrées au Proche-Orient et au monde arabe par Cécile Giroire, conservatrice au musée du Louvre, a mis en valeur la collection de mosaïques qui avaient été données en partage à la France. La restauration de la mosaïque du jugement de Pâris d’Antioche a par ailleurs renouvelé complètement le regard porté sur les archives conservées à Princeton, qui ont progressivement été mises en ligne 7. C’est dans ce mouvement que se développe l’étude du corpus des mosaïques d’Antioche et de Daphné 8. Dans le cadre du colloque international de Lyon sur Antioche paru dans un supplément à la revue Topoi 9, je m’étais arrêté sur l’évolution du plan des maisons et d’un quartier, celui de la zone du Buffet Supper 10, transformé radicalement avec l’édification d’une nouvelle habitation au v^e siècle. La richesse des archives m’avait alors paru telle qu’elle permettait de renouveler le regard sur un autre édifice emblématique d’Antioche et de Daphné : la villa atypique dite de Yakto (fig. 1). Antioche et son faubourg de Daphné, comme Séleucie, posent en effet de nombreux problèmes aux spécialistes de l’architecture domestique, tant ce matériel est complexe à étudier et à placer en série avec les autres sites méditerranéens. Beaucoup de maisons ne furent qu’incomplètement fouillées. Il ne fut pas toujours possible, faute de temps ou d’espace, de creuser en profondeur et donc de posséder une chronologie relative de ces édifices. La nouvelle documentation en ligne permet d’apporter des éclairages inédits et de nuancer l’analyse des édifices, au regard aussi des nouvelles découvertes réalisées depuis. Il faut souligner la qualité exceptionnelle des clichés numérisés de la base de Princeton qui permettent de lire quantité de détails nouveaux et d’affiner l’interprétation archéologique.

• 11 Je remercie Clément Tulet, doctorant à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sous la direction de (...)

2Je me propose ici de relire le complexe de Yakto à la lumière de cette documentation retrouvée, d’apporter des confrontations chronologiques et des réflexions sur l’organisation du monument. Autant d’hypothèses – certaines invérifiables faute de pouvoir retourner voir le site aujourd’hui –, que je propose comme des pistes de réflexion sur l’évolution et le fonctionnement de ce grand édifice. Un plan interprété simplifié permettra au lecteur de suivre la description (fig. 2) 11.

• 12 Voir le plan et la description du site dans l’article de G. Poccardi dans ce même dossier.

3Le site fut mis au jour sur le site de l’antique Daphné, près du village de Yakto et de la source Aïn Jamoos 12. C’est un agent du cadastre qui découvrit par hasard, le 14 septembre 1932, la célèbre mosaïque de Megalopsychia puis celle dite de Thétis, qui allaient donner lieu à un dégagement systématique du lieu. La mosaïque fut fouillée par Claude Prost, inspecteur du Sandjak d’Alexandrette et conservateur du musée d’Antioche. Henri Seyrig, directeur des Antiquités de Syrie, considéra avec générosité que la découverte rentrait dans le secteur de la concession garantie au Comité des fouilles d’Antioche, et elle fut donc publiée dans les volumes de ce dernier par Jean Lassus. Il faut noter tout de suite qu’après une communication à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, la bordure topographique et Megalopsychia firent sensation. L’effet de concentration sur la bordure fit peut-être un peu oublier le reste et J. Lassus lui-même consacra tout un carnet de fouilles à l’analyse de la bordure figurée.

• 13 Lassus 1938, p. 95.
• 14 Lassus 1934, p. 115.

4Le site, à mi-pente d’une colline, jouissait encore d’une très belle vue panoramique, aussi bien sur la vallée de l’Oronte que sur la chaîne du Silpius et, à l’époque, les premières maisons de l’Antioche moderne. Il s’étage sur une série de terrasses. Comme le souligne la description de Lassus en 1938, c’est un endroit idéal pour installer une résidence 13. Une rupture de pente se trouvait à l’emplacement du chemin moderne qui longeait du côté nord-ouest la zone de fouilles. Un glissement du talus à ce niveau avait permis de découvrir la première mosaïque qui apparaissait en coupe. Le reste de la partie fouillée est ensuite relativement plan (cf. les oliveraies sur les clichés du chantier ; les cotes sur le terrain entre le haut et le bas du plan sont entre 3,32 en bas et 3,95 à 4 en haut du plan). La zone était assez luxueuse dans l’Antiquité, comme semblent l’indiquer les vestiges découverts plus haut. Le complexe fouillé n’était pas en effet complètement isolé. Toujours dans l’introduction du premier rapport de Lassus, il est mentionné qu’« un édifice plus imposant, aux belles colonnes de porphyre, à peine enseveli sous quelques centimètres de terre dominait la colline » 14. Cet édifice public ou privé (?), avec ces colonnades de matériau précieux, semble plutôt exceptionnel.

• 15 Lors de la rencontre de 2016, j’avais confronté les publications aux clichés photographiques qui c (...)

5La base de Princeton proposait 195 documents reliés au terme « Yakto » en 2016. En 2019, 237 occurrences apparaissent, car depuis ont été ajoutés notamment des dessins aquarellés de grande qualité – que j’ai naturellement joints au présent dossier. Une précision de plus en plus grande est faite dans l’attribution des clichés sur le site aux différents espaces fouillés. À cela, il faut ajouter les milliers de pages de carnets de terrain, sans compter les fiches cartonnées de l’inventaire du matériel, dont une grande partie est désormais en ligne, comme les rapports de fouilles 15.

• 16 Lassus 1934, 1938 et 1984 ; Levi 1947.
• 17 Après la publication de 1938, Jean Lassus mentionna régulièrement Yakto dans ses articles, mais ne (...)

6Cette masse documentaire permet d’éclairer les publications, celles de Jean Lassus comme celle de Doro Levi 16. Ce sont d’abord les photographies qui ne furent pas toutes publiées, mais aussi les plans et relevés, qui apportent des informations supplémentaires pour l’interprétation des vestiges. Certains dessins, parfois aquarellés, sont inédits. Les opera sectilia, nombreux sur le site, sont à la fois photographiés et dessinés. On possède également un certain nombre de clichés du matériel sculpté, in situ et sous divers angles. Enfin, la qualité de lecture des clichés est nettement supérieure à celle des éditions de l’époque. L’agrandissement des photographies permet de voir quantité de détails que les images publiées ne permettaient pas de bien saisir. Les cotes des plans sont notamment beaucoup plus lisibles. On sent que l’on a pris des clichés pour une publication plus ample avec preuves photographiques à l’appui 17.

• 18 Avec des coupes. On ne peut que regretter de manquer de relevés aussi précis par espaces du reste (...)
• 19 Lassus 1938, n. 1 p. 95.

7Après la découverte des deux plus belles mosaïques en 1932 par Claude Prost, les plans détaillés furent relevés par Maurice Bardin 18. Le chantier fut programmé pour la campagne suivante avec une ouverture du chantier du 27 mars au 15 juin 1933. Le terrain était loué pour trois mois, ce qui impliquait des choix stratégiques qui furent bien menés, puisqu’une partie compréhensible de trois espaces put être dégagée. Il fallait protéger les arbres des vergers. Le choix fut fait de ne déposer que les plus beaux pavements, ce qui interdit la fouille sous ceux laissés in situ. L’ensemble fut ensuite remblayé. Quelques arbres furent sacrifiés comme dans les salles (10) et (18), lorsqu’on soupçonnait la présence – comme ce fut le cas – d’autres pavements exceptionnels. Comme le dit Lassus, « s’il ne subsiste pas d’obscurités graves sur le plan du monument, certains détails de son histoire eussent peut-être été mieux précisés si nous nous étions trouvés moins liés par notre contrat. En fin de saison, nous avons dû remettre en place les terres déblayées ; cette fois encore la mesure a présenté des avantages et des inconvénients : le fait que les ruines devaient disparaître – une fois les pavements de valeur enlevés – a permis d’atteindre et d’étudier les niveaux inférieurs, qui fussent sans cela restés cachés ; mais sur les choses qui furent découvertes, aucune vérification n’est plus possible, et il faut désormais nous croire sur parole 19. »

• 20 Il reste à Antioche jusqu’en 466, date à laquelle il est disgracié puis éliminé. Comme le souligne (...)
• 21 Par souci de clarté, nous renvoyons systématiquement aux numéros donnés par Jean Lassus à chacun d (...)
• 22 Conservée au Louvre pour le panneau central. Mosaïque d’un tout petit triclinium (?), 3 m × 3 m, s (...)

9Lassus décrit surtout l’état de l’édifice du v^e siècle, considéré comme une villa de plaisance, en s’appuyant, non sans quelque confort à la fois légitime mais dangereux, sur la datation calée par le terminus post quem de l’inscription, sur la bordure topographique de la fameuse mosaïque de Megalospychia, mentionnant le magister militum per Orientem Ardabur, fils d’Aspar, préfet du prétoire de l’empereur Léon 20 (salle A du plan fig. 2) 21. Il considère qu’il existe d’abord un édifice primitif, bien plus étendu à l’ouest, au-delà du mur dit extérieur. À cette partie « abandonnée » appartient la mosaïque de triclinium dite aux oiseaux et au canthare datant du iii^e siècle, découverte lors de sondages 22. Les structures remontant aux iii^e et iv^e siècles furent délaissées à l’ouest, pour faire place à une autre phase de construction aux iv^e-v^e siècles à l’est. On procède par ajouts architecturaux et re-décoration de secteurs complets, mais aussi réaménagements en conservant certains sols des salles de la phase antérieure. La période d’apogée de l’édifice se situerait pour Lassus au milieu du v^e siècle, correspondant au moment de l’activité d’Arbadur (450-457). On ajoute les deux mosaïques de Megalopsychia et Thalassa, mais aussi les petits bains et l’on complète le secteur de la cour à exèdre par l’abside (47). Enfin, pour Lassus, entre le milieu et la fin du v^e siècle – son rapport sur ce point n’est pas clair –, à la suite peut-être d’un incendie, la mosaïque de la grande salle cruciforme (10) munie d’un nymphée fut remplacée par un opus sectile. Ce serait la dernière période de remaniement selon Lassus. Pour résumer sa position, voici ce qu’il écrit :

• 24 Sur Yakto, Levi 1947, p. 279-283, lower level, et p. 420-423.
• 25 Levi 1947, p. 90.
• 26 Campbell, rapport de fouilles de 1933 dactylographié, archives des fouilles d’Antioche, Princeton (...)

11Ce qui complique l’analyse des données, c’est que, dès l’après-guerre, Doro Levi conteste le découpage chronologique des pavements de Yakto 24. D’abord, il remet en cause la datation de la première phase au iii^e siècle, d’après le lien entre certains murs de la salle au triclinium des oiseaux et du canthare et le complexe de Yakto 25. L’idée de la séparation des deux zones de ruines lui vient, affirme-t-il, de W. A. Campbell lui-même, qui écrivit le premier rapport de 1933. Pour ce dernier, la majorité des vestiges a été construite au iv^e siècle 26. Levi note comme Lassus que la mosaïque aux oiseaux et canthare se trouve à un niveau bien inférieur à celui du reste du site. Pour lui, il s’agit d’une autre phase, antérieure, qu’il faut lire séparément.

• 27 Levi 1947, p. 279.

12Levi n’est pas d’accord avec d’autres points de la chronologie relative de Lassus. Il considère par exemple qu’il existe trois niveaux de pavements successifs dans la salle cruciforme (10) : un sol de plâtre à 40 cm – que cite Lassus à propos des salles voisines –, puis la mosaïque, qui correspond pour lui à un second état, et qui elle-même est remplacée par un opus sectile. Ce dernier doit être placé, non pas au milieu du v^e siècle, mais à la fin du v^e siècle ou au début du vi^e siècle, pour laisser une certaine durée d’existence à la mosaïque intermédiaire, découverte en dessous 27.

• 28 Campbell rapport 1933, p. 4.

13Campbell précise lui, ce que Lassus ne dit pas plus tard, que sur les trois niveaux de pavement découverts dans la villa, le plus haut, « de la fin du v^e siècle », dans la villa, est daté aussi par des monnaies 28.

• 29 Pour des raisons de place, nous laisserons de côté ce secteur.

14Mais pour détailler les apports de la documentation de fouilles, il sera plus simple de passer en revue les grands secteurs distingués par Lassus lui-même. Le site est découpé en trois zones principales : celle de la cour à exèdre (I), celle de la salle à plan centré (10) [II] et enfin celle de la cour sur laquelle ouvraient les mosaïques de Megalospychia et Thalassa (III). Au sud-est se développait une zone de bains, mal conservée 29.

• 30 Les numéros de clichés et dessins sont ceux de la base photographique des archives des fouilles d’ (...)

15Pour faciliter le suivi de la lecture de cet édifice complexe, je renvoie le lecteur au plan simplifié tramé et numéroté, fig. 2 30. Le secteur I, à l’ouest, est celui de la cour (2), délimitée par trois portiques (3, 6, 45) et munie de deux exèdres semi-circulaires (8) et (47) ; puis plus au sud vient le secteur II, la grande salle cruciforme (10), ornée de son nymphée intérieur et entourée d’une série de pièces mosaïquées ; enfin, à l’est, le secteur III avec la cour (4) bordée sur deux côtés de portiques comportait la salle de réception de Megalopsychia et celle dite de Thalassa (ou Thétis). Au sud-est enfin se développe un petit bain isolé, incomplètement fouillé, dont il fut difficile de déterminer, au moment de la fouille, s’il appartenait à la résidence, où s’il faisait partie d’un autre ensemble.

• 31 Tapis 1 : composition orthogonale d’octogones adjacents blancs, déterminant des carrés sur la poin (...)
• 32 À titre de comparaison, on peut citer l’église de Dibsi Faraj, hors-les-murs : un quadrillage obli (...)

16Les trois zones sont reliées entre elles par un grand couloir (5), au pavement homogène, long de 39 m et large de 3,15 m. Il était orné de trois tapis de mosaïques géométriques successifs, assez simples, qui font songer par leur motif et traitement des couleurs à une imitation d’opus sectile 31 (fig. 3 à gauche). Les trois motifs ne permettent pas de poser une datation précise : il s’agit de compositions géométriques banales en opposition de couleur 32. On remarque cependant que les trois segments sont très harmonieux et que Lassus ne relève dans sa description aucune trace de réparation, pas plus que les photographies d’époque ne semblent en montrer. L’unité stylistique plaide en tous les cas pour une liaison contemporaine des trois grands secteurs du complexe par cet axe principal. Cette dimension pour un corridor de circulation nous place d’emblée dans une architecture de haut niveau.

• 33 Campbell rapport 1933, p. 8 (traduction É. Morvillez).
• 34 Lassus 1938, p. 145.
• 35 Lassus 1938, p. 145.

18Le complexe de Yakto présente plusieurs secteurs qui fonctionnent ensemble tout en ayant chacun une relative autonomie. C’est ce qui fait l’originalité de l’édifice et a fait hésiter Lassus, disons-le, dès le début. Il pensait que l’ensemble avait dû constituer une villa de plaisance et qu’après la réfection complète du v^e siècle, l’ensemble serait devenu un complexe public « de loisirs », dont il faut bien dire que nous ne connaissons pas de parallèles à ce jour. Comme le souligne Campbell dans le rapport de 1933, « l’usage du bâtiment après sa replanification n’est pas très clair. L’absence de pièces désignées pour un usage domestique exclut l’identification comme une villa. Rien n’indique un propos religieux ou commercial. M. Lassus avance l’hypothèse que l’ensemble était utilisé comme un bâtiment public pour le plaisir et le divertissement. Dans ce type d’édifice, chacun pouvait s’attendre à trouver des salles luxueusement ornées, des salles et des colonnades, et de plus petites pièces pour des réunions plus intimes 33. » Ainsi que l’écrit Lassus dans sa conclusion, « le caractère le plus remarquable est sa discontinuité. Il ne comporte aucune symétrie d’ensemble et […] il n’est pas possible – compte tenu de l’incertitude concernant la façade est du monument – de savoir de quel côté se trouvait l’entrée 34. » L’ensemble fonctionne donc comme une série de pavillons et de portiques indépendants. Pourtant, comme le souligne Lassus, « il n’y a qu’un seul monument, dont les éléments hétéroclites sont liés par le grand corridor et par des portes secondaires ; relations d’ordre pratique qui n’influent pas sur le caractère individuel de chacune des composantes 35. »

• 36 « […] le long du mur oriental, une triple série de losanges opposés par le sommet. […] Sur la face (...)

20La cour elle-même comportait sur sa totalité, soit près de 170 m², un pavement de mosaïque. Lassus ne semble pas avoir découvert de système d’évacuation des eaux, celles-ci pouvant en cas de forte pluie être abondantes. Le pavement était précédé le long des murs par une bordure géométrique assez simple, à motifs de lignes de carrés sur la pointe tangents, « en gros cube de pierre 36 ». Dans la toute petite partie conservée de la surface, on a pu reconstituer des panneaux figurés plus fins, entourés d’un riche rinceau d’acanthe sur fond noir (fig. 4). Le seul panneau figuré conservé, dans l’angle nord-ouest, présente une chasseresse qui terrasse un fauve. Elle est accompagnée d’une servante à cheval qui l’ombrage d’un parasol. On possède le départ d’un troisième cavalier. Cette chasse, sans doute mythologique, représente peut-être des amazones. On notera donc que la cour (2) était ornée d’une grande composition de mosaïque figurée organisée en tableaux entourés d’élégants rinceaux d’acanthe sur fond noir, comparable à celle de la cour (4).

• 37 Les descriptions de Lassus, sans relevés, sont difficiles à interpréter.
• 38 Le motif se trouve employé dans la basilique est de Qalʿat Semʿan : Donceel-Voûte 1988, p. 233, fi (...)

23L’opus sectile était formé de motifs géométriques assez simples, avec deux grandes compositions dominantes (alternance d’octogones clairs et de carrés sombres, de même longueur de côté que les octogones ; carrés entourés d’hexagones irréguliers déterminant des octogones 37). Mais les schémas étaient de modules variables, noir et blanc ou polychrome : cela donnait un effet de variété aux galeries. Des bandes de marbre blanc uniforme séparaient les tapis. Un seul dessin des archives conserve un relevé ou une restitution d’un des motifs de l’opus sectile du portique (6). Il s’agit d’une composition de lignes d’octogones et de croix adjacentes (disposée en oblique) déterminant des hexagones oblongs ; ici les croix en sautoir sont formées de quatre petits carrés autour d’un carré central (fig. 6, à gauche 38).

• 39 Aucune trace matérielle ni relevé n’ont pu être retrouvés pour le moment de ces mosaïques pariétal (...)

24Les deux exèdres semi-circulaires ne sont pas contemporaines. L’abside (8), large de 5,50 m pour 3,70 m de profondeur, est construite en grand appareil (fig. 7) et soutenue par deux contreforts. Du pavement, il ne reste plus que la trace d’un ciment très dur. Lassus penche plutôt pour une mosaïque, étant donné l’absence d’empreinte dans le ciment. Un élément montre le luxe de la construction. Lors de la fouille furent recueillis « dans les déblais à différentes hauteurs » des fragments de mosaïque pariétale et de nombreuses tesselles (bleu, vert, jaune clair, brun rouge, rouge vif et noir). Des tesselles dorées étaient retenues entre elles par un « ciment blanchâtre, fragile », ce qui fait supposer qu’elles provenaient soit des parois, soit de la demi-coupole. Les cubes à fond d’or étaient revêtus de l’habituelle pellicule de verre. Un autre fragment de mosaïque pariétale fut découvert plus loin au sud, dans l’espace (26) : on put déterminer la présence d’un visage humain (sourcil, front, chevelure) 39.

• 40 Leur type de construction, alternant couches de moellons et briques est identique. Il s’agit du mê (...)
• 41 Voir aussi le relevé dans les archives des fouilles d’Antioche, Princeton, dessin n^o 387.

27Comme on vient de le voir, un appartement original, composé de deux salles à plan centré, construites conjointement, a été ajouté à la cour (2), au sud-est de l’abside (47) 40. La salle (48) servait de vestibule à la salle (52). Son pavement en opus sectile en souligne la structure. La partie centrale était pavée d’un « quadrillage simple » (de 29 cm de côté) d’après Lassus, tandis que sur deux côtés étaient distinguées deux alcôves identiques, larges d’1,08 m et longues de 3,70 m. Elles étaient ornées d’un autre motif à base d’hexagones (fig. 8). La salle (52), de plan cruciforme, possède trois alcôves identiques de 2,90 m de large sur 1,50 m environ de profondeur, le quatrième côté, celui de l’entrée formant un bras de 93 cm de large seulement. D’après Lassus, le centre aurait été couvert d’une coupole et les quatre bras d’un berceau. Le sol était également traité en opus sectile avec un motif de damier noir et blanc dans chacun des bras. Le pavement central comportait huit cercles concentriques, traités en opposition de couleur noir et blanc également, le milieu de la composition étant perdu (fig. 9) 41. Le reste de la salle, au-delà du cercle central, était pavé de marbre blanc. Ses murs étaient, au moins dans la partie basse, couverts de marbre blanc également. Ces deux salles greffées sur le plan de la cour dans l’axe d’un des portiques semblent faire partie des derniers aménagements de la résidence. Faut-il lier leur création à la pose des autres sectilia, au début du vi^e siècle où bien les placer plus tard ? La question ne peut être tranchée.

• 42 Archives des fouilles d’Antioche, Princeton, cliché n^o 1208.

28À côté de l’exèdre (47) ouvrait une salle (46) qui a peu attiré l’attention. Elle comporte une mosaïque dont l’aquarelle, inédite, est conservée à Princeton (fig. 10) 42. Sur la bordure sobre se succèdent des octogones sécants déterminant des carrés gris, une bande unie puis une tresse tricolore. Le champ présente une composition en quadrillage de bandes obliques avec des cercles circonscrits aux cases, faisant apparaître des bobines grises. Les cases sont chargées d’un carré dentelé rouge, gris et blanc. Dans les carrés d’intersection, marqués d’un carré sur la pointe ou d’un motif, on note la présence du style « arc en ciel ».

• 43 Archives des fouilles d’Antioche, Princeton, cliché n^o 1061.

30La mosaïque de la salle (7), présentant une composition orthogonale d’étoiles de deux carrés, placée en oblique, était très endommagée (fig. 6 à droite) 43.

• 44 Lassus 1938, fig. 21 p. 111.

31La salle (9) de forme irrégulière, présentait une large bande de raccord unie permettant d’installer dans la longueur de la pièce un tapis rectangulaire au motif assez complexe. La forme d’un demi-octogone, lisible le long du mur de la salle (9), fut interprétée comme un bassin arasé par Lassus, sans cependant qu’il ait pu constater la présence d’une adduction ou d’une évacuation 44.

• 45 Archives des fouilles d’Antioche, Princeton, cliché n^o 1032, dessin n^o 387.
• 46 Lassus 1938, p. 110, fig. 19-20.
• 47 Donceel-Voûte 1988, p. 79-80, fig. 47.
• 48 Abdallah 2018, p. 289-290, fig. 2.
• 49 Abdallah 2018, p. 197-198, panneaux F2 et F3, et 200.

32Le tapis de mosaïque présente une composition linéaire, simple, mais qui offre une multitude de combinaisons de lecture et mérite de s’y attarder car elle est particulière45. Il montre un quadrillage de bandes obliques à carrés d’intersection, avec surimposition aux intersections de carrés sur la pointe. « Les couleurs sont régulièrement disposées, sur fond blanc : les petits carrés sont rouges, les carrés inscrits dans d’autres sont bleus, comme les losanges [sic]. Les triangles sont jaunes, toutes les lignes sont noires 46. » (fig. 11). Notons que les lignes noires du quadrillage de bandes sont en tesselles placées sur la pointe, tandis que les autres motifs sont soulignés de noir. La mosaïque trouve un parallèle dans un tapis de l’une des églises de Dibsi Faraj, le martyrium hors-les-murs, sur la rive droite de l’Euphrate à quelques kilomètres de Balis. Il s’agit du pavement du pseudo-narthex, daté par inscription de 429 apr. J.-C. Ce dernier est un peu plus sophistiqué dans ses remplissages, mais repose sur la même trame et offre le même effet visuel 47. À Yakto, les carrés sont étendus aux deux angles par un bouton de rose stylisé. Une composition similaire, mais au rendu différent, se retrouve toujours en Syrie à Tell Manas 48 (probablement premier tiers du v^e siècle) ou encore dans l’église de Tell ʿAr, à mi-chemin entre Hama et Maarat al-Nuʿman 49 (entre la fin du iv^e et le premier quart du v^e siècle).

• 50 Un relevé figure dans les archives des fouilles d’Antioche, Princeton (dessin n^o 384).
• 51 Ce dernier motif, particulièrement complexe, est employé comme combinaison de surface pour la mosa (...)
• 52 Gisler et Huwiler 1984, p. 86, pl. XXVII, 2.
• 53 Donceel-Voûte 1988, p. 124, fig. 86-91. Abdallah 2018, p. 69-73, fig. 6 et 7, p. 72. Datation : fi (...)
• 54 Abdallah 2018, p. 190-192, fig. 25 (panneau D4). La même composition se retrouve dans les mosaïque (...)
• 55 Balty 1995, p. 73-75.
• 56 Abdallah 2018, p. 120, fig. 1-2, et p. 125 pour la datation.

34La petite salle (21) offre, pour sa part, une autre composition caractéristique. Après une bordure de carrés blancs sur la pointe, elle est ornée d’une composition centrée sur une roue de 1,18 m de diamètre, découpée en 16 secteurs, inscrite dans un octogone (fig. 12) 50. Celui-ci se développe en étoiles de huit carrés complétés de triangles et de losanges. Les losanges portent un rinceau très stylisé ou un motif géométrisé de deux feuilles attachées à un disque central. Tous les carrés sont remplis d’un dessin différent : bandes de couleur en diagonale traitées en arc en ciel (blanc, rouge, noir, blanc, bleu, noir) ; entrelacs ; motif géométrique complexe à base de croix avec damier ; motifs de solides tangents en perspective, soit dans le même sens, soit contradictoires, ou encore non convergents 51. En Syrie, en contexte domestique, le motif se retrouve dans un pavement de la maison aux Pilastres d’Apamée, daté de la fin du iv^e siècle 52. Ce genre de pavement, qui joue sur un catalogue du répertoire des mosaïstes est aussi connu dans plusieurs autres sites syriens, en particulier dans la basilique de Heir esh-Sheikh, dans la région de Maarat al-Nuʿman. Le parallèle est frappant avec la mosaïque de l’avant-nef 53. On peut faire également le lien avec certains motifs de l’église déjà citée de Tell ʿAr, les grands panneaux géométriques étant associés à l’inscription de 375-376 54. La composition de la mosaïque de la salle (15) de Yakto renvoie à l’extraordinaire essor du répertoire géométrique et à une mode de remplissage que l’on retrouve dans une série d’édifices syriens bien datés de la fin du iv^e siècle. On les rapprochera des mosaïques de la synagogue d’Apamée (391-392) ou de celle du martyrium de Kaoussié près d’Antioche (387) 55. Les mosaïques de l’église de Maʿar Chourin, proche de Maarat al-Nuʿman, offrent également des parallèles intéressants, comme le motif de la roue centrale de la pièce que l’on retrouve dans le tapis de la nef centrale en remplissage 56.

• 57 Sur la proximité des appartements d’hôtes et des salles de réception, voir mes remarques dans Morv (...)
• 58 Archives des fouilles d’Antioche, Princeton, dessin n^o 380-381.
• 59 Archives des fouilles d’Antioche, Princeton, cliché n^o 1006.

36La salle d’apparat (10) à plan centré domine ce second secteur. Elle est cantonnée de quatre petites salles quadrangulaires (11, 12, 17, 18) qui ont pu fonctionner comme des appartements, pourquoi pas des hospitalia réservés aux invités 57. Cet ensemble quadrangulaire, qui a pu servir de salle de banquet ou de salon, est construit en un seul programme en brique. Il vient se relier à d’anciennes constructions à l’ouest, trois salles symétriques, qui donnent l’impression d’appartenir à une aile de la villa antérieure. Celles-ci sont ornées de belles mosaïques géométriques attribuées par Lassus au v^e siècle, à la période de réfection du complexe. Princeton possède deux aquarelles inédites de ces pavements 58. Seules deux portes mettent les deux secteurs en communication. On note la présence d’une fontaine ornementale à bassin semi-octogonal dans la salle centrale (19) 59. Elle se trouve sur le passage de la conduite du nymphée de la salle (10) et est reliée comme ce dernier à l’alimentation découverte en (22) à l’extérieur de la pièce vers l’ouest.

• 60 Lassus 1938, p. 125.
• 61 Levi 1947, p. 281. Pour ce dernier, comme pour Lassus, ces larges bordures devaient encadrer des p (...)
• 62 En 1938, cependant, la datation proposée est « dans la seconde partie du v^e siècle » : Lassus 1938 (...)

38De la mosaïque intermédiaire, on ne possédait que les photographies publiées en 1947 montrant, dans les lacunes du sectile, la mosaïque affleurant. Dans les archives des fouilles d’Antioche à Princeton, on garde un dessin d’une des parties du sub floor de la salle (10), malheureusement sans couleurs (fig. 3 à droite et fig. 13), qui permet de mieux saisir les descriptions de Lassus, très difficiles à suivre sans illustration 60. L’un des côtés de la première bordure extérieure comporte un système de damiers, avec un motif de diamant dans chaque case selon D. Levi 61, puis sur l’autre côté des disques alternant avec des carrés sur la pointe. Chaque disque inclut un carré curviligne, tandis que les carrés sur la pointe portent une croisette en pointillés. Un second cadre est formé de trois bordures, soulignées de motifs de dents de scie, dont un ruban ondé. De ce qui reste du champ géométrique, on peut lire une composition à base de décagones développés en carrés et losanges. Dans le seul décagone conservé, on note la présence d’un carré orné d’entrelacs. Cette mosaïque est placée au plus tard au milieu du v^e siècle, comme le suggère ses composantes stylistiques. L’opus sectile, comme on l’a dit plus haut, serait posé à la charnière des v^e-vi^e siècles ou dans les premières décennies du vi^e siècle 62.

• 63 Archives des fouilles d’Antioche, Princeton, cliché n^o 1264.
• 64 Sur l’emploi de l’opus sectile à panneaux de petits modules, Froideveaux et Raynaud 2005, p. 156-1 (...)
• 65 Balty J. 1984, p. 30-31, fig. 4 et pl. X, 1-2 ; Balty J.-Ch. 1984, p. 496. Il rappelle également l (...)
• 66 Manière-Lévêque 2012, p. 40-44.
• 67 Archives des fouilles d’Antioche, Princeton, cliché n^o 1033.

39Grâce aux archives des fouilles d’Antioche à Princeton, nous possédons le relevé complet de cet opus sectile (fig. 14). Il entre dans la catégorie de l’opus sectile de petits modules à panneaux, séparés par des bandes unies. Il comporte aussi des zones de dalles de marbre irrégulières. Lassus précise que, selon lui, compte tenu de la variété des motifs et de l’irrégularité de la répartition des panneaux, il s’agissait de remplois. Les panneaux, de dimensions variables, sont entourés de bordures de marbre unies et sans volonté de symétrie. Ils présentent un florilège de motifs caractéristiques de ces décors : simples damiers, octogones adjacents, octogones sécants et adjacents déterminant des carrés, composition losangée d’hexagones et de losanges adjacents, composition triaxiale d’hexagones tangents, motif de sparterie, quadrillage de bandes à carré d’intersection débordant, les carrés d’intersection tangents aux carrés en intervalle, etc. (fig. 13). Le carré central de 1,50 m de côté était orné d’un panneau plus soigné, constitué d’un classique bouclier d’écailles (fig. 15). Une fois déposé, on put voir le classique système de support, réalisé ici en tessons de canalisation 63. La datation dans la première moitié du vi^e siècle correspond bien à l’engouement que l’on rencontre ailleurs pour ce type de pavement, tant dans les édifices religieux que dans les résidences au Proche-Orient 64. On le rapprochera des pavements posés à Qalʿat Semʿan (basilique Est, fin v^e-début vi^e siècle), déjà cités, ou encore en contexte domestique à ceux de la maison aux Consoles d’Apamée (salle de réception AA’) – dans ce dernier cas, le sectile vient remplacer une mosaïque, et le marbre revêt également les murs, avec des motifs complexes – ou de l’édifice au Triclinos (salle AB) 65. On citera également la grande maison sur l’acropole de Xanthos, dont le triclinos à abside comportait des panneaux de sectile de marbre et de schiste séparés de bandes de marbre 66. À Yakto, le caractère irrégulier du remplissage est nettement marqué. L’emploi au sol, dans un des bras de la salle, d’une plaque à motif en relief de peltes, avec incrustations pour faire ressortir le dessin, confirme le caractère de remploi d’au moins une partie de ce décor 67.

• 68 Autre cliché : archives des fouilles d’Antioche, Princeton, n^o 895.
• 69 Kondoleon 2000, p. 176 n^o 61.

41Les niches étaient certainement ornées de statues. Plusieurs furent découvertes lors des fouilles, sans certitude d’appartenance au nymphée. En tous les cas, on note un torse imitant un modèle praxitélien (cl. n^os 896-897-898) qui fut découvert dans la salle même, daté du ii^e siècle. La statue brisée fut remployée dans la phase de « squatterisation » de l’édifice, pour boucher une porte menant à l’une des pièces d’angle de la salle (10) [fig. 17] 68. Dans les décombres du corridor (5), on découvrit également en 1933, la statue du tireur d’épine, elle aussi datée du ii^e siècle, conservée à Baltimore 69, dont la tête était tenue par un goujon. Ces deux sculptures, ainsi que d’autres en plus petits fragments, attestent du goût de la collection d’œuvres d’époque antérieure des élites de l’Antiquité tardive.

• 70 Il se place dans la typologie des nymphées tardifs connus à Ostie, comme celui très semblable de l (...)

42On retrouve ainsi à une échelle assez monumentale le prototype des nymphées d’Antioche que les fouilles des années suivantes allaient découvrir dans le quartier de la maison du Ménandre, dans la maison des Bateaux des Psychés ou encore dans le quartier de la maison du Buffet Supper 70.

• 71 Lassus 1938, p. 120-121. Archives des fouilles d’Antioche, Princeton, clichés n^os 1209-1210.
• 72 Campbell rapport 1933, p. 6.
• 73 Campbell rapport 1933 : « The walls of the whole ensemble were frescoes with stylized flower and f (...)
• 74 Lassus 1938, p. 120.

43Comment était couverte cette salle ? Selon le premier rapport de Campbell, Lassus aurait proposé à l’origine quatre petites coupoles sur les petites chambres et une grande coupole contrefortée par quatre voûtes en berceau sur le centre. Lassus décrit une situation plus complexe dans son bilan de 1938 71. Pour lui « l’hypothèse d’une cour carrée, entourée de quatre liwans voûtés, disposition si fréquente dans l’art musulman, ne peut être rejetée a priori ». Mais comme il a découvert « des éléments d’une mosaïque assez grossière, composée uniquement de cubes blancs d’1 cm de côté environ provenant évidemment d’un pavement », sur des plaques de ciment grisâtre de 10 cm d’épaisseur, mais aussi « de larges plaques du même ciment grisâtre, les unes horizontales, les autres verticales », il pense à l’écroulement possible d’un étage. Campbell nous dit que (Lassus) « found a number of glass tesserae in soft, white cement in the debris and this must have come from mosaics which cover the vaults 72 ». Lassus, précisant que les cubes mesurent 0,3 à 0,5 cm de côté, les compare avec ceux découvert dans l’exèdre (8) décrite plus haut. Des fragments de stuc rouge et jaune sont également mentionnés par Lassus. Plus étonnant – et fait rarement décrit à Antioche – Campbell rapporte que les murs de l’ensemble auraient porté des motifs peints de fleurs stylisées et de feuillage en couleur rouge, blanche, jaune et bleu 73 – ce que Lassus ne précise pas. Il ne mentionne qu’un reste de stuc, en place dans la salle 10 74. Mais il est d’avis que les mosaïques ornaient des parties hautes et reste finalement davantage convaincu par une voûte d’arêtes sur les bras de la croix, la comparant au système observé par lui dans une des salles de réception de la célèbre résidence de Kasr-Ibn-Wardan.

• 75 Archives des fouilles d’Antioche, Princeton, cliché 1080, dessin n^o 388.

44À l’ouest de la salle cruciforme, se développaient trois salles parallèles, dont celle du centre était légèrement plus grande que les autres. Comme sous la salle (10), Lassus a vu 40 cm plus bas une couche de ciment gris correspondant apparemment à un niveau de circulation. Associées à la salle d’apparat (10), ces trois salles communiquent avec elle par les salles latérales (11) et (18), mais étaient en relation aussi avec l’espace des salles (9) et (21) vu précédemment. Ces trois pièces alignées présentaient des pavements, chacun très différent, plutôt raffinés, dont la chronologie peut être affinée. Le même raccordement qui alimentait le nymphée était branché sur un bassin en demi-octogone, fait de plaques de marbre et adossé au mur de la salle centrale, situé dans l’axe de la salle médiane (19) [4 m × 4,50 m]. Celle-ci comportait une mosaïque, endommagée par la récupération de la conduite d’eau qui la traversait de part en part 75. Une très large bande de raccord unie jaune entoure le champ composé de cercles sécants faisant apparaître des quatre-feuilles et déterminant des carrés concaves.

• 76 Archives des fouilles d’Antioche, Princeton : bordure, clichés n^os 1076 et 1079 ; champ, cliché n^o(...)
• 77 Assimakopoulou-Atzaka 2017, pl. 431 et 436a.

45La salle (13) [fig. 18] comporte un champ formant comme un tapis coloré à motif de zigzag, par le biais d’une composition de lignes de parallélogrammes en opposition de quatre couleurs (blanc, jaune, rouge et vert). La bordure alternant dans une ligne de carrés et de cercles sur la pointe offre un catalogue de motifs variés et une ligne sophistiquée assez originale : roue de tenture, motif « arc-en-ciel », carré dentelé, solides en perspective ou entrelacs 76. Un champ similaire en traitement et en couleur a été découvert dans l’église de Maroneia (Maronée), en Macédoine-Thrace 77. On le trouve aussi dans une des basiliques de Philippes (basilique de Paul, zone ouest).

• 78 Archives des fouilles d’Antioche, Princeton, cliché n^o 1279.

46La salle (20), mesurant 2,90 m par 3,35 m, comportait, elle aussi, un pavement raffiné. Après une bande de raccord de 35 cm jaune, la bordure est composée d’un large cadre original de série de grands losanges et de carrés sur la pointe, traités en motif arc en ciel ou en damier en opposition de couleur. Elle met en valeur le tapis central. Celui-ci présente une composition complexe de lignes de solides adjacents par les petits côtés déterminant des carrés en opposition de couleurs ; dans une même gamme que la bordure, brun, ocre, gris et bleu (fig. 19) 78. La bordure comme le champ sont rares, mais les motifs de remplissage de la bordure sont typiques de la fin du iv^e et du début du v^e siècle.

• 79 Archives des fouilles d’Antioche, Princeton, dessin en couleur n^o 384.
• 80 Lassus voyait la jambe munie d’une sandale ailée, celle d’Hermès, détail que D. Levi ne reprend pa (...)

50Le tour de la cour comportait d’abord une large bande de raccord faite de gros cubes blancs de 3 cm de côté. Puis le pavement central était de grande finesse. Il comportait une bordure sur fond noir de rinceaux d’acanthe polychrome, associé à des fleurs stylisées (fig. 20). Du champ, seules quelques bribes de panneaux, sans doute mythologiques, ont été conservées : la jambe d’un personnage, et quelques éléments de feuillages d’arbres (fig. 21) 79. Par son style, la mosaïque, très classicisante, semble pouvoir être datée du iv^e siècle 80.

• 81 Levi 1947, p. 323-345, Dunbabin 1999, p. 180-182 (datation dans les années 450/460), Brands 2016, (...)

51Nous laisserons ici de côté les deux mosaïques de Megalopsychia et de Thalassa (ou Thétis) qui ont déjà été largement discutées. Leur datation reste majoritairement proposée un peu au-delà du milieu du v^e siècle 81.

• 82 Lassus 1969, p. 138.

56Que peut-on dire de la base architecturale sur laquelle tout ce complexe s’est édifié au fur et à mesure ? En 1969 au premier colloque sur Apamée, Lassus écrivait : « certes, j’ai personnellement établi, grâce à un jeu d’étroites tranchées ouvertes entre les oliviers, pendant la campagne de 1937 que l’espace compris entre nos différentes fouilles, entre les différentes ‘villas’ que nous avions cru reconnaître, était en fait occupé par un développement continu de constructions orthogonales. Il y avait certes de grandes cours, et les maisons, au v^e siècle comme au iii^e, étaient riches et vastes. Mais c’était des maisons d’une ville. Je n’ai pas rencontré, en 400 m de tranchées, de rues larges ou dallées, seulement d’étroits passages 82. »

• 83 Lassus 1969, p. 138.

58Toujours en 1969, Lassus confirmait qu’il était convaincu par une fonction privée et domestique de l’ensemble : « ce monument comporte une série de cours, ornées de portiques et d’exèdres, de vastes pièces de réception pavées de marbre ou de mosaïques. Nous savons maintenant qu’il n’est pas nécessaire d’appeler ‘palais’ ces vastes ensembles de salles de prestige, qui paraissent trop nombreux pour avoir été réservés aux personnages de tout premier rang. Néanmoins nous sommes ici chez quelqu’un d’important 83. »

• 84 On rappellera le cas de la cour ovale du grand triconque de Piazza Armerina, récemment revue. Pavée (...)

59Il s’agit bien d’une résidence de plaisance, juste à côté de la grande ville. Le propriétaire bénéficie de nombreuses pièces de réception, mais aussi de cours luxueuses qui peuvent permettre de recevoir à l’intérieur comme en plein air, pour de grands banquets par exemple 84. En revanche, l’absence de jardins peut avoir été compensée par leur existence en périphérie de la résidence. Enfin la présence de la bordure topographique, très détaillée et ancrée dans la réalité politique et sociale de son époque, indique un personnage de haut niveau et son entourage qui fréquentent autant la ville d’Antioche que ses faubourgs, comme le montre le parcours dans la cité et hors d’elle. La Megalospychia ne fait que souligner la générosité et l’évergétisme du propriétaire.